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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-4
ARRÊT AU FOND
DU 19 MAI 2022
N° 2022/
CM/FP-D
Rôle N° RG 19/03512 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BD37G
[E] [H]
SARL [H]
C/
[R] [Z]
Copie exécutoire délivrée
le :
19 MAI 2022
à :
Me Pascal AUBRY, avocat au barreau de GRASSE
Me Olivier ROMANI, avocat au barreau de NICE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NICE en date du 08 Février 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F17/00468.
APPELANTS
Monsieur [E] [H] liquidateur amiable de la SARL [H], demeurant [Adresse 1] / FRANCE
représenté par Me Pascal AUBRY, avocat au barreau de GRASSE
SARL [H] prise en la personne de son liquidateur amiable, demeurant [Adresse 1] / FRANCE
représentée par Me Pascal AUBRY, avocat au barreau de GRASSE
INTIME
Monsieur [R] [Z], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Olivier ROMANI, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 28 Février 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Catherine MAILHES, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Natacha LAVILLE, Présidente de chambre
Madame Frédérique BEAUSSART, Conseiller
Madame Catherine MAILHES, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Françoise PARADIS-DEISS.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 19 Mai 2022.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 19 Mai 2022
Signé par Madame Natacha LAVILLE, Présidente de chambre et Madame Françoise PARADIS-DEISS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
La société [H] (la société) est une société qui exploite une activité de commerce de bois et de matériaux de construction.
La convention collective nationale applicable est celle du négoce de bois d’oeuvre et de produits dérivés.
M.[Z] (le salarié) a été engagé par la société selon contrat à durée indéterminée à temps plein en qualité de vendeur, à compter du 1er novembre 2011 moyennant un salaire mensuel de 1980 euros pour 169 heures de travail mensuel.
Le salaire était de 2024,24 euros au dernier état de la relation.
Le 7 novembre 2016 l’employeur a informé ses salariés qu’il cessait son activité au plus tard le 31 décembre 2016.
Par courrier du 22 décembre 2016 le salarié a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique fixé le 9 janvier 2017.
Lors de l’entretien du 9 janvier 2017, il lui a été remis une proposition de contrat de sécurisation professionnelle et une note d’information sur la situation économique de l’entreprise.
Par courrier du 20 janvier 2017, la société a notifié au salarié les motifs économiques du licenciement.
Le salarié a accepté le contrat de sécurisation professionnelle le 30 janvier 2017, le dernier jour du délai pour l’accepter.
Le 19 mai 2017, M.[Z] a saisi le conseil de prud’hommes de Nice aux fins de voir déclarer sans cause réelle et sérieuse et abusif le licenciement, de voir la société [H] condamnée au paiement de sommes au titre de l’indemnité de prévis et congés payés afférents, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages et intérêts pour rupture abusive, d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, de dire que les créances salariales porteront intérêts au taux légal avec capitalisation à compter de la demande en justice.
La société [H] s’est opposée aux demandes du salarié et a sollicité à titre reconventionnel une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Selon jugement du 8 février 2019, le conseil de prud’hommes de Nice a :
requalifié le licenciement de M.[Z] en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
condamné la société [H] représentée par son liquidateur amiable à lui payer les sommes suivantes :
4.048,48 euros au titre de l’indemnité de préavis outre 404,85 euros au titre de l’indemnité de congés payés afférente,
12.145,44 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,
condamné la société [H] représentée par son liquidateur amiable M. [E] [H] à lui payer la somme de 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
débouté les parties de toutes leurs autres demandes,
condamné la partie défenderesse aux entiers dépens.
Selon déclaration électronique de son avocat au greffe de la cour le 28 février 2019, M. [H] en sa qualité de liquidateur amiable de la société [H] et la société [H] ont interjeté appel du jugement dans les formes et délais légaux, en ce qu’il a : requalifié le licenciement de M.[Z] en licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamné la société [H] représentée par son liquidateur amiable à lui payer les sommes de 4.048,48 euros au titre de l’indemnité de préavis outre 404,85 euros au titre de l’indemnité de congés payés afférente, 12.145,44 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive, en ce qu’il a condamné la société [H] représentée par son liquidateur amiable M. [E] [H] à lui payer la somme de 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en ce qu’il a débouté les parties de toutes leurs autres demandes, et en ce qu’il a condamné la partie défenderesse aux entiers dépens.
