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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-3
ARRÊT AU FOND
DU 22 SEPTEMBRE 2022
N° 2022/272
Rôle N° RG 19/15610 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BE7VY
[H] [W]
C/
SA LYONNAISE DE BANQUE
SARL SOCIÉTÉ SARLU LE LATINO, PRISE EN LA PERSONNE DE L A SCP BR ASSOCIE SISE [Adresse 2]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Jacqueline MAROLLEAU
Me Pierre LOPEZ
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de TOULON en date du 28 Juin 2018 enregistrée au répertoire général sous le n° 2017F00471.
APPELANT
Monsieur [H] [W],
demeurant [Adresse 4]
représenté par Me Jacqueline MAROLLEAU de l’AARPI MAROLLEAU & TAUPENAS, AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de TOULON
INTIMEES
SA LYONNAISE DE BANQUE, poursuites et diligences de son président directeur général,
dont le siège social est sis [Adresse 3]
représentée par Me Pierre LOPEZ de l’ASSOCIATION LOPEZ FARACI, avocat au barreau de TOULON
SARL SOCIÉTÉ SARLU LE LATINO, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la SCP BR ASSOCIES, prise elle-même en la personne de Me Nicolas MALRIC
dont le siège social est sis [Adresse 1]
non comparante
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 Juin 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Valérie GERARD, Président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Valérie GERARD, Président de chambre
Madame Françoise PETEL, Conseiller
Madame Françoise FILLIOUX, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Laure METGE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Septembre 2022.
ARRÊT
Réputé contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Septembre 2022
Signé par Madame Valérie GERARD, Président de chambre et Madame Laure METGE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
Selon acte sous signatures privées du 30 juin 2016, la SA Lyonnaise de banque a consenti à la SARL Le Latino, représentée par M. [H] [W], en sa qualité de gérant, un prêt professionnel d’un montant de 90 000 euros destiné à l’achat de matériel, au taux de 2% l’an, remboursable en 60 mensualités.
Dans le même acte, M. [H] [W] s’est porté caution solidaire des engagements de la société pour un montant de 108 000 euros et une durée de 84 mois.
Des échéances s’avérant impayées malgré mises en demeure des 9 mars et 1er avril 2017, la SA Lyonnaise de banque a prononcé la déchéance du terme par lettre recommandée avec accusé de réception du 19 juin 2017 et informé la caution par lettre recommandée avec accusé de réception du même jour.
La SARL Le Latino a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Toulon du 13 février 2018 et la banque a déclaré sa créance.
La SA Lyonnaise de banque a fait assigner la SARL Le Latino et M. [H] [W] devant le tribunal de commerce de Toulon, lequel a, par jugement du 28 juin 2018 :
– condamné la SARL Le Latino et solidairement M. [H] [W] en qualité de caution à payer à la SA Lyonnaise de banque la somme de 84 817,56 euros outre intérêts au taux de 2% jusqu’à parfait paiement,
– condamné la SARL Le Latino et M. [H] [W] à payer à la SA Lyonnaise de banque la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile
– ordonné l’exécution provisoire du jugement,
– condamné la SARL Le Latino aux dépens.
Autorisé par ordonnance de référé du 20 septembre 2019, M. [H] [W] a interjeté appel par déclaration du 9 octobre 2019.
