Tatouages : 14 novembre 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 19/05864

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Tatouages : 14 novembre 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 19/05864
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COUR D’APPEL DE BORDEAUX

1ère CHAMBRE CIVILE

————————–

ARRÊT DU : 14 NOVEMBRE 2023

BV

N° RG 19/05864 – N° Portalis DBVJ-V-B7D-LJUM

[T] [N] veuve [Z] (DECEDEE)

[C] [Z]

[X] [Z]

SA MEDICALE DE FRANCE

c/

[D] [P]

CAISSE NATIONALE MILITAIRE DE SECURITE SOCIALE (CNMSS)

[C] [Z]

[X] [Z]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 11 septembre 2019 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX (chambre : 6, RG : 17/05633) suivant déclaration d’appel du 07 novembre 2019

APPELANTS :

[T] [N] veuve [Z] prise tant à titre personnel qu’en qualité d’ayant droit de Monsieur [H] [Z], son époux, décédé

née le [Date naissance 4] 1926 à [Localité 12], décédée le [Date décès 7] 2020

[C] [Z] pris en sa qualité d’ayant droit de Monsieur [H] [Z], son père, décédé

né le [Date naissance 5] 1956 à [Localité 11]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 10]

[X] [Z] pris en sa qualité d’ayant droit de Monsieur [H] [Z], son père, décédé

né le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 13]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 9]

SA MEDICALE DE FRANCE, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 8]

représentés par Maître Cécile FROUTE, avocat postulant au barreau de BORDEAUX et assistés de Maître Olivier LECLERE, avocat plaidant au barreau de PARIS

INTIMÉES :

[D] [V]

née le [Date naissance 2] 1951 à [Localité 14] (79)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 3]

représentée par Maître Michel PUYBARAUD de la SELARL MATHIEU RAFFY – MICHEL PUYBARAUD, avocat postulant au barreau de BORDEAUX et assistée de Maître SADEGHIAN substituant Maître Jean-Christophe COUBRIS de la SELARL COUBRIS, COURTOIS ET ASSOCIES, avocats plaidants au barreau de BORDEAUX

CAISSE NATIONALE MILITAIRE DE SECURITE SOCIALE (CNMSS), prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 6]

représentée par Maître Julien PLOUTON de la SELAS JULIEN PLOUTON, avocat au barreau de BORDEAUX

INTERVENANTS :

[C] [Z] agissant en qualité d’ayant droit de son père [H] [Z], décédé, et en qualité d’ayant droit de sa mère [T] [N] épouse [Z], décédée le [Date décès 7] 2020

né le [Date naissance 5] 1956 à [Localité 11]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 10]

[X] [Z] agissant en qualité d’ayant droit de son père [H] [Z], décédé, et en qualité d’ayant droit de sa mère [T] [N] épouse [Z], décédée le [Date décès 7] 2020

né le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 13]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 9]

représentés par Maître Cécile FROUTE, avocat postulant au barreau de BORDEAUX et assistés de Maître Olivier LECLERE, avocat plaidant au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été examinée le 03 octobre 2023 en audience publique, devant la cour composée de :

Mme Paule POIREL, Président

Mme Bérengère VALLEE, Conseiller

M. Emmanuel BREARD, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Véronique SAIGE

Le rapport oral de l’affaire a été fait à l’audience avant les plaidoiries.

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Mme [D] [P] a bénéficié de soins de sclérose des varices au sein du cabinet des docteurs [H] et [T] [Z], médecins phlébologues à [Localité 11], à compter du 23 septembre 1981, à raison d’environ 40 séances jusqu’au mois de mars 1988.

En 2002, alertée par la presse, son médecin traitant lui a prescrit des examens biologiques destinés à rechercher les marqueurs des hépatites, lesquels ont révélé au mois de décembre 2002 des anticorps anti-HCV positifs. La recherche de l’ARN viral du virus C s’est également avérée positive. Le 14 janvier 2003, le génotype du virus a été précisé, correspondant à un génotype et un sous-génotype de type 2a/2c.

En l’absence de perturbation du bilan biologique hépatique et d’une fibrose hépatique, une simple surveillance a été préconisée. Cependant, devant l’évolution des douleurs fibromyalgiques de la patiente, une bithérapie a été entamée au mois de novembre 2008, pendant six mois jusqu’au mois de mai 2009, avec une mauvaise tolérance.

Les recherches ultérieures d’ARN du VHC sont restées négatives, la fibromyalgie persistant toutefois.

Imputant sa contamination par le virus de l’hépatite C aux soins de sclérose de varices pratiquées par les docteurs [Z], Mme [D] [P] a saisi en référé le tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins de désignation d’un expert médical.

Par ordonnance du 29 septembre 2008, le juge des référés a désigné le docteur [A] [J] en qualité d’expert, lequel a établi son rapport le 27 mai 2010.

Le 17 avril 2009, M. [H] [Z] est décédé.

Le 6 juillet 2011, une ordonnance de non-lieu a été rendue dans le cadre de l’information judiciaire ouverte à l’encontre des époux [Z], les magistrats instructeurs ayant constaté, outre l’extinction de l’action publique à l’égard du Dr [Z], que l’information n’avait pas permis de caractériser la preuve de fautes d’asepsie et d’hygiène de la part des mis en examen et que le lien de causalité entre les éventuelles fautes et la contamination de leurs patients par le virus de l’hépatite C n’était pas établi.

Par actes d’huissier des 1er, 2, 6 et 9 juin 2017, Mme [D] [P] a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Bordeaux Mme [T] [N] veuve [Z], MM. [C] et [X] [Z] et la SA La Médicale de France et la Caisse Nationale Militaire de Sécurité Sociale, sur le fondement de l’article 1147 du code civil, aux fins de voir constater le lien de causalité entre les actes médicaux pratiqués par les docteurs [Z] et sa contamination par le virus de l’hépatite C et d’obtenir la réparation de ses préjudices.

