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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-2
ARRÊT
DU 23 NOVEMBRE 2023
N° 2023/748
Rôle N° RG 22/14853 – N° Portalis DBVB-V-B7G-BKJDX
[F] [M] épouse [T]
C/
[G] [P]
S.C.I. QUENBAULT
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Henri-Charles LAMBERT
SCP LIZEE- PETIT-TARLET
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance de référé rendue par le Président du Tribunal Judiciaire de NICE en date du 04 novembre 2022 enregistrée au répertoire général sous le n° 22/00635.
APPELANTE
Madame [F] [M] épouse [T]
née le 29 août 1973 à [Localité 10], demeurant [Adresse 5]
représentée par Me Henri-Charles LAMBERT, avocat au barreau de NICE
INTIMES
Monsieur [G] [P]
né le 06 octobre 1943 à [Localité 13], demeurant [Adresse 11]
S.C.I. QUENBAULT
Prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège social est situé [Adresse 4]
représentés par Me Eric TARLET de la SCP LIZEE- PETIT-TARLET, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
et assistés de Me Astrid LANFRANCHI de la SELARL CAPPONI LANFRANCHI & ASSOCIES, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 17 octobre 2023 en audience publique devant la cour composée de :
M. Gilles PACAUD, Président
Mme Sophie LEYDIER, Conseillère rapporteur
Mme Florence PERRAUT, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Julie DESHAYE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 23 novembre 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 23 novembre 2023,
Signé par M. Gilles PACAUD, Président et Mme Julie DESHAYE, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Exposé du litige :
Madame [F] [M] épouse [T] est propriétaire sur la commune de [Localité 13], quartier Bourguet, des parcelles cadastrées section [Cadastre 6] et [Cadastre 3], devenues [Cadastre 8], suivant acte notarié du 15 décembre 2021.
Monsieur [G] [P], était propriétaire de la parcelle contigüe cadastrée [Cadastre 7], qu’il a vendue à la SCI Quenbault, par acte du 26 juillet 2022.
Un litige est survenu concernant les limites des deux propriétés.
Par lettre recommandée avec accusé de réception (LRAR) du 29 octobre 2021, Mme [T] a proposé à M. [P] un bornage amiable de leurs fonds respectifs.
Faisant valoir que M. [P] s’y était opposé, qu’il aurait installé un terrain de boules empiétant sur sa propriété, et édifié une construction pour laquelle aucun permis de construire n’avait été affiché, dont l’implantation ne semblait pas respecter la distance de 5 mètres de la ligne divisoire présumée des deux fonds, Mme [F] [M] épouse [T] l’a fait assigner devant le président du tribunal judiciaire de Nice, statuant en référé, par acte du 4 avril 2022, aux fins principalement de voir :
– désigner un géomètre-expert avec mission d’usage afin de déterminer la limite divisoire entre les parcelles [Cadastre 7] et [Cadastre 8],
– en considération de cette limite, donner son avis sur le respect de la distance de 5 mètres de la limite de la construction édifiée par M. [P],
– déterminer si cette construction a fait l’objet d’un permis de construire et de son affichage,
– dire et juger que les frais d’expertise seront avancés par chacune des parties par moitié.
La SCI Quenbault est intervenue volontairement à l’instance, en sa qualité de nouvelle propriétaire de la parcelle cadastrée [Cadastre 7], acquise par acte du 26 juillet 2022.
Par ordonnance de référé contradictoire en date du 4 novembre 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nice a :
– déclaré recevable l’intervention volontaire de la SCI Quenbault,
– déclaré irrecevables les demandes formées par Mme [F] [M] épouse [T], et l’en déboute,
– condamné Mme [F] [M] épouse [T] aux dépens.
Le premier juge a notamment considéré :
– qu’en vertu des dispositions de l’article 646 du code civil, le bornage était désormais régi par l’article 3 de la loi du 23 mars 2019 et le décret
n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 qui prévoyaient le recours préalable obligatoire à un mode de résolution amiable des différends par la désignation d’un conciliateur, d’un médiateur, ou le recours à une procédure participative, et que ce préalable amiable était obligatoire avant toute saisine du juge, sous peine d’irrecevabilité,
– qu’en l’espèce, la demanderesse ne justifiait pas d’une tentative de conciliation ou de médiation amiable, préalable à l’assignation.
Par déclaration reçue au greffe le 8 novembre 2022, Mme [F] [M] épouse [T] a interjeté un appel nullité (en annulation) de l’ordonnance entreprise, en intimant M. [G] [P] et la SCI Quenbault.