L’affaire a été enregistrée sous le n°19/3512.
Selon déclaration électronique de son avocat au greffe de la cour le 12 mars 2019, M.[Z] a régulièrement interjeté appel du jugement en l’absence de notification de celui-ci, en ce qu’il a limité les condamnations aux sommes de 12.145,44 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive et de 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en ce qu’il n’a pas dit que les créances salariales porteraient intérêts au taux légal capitalisé à compter de la demande en justice. L’affaire a été enregistrée sous le n°19/4183.
Les deux dossiers ont fait l’objet d’une jonction le 21 mars 2019 sous le n°19/3512.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe de la cour le 7 juin 2021, la société [H] en liquidation, prise en la personne de son liquidateur amiable en exercice demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris et de :
débouter M.[Z] de l’ensemble de ses demandes, fin et conclusions,
condamner M.[Z] à lui payer une somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Selon ses dernières conclusions remises au greffe de la cour le 7 juin 2021, M.[Z] faisant appel incident, demande à la cour de :
confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a considéré que le licenciement était dénué de cause réelle et sérieuse,
infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a limité la condamnation de la société [H] aux sommes de 12.145,44 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive et de 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
ce faisant,
dire et juger que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse,
condamner la société [H] à lui payer les sommes suivantes :
4.048,48 euros bruts à titre d’indemnité de préavis outre 404,85 euros bruts au titre de l’indemnité de congés payés afférente,
38.200 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,
dire que les créances salariales porteront intérêts au taux légal capitalisé à compter de la demande en justice,
condamner la société [H] au paiement de la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
La clôture des débats est intervenue le 14 février 2022 et l’affaire a été évoquée à l’audience du 28 février 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties il est fait expressément référence au jugement entrepris et aux conclusions des parties sus-visées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la rupture du contrat de travail
La société [H] fait grief au jugement entrepris d’avoir dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse en retenant l’existence de motifs cachés personnels au gérant en faisant valoir que :
– le salarié ne rapporte pas la preuve que la cessation d’activité trouve sa cause dans la décision du gérant de vendre les locaux d’exploitation dès lors que ceux-ci n’appartiennent pas à la société et que la vente du terrain n’est intervenue que le 13 décembre 2018, soit près d’un an après le licenciement ; cette vente n’est pas la cause mais la conséquence de la cessation d’activité ;
– la cause du licenciement est la cessation d’activité de la société sans que l’employeur ait à justifier de l’existence de difficultés économiques ; le conseil de prud’hommes qui s’est livré à une appréciation de l’existence des difficultés économiques a violé la loi et a en outre employé le verbe ‘sembler’, ôtant à sa décision tout base légale ;
– le salarié doit rapporter la preuve d’une faute de l’employeur ou de sa légèreté blâmable, mais qu’en l’occurrence, les moyens invoqués, relèvent du pouvoir de gestion de l’employeur dans lequel il s’immisce et qui sont inopérants ;
– postérieurement au licenciement, l’activité qui s’est poursuivie jusqu’en juillet 2017, n’était que résiduelle, pour les besoins de la liquidation ;
– elle a rempli son obligation de reclassement ; ne faisant pas partie d’un groupe de reclassement, elle a tout de même effectué des recherches externes au-delà de son obligation au sein du groupement d’achats GMT auquel elle adhérait et même auprès de certains de ses concurrents, alors qu’en raison de la cessation d’activité elle était dans l’impossibilité de faire la moindre proposition de poste de reclassement en interne.
Le salarié qui conclut à la confirmation soutient que le motif du licenciement ne trouve pas sa cause dans une cessation d’activité à raison de difficultés économiques mais en raison de la volonté de la famille [H] de réaliser une opération immobilière avantageuse, une demande de permis de construire ayant été déposée dès le 30 octobre 2017. Il estime que dès lors que l’employeur justifie la cessation d’activité par des difficultés économiques, il est tenu de démontrer la réalité et le sérieux de celles-ci, soutenant que les difficultés économiques ne doivent pas être la résultante de son comportement délibéré ou de sa légèreté blâmable.
