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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Chambre commerciale internationale
POLE 5 – CHAMBRE 16
ARRET DU 04 JUILLET 2023
(n° 61 /2023 , 17 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/19249 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CETRK
Décision déférée à la Cour : sentence finale rendue le 20 mai 2021, sous l’égide Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale dans l’affaire n° 23818/DDA/AZO
DEMANDEUR AU RECOURS :
ETAT DU CAMEROUN
Agissant par le Ministère des Travaux Publics, lui-même représenté par Monsieur le Ministre des Travaux Publics
[Adresse 3] (CAMEROUN)
Ayant pour avocat postulant et plaidant : Me Jean-Paulin WOUMENI, avocat au barreau de PARIS, toque : E1583
DÉFENDERESSES AU RECOURS :
Société SOGEA-SATOM
société par actions simplifiée,
immatriculée au RCS de NANTERRE sous le numéro B 612 026 807,
ayant son siège social : [Adresse 1]
prise en la personne de ses représentants légaux,
Société SOLETANCHE BACHY INTERNATIONAL
société par actions simplifiée,
immatriculée au RCS de NANTERRE sous le numéro B 517 958 658,
ayant son siège social : [Adresse 2]
prise en la personne de ses représentants légaux,
Ayant pour avocat postulant : Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018
Ayant pour avocat plaidant : Me Jalal EL AHDAB, de L’AARPI BIRD & BIRD, avocat au barreau de PARIS, toque : R255
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 18 Avril 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Daniel BARLOW, Président de chambre
Mme Fabienne SCHALLER, Présidente de chambre
Mme Laure ALDEBERT, Conseillère
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur [T] [P], dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI
ARRET :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* *
*
I/ FAITS ET PROCEDURE
1. La cour est saisie d’un recours en annulation contre une sentence arbitrale rendue à [Localité 4], le 20 mai 2021, sous l’égide du règlement de la Chambre de commerce internationale, dans un litige opposant l’État du Cameroun aux sociétés de droit français Sogea Satom et Soletanche Bachy International.
2. Le différend à l’origine de cette sentence porte sur l’exécution d’un marché de conception-réalisation pour l’édification d’un pont à Douala.
3. L’État du Cameroun a lancé un appel à candidatures le 10 février 2010, afin de présélectionner les entreprises admissibles à l’appel d’offre.
4. Après une première sélection, il a émis un avis d’appel d’offres international restreint, le 24 juin 2011, auquel un groupement composé des sociétés Sogea Satom, Eiffel, Matière, Soletanche Bachy, Greisch et de Lavigne-Chéron (ci-après : « Le Groupement ») a répondu le 15 décembre 2011.
5. À la suite de négociations, une seconde offre a été remise par le Groupement le 13 novembre 2012, qui a été acceptée par les autorités camerounaises.
6. Le marché a été attribué au Groupement, un contrat étant signé entre l’État du Cameroun et chacune des sociétés le 4 mars 2013.
7. Estimant que certaines réclamations émises durant la phase d’exécution du contrat n’avaient pas été satisfaites, les sociétés Sogea Satom et Soletanche Bachy International ont introduit une requête d’arbitrage, le 27 juillet 2018, sur le fondement de la clause compromissoire figurant dans le cahier des clauses administratives particulières (« CCAP ») du contrat.
8. Par sentence rendue le 20 mai 2021, le tribunal arbitral a statué en ces termes :
« 1. Rejette les objections d’incompétence et d’irrecevabilité soulevées par les Parties et reconnaît sa compétence pour trancher le présent et entier litige.
2. Juge que Sogea Satom et Soletanche Bachy International sont recevables à agir.
3. Juge ‘ au sens des considérants et à la majorité ‘ que les aléas rencontrés dans l’exécution des travaux sur les piles P6 et P2 de l’estacade constituent des risques non normalement prévisibles et condamne l’État du Cameroun à payer aux Demanderesses 2 152 118 EUR HT au titre de la prolongation de l’atelier pieux (demande n° 4) et 42 127 EUR HT au titre des coûts directs exposés à la pile P2 (demande n° 9) ;
4. Constate ‘ au sens des considérants ‘ les manquements de l’État du Cameroun dans ses obligations de maîtrise d’ouvrage et condamne l’État du Cameroun à payer aux Demanderesses 8 066 015 EUR HT au titre de la prolongation du chantier global et des sous-chantiers des fondations et des terrassements (demande n°13) ;
5. Condamne le Cameroun à payer aux Demanderesses 510 736 EUR HT au titre du prix des travaux effectués pour le passage de l’ouvrage routier à 2×3 voies (demande n°14) ;
6. Condamne l’État du Cameroun à payer aux Demanderesses 756 915 EUR HT au titre du reliquat du prix des travaux de la cérémonie de la pose de la première pierre (demande n° 18) ;
7. Condamne l’État du Cameroun à payer aux Demanderesses 2 055 707 EUR HT au titre du prix ensemble fûts de pilles/chevêtre (demande n° 19) ;
8. Condamne l’État du Cameroun à payer aux Demanderesses 202 248 EUR HT au titre des factures impayées (demande n° 24) ;
9. Constate ‘ au sein des considérants ‘ les retards de paiement des sommes dues par l’Etat du Cameroun et condamne l’État du Cameroun à payer aux Demanderesses 270 708 EUR HT au titre des intérêts moratoires (demande n° 20) ;
10. Condamne l’État du Cameroun à payer aux Demanderesses 3 363 008 EUR HT en application de la formule de révision au prix du Marché (demande n° 21.1) ;
11. Condamne l’État du Cameroun à payer aux Demanderesses 1 097 290 EUR HT au titre de la révision de prix sur les demandes (demandes n° 21.2) ;
12. Juge que les conditions du maintien en vigueur de la garantie bancaire de restitution d’acompte n° 28612 souscrite par le Groupement auprès de la Société Générale Cameroun en date du 15 novembre 2018 pour un montant de 4 269 884 EU et 1 867240 190 FCFA ne sont plus réunies (demande n° 21) ;
13. Condamne l’État du Cameroun à payer aux Demanderesses 2 301 354 EUR HT au titre du préjudice financier distinct (demande n° 22.1) ;
14. Juge que le droit de propriété de Sogea Satom et Soletanche Bachy International sur l’estacade est établi et condamne l’État du Cameroun à payer aux Demanderesses 1 366 383 EUR HT (demande n° 23) ;
15. Condamne Sogea Satom et Soletanche Bachy International à payer au Défendeur 246 151 335 FCFA HT au titre de la demande reconventionnelle.
