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CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 septembre 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 615 FS-D
Pourvoi n° A 19-21.995
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 7 SEPTEMBRE 2022
La société Mohamed Abdel Mohsen Al-Kharafi & fils, société de droit koweitien, dont le siège est [Adresse 1] (Égypte), a formé le pourvoi n° A 19-21.995 contre l’arrêt rendu le 6 juin 2019 par la cour d’appel de Versailles (16e chambre), dans le litige l’opposant à la société Libyan Investment Authority, dont le siège est [Adresse 2] (Libye), défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Hascher, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Mohamed Abdel Mohsen Al-Kharafi & fils, de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de la société Libyan Investment Authority, et l’avis de Mme Caron-Deglise, avocat général, après débats en l’audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Hascher, conseiller rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, MM. Avel, Guihal, Bruyère, conseillers, M. Vitse, Mmes Champ, Robin-Raschel, conseillers référendaires, Mme Caron-Deglise, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Versailles, 6 juin 2009), par actes séparés du 11 mars 2016, la société Mohamed Abdel Mohsen Al-Kharafi et fils (Al-Kahrafi), bénéficiaire d’une sentence arbitrale rendue au [Localité 3] contre l’Etat libyen, a, après avoir obtenu l’exequatur de cette décision, fait pratiquer, entre les mains de la Société générale une saisie-attribution des sommes détenues au nom de la Libyan Investment Authority (LIA), laquelle en a demandé la mainlevée.
2. Par un arrêt du 3 novembre 2021 (n° 653), il a été sursis à statuer jusqu’à la décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), saisie par un arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation (Ass. plén., 10 juillet 2020, pourvois n° 18-18.542 et 18-21.814) de la question de savoir si les dispositions d’un autre règlement européen, relatif à des mesures restrictives à l’égard de l’Iran et comportant une définition des mesures de gel analogue à celle du règlement (UE) n° 2016/44 du Conseil du 18 janvier 2016 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant le règlement (UE) n° 204/2011, s’opposaient à ce que soit diligentée sur des avoirs gelés, sans autorisation préalable de l’autorité nationale compétente, une mesure dépourvue d’effet attributif, telle qu’une saisie conservatoire.
3. Par un arrêt du 11 novembre 2021 (C-340/20), la CJUE a répondu à la question préjudicielle.
Examen du moyen
Sur les deux moyens, réunis
4. Par son premier moyen, la société Al-Kharafi fait grief à l’arrêt d’ordonner la mainlevée de la saisie-attribution pratiquée le 13 avril 2016 auprès de la Société générale option Europe à l’encontre de la société LIA, alors :
« 1°/ que lorsque les biens sont spécialement affectés à l’investissement privé, ils sont nécessairement utilisés à des fins de service public commerciales et partant ils ne sont pas couverts par l’immunité d’exécution ; qu’en décidant que les biens saisis étaient couverts par l’immunité d’exécution, quand elle constatait que les biens en cause étaient affectés à des opérations d’investissement et de réinvestissement, la cour d’appel a violé les principes de droit international relatifs à l’immunité d’exécution tels que révélés notamment par l’article L. 111-1-2 du code des procédures civiles d’exécution ainsi que par l’article 19 de la Convention des Nations Unies du 2 décembre 2004 et l’article 17 de l’annexe de ladite Convention ;
2°/ que, si les juges du fond ont considéré que les ressources dégagées par les opérations de placement tendaient in fine à favoriser le développement économique du peuple libyen et à maintenir son bien-être et sa prospérité, ils n’ont pas constaté, condition indispensable, que les fonds appréhendés étaient utilisés ou destinés à être utilisés à des fins de service public non commerciales ; qu’à cet égard, l’arrêt attaqué a été rendu en violation des principes de droit international relatifs à l’immunité d’exécution tels que révélés notamment par l’article L. 111-1-2 du code des procédures civiles d’exécution ainsi que par l’article 19 de la Convention des Nations Unies du 2 décembre 2004 ;
3°/ qu’il y ait ou non service public et que le service public soit ou non commercial, toute activité déployée par un Etat ou son émanation ne peut que poursuivre un intérêt général ; qu’à lui seul le critère fondé sur l’intérêt général n’est donc pas pertinent pour délimiter le champ de l’immunité d’exécution ; qu’ainsi, en se référant exclusivement à l’idée que les opérations de placement réalisées par la LIA servaient l’intérêt du peuple libyen, notamment en visant la résolution 1973 du 17 mars 2011 du Conseil de sécurité de l’ONU, pour décider que les fonds appréhendés étaient couverts par l’immunité d’exécution, les juges du fond ont violé les principes de droit international relatifs à l’immunité d’exécution tels que révélés notamment par l’article L. 111-1-2 du code des procédures civiles d’exécution ainsi que par l’article 19 de la Convention des Nations Unies du 2 décembre 2004 ;