Par conclusions du 23 février 2022, auxquelles il est expressément référé en application de l’article 455 du code de procédure civile, M. [H] [W] demande à la cour de :
– réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Toulon le 28 juin 2018 des chefs du jugement critiqués et ci-dessous expressément mentionnés :
en ce qu’il a :
– constaté la créance de la SARL Le Latino ;
– condamné la SARL Le Latino et solidairement monsieur [H] [W] en qualité de caution à payer à la SA Lyonnaise de Banque la somme de 84.817,56 euros outre intérêts au taux de 2% jusqu’à parfait paiement
– condamné la SARL Le Latino et monsieur [H] [W] à payer à la SA Lyonnaise de Banque la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– ordonné l’exécution provisoire du jugement,
et statuer à nouveau pour :
à titre principal,
– dire et juger que l’engagement de caution de Monsieur [W] est nul et de nul effet pour vice du consentement
– débouter la SA Lyonnaise de banque de l’intégralité de ses demandes,
à titre subsidiaire,
– dire et juger que la caution de Monsieur [H] [W] est manifestement disproportionnée
– débouter la SA Lyonnaise de banque de l’intégralité de ses demandes
à titre très subsidiaire,
– dire et juger que la SA Lyonnaise de banque n’a pas respecté son devoir de mise en garde, et son obligation d’information et de conseil,
– dire et juger que la SA Lyonnaise de banque a commis une faute,
– dire et juger que la SA Lyonnaise de banque doit être condamnée à payer une indemnité d’un montant égal aux sommes réclamées par elle en réparation de la faute commise,
– ordonner la compensation de cette somme avec le montant des sommes réclamées par la SA Lyonnaise de banque,
en tout état de cause,
– dire et juger que la SA Lyonnaise de banque n’a pas respecté l’obligation annuelle d’information des cautions,
– dire et juger que la SA Lyonnaise de banque doit être déchue de son droit à intérêts sur le montant des deux sommes réclamées ce depuis l’origine des concours jusqu’à l’extinction de la dette,
– ordonner à la SA Lyonnaise de banque de produire un nouveau décompte faisant abstraction desdits intérêts, à défaut de production de ces décomptes,
– débouter la SA Lyonnaise de banque de toutes ses fins, demandes et conclusions,
– statuer ce que de droit sur les dépens
– condamner la SA Lyonnaise de banque à payer la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel.
Par conclusions du 25 février 2020, auxquelles il est expressément référé en application de l’article 455 du code de procédure civile, la SA Lyonnaise de banque demande à la cour de :
– débouter Monsieur [H] [W] des fins de son appel comme irrecevable et mal fondé,
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Toulon le 28 juin 2018,
– condamner Monsieur [H] [W] à payer à la Lyonnaise de banque la somme de 84.930,32 €, outre les intérêts au taux de 2 % sur la somme de 84.817,55 € à compter du 19 juin 2017 jusqu’au parfait paiement,
– condamner enfin Monsieur [H] [W] à payer à la Lyonnaise de banque la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, outre aux entiers dépens de première instance et d’appel.
La SARL Le Latino, placée en liquidation judiciaire simplifiée par jugement du tribunal de commerce de Toulon du 31 mai 2018, a été assignée en la personne de la SCP BR Associés, liquidateur judiciaire, par acte du 6 décembre 2019, remise à personne habilitée. Elle n’a pas comparu.
MOTIFS
La SA Lyonnaise de Banque, qui sollicite que l’appel soit déclaré irrecevable, ne développe aucun moyen à l’appui de cette prétention qui est par conséquent rejetée.
– Sur la nullité du cautionnement pour vice du consentement :
M. [H] [W] fait valoir que le gérant de fait de la SARL Le Latino, M. [L] [M], a usé de stratagèmes et de beaucoup de conviction pour obtenir la signature de l’acte de cautionnement alors que M. [H] [W] n’était qu’un simple cuisinier et que l’acte a été signé, en plein service, ” sur un coin de table “, en la présence du représentant de la banque. Il soutient que son consentement a été vicié dès lors que tant M. [M] que le représentant de la banque lui ont expliqué qu’il ne prenait aucun risque en l’état de l’engagement pris par M. [M] de rembourser les sommes dues à la banque (pièce 4 de l’appelant). Il ajoute qu’il s’est rendu à la banque dès le lendemain pour tenter ” de revenir en arrière ” mais que le préposé de la banque l’a rassuré en lui affirmant qu’il ” ne risquait rien “.
Mais, comme le souligne la banque, l’appelant ne rapporte aucune preuve de ses affirmations.
En effet, les témoignages produits sont relatifs aux heures supplémentaires non payées effectuées par M. [H] [W] et le litige l’opposant à la SARL Le Latino devant le conseil des prud’hommes était également relatif à des non paiements de salaire, totalement étrangers aux circonstances de la souscription de l’acte de cautionnement.
Par ailleurs, la condamnation de M. [L] [M] par le tribunal correctionnel de Toulon pour des faits de faux et d’usage de faux ne concerne manifestement pas l’engagement de caution litigieux et il ne saurait être déduit d’une intention délictuelle caractérisée pour des faux, qu’un dol aurait été commis lors de la souscription d’un acte non visé par la prévention.