16. Condamne l’État du Cameroun à payer aux Demanderesses 407 500 USD et 1 111 462,16 EUR au titre de remboursement pour les frais et coût d’arbitrage de défense.
17. Condamne l’État du Cameroun à payer aux Demanderesses les intérêts légaux de droit camerounais sur l’ensemble des sommes à payer selon les points du dispositif qui précèdent, à compter du jour du prononcé de la sentence jusqu’à complet paiement.
18. Assortit cette Sentence Finale de l’exécution provisoire, nonobstant recours, au sens des considérants.
19. Déboute les Parties de toutes autres conclusions (à la majorité pour ce qui est des demandes n° 1, 2, 3, 4, 6, 7, 12 et 17), au sens des considérants ».
9. L’État du Cameroun a introduit deux recours en annulation contre cette sentence arbitrale, les 30 octobre et 1er novembre 2021 (respectivement enregistrés sous les numéros de RG 21/19249 et RG 21/19410).
10. Les défenderesses ont soulevé l’irrecevabilité de certains griefs invoqués par l’État du Cameroun devant le conseiller de la mise en état.
11. Par ordonnances du 6 octobre 2022, le conseiller de la mise en état a renvoyé devant la cour l’examen de ces fins de non-recevoir. Il a déclaré irrecevable l’État du Cameroun en ses demandes de condamnation pour procédure abusive et mauvaise foi.
12. Par arrêt du 24 janvier 2023, la cour a rejeté le déféré formé par l’État du Cameroun contre cette ordonnance.
13. Le conseiller de la mise en état a joint les deux procédures et prononcé la clôture le 7 février 2023.
14. L’affaire a été appelée à l’audience de plaidoiries du 18 avril 2023.
II/ PRETENTIONS DES PARTIES
15. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 8 novembre 2022, l’État du Cameroun demande à la cour de bien vouloir :
– DECLARER l’État du Cameroun recevable et bien fondé en son recours en annulation formé à l’encontre de la sentence arbitrale rendue en date du 20 mai 2021, sous l’égide de la Cour Internationale d’Arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale par le Tribunal Arbitral de Paris ;
– CONSTATER que c’est la société Soletanche Bachy France qui avait été sélectionnée par l’Etat du Cameroun, sous la dénomination Soletanche Bachy ;
– CONSTATER que le groupement candidat retenu pour l’appel d’offres n’est pas demeuré identique, ce, en violation de l’article 2-1 du règlement du concours ;
– CONSTATER que le Cahier de Clauses Administratives Générales Conception-réalisation applicable ne contient pas de convention d’arbitrage, notamment son article 79 ;
– CONSTATER que l’article 58 du Cahier de Clauses Administratives Particulières propre aux marchés relatif aux dérogations et compléments au CCAG-CR et au CCTP ne vise pas l’article 79.4 du CCAG-CR sur le règlement des différends ;
– CONSTATER que l’article 52 du Cahier des clauses administratives particulières contient une clause de conciliation préalable à la mise en ‘uvre de la convention d’arbitrage ;
En conséquence,
– DECLARER nulle la sentence finale rendue en date du 20 mai 2021 par le tribunal arbitral de Paris, pour incompétence du fait du dépérissement du délai imparti pour rendre la sentence finale au 30 septembre 2020, et ce, en application de l’article 1520 alinéa 1er du code de procédure civile ;
– DECIDER l’annulation de la sentence finale rendue en date du 20 mai 2021 par le tribunal arbitral de Paris, pour incompétence, en l’absence de convention d’arbitrage, en application des articles combinées 79 du CCAG et 58 du CCAP, et ce, conformément à l’article 1520 alinéa 1er du code de procédure civile ;
– PRONONCER la nullité de la sentence finale rendue en date du 20 mai 2021 par le tribunal arbitral de Paris, pour incompétence, pour inapplicabilité de la convention d’arbitrage contenue à l’article 52 du CCAP, en application de l’article 58 du CCAP, et ce, conformément à l’article 1520 alinéa 1er du code de procédure civile ;
– DECLARER le tribunal arbitral incompétent à connaître le litige né entre les parties, faute d’avoir entrepris une procédure de conciliation obligatoire et préalable conforme à l’article 52 du CCAP, ainsi annuler la sentence finale du 20 mai 2021, et ce, en méconnaissance de l’article 1134 devenu 1103 du code civil ;
– PRONONCER l’annulation de la sentence finale rendue en date du 20 mai 2021 par le tribunal arbitral de Paris, pour fraude par substitution de la société Soletanche Bachy International à la société Soletanche Bachy France, et ce, en application de l’article 1520 alinéa 5 du code de procédure civile ;
Subsidiairement,
– ORDONNER l’annulation de la sentence finale du 20 mai 2021, qui en jugeant, dans le point n° 12 de son dispositif, que les conditions du maintien en vigueur de la garantie bancaire de restitution d’acompte n° 28612 souscrite par le Groupement auprès de la Société Générale du Cameroun en date du 15 novembre 2018 pour un montant de 4.269.884 € et 1.867.240.190 FCFA ne sont plus réunies, a statué « ultra petita », le Groupement n’étant pas partie au litige, et ce, conformément à l’article 1520 alinéa 3 du code précité ;
En tout état de cause,
– DECLARER le tribunal arbitral incompétent pour connaître et trancher les différends et litiges pouvant naître dans l’exécution du contrat de Marché n° 000306 du 4 mars 2013 entre le groupement d’entreprises et l’État du Cameroun ;
– DECLARER incompatible la reconnaissance de la sentence rendue le 20 mai 2021 par le tribunal arbitral de Paris, avec l’ordre public international,
– CONDAMNER solidairement la société SOGEA-SATOM et la société SOLETANCHE BACHY International à payer la somme de 863.748 € à l’État du Cameroun, à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et mauvaise foi, en application des articles combinés 32-1 du code de procédure civile et 1241 du code civil ;
– CONDAMNER solidairement la société SOGEA-SATOM et la société SOLETANCHE BACHY International à payer la somme de 350.000 € à l’État du Cameroun, et ce, en application de l’article 700 du code de procédure civile.
