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COUR D’APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 19 SEPTEMBRE 2022
N° RG 20/00063 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LMT6
EURL L’HERMITAGE
GFA LES BRUGES
c/
Monsieur [F] [W]
Monsieur [M] [O]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 septembre 2019 (R.G. 2018F00732) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d’appel du 06 janvier 2020
APPELANTES :
EURL L’HERMITAGE, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 2]
GFA LES BRUGES, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 2]
représentés par Maître Alan BOUVIER, substitutant Maître Bernard QUESNEL de la SELARL QUESNEL ET ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉS :
Monsieur [F] [W], né le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 5] (17), de nationalité Française, demeurant [Adresse 4]
représenté par Maître Julien MERLE, avocat au barreau de BORDEAUX et assisté par Maître Thierry LE GALL, avocat au barreau de BERGERAC
Monsieur [M] [O], né le [Date naissance 3] 1967 à [Localité 6] (35)
de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
représenté par Maître Elodie VITAL-MAREILLE, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 20 juin 2022 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie PIGNON, Président chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Nathalie PIGNON, Présidente,
Madame Elisabeth FABRY, Conseiller,
Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSE DU LITIGE
Le groupement foncier agricole Les Bruges a pour activité l’exploitation agricole et était détenu par la famille [O].
Par contrat du 23 octobre 2014, M. [O] a cédé ses parts à hauteur de 70% à Mme [P], de nationalité chinoise. M. [O] a conservé sa qualité de gérant du groupement Les Bruges.
Par acte notarié du 27 novembre 2014, la société l’Hermitage, créé par Mme [P] et Mme [U], de nationalité chinoise en février 2014, a signé un bail ferme avec le groupement Les Bruges pour l’exploitation des vignes.
Le 12 mars 2015, le gérant de la société l’Hermitage, M. [W] a démissionné de ses fonctions. Mme [Z], puis Mme [C], de nationalité chinoise, l’ont successivement succédé au poste de gérant.
Par ordonnance du 6 juillet 2015, rendue sur requête du groupement Les Bruges à la suite d’un désaccord entre les associés, le tribunal de grande instance de Bordeaux a désigné un administrateur judiciaire avec pour mission de convoquer une assemblée générale extraordinaire afin de délibérer sur la révocation du gérant et d’en désigner un nouveau.
L’assemblée générale du 15 octobre 2015 a désigné Mme [P] en qualité de nouvelle gérante.
Le groupement Les Bruges et la société l’Hermitage ont dit avoir constaté des irrégularités et des fautes de gestions qui auraient été commises par les anciens gérants.
Par courriers recommandés du 21 mars 2018, le groupement Les Bruges et la société l’Hermitage ont mis en demeure M. [W] et M. [O] d’avoir à leur régler la somme de 83 113,12 euros à la société l’Hermitage à titre de détournement de fonds, majoration excessive du loyer à bail ferme et défaut d’entretien des parcelles et la somme de 179 814,75 euros au groupement Les Bruges pour détournement de fonds, frais d’arrachages et de replantation liés au défaut d’entretien des parcelles. En vain.
Par actes d’huissier du 17 juillet 2018, le groupement Les Bruges et la société l’Hermitage ont assigné M. [W] et M. [O] devant le tribunal de commerce de Bordeaux aux fins de les voir condamner au paiement desdites sommes.
Par jugement du 28 mars 2018, le tribunal a estimé être incompétent sur les litiges concernant le groupement Les Bruges et le bail à ferme et a ordonné la réouverture des débats afin d’entendre les parties sur la disjonction des demandes et la compétence des juridictions.
Par jugement réputé contradictoire du 26 septembre 2019, le tribunal de commerce de Bordeaux a :
– débouté le Groupement Les Bruges et la société l’Hermitage de toutes leurs demandes,
– débouté Monsieur [F] [W] de sa demande de dommages et intérêts,
– débouté Monsieur [M] [O] de sa demande de dommages et intérêts,
– condamné in solidum le Groupement Les Bruges et la société l’Hermitage à payer à Monsieur [F] [W] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné in solidum le Groupement Les Bruges et la société L’Hermitage aux entiers dépens.
Par déclaration du 6 janvier 2020, la société l’Hermitage et le groupement Les Bruges ont interjeté appel de cette décision à l’encontre de l’ensemble des chefs qu’elles ont expressément énumérés, intimant M. [W] et M. [O].