Il fait valoir ainsi qu’au cours des mois précédant le licenciement, la société a artificiellement créé les difficultés économiques de façon à habiller la décision de cessation d’activité, notamment en ne prenant pas de nouveaux chantiers, en planifiant la fermeture de l’entreprise pour tous les ponts résultant des jours fériés de l’année 2016, en cessant de travailler avec l’un de ses plus gros fournisseurs de menuisier, la Sogal, entraînant des annulations de commande, en se contentant d’écouler les stocks présents et en diminuant les commandes de fourniture, en s’abstenant de procéder au remplacement de son vendeur-menuiserie, dont le contrat de travail était suspendu depuis le mois de mai 2016.
Il conteste la réalité de la diminution de la rémunération du gérant dès lors que des virements étaient effectués des comptes de la société au bénéfice de M. [H], et qu’un virement de 300 000 euros était effectué le 16 décembre 2016 sur le compte personnel des époux [H], ainsi que la réalité de l’état de santé du gérant, outre l’assertion selon laquelle il ne percevait plus de loyer et l’état de la trésorerie de l’entreprise qu’il estime florissante.
Il soutient par ailleurs que la société a cessé son activité seulement le 11 juillet 2017, soit près de 6 mois après le licenciement en sorte qu’à la date du licenciement, le motif invoqué n’était pas réel.
Il estime que la décision de cessation de l’activité procède d’une légèreté blâmable dès lors que toutes les possibilités de maintenir les emplois et l’activité n’ont pas été recherchées : aucune réflexion quant au changement des modalités d’exercice de l’activité préconisée par l’expert-comptable notamment par le développement du e-commerce, absence de suppression de quelques emplois pour réduire la masse salariale, abstention volontaire de remplacer de son commercial menuiserie en maladie, licenciement sans proposer une cession de l’entreprise aux salariés.
Il soutient également que l’obligation de reclassement n’a pas été respectée dès lors que l’employeur fait partie d’un groupe et qu’il n’a pas effectué les recherches au sein des 18 entreprises faisant partie de celui-ci, qu’il s’est même abstenu d’attendre d’avoir obtenu les réponses avant de notifier le licenciement aux salariés, qu’il s’est contenté de transmettre les coordonnées des entreprises concernées en laissant à la charge des salariés la responsabilité de les contacter.
1/ Sur le motif du licenciement
Aux termes de la lettre du 20 janvier 2017 d’information sur les motifs économiques du licenciement, s’agissant du courrier le plus complet, le salarié a été licencié pour les motifs suivants :
‘Comme nous vous l’avons indiqué lors de notre entretien du 9 janvier dernier, nous sommes contraints de procéder à votre licenciement pour motif économique.
Nous vous avions en effet annoncé lors de la consultation de l’ensemble du personnel le 7 novembre 2016 que notre société connaissait de graves difficultés économiques qui, couplé à mon état de santé, nous conduisait à envisager la cessation définitive d’activité de celle-ci.
Ces difficultés se traduisent par une baisse systématique du chiffre d’affaires depuis 4 années avec l’accroissement de celle-ci depuis l’année 2014.
Nous avions anticipé ces difficultés conjoncturelles puisque les associés, dont je fais parti, ont décidé à 2 reprises par procès-verbaux d’assemblée générale extraordinaire des 31 décembre 2010 et 10 décembre 2014 d’augmenter le capital social de plus de 40’000 € tout d’abord fin 2010 et de près de 90’000 € ensuite fin 2014.
Pour faire face aux difficultés annoncées, j’ai été également amené, en ma qualité de gérant à réduire de manière significative ma rémunération sur l’année 2015 ; réduction reconduite en 2016.
Le chiffre d’affaires a baissé de près de 30 % en 2 ans, passant de 2’066’823 € en 2014 à 1’765’077 € en 2015 et 1’476’856 € en 2016.
Bien évidemment, le seuil de rentabilité n’est plus atteint aujourd’hui.
Malgré ces efforts, pour l’exercice 2016, l’activité se soldera par une perte d’exploitation importante proche de 100’000 €.
En 2015, l’équilibre n’avait déjà été atteint au prix des efforts consentis et du maintien du montant des loyers, malgré l’évolution de l’indice de révision des loyers commerciaux, des facteurs locaux de commercialité et d’une valeur locative manifestement sous-évaluée.
En septembre 2016, nous avons été alertés par notre expert-comptable quant à une perte à prévoir en 2016, nous préconisant, en conclusion, un changement radical de l’exercice de notre activité sous peine de voir les pertes annuelles continuer à s’aggraver.