– CONDAMNER solidairement la société SOGEA-SATOM et la société SOLETANCHE BACHY International aux entiers dépens de première instance et d’appel ; dire qu’ils pourront être recouvrés en application de l’article 699 du code de procédure civile.
16. Dans leurs dernières conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 22 décembre 2022, les défenderesses demandent à la cour de bien vouloir :
– DECLARER l’État du Cameroun irrecevable en ses griefs tirés (i) de la prétendue absence de convention d’arbitrage et (ii) de la prétendue violation de l’ordre public fondé sur la fraude.
A défaut,
– LES REJETER ;
En tout état de cause,
– REJETER les griefs tirés de la violation prétendue de la mission et de celle de l’ordre public international attachée à la soi-disant corruption ;
En conséquence,
– REJETER le recours en annulation de l’État du Cameroun dirigé à l’encontre de la Sentence arbitrale rendue à Paris le 20 mai 2021 par le Tribunal arbitral composé de Monsieur [H] [J] (Président), Madame [R] [V] et Monsieur [L] [F] (co-arbitres) ;
– DEBOUTER l’État du Cameroun de l’ensemble de ses demandes ;
– CONDAMNER l’État du Cameroun à verser aux sociétés Sogea Satom SAS et Soletanche Bachy International SAS la somme de 150.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
III/ MOTIFS DE LA DECISION
17. L’État du Cameroun soutient trois moyens d’annulation tirés de l’incompétence du tribunal arbitral (A), du non-respect de sa mission (B) et de la contrariété de la sentence querellée avec l’ordre public international (C). Il conclut en outre à un abus de procédure de la part des défenderesses au recours (D).
18. La cour relève, à titre liminaire, que s’il expose dans ses écritures des arguments relatifs à l’incompétence de la cour pour connaître des fins de non-recevoir invoquées par les sociétés Sogea Satom et Soletanche Bachy International, il n’en tire aucune conséquence dans la formulation de ses prétentions.
19. La cour n’étant saisie d’aucune demande sur ce point, ces développements n’appellent pas de réponse, sauf à relever que les questions ainsi évoquées ont déjà été tranchées, lors de la mise en état, par l’arrêt rendu sur déféré le 23 janvier 2023.
A. Sur le moyen tiré de l’incompétence du tribunal arbitral
1. Sur le grief relatif à l’absence de convention d’arbitrage
(i) Sur la recevabilité du grief
20. Les sociétés Sogea Satom et Soletanche Bachy International concluent à l’irrecevabilité du grief invoqué de ce chef par l’Etat du Cameroun en faisant valoir que :
– si, en cours d’arbitrage, l’Etat du Cameroun a contesté la compétence du tribunal arbitral, il n’a jamais prétendu qu’il n’existait pas de convention d’arbitrage, que l’article 52 du CCAP n’avait pas vocation à s’appliquer ou encore que l’article 79 du CCAG ne constituait pas une clause compromissoire, l’objection principale de l’Etat du Cameroun relevant en réalité d’une question liée à l’intérêt à agir des demanderesses ;
– dans son mémoire en duplique du 7 février 2020, il a confirmé qu’il ne soulevait pas d’exception d’incompétence à proprement parler et a reconnu l’applicabilité de l’article 52 du CCAP ;
– il a ainsi renoncé à ce grief au sens de l’article 1466 du code de procédure civile ;
– la position adoptée par l’Etat du Cameroun dans le présent recours contredit directement celle qu’il avait prise dans le cadre de la procédure arbitrale, cette contradiction se faisant au détriment des défenderesses ;
– contrairement à ce que soutient l’État du Cameroun, ce n’est pas la prétendue contradiction lors du débat judiciaire qui est en jeu ici, mais bien la contradiction entre la non-contestation par cet État du fondement de la compétence durant l’instance arbitrale, d’une part, et la remise en cause de l’existence et de l’applicabilité des clauses d’arbitrage devant la cour de céans, d’autre part.
21. L’État du Cameroun réplique que :
– il n’y aucune renonciation ni revirement dans sa position en ce que, dès l’origine comme tout au long de la procédure, l’Etat du Cameroun a toujours formulé des protestations et réserves sur l’applicabilité des clauses compromissoires ;
– l’incompétence du tribunal arbitral a été invoquée et tranchée dans la sentence rendue le 20 mai 2021 ;
– aucune contradiction au détriment d’autrui n’a été relevée lors du débat judiciaire devant le juge d’annulation.
SUR CE :
22. Selon l’article 1466 du code de procédure civile, rendu applicable à l’arbitrage international par l’article 1506 du même code, la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s’abstient d’invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir.
23. Il résulte de ces dispositions que, lorsque la compétence a été débattue devant le tribunal arbitral, les parties ne sont pas privées du droit d’invoquer sur cette question de nouveaux moyens et arguments devant le juge de l’annulation et à faire état, à cet effet, de nouveaux éléments de preuves.