Par jugement du 11 septembre 2019, le tribunal de grande instance de Bordeaux a :

– dit que le lien de causalité entre les actes de sclérose de varices pratiqués par le docteur [H] [Z] et la contamination de Mme [D] [P] au virus de l’hépatite C est établi, engageant la responsabilité du docteur [H] [Z] sur le fondement de l’article 1147 ancien du code civil,

– fixé le préjudice subi par Mme [D] [P], suite à sa contamination au virus de l’hépatite C, à la somme de 7 750 €, décomposée comme suit :

* Dépenses de santé actuelles (DSA) : rejet

* Déficit fonctionnel temporaire (D.F.T.) : 2 250 €

* Déficit fonctionnel permanent (DFP) : rejet

* Souffrances endurées (S.E.) : 4 000 €

* Préjudice esthétique temporaire : rejet

* Préjudice d’agrément : rejet

* Préjudice de contamination : 1 500 €,

– condamné Mme [T] [N] veuve [Z], M. [C] [Z] et M. [X] [Z], en leur qualité d’ayants droit du docteur [H] [Z] et in solidum avec eux la SA Médicale de France, à payer à Mme [D] [P] la somme de 7 750 € en réparation de son préjudice corporel,

– condamné Mme [T] [N] veuve [Z], M. [C] [Z] et M. [X] [Z], in solidum avec la SA La Médicale de France à payer à Mme [P] la somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– rappelé que les condamnations portent intérêt au taux légal à compter du jugement,

– ordonné l’exécution provisoire,

– condamné Mme [T] [N] veuve [Z], M. [C] [Z] et M. [X] [Z], in solidum avec la SA La Médicale de France aux entiers dépens,

– dit que les avocats en la cause en ayant fait la demande, pourront, chacun en ce qui le concerne, recouvrer sur la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l’avance sans avoir reçu provision en application de l’article 699 du code de procédure civile.

Les consorts [Z] et La Médicale de France ont relevé appel de ce jugement par déclaration du 7 novembre 2019.

Mme [T] [N] veuve [Z] est décédée le [Date décès 7] 2020.

Par conclusions déposées le 11 septembre 2023, la compagnie La Médicale de France et MM. [C] et [X] [Z], ès qualités d’héritiers de Mme [T] [N] veuve [Z] et de M. [H] [Z], demandent à la cour de :

I. SUR L’IMPUTABILITÉ

– infirmer le jugement du 11 septembre 2019 en toutes ses dispositions,

– constatant, notamment, que l’expert n’a pas tenu compte des facteurs indépendants susceptibles d’expliquer la pathologie présentée et notamment des conséquences de la crossectomie subie en 1988, que le séquençage du virus 2a/2c est différent de celui d’autres femmes ayant croisé Mme [P] et qu’il est établi que la désinfection du matériel permettait d’éradiquer le virus,

– juger que le lien de causalité entre les scléroses de varices pratiquées par le Docteur [H] [Z] et la contamination de Mme [P] par le virus de l’hépatite C fait défaut,

En conséquence

– débouter Mme [P] de l’ensemble de ses demandes,

– condamner la demanderesse à verser à la Médicale de France et aux consorts [Z] la somme de 4.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– la condamner aux entiers dépens qui seront directement recouvrés par Maître Cécile FROUTE, Avocat à la Cour, conformément à l’article 699 du code de procédure civile,

II – A DEFAUT, SUR LE PREJUDICE

– déclarer prescrite ou, à défaut mal fondée, l’action de Mme [P] tendant à l’indemnisation de son préjudice spécifique de contamination et la débouter de cette demande,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Mme [P] de ses demandes formées au titre du DFP, du préjudice esthétique temporaire et du préjudice d’agrément,

– l’infirmer concernant les souffrances endurées et allouer à ce titre une somme de 1 500 € à Mme [P],

– vu le décompte de la CNMSS et le certificat d’imputabilité de son médecin conseil, constater que les frais médicaux et pharmaceutiques imputables sont indéterminables et confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande de la CNMSS.

– statuer ce que de droit sur les dépens.

Par conclusions déposées le 30 août 2023, Mme [D] [P] demande à la cour de :

– confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Bordeaux en date du 11 septembre 2019 en ce qu’il a considéré établi le lien de causalité entre les actes de sclérose de varices pratiqués par le Docteur [H] [Z] et la contamination de Mme [D] [P] par le virus de l’hépatite C, engageant la responsabilité des Docteurs [Z] sur le fondement de l’article 1231-1 du Code Civil,

– confirmer le jugement du Tribunal de Grande Instance de Bordeaux en date du 11 septembre 2019 en ce qu’il a dit que la SA la Médicale de France est tenue de garantir Mme [T] [N], veuve [Z], Messieurs [C] et [X] [Z], en leurs qualité d’ayants droit du Docteur [H] [Z] des conséquences dommageables de la contamination par le virus de l’hépatite C dont a été victime Mme [D] [P],

– réformer le jugement du Tribunal de Grande Instance de Bordeaux en date du 11 septembre 2019 quant à l’évaluation de préjudices subis par Mme [D] [P] et les fixer comme suit :

* 34.635 € au titre des préjudices extrapatrimoniaux temporaires

* 15.920 € au titre des préjudices extrapatrimoniaux permanents

* 20.000 € au titre du préjudice spécifique de contamination,

– condamner en conséquence Mr [C] [Z], Mr [X] [Z] sous garantie de la Médicale de France, à verser à Mme [D] [P] les sommes ci-dessus, en réparation du préjudice subi,

– juger que ces sommes porteront intérêts de droit y afférant,

– juger que l’arrêt à intervenir sera commun à l’organisme social,

– débouter les appelants de toutes demandes contraires,

– condamner Mr [C] [Z], Mr [X] [Z], sous garantie de la Médicale de France, à verser à Mme [D] [P] une somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Par conclusions déposées le 1er août 2023, la Caisse Nationale Militaire de Sécurité Sociale demande à la cour de :

