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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 23/01552 – N° Portalis DBVH-V-B7H-IZZP
LM
PRESIDENT DU TJ D’AVIGNON
17 avril 2023 RG :23/00165
[S]
[E]
[L]
[U]
[R]
[Z]
[A]
[I]
[W]
[V]
[OV]
[UE]
[AS]
[LV]
[HL]
[SN]
[VV]
[CN]
C/
S.A.S. SONELOG
Grosse délivrée
le
à Selarl Breuillot
Me Vajou
COUR D’APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
2ème chambre section C
ARRÊT DU 09 NOVEMBRE 2023
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du Président du TJ d’AVIGNON en date du 17 Avril 2023, N°23/00165
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Mme Laure MALLET, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Madame Sylvie DODIVERS, Présidente de chambre
Mme Laure MALLET, Conseillère
Mme Corinne STRUNK, Conseillère
GREFFIER :
Mme Véronique LAURENT-VICAL, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l’audience publique du 18 Septembre 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 02 Novembre 2023 prorogé à ce jour.
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.
APPELANTS :
Madame [CV] [S]
née le [Date naissance 28] 1983 à [Localité 50] (Maroc)
[Adresse 33]
[Localité 37]
Représentée par Me Anne-france BREUILLOT de la SELARL BREUILLOT & AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de CARPENTRAS
Madame [G] [E]
née le [Date naissance 5] 1993 à [Localité 53]
[Adresse 26]
[Adresse 26]
[Localité 42]
Représentée par Me Anne-france BREUILLOT de la SELARL BREUILLOT & AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de CARPENTRAS
Monsieur [SV] [L]
né le [Date naissance 15] 1999 à [Localité 36]
[Adresse 9]
[Adresse 9]
[Localité 36]
Représenté par Me Anne-france BREUILLOT de la SELARL BREUILLOT & AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de CARPENTRAS
Monsieur [RE] [U]
né le [Date naissance 11] 1986 à [Localité 48] (ROUMANIE)
[Adresse 30]
[Adresse 30]
[Localité 41]
Représenté par Me Anne-france BREUILLOT de la SELARL BREUILLOT & AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de CARPENTRAS
Monsieur [T] [R]
né le [Date naissance 23] 1979 à [Localité 47]
[Adresse 35]
[Adresse 35]
[Localité 38]
Représenté par Me Anne-france BREUILLOT de la SELARL BREUILLOT & AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de CARPENTRAS
Madame [M] [Z]
née le [Date naissance 27] 1971 à [Localité 60]
[Adresse 59]
[Localité 43]
Représentée par Me Anne-france BREUILLOT de la SELARL BREUILLOT & AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de CARPENTRAS
Monsieur [C] [A]
né le [Date naissance 22] 1984 à [Localité 36]
[Adresse 31]
[Localité 37]
Représenté par Me Anne-france BREUILLOT de la SELARL BREUILLOT & AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de CARPENTRAS
Monsieur [IV] [I]
né le [Date naissance 2] 1986 à [Localité 36]
[Adresse 54]
[Adresse 54]
[Localité 42]
Représenté par Me Anne-france BREUILLOT de la SELARL BREUILLOT & AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de CARPENTRAS
Monsieur [O] [W]
né le [Date naissance 4] 1977 à [Localité 52] (Maroc)
[Adresse 34]
[Localité 42]
Représenté par Me Anne-france BREUILLOT de la SELARL BREUILLOT & AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de CARPENTRAS
Madame [KE] [V]
née le [Date naissance 1] 1976 à [Localité 38]
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Localité 36]
Représentée par Me Anne-france BREUILLOT de la SELARL BREUILLOT & AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de CARPENTRAS
Monsieur [IN] [OV]
né le [Date naissance 7] 1958 à [Localité 49] (Algérie)
[Adresse 19]
[Localité 36]
Représenté par Me Anne-france BREUILLOT de la SELARL BREUILLOT & AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de CARPENTRAS
Monsieur [J] [UE]
né le [Date naissance 25] 1963 à [Localité 57] (MAROC)
[Adresse 29]
[Adresse 29]
[Localité 36]
Représenté par Me Anne-france BREUILLOT de la SELARL BREUILLOT & AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de CARPENTRAS
Monsieur [N] [AS]
né le [Date naissance 20] 1982 à [Localité 51]
[Adresse 17]
[Localité 38]
Représenté par Me Anne-france BREUILLOT de la SELARL BREUILLOT & AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de CARPENTRAS
Monsieur [HE] [LV]
né le [Date naissance 12] 1998 à [Localité 56]
[Adresse 21]
[Localité 37]