24. La fin de non-recevoir tirée du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui sanctionne l’attitude procédurale consistant pour une partie, au cours d’une même instance, à adopter des positions contraires ou incompatibles entre elles dans des conditions qui induisent en erreur son adversaire sur ses intentions.
25. Il est en l’espèce constant que la compétence du tribunal arbitral a été débattue devant celui-ci, la sentence finale statuant sur ce point en retenant que « Le Défendeur a soulevé une exception d’incompétence (générale), fondée sur le fait que les Demanderesses ne seraient prétendument pas “recevables à agir” » (§116).
26. L’acte de mission signé par les parties et les membres du tribunal arbitral relève par ailleurs que l’Etat du Cameroun a, dès le début de la procédure, « indiqué qu’il estimait qu’il n’existait pas de convention d’arbitrage entre les parties et que de ce fait le choix de la CCI comme institution d’arbitrage, de Paris comme lieu de l’arbitrage ou du français comme langue revêtaient un caractère unilatéral » (§33). Ce même acte précise que « Le Défendeur a émis des réserves quant à la validité de la clause d’arbitrage et conteste la compétence du Tribunal arbitral » (ibid. §94).
27. Contrairement à ce que soutiennent les défenderesses, les paragraphes 254 à 260 du mémoire en duplique produit par l’Etat du Cameroun devant le tribunal arbitral le 7 février 2020 ne comportent aucune renonciation à se prévaloir du grief d’incompétence. Ces développement se bornent en effet à invoquer le non-respect de la procédure de règlement amiable, de sorte qu’il ne peut en être déduit la confirmation par cet Etat qu’« il ne soulevait pas une exception d’incompétence à proprement parler ».
28. Il ne saurait, dans ces conditions, être valablement fait grief au demandeur au recours d’avoir renoncé à invoquer devant le juge de l’annulation le moyen tiré de l’incompétence du tribunal arbitral, les sociétés défenderesses ne pouvant, conformément au principe ci-avant rappelé, s’opposer à ce qu’il soutienne de nouveaux moyens et arguments de ce chef.
29. Elles ne peuvent davantage lui reprocher de se contredire à leur détriment en se prévalant, pour les besoins du présent recours, de l’inexistence de la convention d’arbitrage ou de l’inapplicabilité de la clause compromissoire dès lors que :
– la contestation de l’existence de la convention d’arbitrage et de sa validité a été énoncée par l’Etat du Cameroun dans l’acte de mission, ainsi qu’il résulte des extraits précités ;
– si le mémoire en défense produit devant le tribunal arbitral par cet Etat le 12 juin 2019 indique que les parties sont liées « par deux (02) clauses compromissoires au titre des articles 52 du Cahier des Clauses Administratives Particulières (CCAP) et 79 du Cahier des Clauses Administratives Générales (CCAG), qu’il s’agit respectivement d’une convention d’arbitrage et d’une convention de médiation assujetties au préalable d’une tentative de règlement amiable », cette mention ne saurait être regardée comme valant reconnaissance de l’applicabilité des dites clauses au litige, l’affirmation du caractère liant de ces stipulations devant être tempérée par les réserves émises en début d’arbitrage ;
– le changement de position de l’Etat du Cameroun, allégué par les défenderesses, n’est ainsi pas caractérisé ;
– celles-ci ne peuvent, en toute hypothèse, valablement prétendre avoir été trompées sur les intentions de cet Etat quant à la contestation de la compétence du tribunal arbitral, la remise en cause de cette compétence ayant été clairement exprimée dès l’acte de mission.
30. La fin de non-recevoir soutenue de ces chefs par les sociétés Sogea Satom et Soletache Bachy International doit en conséquence être rejetée.
(ii) Sur le bienfondé du grief
31. L’État du Cameroun invoque l’absence de convention d’arbitrage ou l’inapplicabilité de la clause compromissoire contenue aux articles 79 du CCAG et 52 du CCAP, en ce que :
– la clause de règlement des différends prévue à l’article 79 du CCAG ne contient pas de référence à l’arbitrage et n’est pas applicable dès lors que la chambre de commerce internationale propose deux procédures de règlement de différends, l’arbitrage et la médiation ;
– la clause compromissoire issue de l’article 52 du CCAP est inapplicable dès lors que, selon l’article 61 du code des marchés publics du Cameroun, les cahiers des clauses administratives particulières ne fixent que les dispositions administratives et financières, sauf stipulation contraire et expresse des parties, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, et que l’article 58 du CCAG qui récapitule les dérogations ou compléments au CCAG et au CCTG ne vise ni l’article 52 sur le règlement des litiges, ni l’article 79 du CCGT sur les différends litiges.
32. Les sociétés Sogea Satom et Soletanche Bachy International font valoir en réponse que :
– la sentence arbitrale a été rendue conformément à la clause compromissoire stipulée par les parties ;
– l’article 4.1 du CCAP prévoit un ordre des priorités des différents éléments constitutifs du contrat indiquant notamment que le CCAP prime sur le CCAG, de sorte que l’argumentation fondée sur l’article 61 du code des marchés publics camerounais est inopérante, le contrôle du juge d’annulation en matière de consentement à l’arbitrage s’exerçant sans égard à des lois étatiques ;
– en tout état cause, il ne pourrait être contesté au regard de la jurisprudence constante de la cour que l’article 79.4 du CCAG est bien une clause compromissoire en ce qu’il est clair que l’intention des parties, en stipulant une telle clause, était de recourir à l’arbitrage sous l’égide de la CCI ;
– l’affirmation de l’État du Cameroun n’est en tout hypothèse pas conforme au droit positif relatif à la théorie de l’extension ratione materiae de la clause compromissoire applicable chaque fois que les mêmes parties se retrouvent liées par plusieurs contrats et tandis qu’un seul d’entre eux comporte une clause d’arbitrage ou qu’ils contiennent deux clauses arbitrales similaires mais non identiques.