– confirmer le jugement entrepris du Tribunal de Grande Instance de Bordeaux en date du 11 septembre 2019 en ce qu’il a considéré établi le lien de causalité entre les actes de sclérose de varices pratiqués par le Docteur [H] [Z] et la contamination de Mme [D] [P] par

le virus de l’hépatite C, engageant la responsabilité du Docteur [H] [Z] sur le fondement de l’article 1231-1 du code civil (article 1147 ancien du code civil)

– confirmer le Jugement entrepris du Tribunal de Grande Instance de Bordeaux en date du 11 septembre 2019 en ce qu’il a dit que la SA Médicale de France est tenue de garantir Mme [T] [N], veuve [Z], Messieurs [C] et [X] [Z], en leur qualité d’ayants droit du Docteur [H] [Z] des conséquences dommageables de la contamination par le virus de l’Hépatite C dont a été victime Mme [D] [P],

– statuer comme il plaira sur l’indemnisation du préjudice de Mme [D] [P],

Et statuant à nouveau :

– fixer la créance de la Caisse Nationale Militaire de Sécurité Sociale à la somme totale de 15.755,70 euros

– par conséquent, condamner in solidum la SA Médicale de France ainsi que M. [C] [Z] et M. [X] [Z], tous deux en qualité d’ayants droits de Mme [T] [N] veuve [Z] et de M. [H] [Z] à verser à la Caisse Nationale Militaire de Sécurité Sociale la somme de 15.755,70 euros au titre de sa créance, avec intérêts au taux légal à compter de la notification des présentes conclusions et jusqu’à complet paiement,

– condamner in solidum la SA Médicale de France ainsi que M. [C] [Z] et M. [X] [Z], tous deux en qualité d’ayants droits de Mme [T] [N] veuve [Z] et de M. [H] [Z] à verser à la Caisse Nationale Militaire de Sécurité Sociale la somme de 1162 euros au titre de l’indemnité de gestion prévue à l’article L376-1 du code de la sécurité sociale,

– condamner in solidum la SA Médicale de France ainsi que M. [C] [Z] et M. [X] [Z], tous deux en qualité d’ayants droits de Mme [T] [N] veuve [Z] et de M. [H] [Z] à verser à la Caisse Nationale Militaire de Sécurité Sociale la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens dont distraction au profit de la Selas Julien Plouton en vertu de l’article 699 du code de procédure civile.

L’affaire a été fixée à l’audience collégiale du 3 octobre 2023.

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 19 septembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la responsabilité du docteur [H] [Z] dans la contamination de Mme [P]

Le tribunal a retenu un lien de causalité entre les actes de scléroses de varices pratiquées par le Dr [Z] et la contamination de Mme [P] par le virus de l’hépatite C, considérant qu’il existait des présomptions précises, graves et concordantes en ce sens que :

-Mme [P] ne présentait pas de facteurs de risques,

-elle présentait un génotype 2 et un sous-génotype 2a/2c, peu important le défaut d’identité absolue du sous-génotype,

-il existait une possibilité de contamination croisée avec d’autres patientes ayant présenté un génotype et sous génotype viral identique en regard d’un recoupement des dates de consultation de ces patientes avec celles de Mme [P],

-les mauvaises conditions d’asepsie et notamment la pratique du ‘pot commun’ permettaient de retenir un risque de contamination ressortant des pratiques du Dr [Z].

Mme [P] demande la confirmation de cette décision dès lors qu’elle était exempte de facteurs de risques, qu’elle a présenté un génotype commun à celui de nombre de patientes du Dr [Z] alors que par ailleurs elle a consulté le Dr [Z] à des dates voisines de certaines de ses patientes également contaminées et ayant présenté un génotype identique et qu’ont été mises en évidence au sein du cabinet du Dr [Z] des pratiques à risque en termes d’aseptie.

Les appelants demandent au contraire de réformer le jugement au motif que la preuve du lien de causalité entre les scléroses pratiquées par le docteur [Z] et l’infection par le virus de l’hépatite C n’est selon eux pas rapportée. Faisant valoir que Mme [P] a été exposée à des facteurs de risques autres que les soins du docteur [Z], il reproche à l’expert judiciaire d’avoir minimisé l’incidence d’autres facteurs de contamination, notamment la crossectomie subie en 1988 ayant donné lieu à une perforation de l’artère fémorale, et de ne s’être pas vu communiquer le dossier médicale de la patiente, alors en outre que la cause de contamination par le virus de l’hépatite C reste inconnue dans 16% des cas. Ils font observer que le séquençage du virus dont Mme [P] est porteuse a révélé un sous-génotype 2a/2c, distinct du sous-génotype 2c/2d retrouvé chez certaines patientes du docteur [Z] contaminées par le VHC. Ils considèrent que l’existence de consultations chronologiquement proches de celles d’autres patientes contaminées ne constitue pas une présomption grave, précise et concordante ce, d’autant que le sous-génotype du virus dont Mme [P] est porteuse (2a/2c) est différent de celui de trois patientes dont le génotype était 2c/2d, ce qui implique qu’elle n’a pas pu être contaminée par ces dernières. Enfin, ils contestent toute pratique de sclérose de varice ‘à la chaîne’ et d’utilisation d’un ‘pot commun’, soulignant que les allégations de manquements aux règles élémentaires d’hygiène et d’asepsie ont été démenties par l’ensemble des expertises réalisées sur diverses patientes qui ont indiqué que les procédés de stérilisation utilisés par le docteur [Z] permettaient d’éradiquer le virus, ajoutant que les juges d’instruction ont rendu une ordonnance de non-lieu dans le cadre de l’information judiciaire.

Selon l’article 1147 du code civil, dans sa version antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016, applicable au présent litige, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.

La contamination d’un patient par le virus de l’hépatite C à l’occasion d’une sclérose de varices, constitue, si elle est avérée, une infection nosocomiale apparue au cours ou au décours d’un acte de soin alors qu’il en était exempt antérieurement.

Le droit en vigueur à la date des soins subis par Mme [P], antérieur à la loi du 4 mars 2002, mettait à la charge du médecin, quel que soit le lieu où ces soins étaient prodigués, cabinet de ville ou établissement de soins, une obligation de sécurité de résultat, le devoir d’asepsie constituant une obligation fondamentale du médecin dont il ne pouvait se libérer qu’en rapportant la preuve d’une cause étrangère.