Par dernières conclusions notifiées le 1er décembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus amples exposé des prétentions et moyens, l’appelante demande à la cour d’annuler l’ordonnance entreprise, et de l’infirmer dans tous les cas en toutes ses dispositions, sauf du chef de la recevabilité de l’intervention volontaire de la SCI Quenbault, et, statuant à nouveau :
– au visa des articles 145 du code de procédure civile et 646 du code civil, de désigner un expert géomètre avec mission de :
* se rendre sur les lieux litigieux, parcelles section [Cadastre 7] et [Cadastre 8] de la commune de [Localité 13],
* faire toutes investigations utiles en vue de déterminer la limite divisoire des deux fonds,
* en considération de cette limite, donner son avis sur le respect de la distance de 5 mètres de la limite de la construction édifiée par M. [P],
* déterminer si cette construction a fait l’objet d’un permis de construire et des conditions de son affichage,
– d’homologuer l’accord des parties quant aux frais d’expertise qui seront partagés par moitié par chacune d’elles,
– de condamner tous contestants à lui payer la somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles, et aux entiers dépens.
Par dernières conclusions notifiées le 20 décembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus amples exposé des prétentions et moyens, M. [G] [P] et la SCI Quenbault demandent à la cour de confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a déclaré recevable l’intervention volontaire de la SCI Quenbault, et de l’infirmer en ce qu’elle a déclaré irrecevable la demande de Mme [T], et, statuant à nouveau :
– d’impartir à l’expert qui sera désigné la mission habituelle en matière de bornage,
– de dire que les frais de bornage seront partagés par moitié entre les parties,
– de rejeter le surplus des demandes de l’appelante,
– de condamner l’appelante à leur régler la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles, outre les entiers dépens.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 3 octobre 2023.
MOTIFS :
Sur la demande d’annulation de la décision
Aux termes de l’article 16 du code de procédure civile, ‘le juge doit, en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction : il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement’.
L’article 444 du même code dispose : ‘Le président peut ordonner la réouverture des débats : il doit le faire chaque fois que les parties n’ont pas été à même de s’expliquer contradictoirement sur les éclaircissements de droit ou de fait qui leur avaient été demandés’.
Et, selon l’article 445 du même code : ‘après la clôture des débats, les parties ne peuvent déposer aucune note à l’appui de leurs observations, si ce n’est en vue de répondre aux arguments développés par le ministère public, ou à la demande du président dans les cas prévus aux articles 442 et 444″.
En l’espèce, l’appelante fait valoir à bon droit qu’à supposer que le juge des référés ait pu valablement considérer être saisi d’une action en bornage et pouvoir relever d’office la fin de non recevoir pour laquelle il ne vise pas l’article 750 -1 du code de procédure civile, il lui incombait d’inviter les parties à faire valoir leurs observations sur ce point, ce qu’il n’a pas fait, de sorte qu’il n’a pas respecté le principe du contradictoire, ce qui n’est pas contesté par les intimés, qui soutiennent s’être rapprochés de Mme [T] pour fixer amiablement la limite entre leurs propriétés, mais que cette dernière n’aurait pas donné suite à leur proposition et aurait immédiatement saisi le juge des référés.
En l’état des explications des parties et en l’absence de mention dans l’ordonnance entreprise relative au recueil des éventuelles observations des parties, notamment par note en délibéré, sur l’application des dispositions de l’article 750 -1 du code de procédure civile, relevé d’office par le premier juge et susceptibles de s’appliquer en l’espèce, étant observé que l’assignation du 4 avril 2022 est antérieure à l’annulation de ce texte par arrêt du conseil d’état du 22 septembre 2022, il y a lieu d’annuler l’ordonnance entreprise pour non respect du principe du contradictoire.
Compte tenu de l’annulation de l’ordonnance entreprise, la cour doit statuer à nouveau sur les demandes des parties, sans qu’il y ait lieu à confirmation ou infirmation.
Sur la demande relative à l’intervention volontaire de la SCI Quenbault
Il y a lieu de déclarer recevable l’intervention volontaire de la SCI Quenbault, laquelle est acceptée par toutes les parties.
Sur la demande d’expertise
Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile : ‘s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution du litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.’
Pour que le motif de l’action soit légitime, la demande de mesure d’instruction doit reposer sur des faits précis, objectifs et vérifiables qui permettent de projeter un litige futur, qui peut n’être qu’éventuel, comme plausible et crédible. Il appartient donc à l’appelante de rapporter la preuve d’éléments suffisants à rendre crédibles ses allégations et démontrer que le résultat de l’expertise à ordonner présente un intérêt probatoire, dans la perspective d’un procès au fond susceptible d’être engagé ultérieurement.
L’article 646 du code civil dispose que « tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contiguës. Le bornage se fait à frais communs ».