Représenté par Me Anne-france BREUILLOT de la SELARL BREUILLOT & AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de CARPENTRAS
Madame [F] [HL]
née le [Date naissance 14] 1961 à [Localité 46]
[Adresse 13]
[Adresse 13]
[Localité 40]
Représentée par Me Anne-france BREUILLOT de la SELARL BREUILLOT & AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de CARPENTRAS
Monsieur [X] [SN]
né le [Date naissance 3] 1968 à [Localité 55]
[Adresse 18]
[Localité 37]
Représenté par Me Anne-france BREUILLOT de la SELARL BREUILLOT & AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de CARPENTRAS
Monsieur [FV] [VV]
né le [Date naissance 10] 1986 à [Localité 58]
[Adresse 32]
Chez Monsieur [B] [VV]
[Localité 44]
Représenté par Me Anne-france BREUILLOT de la SELARL BREUILLOT & AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de CARPENTRAS
Madame [AG] [CN]
née le [Date naissance 6] 1997 à [Localité 36]
[Adresse 24]
[Localité 39]
Représentée par Me Anne-france BREUILLOT de la SELARL BREUILLOT & AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de CARPENTRAS
INTIMÉE :
S.A.S. SONELOG société par action simplifiée, immatriculée au RCS de Nanterre sous le numéro 790 121 784, Poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité en son siège social
[Adresse 16]
[Localité 45]
Représentée par Me Emmanuelle VAJOU de la SELARL LEXAVOUE NIMES, Postulant, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me Philippe DANESI du PARTNERSHIPS DLA PIPER FRANCE LLP, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
Affaire fixée en application des dispositions de l’article 905 du code de procédure civile avec ordonnance de clôture rendue le 11 Septembre 2023
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe de la Cour et signé par Madame Sylvie DODIVERS, Présidente de chambre, le 09 Novembre 2023,
EXPOSE DU LITIGE
La SAS Sonelog, société spécialisée dans le secteur d’activité du commerce de gros en matière électrique, dispose d’une plate-forme logistique au [Localité 37] (84).
Le 16 mars 2023, des salariés de cette entreprise ont commencé un mouvement de grève.
Par actes de commissaire de justice du 24 mars 2023, la SAS Sonelog a fait assigner M. [IV] [I], devant le président du tribunal judiciaire d’Avignon, statuant en référé, dans le cadre d’un référé heure à heure autorisé par ordonnance présidentielle du 22 mars 2023 aux fins de :
-juger que les agissements du défendeur caractérisent un abus de l’exercice du droit de grève portant atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie, la liberté d’entreprendre, la liberté du travail le droit de propriété, constituant un trouble manifestement illicite,
En conséquence,
-ordonner à M. [IV] [I], pris tant en son nom tant que représentant de fait de la collectivité des grévistes ainsi qu’à tout autre salarié de la société Sonelog ou tout autre personne de tout autre société, de ne pas renouveler leur participation personnelle à toute tentative de pénétration collective ou de force à l’intérieur de la société Sonelog ainsi qu’à toute participation d’obstruction de l’entrée de la plate-forme logistique, dans le cadre de leur mouvement actuel de protestations et de contestations salariales et syndicales, et de toute autre mouvement sous astreinte,
-juger que le juge des référés sera compétent pour liquider l’astreinte provisoire pour une durée qui sera fixée à trois ans,
-désigner la SCP [BW] [P]/San Martino Laura, commissaires de justice à [Localité 38] (84), ainsi que tout autre commissaire de justice, pour procéder aux constatations nécessaires et à l’exécution de la décision à intervenir,
-autoriser le commissaire de justice à se faire assister de la force publique,
-dire que la présente ordonnance sera exécutoire sur minute,
-condamner le défendeur aux dépens,
-condamner le défendeur au paiement de la somme de 1 000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par actes de commissaire de justice des 28 et 29 mars 2023, la SAS Sonelog a également fait citer devant la même juridiction, aux mêmes fins, Mme [CV] [S], M. [G] [E], M. [SV] [L], M. [T] [H], Mme [M] [Z], M. [C] [A], M. [RE] [U], M. [O] [W], Mme [KE] [V], Mme [EE] [XL], M. [IN] [OV], M. [J] [UE], M. [HE] [LV], M. [N] [AS], M. [X] [SN], Mme [F] [HL], M. [FV] [VV] et Mme [AG] [CN], autres personnels grévistes.