Prétentions des parties
Par dernières conclusions transmises par RPVA le 21 août 2020, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la société l’Hermitage et le groupement Les Bruges demandent à la cour de :
– infirmer le jugement du tribunal de commerce en ce qu’il les a déboutés de leur demande et les a condamnés in solidum à 3 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens,
– en conséquence, et statuant à nouveau,
– condamner solidairement Monsieur [F] [W] et Monsieur [M] [O] à verser à la l’Hermitage la somme totale de 26 628,75 euros,
– condamner solidairement Monsieur [F] [W] et Monsieur [M] [O] à verser une somme de 10 000 euros sur le fondement de larticle 700 du Code de procédure civile,
– condamner solidairement Monsieur [F] [W] et Monsieur [M] [O] aux entiers dépens.
La société l’Hermitage et le groupement Les Bruges font notamment valoir que leur action n’est pas prescrite car les intimésles ont volontairement maintenu l’ignorance concernant la gestion des sociétés ; que la qualité de gérant de fait de M. [O] ne résulte pas seulement de la délégation de pouvoir de M. [W] mais de sa qualité de gérant du groupement Les Bruges, de sa résidence dans les locaux d’exploitation et de sa qualité de vendeur et d’ancien gérant de l’exploitation, que les fautes imputables à M. [W] et à M. [O] sont manifestes, notamment la faute consistant pour le dirigeant à s’attribuer des rémunérations injustifiées.
Par dernières conclusions transmises par RPVA le 6 juillet 2020, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, M. [W] demande à la cour de:
– confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
– le réformer sur ce point et, statuant à nouveau,
– condamner les appelants à la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
– condamner les appelants à la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,
– condamner les appelants aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Julien Merle sur son affirmation de droit.
M. [W] fait notamment valoir que la prescription spéciale prévue en matière de responsabilité du gérant est de 3 ans; que le nouveau gérant a été désigné quelques mois après lui et qu’ainsi il a eu accès à l’ensemble des documents comptables ; qu’il n’a rien dissimulé, l’ensemble des pièces étant à la disposition des associés et que 3 cabinets d’expertises comptables se sont succédés auprès de la société l’Hermitage ; qu’aucun moyen n’a été mis à sa disposition sur le plan matériel pour développer l’activité et qu’il ne peut lui être reprochée aucune faute ; que le bail est un acte notarié rédigé par un notaire qui l’a établi en se référant expressément à l’arrêté préfectoral et qu’il n’y a eu aucune fraude de sa part.
Par dernières conclusions transmises par RPVA le 1er juillet 2020, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, M. [O] demande à la cour de:
– déclarer l’appel de la société l’Hermitage et du Groupement Les Bruges recevable mais mal fondé,
– en conséquence, les débouter de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
– confirmer le jugement rendu le 26 septembre 2019 par le Tribunal de commerce de Bordeaux en toutes ses dispositions,
– y ajoutant, condamner solidairement la société l’Hermitage et le Groupement Les Bruges au paiement d’une somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de la procédure.
M. [O] fait notamment valoir que l’action des appelantes est prescrite ; que la seule absence de connaissance par les associés des faits litigieux ne suffit pas à établir la volonté de dissimuler des dirigeants ; que les appelantes échoue à démontrer qu’il avait la qualité de gérant de fait ; qu’il n’a commis aucun agissement fautif, ni consistant en l’absence d’information des associés, ni consistant en un détournement de fonds, ni consistant en la majoration du loyer et du bail à ferme, ni consistant en un défaut d’entretien des parcelles.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 30 mai 2022 et le dossier a été fixé à l’audience du 20 juin 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.
MOTIFS DE LA DECISION
Aux termes de l’article L.223-22 alinéa 1 du code de commerce, ‘ Les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la Société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux Sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion’.
L’article L.223-23 du code de commerce dispose : ‘Les actions en responsabilité prévues aux articles L. 223-19 et L. 223-22 se prescrivent par trois ans à compter du fait dommageable ou, s’il a été dissimulé, de sa révélation. Toutefois, lorsque le fait est qualifié crime, l’action se prescrit par dix ans.’
L’action en responsabilité de l’article L. 223-22 du Code de commerce n’est pas applicable au gérant de fait.
Le point de départ de la prescription, qui court à compter de la cessation des fonctions du gérant, ne peut être reporté qu’en cas de dissimulation.
En l’espèce, M. [W] a démissionné de ses fonctions de gérant de la SARL l’Hermitage le 2 mars 2015, et l’assemblée générale de la société qui s’est tenue le 12 mars 2015 a désigné Mme [I] [Z] comme nouvelle gérante.