Cette situation est à l’évidence plus tenable sur la durée. La raison pour laquelle, conscient des enjeux tant sur les emplois concernés que sur le maintien d’une activité centenaire, nous avons tenté ces derniers mois de céder l’activité aux membres de notre groupement d’achat « GMT partenaire de la maison ».
Malgré l’intérêt d’une entreprise marseillaise, appartenant au moment GMT, aucune suite favorable n’a pu malheureusement être trouvée avec cette société notamment en raison de l’accroissement des pertes, une masse salariale trop élevée et de locaux désormais trop grands et trop couteau pour notre niveau d’activité.
La conjoncture économique et qui plus est actuellement défavorable et le développement croissant des ventes sur Internet n’invite pas à l’optimisme (…)
La société [H] ne fait partie d’aucun groupe, mais bénéficie d’une simple adhésion à un groupement d’achat, « GMT partenaire de la maison ».
Cette situation ne nous permet plus de faire face à la concurrence des grandes enseignes et de l’e-commerce.
Pour faire face à cette baisse désormais récurrente de l’activité, les marges de man’uvres sont limitées puisque nos charges de fonctionnement sont déjà réduites a minima, en ce compris un loyer commercial qui est quelque peu sous facturé. Qui plus est, il conviendrait, pour pérenniser l’entreprise, d’entreprendre des investissements importants et dont l’efficacité ne pourrait se ressentir qu’à moyen voir long terme. Il conviendrait également de réduire la masse salariale ce qui entraînerait des sacrifices en termes d’emploi. Nonobstant cela, rien ne permet de justifier que les mesures entreprendre de faire reculer situation inexorable.
Nous ne souhaitons pas, qui plus est, qu’il ne soit plus tard reproché d’avoir maintenu artificiellement une activité déficitaire.
Enfin, le dirigeant est associé majoritaire de la société [H] que je suis, n’a plus la santé et la force nécessaire pour faire face à cette situation. Vous n’êtes pas sans savoir que depuis 2011, d’important souci de santé ne me permet plus d’apporter ma pleine énergie à la société.
Le stress occasionné par des difficultés économiques rencontrées ces dernières années a provoqué chaque année une rechute et nuit par conséquent gravement à ma santé.
Nous vous avons exposé l’ensemble de ces faits lors de l’entretien préalable du 9 janvier dernier et à écouter attentivement vos observations.
Après mûre réflexion, celles-ci ont toutefois pas modifié notre après association à ce sujet et, nous n’avons donc pas d’autre alternative que de procéder à la cessation définitive d’activité de la société et par voie de conséquence à la fermeture définitive de notre seul et unique établissement.
Ce motif nous conduit malheureusement à supprimer l’ensemble des postes de travail de l’entreprise et par conséquent le vôtre.
Comme nous l’avons récemment indiqué par courrier recommandé du 4 janvier 2017, aucune solution de reclassement interne est envisageable.
Nous avons néanmoins élargi nos recherches de reclassement en externe et avons donc interrogé le groupement auxquelles adorèrent la société [H], à savoir « GMT partenaire de la maison ». À ce jour, nous n’avons malheureusement aucune réponse positive à notre demande mais ne manqueront de vous tenir scrupuleusement informer de toute suite qui serait donnée.
Nous avons également indiqué par le même courrier du 4 janvier dernier avoir interrogé en externes concurrents locaux pour connaître de postes susceptibles de vous intéresser (…)’
Selon les dispositions de l’article L.1233-3 du code du travail dans sa version applicable au litige, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :
1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :
a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;
b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;
c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;
d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus;
2° A des mutations technologiques ;
3° A une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;
4° A la cessation d’activité de l’entreprise.
La matérialité de la suppression, de la transformation d’emploi ou de la modification d’un élément essentiel du contrat de travail s’apprécie au niveau de l’entreprise.
En l’occurrence, le motif du licenciement est la cessation d’activité.
La cessation d’activité de l’entreprise constitue une cause de licenciement économique, nonobstant l’absence de difficultés économiques, d’une mutation technologique ou d’une menace sur sa compétitivité. Elle n’est écartée qu’en cas de faute de l’employeur ou légèreté blâmable de sa part, les juges du fond devant caractériser l’une ou l’autre lorsquelle est invoquée. La cessation d’activité de l’entreprise doit être complète et définitive.