Par ordonnance contradictoire du 17 avril 2023, le président du tribunal judiciaire d’Avignon, statuant en référé, a, entre autres dispositions :
– renvoyé les parties à se pourvoir au fond ainsi qu’elles en aviseront, mais dès à présent par provision,
– constaté qu’en mettant en place aux entrées et sorties du site un barrage filtrant organisé de telle façon qu’il désorganise gravement cette société dans l’ensemble de son activité, Mme [CV] [S], M. [G] [E], M. [SV] [L], M. [T] [H], Mme [M] [Z], M. [C] [A], M. [RE] [U], M. [IV] [I], M. [O] [W], Mme [KE] [V], Mme [EE] [XL], M. [IN] [OV], M. [J] [UE], M. [HE] [LV], M. [N] [AS], M. [X] [SN], Mme [F] [HL], M. [FV] [VV] et Mme [AG] [CN] ont fait dégénérer en abus l’exercice de leur droit de grève,
– ce trouble manifestement illicite devant cesser, fait interdiction à Mme [CV] [S], M. [G] [E], M. [SV] [L], M. [T] [H], Mme [M] [Z], M. [C] [A], M. [RE] [U], M. [IV] [I], M. [O] [W], Mme [KE] [V], Mme [EE] [XL], M. [IN] [OV], M. [J] [UE], M. [HE] [LV], M. [N] [AS], M. [X] [SN], Mme [F] [HL], M. [FV] [VV] et Mme [AG] [CN] d’entraver, par quelque moyen que ce soit, même partiellement, l’accès (entrées et sorties) au site de la SAS Sonelog pour tous les véhicules, quelque soit leur gabarit et quelle que soit la raison de leur venue sur ce site, à compter de la signification de la présente ordonnance et sous astreinte de 500,00 euros par infraction constatée par tout commissaire de justice désigné parla SAS Sonelog postérieurement à la signification de cette ordonnance,
– à défaut d’exécution spontanée, autorisé la SAS Sonelog à faire procéder, par le commissaire de justice de son choix, à la levée immédiate et sans délai, y compris la nuit, de tout blocage des voies d’accès à l’entreprise mis en place par les salariés grévistes, et ce avec le concours de la force publique si besoin est,
– dit n’y avoir lieu de se réserver la liquidation de l’astreinte,
– dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné Mme [CV] [S], M. [G] [E], M. [SV] [L], M. [T] [H], Mme [M] [Z], M. [C] [A], M. [RE] [U], M. [IV] [I], M. [O] [W], Mme [KE] [V], Mme [EE] [XL], M. [IN] [OV], M. [J] [UE], M. [HE] [LV], M. [N] [AS], M. [X] [SN], Mme [F] [HL], M. [FV] [VV] et Mme [AG] [CN] aux entiers dépens,
– rejeté toutes autres demandes.
Par déclaration du 4 mai 2023, Mme [CV] [S], M. [G] [E], M. [SV] [L], M. [T] [H], Mme [M] [Z], M. [C] [A], M. [RE] [U], M. [IV] [I], M. [O] [W], Mme [KE] [V], M. [IN] [OV], M. [J] [UE], M. [HE] [LV], M. [N] [AS], M. [X] [SN], Mme [F] [HL], M. [FV] [VV] et Mme [AG] [CN] ont interjeté appel de cette ordonnance en toutes ses dispositions.