SUR CE :
33. L’article 1520, 1°, du code de procédure civile ouvre le recours en annulation lorsque le tribunal arbitral s’est déclaré à tort compétent ou incompétent.
34. Pour l’application de ce texte, il appartient au juge de l’annulation de contrôler la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu’il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d’apprécier la portée de la convention d’arbitrage, ce contrôle étant exclusif de toute révision au fond de la sentence.
35. En vertu d’une règle matérielle du droit de l’arbitrage international, la clause compromissoire est indépendante juridiquement du contrat principal qui la contient, directement ou par référence. Son existence et son efficacité s’apprécient, sous réserve des règles impératives du droit français et de l’ordre public international, d’après la commune volonté des parties, qui seule investit l’arbitre de son pouvoir juridictionnel, sans qu’il soit nécessaire de se référer à une loi étatique.
36. Il résulte en l’espèce des pièces versées aux débats que la procédure arbitrale a été engagée par les sociétés Sogea Satom et Soletache Bachy International, non sur le fondement de l’article 79.4 du Cahier des clauses administratives générales, mais sur celui de l’article 52.1 du Cahier des clauses administratives particulières du marché litigieux.
37. Les développements consacrés par l’Etat du Cameroun à l’inapplicabilité de la clause compromissoire énoncée à l’article 79.4 du CCAG sont dès lors inopérants.
38. L’article 52.1 du CCAP stipule quant à lui, sous le titre « Règlement des litiges », que :
Tout litige entre le cocontractant et le Maître d’Ouvrage fera l’objet d’une tentative de règlement à l’amiable. Le cocontractant doit soumettre au Maître d’Ouvrage une requête amiable.
Le Maître d’Ouvrage dispose d’un délai de deux mois, à compter de la réception de la requête, pour notifier sa décision. L’absence de notification de décision dans ce délai vaut rejet de la requête.
A défaut de règlement amiable, le litige sera définitivement tranché selon le Règlement de conciliation et d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale de [Localité 4], France, par un ou plusieurs arbitres nommés conformément à ce Règlement. Le lieu de règlement du litige sera [Localité 4].
39. Cette formulation exprime sans ambiguïté la commune volonté des parties de compromettre en soumettant à l’arbitrage, selon le règlement de la Chambre de commerce internationale de [Localité 4], tout litige pouvant naître de l’exécution du marché.
40. Conformément au principe ci-avant rappelé, l’Etat du Cameroun, qui ne démontre ni même n’allègue aucune violation d’une règle impérative du droit français ou de l’ordre public international, ne saurait, pour dénier son consentement et conclure au caractère inopposable de cette clause, se prévaloir des dispositions de son droit national tirées de l’article 61 du code des marchés publics camerounais, dont la formulation n’est au demeurant pas contradictoire avec la possibilité pour les parties d’insérer une clause compromissoire dans un cahier des clauses administratives particulières.
41. L’absence de mention de la clause compromissoire litigieuse à l’article 58 du CCAP, qui liste les « dérogations et compléments » au CCAG et au CCTG, ne peut par ailleurs entraîner l’inopposabilité de cette clause à l’Etat du Cameroun, la non-reprise de cette stipulation au titre de ces dérogations et compléments n’étant pas de nature à remettre en cause son consentement, clairement exprimé, au recours à l’arbitrage pour trancher les différends nés du marché litigieux.
42. D’où il suit que le moyen tiré de l’incompétence du tribunal arbitral sera rejeté.
2. Sur le dépérissement du délai imparti pour rendre la sentence
43. L’État du Cameroun fait grief au tribunal arbitral d’avoir rendu sa sentence sans respecter la date initialement fixée par la CCI pour son prononcé, le délai initialement imparti ayant été irrégulièrement prorogé.
44. Les sociétés Sogea Satom et Soletanche Bachy International répliquent que :
– la prétendue violation du délai imparti, qui relève d’une violation de sa mission par le tribunal, est assimilée de façon erronée par le demandeur à un défaut de compétence ;
– la sentence a été rendue dans le délai imparti dès lors que l’institution d’arbitrage peut librement proroger le délai initialement fixé, ce qui a été fait en l’espèce, conformément à l’article 31 du règlement d’arbitrage de la CCI.
SUR CE :
45. Selon l’article 31 du règlement d’arbitrage de la CCI, pris dans sa version applicable au litige :
1. Le tribunal arbitral rend sa sentence finale dans un délai de six mois. Ce délai court soit du jour où la dernière signature du tribunal arbitral ou des parties a été apposée sur l’acte de mission, soit dans le cas visé à l’article 23, paragraphe 3, à compter de la date de notification au tribunal arbitral par le Secrétariat de l’approbation de l’acte de mission par la Cour. La Cour peut fixer un délai différent en fonction du calendrier de la procédure établi conformément à l’article 24, paragraphe 2.
2. La Cour peut, sur demande motivée du tribunal arbitral ou au besoin d’office, prolonger ce délai, si elle l’estime nécessaire.
46. En l’espèce, la sentence querellée a été rendue le 20 mai 2021.
47. Pour conclure au non-respect par le tribunal arbitral du délai qui lui était imparti pour statuer, l’Etat du Cameroun soutient que, si la CCI a une première fois prorogé ce délai jusqu’au 30 septembre 2020, ce n’est que le 14 janvier 2021 qu’elle le prorogera à nouveau, d’abord jusqu’au 31 mars 2021 puis, par prorogations successives, jusqu’au 30 mai 2021.
48. Il résulte toutefois de la lettre de la CCI versée aux débats par les défenderesses au recours (pièce n° 8) que l’institution d’arbitrage a prorogé le délai imparti aux arbitres pour rendre la sentence finale le 10 septembre 2020 et ce, jusqu’au 29 janvier 2021, les parties s’accordant sur la continuité des prorogations ultérieures.