Reposait alors sur le patient la seule preuve du lien de causalité entre l’infection et les soins prodigués, la preuve du dommage étant insuffisante. Toutefois, la preuve du lien de causalité entre les soins et l’infection pouvait être rapportée par tous moyens et spécialement par des présomptions graves, précises et concordantes.

En application de ce qui précède, il revient à Mme [P] de démontrer que la contamination de celle-ci par le virus de l’hépatite C a pour origine les soins pratiqués par le docteur [H] [Z] dont ni la réalité, ni la nature, ni la date ne sont contestées.

Sont allégués comme constitutifs d’indices graves, précis et concordants l’absence de facteurs de risques, une source commune d’infection par un génotype 2 très présent chez les patientes du Dr [Z] positive au VHC, une contamination croisée avec d’autres patientes par recoupement des dates de consultations et des conditions d’asepsie à risque.

Il convient de rappeler que d’un point de vue juridique, la présomption n’est pas la preuve mais simplement la vraisemblance que l’on retire d’un événement déterminé lorsque la preuve serait très difficilement rapportable, en sorte que les consorts [Z] ne sauraient reprocher aux premiers juges de n’avoir pas rapporté la preuve que Mme [P] aurait été infestée par le virus de l’hépatite C au décours de ses séances de scléroses de varices au cabinet du Dr [Z] entre le 23 septembre 1981 et le mois de mars 1988.

a ) S’agissant de l’absence de facteurs risques, comme c’est le cas en matière épidémiologique, il n’est pas critiquable qu’il ne repose que sur les énonciations du sujet, étant en outre relevé qu’il résulte de l’expertise que Mme [P] a demandé la communication de son dossier médical à la Polyclinique [Localité 11] Nord Aquitaine laquelle lui a répondu qu’elle ne pouvait accéder à sa demande, faute d’obligation de conserver les dossiers avant 1992.

Contrairement à ce que reprochent les consorts [Z], le tribunal a bien tenu compte notamment d’une crossectomie en 1988 avec complication per-opératoire mais il a pris le soin de noter, conformément au rapport d’expertise, que cette intervention n’avait pas donné lieu à transfusion.

Par ailleurs, le tribunal qui a écarté tous soins d’acupuncture, d’endoscopie digestive, de soins de pédicure ou de manucure, toute toxicomanie, port de tatouage ou de piercing, a suivi l’expert lorsque celui-ci, bien que n’excluant pas tout facteur de risque en l’absence de connaissance de l’ensemble du dossier médical de la patiente, conclut qu”au regard de ses antécédents médicaux, chirurgicaux ou autres, il n’y a que peu d’éléments la prédisposant à être contaminée par le virus de l’hépatite C’.

C’est donc à bon droit que le tribunal conclut que ‘les antécédents médicaux, chirurgicaux et personnels de Mme [P] ne permettent pas de considérer que celle-ci a pu être exposée à d’autres modes de contamination au moins équivalents à celui de la sclérose de varices.’

Il importe peu que Mme [P] n’ait été détectée positive au virus de l’hépatique C qu’en décembre 2002, soit 14 ans après les faits supposés de contamination dès lors qu’il est constant que le virus de l’hépatite C peut demeurer très longtemps asymptomatique ou pauci-asymptomatique.

Il s’y ajoute le nombre très important de séances (40) ayant décuplé le facteur de risque de contamination au cabinet du Dr [Z].

b ) S’agissant du génotype de type 2, il n’est effectivement pas en soi la preuve d’une source de contamination commune au cabinet du Dr [Z]. En effet, si une étude épidémiologique locale a mis en évidence que sur 59 patients de la région bordelaise ayant présenté une hépatite C génotype 2 ayant subi des scléroses de varices, la moitié étaient des patients du Dr [Z], l’étude portait à l’origine sur 200 patients porteurs de ce génotype dont 165 n’avaient aucun lien avec le cabinet du Dr [Z].

Cependant, Mme [P], qui n’est pas tenue de rapporter la preuve d’une contamination commune au cabinet du Dr [Z], a ainsi présenté un génotype commun aux patientes ayant été infectées chez le Dr [Z].

S’il est exact que le sous-génotype 2a/2c présenté par Mme [P], est distinct du sous-génotype 2c/2d présenté majoritairement par les patientes du docteur [Z] infectées par le virus de l’hépatite C et séquencées par le professeur [G], il sera relevé que l’expert [J] ne tire aucunement de cette constatation le fait qu’il serait rapporté la preuve scientifique de sources de contamination différentes.

Au contraire, l’expert considère que ‘les arguments virologiques (infection par un virus de génotype 2a/2c) et épidémiologiques (virus présentant une très grande similitude après séquençage chez 17 des 43 patients traités par sclérose par le même médecin confirmant une source de contamination commune) (…) font suggérer qu’il est probable que les troubles dont se plaint Mme [P] soient imputables aux soins dispensés par le docteur [Z].’

Ainsi, il n’est pas possible d’exclure la possibilité d’une contamination de Mme [P] au cabinet du Dr [Z] alors que celle-ci demeure probable, selon l’avis même de l’expert.

c ) Le fait d’isoler un sous génotype commun pour des individus présentant un génotype identique lorsque ceux- ci ont été exposés aux mêmes facteurs de risques en même temps, en tenant compte d’une durée de survie du virus admise de 16 heures à 4 jours, permet de conclure à une très forte probabilité de contamination croisée.