Il n’est pas nécessaire de rechercher la cause de cette cessation d’activité quand elle n’est pas due à une faute ou à une légèreté blâmable de l’employeur.
Le maintien d’une activité résiduelle pour les besoins de la liquidation de la société ne remet pas en cause la cessation d’activité de l’entreprise comme motif économique de licenciement : Soc. 27 janvier 2009, n 07-43.774.
En cas de fermeture définitive et totale de l’entreprise, le juge ne peut, sans méconnaître l’autonomie de ce motif de licenciement, déduire la faute ou la légèreté blâmable de l’employeur de la seule absence de difficultés économiques ou, à l’inverse, déduire l’absence de faute de l’existence de telles difficultés, il ne lui est pas interdit de prendre en compte la situation économique de l’entreprise pour apprécier le comportement de l’employeur.
En l’espèce, la cessation d’activité a été complète et définitive en juillet 2017. Les comptes de la société font apparaître que l’activité n’était dans l’intervalle, que résiduelle, liée aux besoins de la liquidation (écoulement des stock, entretien mobilier) en sorte que le moyen tiré de l’absence de cessation complétée et définitive d’activité à la date du licenciement sera rejeté.
Si effectivement, un projet de construction d’un ensemble immobilier mené par le promoteur immobilier Immeuble Promotion était envisagé sur le terrain sur lequel était exploitée la société, il n’a débuté qu’en septembre 2017, neuf mois après le licenciement. Par ailleurs, les biens immobiliers sur lesquels l’entreprise exerçait son activité sont des biens dont elle est locataire, le gérant en étant le propriétaire et la vente immobilière n’a été conclue que le 13 décembre 2018, avec une entrée en jouissance en décembre 2019. Il ensuit que ces éléments sont insuffisants pour établir que la cessation de l’activité de l’entreprise trouve sa cause réelle dans le projet immobilier du gérant propriétaire des lieux.
L’analyse des pièces versées aux débats ne permet pas d’établir la preuve d’un comportement fautif de l’employeur dans la décision de cessation d’activité, ni que celle-ci procède d’une légèreté blâmable.
D’une part, il est justifié de l’état de santé précaire du gérant M. [H] qui était suivi par un médecin psychiatre depuis 2011 et très régulièrement depuis 2014, accréditant la dégradation de son état de santé dans les dernières années d’exploitation de l’entreprise et que c’est notamment pour cette raison qu’il a décidé de cesser son activité, comme il ressort également du courrier de l’entreprise Menuiseries [R] du 29 septembre 2016, qui n’est pas utilement contredit en ce qu’il y est indiqué ‘Je reviens vers vous dans le cadre de nos échanges téléphoniques des jours derniers. Vous m’avez informé de vos problèmes de santé et de votre décision d’arrêter votre activité en fin d’année…’.
D’autre part l’examen des bilans et comptes de résultat de la société démontrent que les résultats étaient en constante diminution depuis 2012 (73 426 euros) et 2013 ( 29.740 euros) pour aboutir en 2015 à un bénéfice limité à 5.970 euros et en 2016 à une perte de 448.654 euros intégrant une dotation aux amortissements, dépréciations et provisions de 222 009 euros.
L’expert comptable avait par courrier du 26 septembre 2016 alerté le gérant sur la situation de l’entreprise en indiquant que depuis près de quatre années, l’entreprise voyait son chiffre d’affaires se dégrader de telle sorte que son seuil de rentabilité n’était plus atteint, que le bénéfice de l’exercice 2015 n’avait été dû qu’à une diminution de sa rémunération, que les coûts de fonctionnement étaient à leur minimum, que les perspectives de l’année 2016, ne faisaient que confirmer cet état de fait, qu’une perte de l’ordre de 60KE étant même à envisager et que dans ces conditions, il ne pouvait que l’engager à envisager un changement radical d’exercice de son activité, à défaut de quoi les pertes continueraient à s’aggraver.
Cette présentation des faits n’est pas utilement contredite par le salarié. En effet, les comptes de résultat font apparaître une baisse de la rémunération du gérant de 20 000 euros sur l’année 2015 par rapport à 2014 et un maintien à 32.000 euros annuels en 2016, alors même que les documents produits ne sont pas antérieurs à l’année 2015.