4°/ qu’ au-delà des finalités générales assignées à l’entité détenant les biens, le point de savoir si l’immunité d’exécution peut s’appliquer suppose que les biens, eu égard à leur nature ou à leurs caractéristiques, soient utilisés ou destinés à être utilisés à des fins de service public non commerciales ; qu’en s’abstenant de s’expliquer, comme ils y étaient invités, sur la nature des placements, leurs caractéristiques et le point de savoir à quoi ils étaient affectés, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des principes de droit international relatifs à l’immunité d’exécution tels que révélés notamment par l’article L. 111-1-2 du code des procédures civiles d’exécution ainsi que par l’article 19 de la Convention des Nations Unies du 2 décembre 2004 ;
5°/ que l’adoption des motifs du premier juge, fût-elle présumée à raison de la confirmation du jugement, postule en tout état de cause un réexamen par les juges d’appel, dans le cadre de l’effet dévolutif de l’appel, de la question tranchée par le premier juge ; que tel n’est pas le cas si, comme en l’espèce et s’agissant de la qualité d’émanation de la LIA, le juge d’appel retient à titre de simple hypothèse une solution contraire à celle retenue par le premier juge sur le point en cause ; qu’ainsi, sans qu’on puisse s’arrêter aux motifs du jugement, l’arrêt doit être cassé pour violation des principes de droit international relatifs à l’immunité d’exécution tels que révélés notamment par l’article L. 111-1-2 du code des procédures civiles d’exécution ainsi que par l’article 19 de la Convention des Nations Unies du 2 décembre 2004 ;
6°/ qu’en tout cas, les juges du second degré ne peuvent se borner à adopter les motifs du premier juge que si, sur le point en débat, aucun moyen nouveau n’est invoqué, ni aucune pièce nouvelle produite en cause d’appel ; qu’en l’espèce, il résulte de la comparaison des conclusions d’appel de la société AL-KHARAFI et des conclusions de première instance de cette société, que la qualité d’émanation de l’Etat de la LIA a été fondée, en cause d’appel, sur des éléments non invoqués en première instance ; qu’ainsi elle a notamment produit des éléments démontrant la reconnaissance par la communauté internationale de la qualité d’émanation de la LIA (conclusions d’appel p. 15 et p. 25 et pièces n° 43 et 49), des nouvelles preuves de l’entière subordination de la LIA à l’Etat (par ex., conclusions d’appel, p. 17, et pièce n° 53) et de son absence de patrimoine propre (par ex., conclusions, p. 22-23 et pièce n° 37) ; qu’à cet égard, les motifs du jugement ne peuvent justifier l’arrêt ; que celui-ci doit être censuré pour violation des principes de droit international relatifs à l’immunité d’exécution tels que révélés notamment par l’article L. 111-1-2 du code des procédures civiles d’exécution ainsi que par l’article 19 de la Convention des Nations Unies du 2 décembre 2004 ;
7°/ que, plus subsidiairement, doit être qualifiée d’émanation, l’entité dépourvue d’autonomie fonctionnelle et de patrimoine propre ; que la société Al-Kharafi a montré que la LIA est une personne morale de droit public libyen, qu’elle appartient à 100 % à l’État libyen, qu’elle est subordonnée à l’État libyen, que les organes de direction et de contrôle de la LIA sont désignés par le gouvernement libyen, que la majorité absolue des membres de ces organes est composée des membres du gouvernement libyen, qu’elle intervient pour le compte de l’État libyen qui l’a créée, qu’elle réalise les objectifs économiques de l’État libyen et que son activité tend in fine à l’enrichir, que ses employés sont des fonctionnaires publics, qu’elle n’a aucune politique d’investissement autonome, qu’elle est financée par l’État libyen, que son budget est intégré dans le budget de l’Etat, que ses revenus n’ont pas pour objet de développer ses fonds propres mais d’alimenter les caisses de l’Etat ; que la société Al Kharafi a également démontré que l’Etat libyen détermine le sort des revenus dégagés par la LIA ; que ses bénéfices sont versés à l’Etat libyen, que son patrimoine ne fait qu’un avec celui de l’État libyen et se confond avec lui, qu’elle n’a pas la libre disposition des avoirs qu’elle détient, qu’elle ne dispose pas d’une comptabilité propre, que l’État libyen se comporte comme le véritable propriétaire des biens détenus par la LIA, que les biens détenus par la LIA appartiennent à l’État libyen ; qu’il résultait de ces éléments que la LIA devait être qualifiée d’émanation de l’Etat libyen ; qu’en décidant le contraire, les juges du fond ont violé le principe de droit international selon lequel le créancier peut appréhender un bien appartenant à une entité pour obtenir le paiement d’une créance contre l’Etat dès lors que cette entité constitue une émanation de l’Etat. »