En l’espèce, il ressort de l’analyse du dossier médical de Mme [P] qu’elle a été traitée le même jour ou à des dates très proches de séances subies par quatre des patientes séquencées contaminées par le virus de l’hépatite C de génotype 2 et de sous-génotype 2 :

* le 12/01/1982 et le 18/01/1982 : soins dispensés le même jour que Mme [L]

* le 17/05/1990 : soins dispensés le même jour que Mme [O]

* le 6/12/1981 pour Mme [K] et le 9/12/1981 pour Mme [P]

* le 24/01/1982 pour Mme [K] et le 26/01/1982 pour Mme [P]

* le 14/03/1988 pour Mme [E] et le 15/03/1988 pour Mme [P]

Le tableau produit par l’intimée et recoupant les dates précitées, permet ainsi d’établir formellement que Mme [P] a subi plusieurs séances de sclérothérapie à des dates identiques ou proches de moins de quatre jours, correspondant à la durée de vie du virus, de celles d’autres patientes, elles-mêmes contaminées par un même sous-génotype, ce qui permet de conclure à une très forte probabilité de contamination croisée, le défaut d’identité absolue entre le sous-génotype 2a/2c présenté par Mme [P] et le sous-génotype 2c/2d présenté par Mmes [L], [O], [K] et [E] ne permettant pas à l’inverse d’exclure la possibilité de cette contamination croisée, ainsi que précédemment retenu s’agissant du génotype 2.

d) S’agissant des conditions d’asepsie lors de séances de scléroses de varices, Mme [P] a dénoncé l’absence de protection sur les tables d’examen avec des tâches de sang dessus, le fait que le docteur [Z] arrivait dans la cabine avec une seringue à la main prête à l’utilisation et un flacon dans lequel il prélevait le liquide, le fait qu’elle l’ait vu passer directement d’un box à l’autre avec la même seringue et la même aiguille.

Le fait que d’anciennes salariées du Dr [Z] n’ayant plus de lien avec lui au moment de leur attestation, aient contesté avoir assisté à de telles pratiques ou que des contrôles d’hygiène menés en 1990/1992, soit plusieurs années après les faits de contamination allégués, n’aient pas mis en évidence de pratiques contraires aux règles alors en vigueur, n’est pas de nature à remettre en cause ce qui a été exprimé par Mme [P] à cette occasion, également rapporté par de nombreuses patientes.

Il résulte également du rapport d’expertise de Mme [W] (pièce 30 de l’intimée) qu’en phlébologie, jusqu’en 1990/91, date de la prise en compte d’un risque de transmission virale par le sang, l’usage des séringues en verre était très répandu et même conseillé pour éviter certaines complications, que leur stérilisations se faisaient principalement avec des Poupinel qui présentaient des incertitudes de garanties en termes de stérilisation et que dans le cas du Dr [Z] (page 8) celui-ci a pu prouver qu’il existait des aiguilles stériles à compter de janvier 1986 et seulement à partir d’octobre 1990 des séringues à usage unique, de sorte que Mme [P] qui a été soignée entre septembre 1981 et mars 1988 s’est trouvé exposée à un risque majeur de contamination.

Il importe peu par ailleurs que les règles d’hygiène alors pratiquées aient été conformes à la réglementation en vigueur (seringues, aiguille, stérilisation) et qu’aucune infraction pénale n’ait pu être relevée, dès lors que le droit civil s’attache ici à la mise en évidence du seul lien de causalité entre l’intervention du praticien et le dommage lequel peut être évincé, par présomptions, de l’existence de pratiques à risque, même conformes à la réglementation alors en vigueur.

Enfin, les appelants ne peuvent minimiser la radiation prononcée par le Conseil de l’ordre à l’encontre du docteur [H] [Z], alors que cette sanction a été confirmée en appel, que le pourvoi a été rejeté par le Conseil d’Etat et que la sanction a été fondée notamment sur le fait que’ le Dr [Z] ne pratiquait pas les séances de scléroses de varices dans des conditions d’asepsie et d’hygiène satisfaisantes et avait tardé à utiliser du matériel jetable'(pièces 22 à 24 des intimés).

En définitive, il apparaît que Mme [P] n’a jamais été exposée à un facteur de risque au moins aussi important que celui de la sclérose de varices subie à 40 reprises au cabinet du Dr [Z] entre 1981 et 1988 dans des conditions d’asepsie présentant un risque objectif majeur de contamination; qu’elle a présenté un génotype 2 retrouvé dans une proportion de 86 % dans la clientèle du Dr [Z] alors même que dans la moyenne française ce génotype présente une fréquence inférieure à 10%, ainsi qu’un sous-génotype 2a/2c ne permettant pas d’exclure une possible source de contamination commune au cabinet du Dr [Z], y compris croisée, de manière répétée avec quatre autres patientes ayant subi des soins chez le Dr [Z] à des dates suffisamment proches de celles de Mme [P], ayant présenté un sous génotype 2c-2d ou n’ayant pas été séquencées.

Il est ainsi permis d’évincer de l’ensemble des indices graves, précis et concordants de ce que Mme [P] a été contaminée par le virus de l’hépatite C au cabinet du Dr [Z] à l’occasion de 40 séances de scléroses de varices entre septembre 1981 et mars 1988.

A défaut de rapporter la preuve d’une cause étrangère exonératrice le jugement est confirmé en ce qu’il a retenu que la responsabilité du Dr [H] [Z] était engagée sur le fondement des dispositions de l’article 1147 du code civil.

Sur la liquidation des préjudices de Mme [P]

Selon le rapport d’expertise du docteur [J], Mme [P], alertée par la presse au cours de l’année 2002, a sollicité son médecin traitant qui lui a prescrit des examens biologiques destinés à rechercher les marqueurs des hépatites. Ceux-ci ont révélé au mois de décembre 2002 des anticorps anti-HCV positifs. La recherche de l’ARN viral du virus C s’est également avérée positive. Le 14 janvier 2003, le génotype du virus a été précisé, correspondant à un génotype 2 et un sous-génotype de type 2a/2c. En l’absence de perturbation du bilan biologique hépatique et d’une fibrose hépatique, une simple surveillance a été préconisée. Cependant, devant l’évolution des douleurs fibromyalgiques de la patiente, une bithérapie a été entamée au mois de novembre 2008, pendant six mois jusqu’au mois de mai 2009, avec une mauvaise tolérance. Les recherches ultérieures d’ARN du VHC sont restées négatives, la fibromyalgie persistant toutefois.