Par conclusions notifiées le 9 juin 2023, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé complet de leurs moyens et prétentions, Mme [CV] [S], M. [G] [E], M. [SV] [L], M. [T] [H], Mme [M] [Z], M. [C] [A], M. [RE] [U], M. [IV] [I], M. [O] [W], Mme [KE] [V], M. [IN] [OV], M. [J] [UE], M. [HE] [LV], M. [N] [AS], M. [X] [SN], Mme [F] [HL], M. [FV] [VV] et Mme [AG] [CN], appelants, demandent à la cour, au visa des articles 835 du code de procédure civile, 2521-5 du code du travail, 2044 et suivants, et 2052 du code civil, de :
– constater n’y avoir lieu à référé du fait de la cessation du mouvement de grève et la levée du piquet de grève avant que le juge n’ait statué ;
– En conséquence, infirmer l’ordonnance dont appel en toutes ses dispositions, et notamment en ce qu’elle a constaté que les salariés appelants avaient mis en place aux entrées et sorties du site un barrage filtrant organisé de telle façon qu’il désorganise gravement cette société dans l’ensemble de son activité qui aurait « fait dégénérer en abus l’exercice de leur droit de grève », et en ce qu’elle leur a fait interdiction d’entraver , par quelque moyen que ce soit, même partiellement, l’accès (entrées et sorties) au site de la SAS Sonelog pour tous les véhicules, quel que soit leur gabarit et quelle que soit la raison de leur venue sur ce site, à compter de la signification de la présente ordonnance et sous astreinte de 500,00 euros par infraction constatée par tout commissaire de justice désigné par la SAS Sonelog postérieurement à la signification de cette ordonnance.
– condamner la société Sonelog à payer à l’ensemble des défendeurs une somme de 4000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– la condamner aux entiers dépens.
Au soutien de leur appel, les appelants font valoir tout d’abord l’absence de trouble à la date à la date du prononcé de l’ordonnance de référé, rappelant que tant en première instance qu’en appel, la juridiction des référés doit se placer, pour ordonner ou refuser des mesures conservatoires ou de remise en état, à la date à laquelle elle prononce sa décision alors qu’en l’espèce, au jour où le juge a statué, le trouble invoqué avait totalement disparu.
Les appelants prétendent que le procès-verbal de conciliation du 14 avril 2023 produit les effets d’une transaction et fait donc obstacle à toute décision de justice ultérieure portant sur les modalités de la grève ou les revendications sur laquelle elle porte.
Il considèrent donc qu’en application de l’article L.2521-5 du code du travail, l’accord signé par la Commission Régionale de Conciliation a la même force obligatoire qu’un accord collectif de travail, et qu’en conséquence, la signature dudit procès-verbal a mis un terme au litige né des conditions d’exercice du droit de grève, par des concessions réciproques.
Les appelants affirment que le trouble illicite invoqué est inexistant puisqu’ils exerçaient leur droit de grève dans le respect des lois et dans le cadre d’un conflit collectif qui les opposait à leur employeur. Ils considèrent n’avoir commis aucun abus du droit de grève, et que par conséquent, la saisine du juge des référés n’est motivée ni par la prévention d’un dommage imminent, ni par le besoin de faire cesser un trouble manifestement illicite.
Ils précisent d’ailleurs qu’il n’existe aucun dommage imminent que la société Sonelog serait en mesure de justifier puisqu’il n’y a pas eu d’atteinte à la liberté de travailler des non-grévistes ainsi qu’à la libre circulation des clients et des marchandises. Ils ajoutent que le fait que le mouvement de grève perdure n’est pas de nature à caractériser un dommage imminent, d’autant qu’il s’agit pour les salariés de l’exercice d’un droit de nature constitutionnelle.
Ils réfutent toute accusation de radicalisation de leur mouvement de grève, ayant tenté d’avoir un dialogue avec la direction de l’entreprise et sollicité une médiation auprès du Préfet du département, alors que la société Sonelog n’a pas respecté la lettre et l’esprit de l’accord de fin de conflit conclu le 14 avril 2023, en mettant à pied après l’arrêt de la grève la plupart des salariés qui y avaient participé, puis en les licenciant pour faute lourde.
La SAS Sonelog, en sa qualité d’intimée, par conclusions en date du 11 juillet 2023, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens, demande à la cour, de :
– constater qu’il y avait lieu à référé ;
En conséquence,
– confirmer l’ordonnance de référé du 17 avril 2023 du président du tribunal judiciaire d’Avignon,
– débouter les appelants de l’ensemble de leurs demandes ;
En tout état de cause,
– débouter les appelants de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens ; ainsi que de toutes leurs demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires,
– condamner les appelants à la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens.
La SAS Sonelog soutient qu’il y a toujours lieu à référé si la nécessité de prévenir un dommage ou trouble imminent apparaît au jour du prononcé de l’ordonnance, et qu’en l’espèce, les appelants ont délibérément continué à perpétrer les mêmes actions de blocage avec les mêmes graves conséquences pour la société dont le fonctionnement normal était paralysé sur une période très significative et ce, postérieurement à l’audience de plaidoiries devant le premier juge.