Le virement de 300.000 euros opéré en décembre 2016 procède du droit de l’associé de solliciter le remboursement partiel du compte courant d’associé qu’il détenait à hauteur de 520 044,52 euros au 31 décembre 2015 passé à 255 572,04 euros au 31 décembre 2016, comme justifié par les comptes annuels émanant du cabinet d’expertise comptable In Extenso.
Il est également établi par les comptes de résultat versés aux débats que le montant des locations immobilières était resté identique au moins depuis 2013.
Il résulte des courriers de M. [R], à la direction générale des Menuiseries [R], membre du groupement GMT, en date des 29 septembre 2016 et 9 décembre 2016, qui ne sont pas utilement contredits par l’intimé, que c’est à la suite du courrier de l’expert comptable que le gérant a pris la décision d’arrêter son activité personnelle en fin d’année, compte tenu de son état de santé. Il a alors envisagé une reprise de la société par une autre, avant d’envisager la cessation d’activité de celle-ci, venant contredire l’existence d’une orchestration des difficultés économiques pour déguiser la réalité du motif de la cessation d’activité.
Le salarié qui invoque l’absence de nouveaux chantiers importants malgré les demandes de clients, n’apporte aucune pièce pour le justifier.
La fermeture de l’entreprise pendant les ponts de l’année 2016 en l’absence de tout élément de comparaison portant sur les années antérieures n’est pas révélatrice de la volonté de l’employeur d’altérer son chiffre d’affaires, alors même qu’en septembre 2016 seuls les ponts des jeudis de l’Ascension et du 14 juillet étaient passés.
Il est constant que la société a cessé de travailler avec son fournisseur Sogal au cours de l’année 2016. Toutefois, il ne s’agissait pas de son principal fournisseur puisque les achats réalisés auprès de cette entreprise se sont élevés à un montant cumulé de 28 345 euros HT au cours des années 2014 à 2015, alors que ceux auprès de la société Coulidoor s’élevaient à 129 428 euros. Aussi, le motif lié au fait que la société ne souhaitait pas participer aux frais d’exposition en show-room que ce fournisseur tentait de lui imposer est crédible. En outre, c’est à tort que le salarié prétend que la cessation des relations avec Sogal a entraîné l’annulation de commandes de clients comme les Ateliers Dupontin, puisque des factures étaient encore émises jusqu’au 30 novembre 2016 envers ce client.
La diminution de la valeur des stocks de marchandises (menuiserie et négoce) n’est pas révélatrice de la volonté de créer artificiellement des difficultés économiques. En effet, au cours de l’année 2016, les achats de marchandises n’ont diminué que de 10,33% et la diminution de la valeur du stock peut également être interprétée comme une modalité de gestion économe des deniers de l’entreprise qui s’achemine vers une gestion de flux.
Il ressort effectivement du courrier de l’entreprise Menuiserie [R] qui a étudié la situation financière de l’employeur pour, en définitive, rejeter la proposition de reprise qu’elle a mis l’accent sur la nécessaire restructuration de la société à raison d’une masse salariale importante avec des postes faisant double emploi et de l’absence de commerciaux en menuiserie préjudiciable à la remontée du chiffre d’affaires.
Il est certain que l’unique commercial en menuiserie, en plus du gérant, était en arrêt de travail depuis le mois de mai 2016. L’employeur ne justifie pas qu’il a fait des démarches pour procéder au remplacement de ce commercial mais la cour note que malgré la présence de deux commerciaux, les années précédentes, les produits d’exploitations résultant des ventes de marchandises comme de production, étaient fluctuants et sans lien nécessaire avec le nombre de commerciaux (ex : baisse de 2,2% en 2014, baisse de 16,23% en 2015) même si la baisse s’est encore accrue en passant à 23,59% en 2016.
Les éventuelles erreurs de gestion commises par le gérant ne sont pas en l’occurrence révélatrices d’une légèreté blâmable au regard de ses propres difficultés personnelles liées à son état de santé ni même d’une volonté de sa part de masquer le motif réel de la cessation d’activité, étant précisé que les salariés n’ont jamais fait de proposition de reprise de la société à leur employeur alors qu’ils avaient été informés du projet de l’employeur le 7 novembre 2016, soit plus d’un mois avant l’engagement de la procédure de licenciement.