L’expert [J] relève que ‘La maladie hépatique en elle-même est guérie sans séquelles hépatiques ; par contre ce n’est pas le cas du syndrôme fibromyalgique apparu en décembre 2002 d’après les dires de Mme [P], à l’annonce du diagnostic de la maladie. Il est cependant difficile de rattacher avec certitude la fibromyalgie à l’hépatite C, d’autant qu’il n’y avait pas de cryoglobullinémie pouvant rendre compte des manifestations douloureuses associées à la maladie hépatique. Par contre, il est bien connu que la fibromyalgie maladie dont l’étiologie reste encore inconnue et l’évolution très variable, peut être initiée par un stress : elle signale avoir effectivement été très perturbée par l’annonce de sa maladie.

La malade hépatique peut être considérée comme définitivement guérie sans séquelles depuis novembre 2009. Le déficit fonctionnel doit donc tenir compte de ces deux éléments en précisant qu’il est peu probable que la fibromyalgie soit liée à l’hépatite C.’

Le tribunal doit être approuvé lorsqu’il relève pertinemment qu’aucun élément ne permet de démentir l’analyse circonstanciée du docteur [J] et que la victime ne peut, sans se contredire, invoquer à la fois, devant l’expert l’apparition de sa fibromyalgie liée au stress de l’annonce de sa maladie et, dans ses conclusions, les douleurs causées par sa fibromyalgie comme origine de sa démarche de consultation médicale en 2002 aux fins de se voir prescrire une sérologie de dépistage de l’hépatite C.

Dès lors, le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de Mme [P] tendant à prendre en compte la fibromyalgie dans l’évaluation des déficits fonctionnels.

I – Sur l’indemnisation des préjudices patrimoniaux :

Ils sont constitués par les dépenses de santé prises en charge par la CNMSS, Mme [P] n’alléguant aucune dépense demeurée à sa charge.

Le tribunal a rejeté la demande de la CNMSS au motif que l’attestation d’imputabilité produite était incompréhensible.

En appel, la CNMSS verse aux débats un décompte du 15 juillet 2022 faisant apparaître des dépenses de santé s’élevant à la somme de 15.755,70 euros, incluant des frais pharmaceutiques à hauteur de 12.945,20 euros, ainsi qu’une attestation d’imputabilité du médecin chef des services médicaux datée du 9 décembre 2019 confirmant que l’ensemble des actes pris en charge et remboursés par la Caisse était bien en lien direct avec la pathologie présentée par Mme [P].

Au regard de ces éléments, les dépenses actuelles de santé seront donc fixées à la somme de 15.755,70 euros.

II – Sur l’indemnisation des préjudices extra- patrimoniaux :

A ) Les préjudices extra-patrimoniaux temporaires (avant consolidation):

* le DFT :

L’expert a fixé le DFTP pendant la durée du traitement de l’hépatite par bithérapie de novembre 2008 à mai 2009 à 50%, soit 6 mois. Il a en outre proposé un DFTP de 30% depuis la découverte de la maladie jusqu’au jour de l’expertise au vu de la gêne fonctionnelle liée à la fibromyalgie, précisant toutefois une nouvelle fois qu’il était peu probable qu’il y ait une relation de cause à effet entre la maladie hépatique et la fibromyalgie.

Au regard de ces conclusions, le tribunal a fixé ce préjudice sur la base de la seule période de déficit en lien avec la contamination de la patiente par le virus de l’hépatite C, à hauteur de 750 euros par mois soit : 6 x 750 x 50% = 2.250 euros.

Les appelants concluent à la confirmation du jugement sur ce point.

L’intimée conteste la décision qui a refusé l’indemnisation d’une seconde période à 30%, allant de la fin du traitement au jour de la guérison, pour laquelle elle se plaint des effets secondaires du traitement notamment sous forme d’asthénie.

Le tribunal a cependant justement relevé que le rapport d’expertise soulignait qu’il était peu probable que la fibromyalgie dont se plaignait Mme [P] soit en lien avec la maladie hépatique.

Le jugement qui a fixé son préjudice de ce chef à la somme de 2.250 euros est en conséquence confirmé.

* les souffrances endurées temporaires :

Elles ont été évaluées par 1,5/ 7 par l’expert au regard de la mauvaise tolérance au traitement.

Il a été alloué de ce chef une somme de 4.000 euros qui est contestée de part et d’autre, Mme [P] reprochant à l’expert d’avoir sous évalué le quantum de ce préjudice et les appelants estimant que ce préjudice ne saurait dépasser la somme de 1.500 euros.

Cependant, en fixant le montant de ce préjudice à la somme de 4.000 euros en considération, non seulement de la cotation de l’expert prenant en compte l’intolérance du traitement de Mme [P], mais aussi de la crainte de cette dernière de voir évoluer la maladie entre la découverte de celle-ci en 2002 et la date de consolidation, le tribunal a pris la juste mesure de ce préjudice, ce en quoi le jugement est confirmé.

* le préjudice esthétique temporaire :

Mme [P] prétend avoir mal toléré le traitement, lequel aurait entraîné un amaigrissement et une sécheresse de la peau. Elle sollicite le versement d’une indemnité de 4.500 euros à ce titre en évaluant son préjudice à 2,5/7.

Le tribunal a rejeté cette demande au motif que Mme [P] ne justifiait pas des modifications esthétiques alléguées.

Faute pour Mme [P] de produire en appel des éléments justificatifs, sa demande ne peut qu’être rejetée, l’existence d’un tel préjudice n’ayant au demeurant pas été relevée par l’expert.

Le jugement est en conséquence confirmé de ce chef.

B) Les préjudices extra patrimoniaux permanents (après consolidation) :

* le déficit fonctionnel permanent :

Le tribunal a rejeté cette demande faute de lien certain entre les troubles dont se plaint la victime avec la maladie hépatique, éradiquée depuis plus de 20 ans.