Elle indique que les parties ainsi que l’objet du présent litige sont différents de ceux du procès-verbal de conciliation du 14 avril 2023, rappelant que l’objet du litige n’est pas le mouvement de grève, qui découle d’un droit constitutionnel, mais l’abus du droit de grève constitué par le blocage illicite des entrées et sorties de la société afin d’empêcher les marchandises d’être livrées.
Elle soutient en effet que le barrage filtrant mis en place par les salariés grévistes avait pour objectif de désorganiser gravement la société dans l’ensemble de son activité, caractérisant pour ces salariés un abus de l’exercice du droit de grève et par voie de conséquence un trouble manifestement illicite au sens de l’article 835 du code de procédure civile.
Outre un préjudice financier, elle ajoute que ce mouvement de blocage a également altéré son image et ses relations avec ses clients et partenaires vis-à-vis desquels elle n’a pu honorer ses engagements, et que ce blocage n’a pas été dénué de toute action violente et agressive notamment par des intimidations à l’encontre des salariés non grévistes.
Enfin, elle entend souligner n’avoir sanctionné que les salariés ayant participé au blocage illicite, et non les salariés grévistes.
Une clôture de la procédure est intervenue le 11 septembre 2023.
MOTIFS DE LA DECISION :
En préliminaire, il convient de constater que les appelants ne contestent pas la jonction qui a été ordonnée par le premier juge et que Mme [EE] [XL] n’est pas appelante de l’ordonnance déférée, la société SAS Sonelog reconnaissant par ailleurs aux termes de ses écritures que l’assignation de cette dernière procède d’une erreur.
Selon l’article 835 alinéa 1 du code de procédure civile « Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.»
Pour apprécier l’existence du trouble, il convient de se placer à la date de la décision du premier juge.
Les appelants soutiennent qu’à la date du prononcé de l’ordonnance du 17 avril 2023, plus aucun trouble n’existait puisqu’à la suite de la signature de l’accord du 14 avril 2023 et la reprise du travail le 17 avril 2023, le trouble allégué avait disparu.
Il résulte cependant de l’analyse de l’accord invoqué en date du 14 avril 2023 que l’objet et les parties à cet accord sont distincts du présent litige.
En effet, l’accord est intervenu entre le syndicat CGT qui n’est pas partie à la présente instance et la SAS Sonolog et avait pour objet des revendications relatives aux primes de vacances et aux retenues afférentes au jour de grève outre l’engagement de reprise du travail le 17 avril 2023.
Il s’agissait ainsi des modalités de prise en compte des jours de grève découlant d’un droit constitutionnel mais nullement de l’abus de grève constitué par le blocage illicite des entrées et sorties de la société afin d’empêcher les marchandises d’être livrées reproché aux appelants.
Ainsi, l’objet du présent litige n’est donc en rien le mouvement de grève, qui découle d’un droit constitutionnel, mais l’abus du droit de grève allégué.
Par ailleurs, comme le soutient justement la SAS Sonolog, la signature du procès-verbal de conciliation en date du vendredi 14 avril 2023 ne visant pas le paiement des jours de grève ne garantissait en rien que le blocage allait cesser de façon certaine et définitive et que le travail reprendrait effectivement le lundi suivant 17 avril 2023, d’autant que même après l’audience de référé du 3 avril 2023, des faits similaires s’étaient produits comme en attestent les procès-verbaux de constat des 4, 5, 6, 7, 11, 12 et 13 avril 2023 et même le 24 avril 2023 soit postérieurement au prononcé de l’ordonnance.
En conséquence, il est manifeste et réel qu’un trouble existait, fusse-t-il imminent, au moment du prononcé de la décision du premier juge et qu’il avait bien lieu à référé.
Les appelants critiquent l’ordonnance faisant valoir qu’ils n’ont commis aucun abus de grève constituant un trouble manifestement illicite, ne faisant qu’exercer, dans le respect des lois, leur droit de grève dans le cadre d’un conflit collectif qui les opposait à leur employeur.
Ils ajoutent qu’il n’y a eu aucune occupation des lieux de travail, qu’ils ont laissé passer les véhicules des salariés et n’ont pas fait de blocage, tous les fournisseurs ou transporteurs qui venaient livrer et emporter des marchandises ayant pu pénétrer sur le site.