Au vu des circonstances de l’espèce et des conclusions concordantes des parties, il est établi que Mme [T] a un intérêt légitime à obtenir une expertise confiée à un géomètre, afin de déterminer la limite divisoire entre son fonds et celui appartenant à la SCI Quenbault, suivant la mission précisée au dispositif, en vue d’une éventuelle action en bornage, aux frais partagés des parties, conformément à leur accord.
Sur les frais et dépens
Aucune considération d’équité ne justifie d’allouer aux parties une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile, étant observé qu’aucune demande de ce chef n’avait été présentée au premier juge.
Alors qu’
il est admis que la partie défenderesse, puis intimée, à une demande d’expertise, ordonnée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, ne peut être considérée comme la partie perdante, au sens des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, et ce, même si l’expertise a été ordonnée, Mme [T] sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Annule l’ordonnance entreprise,
Evoque l’affaire,
Déclare recevable l’intervention volontaire de la SCI Quenbault,
ORDONNE une mesure d’expertise,
COMMET pour y procéder Monsieur [X] [N], géomètre-expert,
[Adresse 12]
[Adresse 12]
Tél : [XXXXXXXX02] Fax : [XXXXXXXX01]
Mèl : [Courriel 9]
Avec mission, dans le respect du principe de la contradiction, après s’être fait remettre tous documents utiles, avoir entendu tout sachant, avoir eu recours si nécessaire à un sapiteur d’une autre spécialité que la sienne,
de :
* Se rendre sur les lieux, les décrire dans leur état actuel et en dresser le plan en tenant compte, le cas échéant, des bornes existantes,
* Consulter les titres des parties s’il en existe, en décrire le contenu, en précisant les limites et les contenances y figurant,
* Rechercher tous les indices permettant d’établir les caractères et la durée des possessions éventuelles invoquées,
* Rechercher tous autres indices, notamment ceux résultant de la configuration des lieux et du cadastre,
* Faire toutes investigations utiles en vue de déterminer la limite divisoire entre les deux fonds, propriétés de Mme [T] d’une part, et de la SCI Quenbault d’autre part,
* Faire toutes constatations et investigations utiles permettant à la juridiction du fond qui sera éventuellement saisie, de trancher le litige entre les parties,
Eventuellement, en cas d’accord des parties, dresser un procès-verbal de bornage contradictoire, et implanter les bornes entre leurs propriétés,
DIT que Mme [F] [T] d’une part, et M. [G] [P] et la SCI Quenbault d’autre part devront consigner à la régie du tribunal judiciaire de Nice, dans un délai d’un mois à compter de la notification qui lui seront faite de la présente décision, la somme de 1500 euros chacun, soit 3 000 euros au total, destinée à garantir le paiement des frais et honoraires de l’expert ;
DIT qu’à défaut de consignation dans le délai et selon les modalités impartis, la désignation de l’expert sera caduque à moins que le juge, à la demande d’une partie se prévalant d’un motif légitime ne décide une prorogation du délai ou un relevé de caducité,
DIT que s’il estime insuffisante la provision initiale ainsi fixée, l’expert devra lors de la première ou au plus tard de la deuxième réunion des parties, dresser un programme de ses investigations et évaluer d’une manière aussi précise que possible le montant prévisible de ses honoraires et de ses débours,
DIT qu’à l’issue de cette réunion, l’expert fera connaître au juge chargé du suivi des expertises du tribunal judiciaire de Nice, la somme globale qui lui parait nécessaire pour garantir en totalité le recouvrement de ses honoraires et de ses débours, et sollicitera, le cas échéant, le versement d’une consignation complémentaire,
DIT qu’en cours d’expertise, l’expert pourra conformément aux dispositions de l’article 280 du code de procédure civile solliciter du magistrat chargé du contrôle de l’expertise du tribunal judiciaire de Nice la consignation d’une provision complémentaire dès lors qu’il établira que la provision allouée s’avère insuffisante,
DIT que l’expert devra déposer son rapport au greffe dans le délai de quatre mois à compter de la notification qui lui sera faite par les soins du greffier de la consignation à moins qu’il ne refuse sa mission. Il devra solliciter du magistrat chargé du contrôle de l’expertise du tribunal judiciaire de Nice une prorogation de ce délai, si celui-ci s’avère insuffisant,
DIT qu’à défaut de pré-rapport, il organisera, à la fin de ses opérations, un “accédit de clôture” où il informera les parties du résultat de ses investigations et recueillera leurs ultimes observations, le tout devant être consigné dans son rapport d’expertise,
DIT que conformément à l’article 173 du code de procédure civile, l’expert devra remettre copie de son rapport à chacune des parties (ou des représentants de celles-ci) en mentionnant cette remise sur l’original,
Rejette les demandes formées au titre des frais irrépétibles,
Condamne Mme [F] [T] aux dépens de première instance et d’appel.
La Greffière Le President