Mme [P] insiste au contraire sur le fait que l’expert a retenu un taux de DFP de 7% liée à la fibromyalgie et rappelle que l’expert admet que celle-ci ait pu être déclenchée par l’annonce de la maladie.

Cependant, c’est par une juste analyse des éléments du dossier que le tribunal a débouté Mme [P] de sa demande de ce chef alors que selon le rapport d’expertise, l’appelante ‘ne présente pas de symptôme fonctionnel en rapport avec son hépatite C qui est guérie’, la totalité de la gêne fonctionnelle actuelle étant liée selon l’expert à la fibromyalgie dont il rappelle qu”il est peu probable qu’il y ait une relation de cause à effet entre la maladie hépatique et la fibromyalgie.’

Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

* le préjudice d’agrément :

Mme [P] se plaint de ne plus pouvoir pratiquer la danse, le ski et la marche, précisant que ‘l’asthénie, les douleurs et la dépression engendrés par le virus de l’hépatite C et ses conséquences constituent une gêne dans sa vie quotidienne, toute activité physique ou intellectuelle impliquant un effort prolongé étant devenu impossible.’

Cependant, si l’expert relève l’existence d’un préjudice d’agrément, il souligne que celui-ci est lié aux conséquences de la fibromyalgie de Mme [P] dont il a été vu ci-avant qu’il ne pouvait être rattaché avec certitude à la maladie hépatique. En outre, pas plus qu’en première instance, Mme [P] ne justifie en appel qu’elle pratiquait les activités alléguées.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de ce chef.

III- Sur le préjudice spécifique de contamination :

Le tribunal a exactement rappelé que ce préjudice, dans le cadre de la contamination par le VHC, a vocation à indemniser l’ensemble des préjudices personnels tant physiques que psychiques en lien avec la seule contamination virale et qu’à ce titre il inclut les angoisses et répercussions spécifiques en termes de craintes, y compris latentes, relativement à l’espérance de vie ou la crainte des souffrances ainsi que les perturbations de tous ordres susceptibles d’en résulter dans la vie personnelle, sociale, familiale et sexuelle du sujet, mais à l’exclusion du préjudice à caractère personnel résultant du déficit fonctionnel permanent ou des souffrances endurées. Il a encore rappelé qu’à cet égard, la guérison ne fait nullement obstacle à l’indemnisation d’un tel préjudice qui se trouve alors circonscrit à la période au cours de laquelle ont été ressenties les angoisses et perturbations spécifiques liées à la contamination.

Ayant en l’espèce tenu compte de l’âge de Mme [P], de ce qu’elle a eu connaissance de sa contamination par le virus de l’hépatite C en décembre 2002 et de ce que l’absence de traitement mis en oeuvre du fait de l’absence de troubles hépatiques jusqu’au mois de novembre 2008, la nécessité d’une surveillance régulière, la crainte de voir évoluer la maladie pendant ces années et ce jusqu’à la fin du traitement et l’annonce de la disparition du virus, ont été indemnisés au titre des souffrances endurées, le tribunal a alloué à Mme [P] une somme de 1.500 euros en réparation de ce préjudice compte tenu de la disparition du virus après la fin du traitement en mai 2009, de la date de consolidation fixée à novembre 2009, de l’absence de séquelles résultant de l’hépatite C, mais aussi de la crainte d’une récidive de la pathologie, minime mais néanmoins présente.

Les appelants demandent à la cour d’infirmer le jugement entrepris de ce chef et de constater la prescription de la demande sur ce fondement en application des dispositions de l’article 2262 ancien et 2224 du code civil, le point de départ de la prescription quinquennale étant en la matière la date de la connaissance de l’exposition au risque.

Mme [P] ne conclut pas sur la prescription ainsi soulevée mais réclame la réévaluation de ce poste de préjudice à hauteur de 20.000 euros.

Aux termes des dispositions de l’article L 1142-28 du code de la santé publique, dans sa version résultant de la loi du 5 mars 2002, ‘les actions tendant à mettre en cause la responsabilité des professionnels de santé ou des établissements de santé publics ou privés à l’occasion d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins se prescrivent par dix ans à compter de la consolidation du dommage’.

La consolidation correspond à la fin de la maladie traumatique, c’est-à-dire la date, fixée par l’expert médical, de stabilisation des conséquences des lésions organiques et physiologiques, cette date marquant la frontière entre les préjudices à caractère temporaire et ceux à caractère définitif.

Le caractère évolutif de certaines pathologies, comme, par exemple, une contamination par le virus de l’hépatite C, peut cependant constituer un obstacle à la fixation d’une date de consolidation et conduit alors à reporter le point de départ du délai de prescription, voire à une impossibilité de faire courir le délai de prescription.

La Cour de cassation a ainsi précisé que le délai de prescription ne peut commencer à courir en cas de pathologie évolutive, en l’absence de consolidation du dommage (Civ. 1ère, 12 novembre 2015, n°14-17.146).

Le Conseil d’Etat a quant à lui jugé qu’avait commis une erreur de droit une cour administrative d’appel qui avait jugé que la consolidation de l’état de santé d’une personne contaminée par le virus de l’hépatite C était acquise à la date à laquelle ses trouble s’étaient stabilisés à la suite d’un traitement, alors qu’à cette date, l’intéressée était encore porteur du virus de l’hépatite C et demeurait par suite atteinte d’une pathologie évolutive et que la disparition du virus avait été constatée sept ans après (CE, 25 octobre 2017, req. 404998).

Certains préjudices récurrents échappent néanmoins à toute idée de consolidation de la victime. Il s’agit notamment du préjudice lié à une contamination par un virus de type hépatite C.

Le préjudice de contamination est en effet un préjudice autonome à caractère essentiellement moral, qui peut exister et être indemnisé en l’absence de tout dommage corporel né de la contamination.

Il est défini comme le préjudice résultant pour une victime de la connaissance de sa contamination par un agent exogène, quelle que soit sa nature (biologique, physique ou chimique), qui comporte le risque d’apparition, à plus ou moins brève échéance, d’une pathologie mettant en jeu le caractère vital.