Le droit de grève est un droit à valeur constitutionnelle qui ne dégénère en abus que si son exercice, de par ses modalités, entraîne ou risque d’entraîner une désorganisation de l’entreprise ou de porter atteinte à la liberté de travailler, d’aller et venir ou de commercer.
La grève dégénère donc en abus si elle entraîne une véritable désorganisation de l’entreprise, ce qui est soutenu par l’intimée.
En l’espèce, par une juste analyse des procès-verbaux de constat produits aux débats, le premier juge a relevé :
-qu’il résulte du constat établi par Maître [P] [BW], commissaire de justice à [Localité 38] (84), le 21 mars 2023 :
*qu’à 9 h 00, l’entrée du site de la S.A.S. Sonelog est bloquée par une trentaine de grévistes, certains portant des chasubles à l’effigie de la CGT,
*que les camions de livraison qui se présentent pour entrer sur le site font l’objet d’un « barrage filtrant », qualification donnée par M. [IV] [I] aux obstacles posés sur la voie de circulation, constitués principalement de pneumatiques, et sont tenus d’attendre 4 heures avant de pouvoir entrer sur le site, de sorte que ceux-ci repartent, ne pouvant attendre un temps aussi long,
, la cour relevant que l’huissier a constaté que, durant toute sa présence sur site en matinée du 21 mars 2023, aucun camion n’a pu pénétrer sur le site.
-que le 23 mars 2023, ce même huissier, présent sur site à partir de 6 h 00, a constaté:
*que l’entrée du site de la S.A.S. Sonelog est bloquée par une dizaine de grévistes,
*qu’au cours de la matinée, d’autres salariés participaent au barrage filtrant
*qu’un autre salarié, M. [FV] [VV], est arrivé à 8 h 56,
*que ce dernier est revêtu d’une chasuble rouge à l’effigie de la C.G.T.,
*que l’accès aux locaux de l’entreprise fait toujours l’objet d’un barrage filtrant, le délai d’attente pour les conducteurs des camions souhaitant entrer sur site étant jusqu’à l’arrivée de M. [VV], de 30 minutes, puis, à partir de 9 h 00, de 6 heures, de sorte que certains conducteurs de poids lourds repartent sans effectuer leur livraison,
*que, par contre, les camions souhaitant quitter les locaux de l’entreprise sont autorisés à sortir après contrôle de leur remorque.
-que le 27 mars 2023, ce même huissier, présent sur site de 21 h 30 à 23 h 30, a constaté :
*que l’entrée du site de la S.A.S. Sonelog est bloquée par une dizaine de grévistes, dont M. [IV] [I], M. [T] [H], M. [X] [SN],
*que les camions se présentant à l’entrée du site à 22 h 00, 22 h 30, 22 h 50, 23 h 22, ne sont pas autorisés à y pénétrer,
-que Maître [BW], une nouvelle fois présent sur le site de la S.A.S. Sonelog le 28 mars 2023 de 8h30 à l5h30, a constaté que :
*que l’entrée du site de cette société est bloquée par une huitaine de grévistes, dont M. [IV] [I],
*que, vers 10 h 30, une trentaine de grévistes sont présents,
*que les camions se présentant à l’entrée du site pour livrer la S.A.S. Sonelog ne sont pas autorisés à y pénétrer,
*que, par contre, les camions souhaitant quitter les locaux de l’entreprise sont autorisés à sortir après contrôle de leur remorque,
*que des personnes extérieures à l’entreprise, adhérentes à la C.G.T. pour la plupart, se sont jointes aux salariés grévistes de la S.A.S. Sonelog.
Après l’audience de référé du 3 avril 2023, il ressort également des procès-verbaux de constat produits aux débats des 4, 5 ,6 ,7, 11, 12 et 13 avril 2023 que des faits similaires se sont poursuivis, à titre d’exemples:
-le commissaire de justice indique dans son procès-verbal du 4 avril 2023:
*« J’interpelle le conducteur du tracteur qui m’indique s ‘appeler M. [Y] [RL], de l’entreprise Ecotrans; qu’il vient d’être filtré par M. [I] [IV] qui lui a dit de ne pas accrocher de remorque, qu ‘il ne pourrait pas sortir. M. [Y] lui a demandé s’il pouvait faire demi-tour sur site, raison pour laquelle ils l’ont laissé passer »,
*« J’interpelle le conducteur du tracteur qui vient de pénétrer sur site. Il m ‘indique s’appeler M. [D] de l’entreprise Estrans. M.[I] lui a dit avant d’entrer sur site « si tu accroches, tu ne sors pas » ».