La preuve de l’altération du consentement de M. [H] [W] lors de la souscription du cautionnement n’est pas démontrée et la demande de nullité est rejetée.
– Sur la disproportion :
Aux termes de l’article L.341-4, devenu L.332-1, du code de la consommation, dans sa version antérieure à l’ordonnance du 29 septembre 2021, applicable à l’espèce, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
Pour l’application de ces dispositions, c’est à la caution qu’il incombe de rapporter la preuve de la disproportion qu’elle allègue et au créancier qui entend se prévaloir d’un contrat de cautionnement manifestement disproportionné d’établir qu’au moment où il appelle la caution, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son obligation.
Le caractère manifestement disproportionné du cautionnement s’apprécie au regard, d’une part, de l’ensemble des engagements souscrits par la caution, et, d’autre part, de ses biens et revenus, sans tenir compte des revenus escomptés de l’opération garantie.
La banque peut se fier aux éléments déclarés, au moment de l’engagement, par la caution sur sa situation financière, dont elle n’a pas à vérifier l’exactitude, sauf en cas d’anomalie apparente ou sauf lorsqu’elle avait connaissance ou ne pouvait pas ignorer l’existence d’autres charges, non déclarées sur la fiche de renseignement, pesant sur la caution.
M. [H] [W], qui soutenait que la banque n’avait procédé à aucune vérification de ses revenus et patrimoine, fait valoir que la fiche de renseignements qu’elle produit démontre la disproportion du cautionnement au regard de ses revenus et charges.
La banque fait valoir au contraire que la fiche patrimoniale qu’elle produit, qui ne présente aucune anomalie apparente, ne révèle pas de disproportion de l’engagement de caution. Elle ajoute que même si le cautionnement était jugé disproportionné au jour de sa souscription, la situation financière de M. [H] [W] est florissante puisqu’il exploite un restaurant à Tahiti, employant six salariés.
Sur ce, la fiche patrimoniale caution produite aux débats (pièce 12 de l’intimée) mentionne que M. [H] [W] percevait un salaire annuel d’un montant de 24 000 euros et devait faire face à un loyer annuel de 5 400 euros.
Si la banque évoque une vie de couple, elle ne la démontre pas, ni même le statut du conjoint supposé, de sorte que le ” mensonge ” de la caution sur ses revenus et patrimoine n’est pas plus démontré.
Indépendamment même de la prise en compte de la seule charge mentionnée sur cette fiche patrimoniale de M. [H] [W], l’engagement de caution d’un montant de 108 000 euros est manifestement disproportionné aux revenus de M. [H] [W], lequel n’avait pas de patrimoine lors de la souscription de l’engagement de caution.
Il appartient à la banque de démontrer qu’au moment où elle a appelé M. [H] [W] son patrimoine lui permet de faire face à son obligation.
Or la banque se borne à produire des articles de presse, ne produit même pas une quelconque justification de ce que M. [H] [W] est associé, gérant ou salarié de la structure exploitant le restaurant Alpha B et donc de la consistance de son patrimoine.
À défaut d’une telle preuve, elle n’est pas fondée à se prévaloir du cautionnement souscrit par M. [H] [W] le 30 juin 2016 pour une somme de 108 000 euros et une durée de 84 mois.
Le jugement déféré est infirmé en ce qu’il a condamné M. [H] [W] à régler des sommes au titre de son engagement de caution.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt réputé contradictoire,
Infirme le jugement du tribunal de commerce de Toulon du 28 juin 2018 en ce qu’il a condamné M. [H] [W], solidairement avec la SARL Le Latino à payer à la SA Lyonnaise de Banque la somme de 84 817,55 euros, ainsi que la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
Statuant à nouveau,
Dit que le cautionnement de M. [H] [W] du 30 juin 2016 pour une somme de 108 000 euros au profit de la SA Lyonnaise de Banque, est manifestement disproportionné à ses biens et revenus,
Dit que la SA Lyonnaise de Banque n’est pas fondée à s’en prévaloir,
Déboute la SA Lyonnaise de Banque de toutes ses demandes dirigées contre M. [H] [W],
Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la SA Lyonnaise de Banque à payer à M. [H] [W] la somme de trois mille euros,
Confirme pour le surplus le jugement déféré,
Condamne la SA Lyonnaise de Banque aux dépens.
LE GREFFIERLE PRESIDENT