Il ressort des pièces produites que les détournements que les appelantes imputent à M. [W], à savoir des paiements par carte bancaire, émissions de chèques et retrait DAB datent tous de la période à laquelle M. [W] était le gérant de la société, aucune opération n’étant postérieure à sa démission.
Le fait que les associés de la SARL L’Hermitage demeurent en Chine n’est pas de nature à constituer la peuve de la dissimulation alléguée par les appelantes, alors qu’il n’est pas établi ni même allégué que Mme [Z], désignée comme gérante le 12 mars 2015 n’aurait pu accéder à compter de sa nomination aux comptes de la société.
Si d’ailleurs, comme le prétendent la société L’hermitage et le GFA Le Bruges, la révélation des malversations n’est intervenue qu’au moment de l’établissernent et de l’analyse des comptes, il n’est nullement démontré que cette analyse aurait été rendue impossible, du fait des dissimulations imputées à M. [W], dès sa démission.
Faute de la moindre preuve que ces opérations ont été volontairement dissimulées par M. [W], il convient, en confirmation de la décision entreprise, de considérer que le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité dirigée contre lui court à compter de sa démission, soit le 2 mars 2015 et que, l’action ayant été diligentée par acte du 17 juillet 2018, elle est precrite.
Le jugement sera en conséquence confirmé de ce chef sauf à préciser dans le dispositif du présent arrêt que l’action est irrecevable comme étant prescrite.
La prescription triennale prévue à l’article L.223-23 du code de commerce dérogeant aux règles générales prévues par l’article 1240 du Code civil, les sociétés appelantes ne peuvent se prévaloir de ce dernier texte pour voir fixer à cinq ans la prescription applicable aux actes commis par M. [W] en sa qualité de gérant.
S’agissant de M. [O], en revanche, la prescription quinquennale de l’article 1240 du Code civil étant applicable à l’action dirigée à son encontre en sa qualité de gérant de fait de la société l’Hermitage, la demande est recevable.
Le gérant de fait est celui qui accomplit, ouvertement ou de manière dissimulée, et au plus haut niveau, des actes positifs de gestion et d’administration et se détermine en toute indépendance par rapport aux organes légaux de la société.
En l’espèce, pour démontrer que M. [O] aurait été le gérant de fait de la SARL L’Hermitage, les appelantes font valoir qu’il disposait de la délégation de pouvoirs de Monsieur [W], et qu’en sa qualité de gérant du GFA les Bruges, il avait sa résidence dans les locaux d’exploitation et la qualité de vendeur et d’ancien gérant de l’exploitation.
Aucun des éléments ainsi avancés n’est de nature à démontrer, ipso facto, que M. [O] était le gérant de fait de la société L’Hermitage.
La délégation de pouvoir sur un seul compte bancaire consentie par M. [W] est à ce titre insuffisante, alors qu’il n’est démontré aucun acte de gestion qu’aurait pu effectuer M. [O].
Par ailleurs, il n’est pas plus démontré que sa qualité de gérant du GFA Les Bruges ait pu le conduire à gérer ou administrer la société L’Hermitage, aucune pièce n’étant produite aux débats pour étayer cette affirmation, et les éléments dont la cour dispose ne permettant pas de lui atribuer une quelconque intervention dans la gestion de la société L’Hermitage.
Le jugement déféré sera en conséquence également confirmé de ce chef.
L’exercice d’une action en justice de même que la défense à une telle action constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à l’octroi de dommages intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière équipollente au dol.
La preuve d’un tel comportement n’étant pas rapportée en l’espèce, la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive sera rejetée, et le jugement confirmé de ce chef.
Compte tenu de la décision intervenue, les dépens de première instance et d’appel seront laissés à la charge des sociétés appelantes.
Il est équitable d’allouer à M. [W] et M. [O] la somme de 3.000 euros chacun sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, que la SARL L’Hermitage et le GFA Les Bruges seront condamnés in solidum à lui payer.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf à préciser que l’action dirigée contre M. [F] [W] est irrecevable comme étant prescrite ;
Y ajoutant,
Condamne in solidum la SARL L’Hermitage et le GFA Les Bruges à payer à M. [F] [W] et M. [M] [O] la somme de 3.000 euros à chacun en application, en cause d’appel, des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum la SARL L’Hermitage et le GFA Les Bruges aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Julien MERLE sur son affirmation de droit, en ce qui le concerne.
Le présent arrêt a été signé par Mme Pignon, présidente, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.