5. Par son second moyen, la société Al-Kharafi fait le même grief à l’arrêt, alors :
1°/ qu’en cas de recours à l’arbitrage, l’engagement des parties, et notamment d’un Etat, d’exécuter la sentence arbitrale vaut renonciation à l’immunité d’exécution ; qu’à supposer que la clause compromissoire n’ait pas formellement visé l’annexe de la Convention unifiée pour l’investissement des capitaux arabes dans les pays arabes du 26 novembre 1980, de toute façon l’article 26 de la Convention stipulait que l’arbitrage devait se dérouler conformément aux règles et procédures figurant dans l’annexe de la convention et précisait que cette annexe constituait une partie intégrante de la Convention ; qu’en s’abstenant de rechercher si, à ce titre, l’article 2-8 de l’annexe n’était pas applicable, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard de l’article 26 de la Convention unifiée pour l’investissement des capitaux arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980, ensemble au regard du principe d’autonomie ;
2°/ que les parties avaient des positions concordantes quant à l’application de l’article 34.2 du règlement de procédure du Centre régional d’arbitrage de commerce international du [Localité 3] dans la mesure notamment où la LIA énonçait : « l’article 34.2 du règlement de procédure du Centre régional d’arbitrage du [Localité 3] appliqué par les parties à l’arbitrage, dispose quant à lui que…) (p. 51, antépénultième §) ; qu’en énonçant, pour écarter l’article 34-2 que ce texte n’est pas davantage visé par la clause compromissoire, les juges du fond ont méconnu les termes du litiges et violé l’article 4 du code de procédure civile ;
3°/ que, faute d’avoir indiqué pour quelles raisons l’article 34.2 devait être écarté hormis la référence inopérante à l’absence de visa dans la clause compromissoire, quand les parties avaient considéré que le texte était applicable, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard de l’article 34.2 du règlement de procédure du Centre régional d’arbitrage du [Localité 3] et du principe d’autonomie ;
4°/ qu’en tout cas, en vertu des principes du droit international régissant les immunités des États étrangers, l’engagement pris par l’Etat signataire de la clause d’arbitrage d’exécuter la sentence conformément à l’article 34-2 du règlement de procédure du centre régional d’arbitrage du commerce international du [Localité 3] lequel, vaut renonciation à son immunité d’exécution ; qu’en jugeant le contraire, la cour d’appel a violé les principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers, ensemble l’article 34-2 du règlement de procédure du centre régional d’arbitrage du [Localité 3].
Réponse de la Cour
6. L’article 1 du règlement (UE) n° 2016/44 du Conseil du 18 janvier 2016 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant le règlement (UE) n° 204/2011 et l’article L. 211-2 du code des procédures civiles d’exécution dispose :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
a) « fonds », les actifs financiers et les avantages économiques de toute nature, y compris et notamment, mais pas exclusivement :
i) le numéraire, les chèques, les créances en numéraire, les traites, les ordres de paiement et autres instruments de paiement ;
ii) les dépôts auprès d’établissements financiers ou d’autres entités, les soldes en comptes, les créances et les titres de créances ;
iii) les titres de propriété et d’emprunt, tels que les actions et autres titres de participation, les certificats représentatifs de valeurs mobilières, les obligations, les billets à ordre, les warrants, les obligations non garanties et les contrats sur produits dérivés, qu’ils soient négociés en Bourse ou fassent l’objet d’un placement privé ;
iv) les intérêts, les dividendes ou autres revenus d’actifs ou plus-values perçus sur des actifs ;
[…]
b) « gel des fonds », toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds ou tout accès à ceux-ci qui aurait pour conséquence une modification de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l’utilisation, y compris la gestion de portefeuilles. »
7. Selon l’article 5 § 4 du même règlement, tous les fonds et ressources économiques qui appartiennent aux entités énumérées à l’annexe VI, parmi lesquelles figure la LIA, ou que celles-ci avaient en leur possession, détenaient ou contrôlaient à la date du 16 septembre 2011 et qui se trouvaient en dehors de Libye à cette date restent gelés.