49. Le délai pour rendre la sentence finale a ainsi été régulièrement prorogé par l’instance arbitrale toute au long de la procédure, de sorte que le moyen développé par l’Etat du Cameroun, qui manque en fait, doit être rejeté.
B. Sur le moyen tiré de la violation de la mission par le tribunal arbitral
1. Sur la première branche du moyen relative au non-respect par le tribunal de la procédure de conciliation
50. L’État du Cameroun soutient que :
– l’article 52 du CCAP, instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à toute instance arbitrale, s’impose à l’arbitre, conformément au principe de la force obligatoire des contrats résultant de l’article 1103 du code civil ;
– la convention d’arbitrage n’a pas été activée dès lors que les trois conditions suspensives et l’arrivée des termes ne se sont par réalisées.
51. Les sociétés Sogea Satom et Soletanche Bachy International répliquent que :
– le demandeur n’explique pas dans quelle mesure la décision du tribunal arbitral relative au préalable de conciliation amiable caractériserait une violation de sa mission, le tribunal arbitral s’étant au contraire prononcé sur cette objection soulevée par l’État du Cameroun ;
– le grief procède d’une tentative de révision au fond de la sentence, ce qui sort du champ du contrôle de la cour.
SUR CE :
52. Selon l’article 1520, 3°, du code de procédure civile, le recours en annulation est ouvert si le tribunal a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée.
53. Cette mission, définie par la convention d’arbitrage, est délimitée principalement par l’objet du litige, lequel est déterminé par les prétentions des parties, sans qu’il y ait lieu de s’attacher uniquement à l’énoncé des questions figurant dans l’acte de mission.
54. En l’espèce, l’Etat du Cameroun fait grief au tribunal d’avoir méconnu les termes de sa mission pour avoir statué en méconnaissant les termes et conditions de la procédure de conciliation prévue à l’article 52 du CCAP du marché litigieux précité.
55. Il résulte toutefois de la sentence arbitrale querellée que, saisi d’une « exception d’irrecevabilité » tirée du non-respect de la procédure de règlement amiable préalable à l’arbitrage, le tribunal s’est prononcé sur ce point aux paragraphes 149 à 151 de sa sentence, et a décidé, au point 2 de son dispositif, que les sociétés Sogea Satom et Soletanche Bachy International étaient recevables à agir.
56. Il s’est ainsi conformé aux termes de sa mission en répondant à une demande de l’Etat du Cameroun visant à voir déclarer les sociétés Sogea Satom et Soletanche Bachy International irrecevables faute de s’être conformées au préalable obligatoire de conciliation postulé par la clause compromissoire.
57. Le juge de l’annulation, à qui il n’appartient pas de réviser la sentence, ne saurait contrôler l’appréciation portée par le tribunal arbitral sur la recevabilité des demandes qui lui étaient soumises, le moyen tiré du défaut allégué de mise en ‘uvre d’un préalable de règlement amiable prévu par une clause compromissoire n’entrant pas dans les cas d’ouverture du recours en annulation énoncés à l’article 1520 du code de procédure civile.
58. La première branche du moyen doit en conséquence être écartée.
2. Sur la deuxième branche du moyen tirée de ce que le tribunal a statué ultra petita
59. L’État du Cameroun fait grief au tribunal d’avoir jugé, au point 12 de son dispositif, que les conditions du maintien en vigueur de la garantie bancaire de restitution d’acompte n° 28612 souscrite par le Groupement ne sont plus réunies, alors que celui-ci n’est pas partie au litige.
60. Les sociétés Sogea Satom et Soletanche Bachy International font valoir en réponse que :
– le tribunal arbitral n’a pas statué ultra petita, mais a répondu à une demande formulée par les défenderesses ;
– à supposer admis le grief, l’annulation de la sentence ne pourrait être que partielle et serait strictement limitée au point n° 12 du dispositif de la sentence.
SUR CE :
61. Conformément aux principes ci-avant rappelés, il appartient au tribunal arbitral de statuer dans les limites des demandes qui lui sont soumises, de sorte que s’il accorde plus que ce qui avait été demandé, la sentence est susceptible d’être annulée pour méconnaissance de sa mission.
62. Il est en l’espèce constant qu’au point 12 du dispositif de sa sentence, le tribunal arbitral a jugé que « les conditions du maintien en vigueur de la garantie bancaire de restitution d’acompte n° 28612 souscrite par le Groupement auprès de la Société Générale du Cameroun en date du 15 novembre 2018 pour un montant de 4.269.884 € et 1.867.240.190 FCFA ne sont plus réunies ».
63. S’il est acquis aux débats que le Groupement ainsi désigné, dépourvu de personnalité juridique, n’était pas partie à la procédure d’arbitrage, qui ne mettait en cause que les sociétés Sogea Satom et Soletanche Bachy International, il ne saurait être déduit de ce chef du dispositif que le tribunal aurait méconnu sa mission en statuant ultra petita dès lors que :
– il s’est, ce faisant, borné à répondre à une demande qui lui était soumise par ces sociétés, ainsi qu’il résulte de leur mémoire en demande du 29 mars 2019, lequel sollicitait du tribunal arbitral qu’il ordonne « à l’Etat du Cameroun de donner mainlevée de la garantie bancaire de restitution d’acompte n° 28612 souscrite par le Groupement auprès de la Société Générale Cameroun en date du 15 novembre 2018 pour un montant de 4 269 884 EUR et 1 867 240 190 FCFA » ;
– il n’a, dans sa sentence, pas prononcé de condamnation à l’encontre du Groupement, se bornant à constater que les conditions de la garantie litigieuses n’étaient pas réunies.
64. La deuxième branche du moyen tiré du non-respect de sa mission par le tribunal est ainsi également infondée et doit être rejetée.