*« M. [I] vient s’adresser au chauffeur et lui dit « je te l’avait dit de ne pas charger »,
*«Je me dirige vers le second camion sur l’arrière afin de demander l’identité du chauffeur. Il s’agit de M. [K] pour les transports Heppner. M. [K] me dit que [IV] [I] l’a averti qu ‘il n ‘y aurait pas de départ ce soir »,
, « 9h 15 M. [VV] qui va vers un chauffeur lui dit de ne pas recharger sur Sonepar et Sonelog ».
-le commissaire de justice présent de 15 à 16 heures indique dans son procès-verbal du 12 avril 2023:
« Je me déplace à l’entrée du site. Je constate que le portail d’entrée sur site est complètement fermé.Un grand nombre de pneus sont positionnés en appuie sur ledit portail, maintenus par ce dernier, et ce, sur toute sa longueur et hauteur. Des palettes et morceaux de bois sont également mêlés aux pneus.Les grévistes sont toujours installés sur le terre-plein à gauche du portail de sortie du site.Les constructions en palettes sont toujours présentes.»
-le commissaire de justice indique dans son procès-verbal du 13 avril 2023 :
« un camion se présente à la sortie, deux grévistes interpellent le chauffeur pour qu’il descende et qu’il ouvre sa remorque ».
Ainsi, la matérialité des faits ressort de l’ensemble de ces constatations.
Les grévistes ont entravé la libre circulation des marchandises en interdisant pendant de nombreuses heures et sur plus d’un mois l’entrée et la sortie « chargée » des camions se présentant sur l’unique accès au site, les poids lourds se présentant devant se résoudre à rebrousser chemin au regard du délai d’attente important ou se voyant refuser l’accès à la société Senelog.
Dès lors, la volonté des grévistes de paralyser gravement l’activité de l’entreprise sur le site en bloquant l’entrée et la sortie des marchandises est caractérisée.
Les nombreux courriels adressés par les transporteurs à la société Senolog produits aux débats attestent encore de cette situation de blocage.
L’inspection du travail dans son autorisation de licenciement de M.[I] du 5 juillet 2023 mais également dans sa décision de refus de licenciement de M. [E] du même jour note « qu’il ressort de notre enquête et des pièces du dossiers jointes à la demande, notamment des constats d’huissiers, que chaque jour, en temps normal, entre 10 et 15 camions viennent livrer l’entreprise Sonelog et une vingtaine en repartent pour effectuer des livraisons, qu’en revanche, pendant toute la durée du mouvement de grève, il est attesté que seulement deux camions ont pu pénétrer au sein de l’entreprise Senelog »
Il ne s’agit donc pas en l’espèce d’une perturbation de l’entreprise, conséquence normale d’une grève, mais d’une véritable et grave désorganisation de l’entreprise sur le site constitutif d’ un abus de l’exercice du droit de grève et par voie de conséquence d’un trouble manifestement illicite.
En conséquence, il y lieu de confirmer l’ordonnance déférée en l’ensemble de ses dispositions, étant noté que le premier juge a, à bon droit, prescrit les mesures qui s’imposaient pour faire cesser le trouble manifestement illicite constaté.
Les dispositions de l’ordonnance déférée concernant les dépens et frais irrépétibles de première instance seront confirmées.
En application de l’article 696 du code de procédure civile, les appelants supporteront les dépens d’appel.
Il n’est pas inéquitable de laisser supporter à la SAS Senelog ses frais irrépétibles d’appel. Elle sera déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant après débats en audience publique par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire, en référé, en matière civile, et en dernier ressort,
Dans la limite de sa saisine,
Confirme l’ordonnance déférée en l’ensemble de ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne Mme [CV] [S], M. [G] [E], M. [SV] [L], M. [T] [H], Mme [M] [Z], M. [C] [A], M. [RE] [U], M. [IV] [I], M. [O] [W], Mme [KE] [V], M. [IN] [OV], M. [J] [UE], M. [HE] [LV], M. [N] [AS], M. [X] [SN], Mme [F] [HL], M. [FV] [VV] et Mme [AG] [CN] aux dépens d’appel,
Déboute la SAS Senelog de sa demande au titre des frais irrépétibles d’appel.
Arrêt signé par la présidente de chambre et par la greffière.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,