Existant indépendamment de toute notion de consolidation, sa prescription ne peut relever des dispositions de l’article L 1142-28 du code de la santé publique qui fixe le point de départ de celle-ci à la consolidation du dommage.

Dès lors en revanche que le préjudice de contamination est rattaché à la connaissance de celle-ci par la victime, le point de départ de la prescription doit être fixé à la date de la révélation de la contamination à la victime, conformément aux dispositions de droit commun.

Ainsi, selon les dispositions de l’article 2262 du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure à la réforme de la prescrition du 17 juin 2008, toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi.

L’action en responsabilité contractuelle avant la réforme avait pour point de départ la manifestation du dommage, soit en matière de préjudice de contamination la révélation même de la contamination. L’article 2224 du code civil, né de la réforme du 17 juin 2008 entrée en vigueur le 19 juin 2008, a ramené le délai de prescription de 30 ans à 5 ans pour les actions personnelles ou mobilières.

Selon les dispositions transitoires de la loi du 17 juin 2008 (article 26-II) les délais plus courts de prescription se sont appliqués immédiatement à compter du 19 juin 2008 aux prescriptions en cours non encore acquises à cette date, sous réserve de ne pas dépasser le délai de prescription initiale. En revanche, elles ont laissé subsister le point de départ de la prescription qui est demeuré soumis à la loi ancienne.

Il est constant qu’en l’espèce la manifestation du dommage permettant d’agir se situe pour Mme [P] à la date du 26 décembre 2002 où elle a eu connaissance de sa contamination par le virus de l’hépatite C en sorte qu’elle pouvait agir jusqu’au 26 décembre 2032 ; qu’à la date de l’entrée en vigueur de la loi, le 19 juin 2008, alors que la prescription de son action n’était pas acquise, le délai d’action s’est trouvé réduit à 5 ans, en sorte que Mme [P] se devait d’agir en réparation de ce préjudice au plus tard le 19 juin 2013 et qu’à la date de l’assignation en justice des 1er, 2, 6 et 9 juin 2017 son action était prescrite. Même à supposer que Mme [P] n’ait pu agir qu’à compter du rapport de l’expert [J] en date du 21 mai 2010, date à laquelle l’imputabilité de son infection au cabinet [Z] était affirmée, la prescription quinquenale issue de l’article 2224 du code civil était en tout état de cause acquise à la date de la délivrance de l’acte introductif d’instance.

Il convient en conséquence d’infirmer le jugement en ce qu’il a alloué à Mme [P] une indemnisation de 1.500 euros en réparation de ce préjudice et de déclarer irrecevable comme prescrite la demande de Mme [P] au titre d’un préjudice de contamination.

Sur les demandes de la Caisse nationale militaire de sécurité sociale

Les consorts [Z] seront condamnés, in solidum, à payer à la CNMSS :

– la somme de 15.755,70 euros au titre des dépenses de santé par la Caisse avec intérêts au taux légal à compter de ses conclusions du 1er août 2023, conformément à la demande en ce sens,

– la somme de 1.162 euros au titre de l’indemnité de gestion prévue à l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Succombant pour l’essentiel en leur recours les appelants en supporteront les dépens et seront équitablement condamnés à payer à Mme [P] une somme de 3.000 euros et à la CNMSS une somme de 800 euros, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour

Infirme partiellement le jugement entrepris.

Statuant à nouveau des chefs réformés :

Déclare irrecevable comme prescrite la demande de Mme [D] [P] d’indemnisation d’un préjudice spécifique de contamination.

Alloue à la Caisse nationale militaire de sécurité sociale la somme de 15.755,70 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 1er août 2023, au titre des dépenses de santé ainsi que la somme de 1.162 euros au titre de l’indemnité de gestion prévue à l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

En conséquence :

Fixe le préjudice corporel de la victime à la somme de 22.005,70 euros décomposée comme suit :

* Dépenses de santé actuelles (DSA) : 15.755,70 €

* Déficit fonctionnel temporaire (D.F.T.) : 2 250 €

* Souffrances endurées (S.E.) : 4 000 €

Condamne in solidum M.M. [C] et [X] [Z], en leur qualité d’ayants droit de Mme [T] [N] veuve [Z] et de M. [H] [Z], et la SA Médicale de France à payer à Mme [D] [P] la somme de 6.250 euros au titre de l’indemnisation de son préjudice corporel, après déduction de la créance des tiers payeurs.

Condamne in solidum M.M. [C] et [X] [Z], en leur qualité d’ayants droit de Mme [T] [N] veuve [Z] et de M. [H] [Z], et la SA Médicale de France à payer à la Caisse nationale militaire de sécurité sociale la somme de 15.755,70 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 1er août 2023, au titre des dépenses de santé prises en charge.

Condamne in solidum M.M. [C] et [X] [Z], en leur qualité d’ayants droit de Mme [T] [N] veuve [Z] et de M. [H] [Z], et la SA Médicale de France à payer à la Caisse nationale militaire de sécurité sociale la somme de 1.162 euros au titre de l’indemnité de gestion prévue à l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Confirme le jugement entrepris pour le surplus de ses dispositions non contraires au présent arrêt et y ajoutant :

Condamne in solidum M.M. [C] et [X] [Z], en leur qualité d’ayants droit de Mme [T] [N] veuve [Z] et de M. [H] [Z], et la SA La Médicale de France à payer à Mme [P] une somme de 3 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d’appel.

Condamne in solidum M.M. [C] et [X] [Z], en leur qualité d’ayants droit de Mme [T] [N] veuve [Z] et de M. [H] [Z], et la SA La Médicale de France à payer à la Caisse nationale militaire de sécurité sociale une somme de 800 euros au titre de ses frais irrépétibles d’appel.

Condamne in solidum M.M. [C] et [X] [Z], en leur qualité d’ayants droit de Mme [T] [N] veuve [Z] et de M. [H] [Z], et la SA La Médicale de France aux dépens du présent recours, dont distraction au profit de la Selas Julien Plouton en vertu de l’article 699 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Madame Paule POIREL, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

 


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