C. Sur le moyen tiré de la violation de l’ordre public international
65. L’État du Cameroun soutient que :
– la reconnaissance de la sentence heurterait l’ordre public international pour donner effet à une fraude par substitution de personne à l’origine d’un détournement de fonds public ou d’un pacte corruptif, la société Soletanche Bachy International s’étant substituée à la société Soletanche Bachy France, membre originel du groupement ayant soumissionné au marché litigieux ;
– les autorités Camerounaises n’ont pris conscience de cette substitution qu’après le prononcé de la sentence arbitrale, les extraits K-bis des sociétés concernées, qui auraient permis de découvrir la fraude, n’ayant pas été produits en cours d’arbitrage ;
– les sociétés Sogea Satom et Soletanche Bachy International ont d’abord prétendu que la société Soletanche Bachy International était la société qui avait été préqualifiée pour l’appel d’offres du 24 juin 2011 ;
– c’est toutefois la société Soletanche Bachy France qui a été retenue par l’Etat du Cameroun sous la dénomination Soletanche Bachy SAS ;
– les défenderesses au recours ont ensuite reconnu, durant la procédure conduite devant la cour, que la société Soletanche Bachy International s’était substituée à la société Soletanche Bachy France, pour des raisons d’organisation interne ;
– la convention de groupement produite par ces sociétés pour justifier de la substitution est toutefois signée par une personne qui n’avait pas le pouvoir d’engager la société Soletanche Bachy International et ne représentait que Soletanche Bachy France ;
– les défenderesses ne rapportent pas la preuve de la notification à l’Etat du Cameroun de la substitution de la société Soletanche Bachy International en lieu et place de Soletanche Bachy France préqualifiée ;
– la substitution opérée constitue un aveu judiciaire de corruption dès lors que la société Soletanche Bachy International ne disposait pas de l’ancienneté requise pour soumissionner au marché ;
– la fraude ainsi caractérisée est à l’origine d’un détournement de fonds public correspondant au montant des condamnations prononcées par le tribunal arbitral, la reconnaissance de la sentence ayant pour effet de permettre aux demanderesses d’opérer ainsi le blanchiment d’argent.
66. Les sociétés Sogea Satom et Soletanche Bachy International répliquent que :
– l’Etat du Cameroun, qui cherche par le biais de son recours en annulation à contester l’attribution du marché, ne démontre aucune atteinte à l’ordre public international ;
– il ne parvient pas à identifier le moindre des indices graves, précis et concordants de la fraude et de la corruption qu’il allègue et sollicite, in fine, une révision au fond de la Sentence ;
– le grief tiré de la prétendue violation de l’ordre public international fondé sur la fraude est irrecevable dès lors que l’État du Cameroun n’a jamais soulevé cette question au cours de la procédure arbitrale de sorte qu’il est réputé avoir renoncé à s’en prévaloir conformément à l’article 1466 du code de procédure civile ;
– le demandeur a recours n’a lancé aucune procédure contre les faits qu’il dénonce ;
– il ne caractérise pas les éléments constitutifs d’une fraude et d’une violation de l’ordre public international, en l’absence de substitution, a fortiori frauduleuse, de personnes, son argumentation conduisant en réalité à remettre en cause l’intérêt à agir de la société Soletanche Bachy international, qui ne relève pas du contrôle du juge de l’annulation ;
– c’est bien la société Soletanche Bachy International qui était membre du Groupement partie au Contrat et à la convention d’arbitrage, ce dont l’Etat du Cameroun était parfaitement conscient et informé ;
– si la société Soletanche Bachy France a participé à l’origine à l’appel à candidatures de 2010, celle-ci a cédé la place à Soletanche Bachy (renommée Soletanche Bachy International) qui a signé le contrat et la convention d’arbitrage, par l’intermédiaire d’une personne habilitée disposant des pouvoirs nécessaires ;
– le demandeur ne saurait conclure à l’existence d’une fraude, l’intervention de Soletanche Bachy International n’ayant jamais été dissimulée ;
– aucun indice ni aucun élément de preuve n’est avancé pour justifier de la fraude et du pacte corruptif allégués.
SUR CE :
67. Selon l’article 1520, 5°, du code de procédure civile, l’annulation de la sentence peut être poursuivie lorsque sa reconnaissance ou son exécution est contraire à l’ordre public international.
68. L’ordre public international au regard duquel s’effectue le contrôle du juge s’entend de la conception qu’en a l’ordre juridique français, c’est-à-dire des valeurs et principes dont celui-ci ne saurait souffrir la méconnaissance, même dans un contexte international.
69. Ce contrôle s’attache seulement à examiner si l’exécution des dispositions prises par le tribunal arbitral viole de manière caractérisée les principes et valeurs compris dans cet ordre public international.
70. Il est en l’espèce constant que :
– le Groupement retenu par les autorités camerounaises pour l’attribution du marché litigieux a communiqué dans son dossier de manifestation d’intérêt des documents relatifs à la société Soletanche Bachy France, représentée par M. [D] [W] et enregistrée au RCS de Nanterre sous le numéro d’identification 712 030 154 ;
– il a été admis par le ministère des travaux publics du Cameroun à participer à l’appel d’offres restreint sur la base de ce dossier ;
– la procédure arbitrale à l’origine de la sentence querellée a été engagée par la société Soletanche Bachy international, inscrite au RCS de Nanterre sous le numéro d’identification 517 958 658.