Il s’ensuit que le licenciement économique en raison de la cessation d’activité de l’entreprise est justifié.
2/Sur l’obligation de reclassement
En application des dispositions de l’article L. 1233-4 du code du travail dans sa version applicable au litige, le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situé sur le territoire national de l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie.
Le reclassement d’un salarié s’effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, le reclassement s’effectue sur un emploi de catégorie inférieure. Les offres de reclassement sont écrites et précises.
La recherche des possibilités de reclassement du salarié doit s’apprécier à l’intérieur du groupe auquel appartient l’employeur parmi les entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel. La charge de la preuve du périmètre de reclassement n’incombe ni à l’une ni à l’autre des parties et il appartient au juge d’apprécier les éléments qui lui sont soumis par les parties.
Sauf dispositions conventionnelles étendant le périmètre du reclassement, l’employeur n’est pas tenu de rechercher des reclassements extérieurs à l’entreprise lorsqu’il n’appartient pas à un groupe.
La cessation d’activité de l’entreprise qui a eu pour effet la suppression de l’intégralité des postes en sein, empêche toute recherche de poste disponible en interne.
En externe, la société appartient au groupement GMT qui est un groupement de négociants indépendants spécialisés dans la distribution de menuiseries auprès des particuliers et des professionnelles dans le secteur Sud, Rhône Alpes et Sud Ouest, constitués de sociétés autonomes sans lien capitalistique. Seule la société menuiserie [R] est située dans le bassin économique de la provence -Côte d’Azur. Ces éléments ne font apparaître aucune gestion ou production communes et sont insuffisants pour démontrer, en l’absence d’autres pièces concernant l’existence d’une organisation, commune, que ce groupement permet d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel.
Il s’ensuit qu’en l’absence de groupe de reclassement, la recherche de reclassement n’avait pas à être effectuée en externe, en sorte qu’il ne saurait être fait grief à l’employeur de ne pas avoir attendu les réponses des membres du groupement pour procéder au licenciement et de s’être contentée de transmettre les coordonnées des entreprises concernées et ou la seule indication du type de postes vacants en laissant à la charge du salarié la responsabilité de les contacter et d’avoir transmis des informations incomplètes.
Il s’ensuit que l’employeur a rempli son obligation de reclassement.
En définitive, le licenciement du salarié est fondé sur une cause réelle et sérieuse et la demande du salarié tendant à dire que son licenciement est dépourvu de toute cause réelle et sérieuse sera rejetée.
Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a ‘requalifié’ le licenciement de M.[Z] en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les conséquences de la rupture
M.[Z] dont le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et qui a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle sera débouté de ses demandes d’indemnité de préavis et d’indemnité de congés payés afférente outre de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La décision de fermeture de l’entreprise a été annoncée le 7 novembre 2016 et la procédure de licenciement a été engagée le 22 décembre pour un licenciement qui a pris effet le 20 janvier 2017 licenciement plus de deux mois après l’annonce, sans qu’il ressorte l’existence de conditions brutales et vexatoires au cours de celui-ci ou d’élément constitutif d’un abus de droit. Aucune dissimulation des réelles raisons de la cessation d’activité ne résulte des faits de la cause. Le salarié sera en conséquence débouté de sa demande de dommages et intérêts distinct pour licenciement brutal et vexatoire ou constitutif d’un abus de droit.
Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a condamné le liquidateur amiable de la société à verser au salarié des dommages et intérêts distincts à ce titre.
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
Le salarié succombant sera condamné aux entiers dépens de l’appel. Il sera par conséquent débouté de toute demande d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a condamné le liquidateur amiable de la société à verser au salarié une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’équité ne commande pas pour autant de faire bénéficier la société en liquidation amiable de ces dispositions et elle sera déboutée de sa demande d’indemnité à ce titre.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l’article 450 du code de procédure civile;
Infirme le jugement entrepris dans la limite de la dévolution,
Statuant à nouveau dans cette limite,
Dit que le licenciement économique pour cessation d’activité repose sur une cause réelle et sérieuse ;
Déboute M.[Z] de l’intégralité de ses demandes ;
Déboute la société [H] prise en la personne de son liquidateur amiable de toutes autres demandes ;
Condamne M.[Z] aux entiers dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIERLE PRESIDENT