71. Si l’Etat du Cameroun déduit de ces constatations l’existence d’une fraude par substitution de personnes, il n’en rapporte pas la preuve dès lors que :
– la convention de Groupement du 12 décembre 2011, passée par les sociétés membres du Groupement pour les besoins du soumissionnement au marché, concerne bien la société « Soletanche Bachy » devenue « Soletanche Bachy International » le 3 septembre 2012, ainsi qu’il résulte du rapprochement des numéros d’identification au registre du commerce et des sociétés ;
– le « certificat en matière de procédure collective » produit pour les besoins du marché, dont l’Etat du Cameroun ne conteste pas avoir eu connaissance, concerne bien cette même société Soletanche Bachy International, identifiée par ce même numéro ;
– le défaut allégué de pouvoir de M. [W] pour la représenter et l’engager est démenti par le pouvoir spécial produit par les demanderesses, dont l’Etat du Cameroun ne démontre pas le caractère fallacieux ;
– même à la supposer admise, la substitution alléguée ne saurait être considérée comme ayant fait l’objet d’une quelconque dissimulation, la société Soletanche Bachy International ayant été clairement identifiée dès le début de la procédure arbitrale, sans équivoque ni doute possibles, les éléments produits par le demandeur au recours pour justifier de sa prétendue découverte de la substitution après le prononcé de la sentence étant des documents publics, issus du registre du commerce et des sociétés, accessibles à tous avant même le démarrage de la procédure arbitrale.
72. L’Etat du Cameroun ne saurait ainsi se prévaloir d’une quelconque fraude, laquelle suppose une dissimulation à l’origine d’une tromperie, qui fait en l’espèce défaut, le demandeur au recours ne pouvant, sous couvert d’atteinte à l’ordre public international contester l’intérêt ou à la qualité à agir de la société Soletanche Bachy International.
73. Il ne démontre par ailleurs aucun indice matériel de fraude ou de corruption dans l’attribution du marché, se contentant de procéder par affirmations que rien ne vient étayer en fait, le seul manque d’ancienneté de la société Soletanche Bachy International pour se voir attribuer le marché étant ici insuffisant.
74. Il en résulte que le moyen tiré de la contrariété de la reconnaissance ou de l’exécution de la sentence à l’ordre public international ne saurait prospérer.
75. En considération de l’ensemble des éléments qui précèdent, le recours en annulation formé par l’Etat du Cameroun contre la sentence rendue sous l’égide de la CCI, le 20 mai 2021, dans l’affaire n° 23818/DDA/AZO, sera rejeté.
D. Sur la procédure abusive et la mauvaise foi des intimées
76. L’État du Cameroun dénonce le caractère abusif de la procédure arbitrale engagée par les sociétés défenderesses en faisant valoir que :
– la société Sogea Satom, mandataire du Groupement, a en toute mauvaise foi substitué Soletanche Bachy International à la société Soletanche Bachy France qui avait été retenue dans le cadre du processus d’appel d’offres, introduisant ainsi par la fraude dans sa relation avec l’Etat du Cameroun, une tierce personne avec laquelle, elle a engagé une procédure contentieuse devant le tribunal arbitral par laquelle elles ont réclamé le paiement de diverses sommes à l’Etat du Cameroun, sous des prétextes fallacieux ;
– elles ont saisi la Cour internationale d’arbitrage de la chambre de commerce internationale alors que le marché n’était pas réceptionné ;
– elles n’ont jamais produit d’extrait Kbis de leurs sociétés au cours de toutes ces procédures, dont l’analyse aurait permis de découvrir la supercherie ;
– l’ouvrage livré comporte de graves anomalies et imperfections et constitue le pont le plus cher du monde.
77. Les sociétés Sogea Satom et Soletanche Bachy International répliquent que :
– la demande de condamnation pour procédure abusive et mauvaise foi a déjà été déclaré irrecevable par le conseiller de la mise en état dans son ordonnance du 6 octobre 2022 ;
– elle échappe au pouvoir de la cour d’appel saisie sur le fondement de l’article 1520 du code de procédure civile, ce défaut de pouvoir juridictionnel étant sanctionné par une irrecevabilité.
SUR CE :
78. Selon l’article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.
79. Une telle condamnation suppose la démonstration d’une faute commise dans l’exercice du droit d’agir, susceptible de faire dégénérer l’action en abus, l’octroi de dommages et intérêts étant subordonné à l’existence d’un préjudice en lien de causalité avec cette faute, conformément aux dispositions de l’article 1240 du code civil.
80. La demande de condamnation pour procédure abusive formée par l’Etat du Cameroun sur le fondement de ces dispositions a déjà été déclarée irrecevable par le conseiller de la mise en état dans l’ordonnance rendue le 6 octobre 2022, non remise en cause par l’arrêt rendue par la cour sur déféré le 24 janvier 2023.
81. Expressément fondée sur le caractère abusif et frauduleux du recours à la procédure arbitrale, elle n’entre pas dans les pouvoir de la cour saisie sur le fondement de l’article 1520 du code de procédure civile, l’article 1518 limitant ce pouvoir à l’examen de la demande d’annulation de la sentence.
82. Elle sera donc rejetée.
E. Sur les frais et dépens
83. L’Etat du Cameroun, qui succombe en ses prétentions, sera condamné aux dépens de la présente procédure, la demande qu’il forme au titre de l’article 700 du code de procédure civile étant rejetée.
84. Il sera en outre condamné à payer aux sociétés défenderesses la somme totale de 50 000 euros en application du même article, la cour relevant que, contrairement à ce que soutiennent ces sociétés, les dispositions de cet article n’ont pas vocation à sanctionner le caractère abusif de la procédure engagée devant la cour mais compenser les frais irrépétibles engagés pour les besoins de la procédure.
IV/ DISPOSITIF
Par ces motifs, la cour :
1) Rejette le recours en annulation formé par l’Etat du Cameroun contre la sentence finale rendue le 20 mai 2021, sous l’égide Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale dans l’affaire n° 23818/DDA/AZO ;
2) Déclare irrecevable la demande de condamnation pour procédure abusive formée par l’Etat du Cameroun ;
3) Rejette toutes les autres demandes formées par l’Etat du Cameroun ;
4) Condamne l’Etat du Cameroun à payer aux sociétés aux sociétés Sogea Satom SAS et Soletanche Bachy International SAS la somme totale de cinquante mille euros (50 000 €) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
5) Condamne l’Etat du Cameroun aux dépens.
LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,