8. L’article 11 § 2 du même règlement dispose :
« 2. Par dérogation à l’article 5, paragraphe 4, et pour autant qu’un paiement soit dû au titre d’un contrat ou d’un accord conclu ou d’une obligation souscrite par la personne, l’entité ou l’organisme concerné avant la date de sa désignation par le Conseil de sécurité ou le comité des sanctions, les autorités compétentes des États membres, mentionnées sur les sites internet énumérés à l’annexe IV, peuvent autoriser, dans les conditions qu’elles jugent appropriées, le déblocage de certains fonds ou ressources économiques gelés, pour autant que les conditions suivantes soient réunies :
a) l’autorité compétente concernée a établi que le paiement n’enfreint pas l’article 5, paragraphe 2, ni ne profite à une entité visée à l’article 5, paragraphe 4 ;
b) l’État membre concerné a notifié au comité des sanctions, dix jours ouvrables à l’avance, son intention d’accorder une autorisation. »
9. Le quatrième dispose :
« L’acte de saisie emporte, à concurrence des sommes pour lesquelles elle est pratiquée, attribution immédiate au profit du saisissant de la créance saisie, disponible entre les mains du tiers ainsi que de tous ses accessoires. Il rend le tiers personnellement débiteur des causes de la saisie dans la limite de son obligation.
La notification ultérieure d’autres saisies ou de toute autre mesure de prélèvement, même émanant de créanciers privilégiés, ainsi que la survenance d’un jugement portant ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ne remettent pas en cause cette attribution.
Toutefois, les actes de saisie notifiés au cours de la même journée entre les mains du même tiers sont réputés faits simultanément. Si les sommes disponibles ne permettent pas de désintéresser la totalité des créanciers ainsi saisissants, ceux-ci viennent en concours.
Lorsqu’une saisie-attribution se trouve privée d’effet, les saisies et prélèvements ultérieurs prennent effet à leur date. »
10. La CJUE a été saisie par l’Assemblée plénière d’une question préjudicielle portant sur l’interprétation du règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil, du 19 avril 2007, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran, dont l’article 1° dispose :
« Aux seules fins du présent règlement, on entend par :
[…]
h) « gel des fonds », toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds qui aurait pour conséquence un changement de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l’utilisation, notamment la gestion de portefeuilles. »
11. De cette définition, la CJUE déduit que « la notion de “gel des fonds” englobe toute utilisation de fonds ayant pour conséquence, notamment, un changement de la destination de ces fonds, même si une telle utilisation des fonds n’a pas pour effet de faire sortir des biens du patrimoine du débiteur » (§ 49).
12. La CJUE ajoute que cette interprétation est corroborée par les considérants du règlement 423/2007, selon lesquels :
– « les mesures restrictives adoptées contre la République islamique d’Iran ont une vocation préventive en ce sens qu’elles visent à empêcher un risque de prolifération nucléaire dans cet Etat » (§ 52 et 54) ;
– « les mesures de gel des fonds et des ressources économiques visent par conséquent à éviter que l’avoir concerné par une mesure de gel soit utilisé pour procurer des fonds, des biens ou des services susceptibles de contribuer à la prolifération nucléaire en Iran » (§ 55) ;
– « pour atteindre ces buts, il est non seulement légitime, mais également indispensable que les définitions des notions de “gel des fonds” et de “gel des ressources économiques” revêtent une interprétation large parce qu’il s’agit d’empêcher toute utilisation des avoirs gelés qui permettrait de contourner les règlements en cause et d’exploiter les failles du système » (§ 56).
13. La CJUE ajoute qu’elle « a déjà jugé que l’importance des objectifs poursuivis par un acte de l’Union établissant un régime de mesures restrictives est de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs, y compris pour ceux qui n’ont aucune responsabilité quant à la situation ayant conduit à l’adoption des mesures concernées, mais qui se trouvent affectés notamment dans leurs droits de propriété […] de sorte que la circonstance que la cause de la créance à recouvrer sur la personne ou l’entité dont les fonds ou les ressources économiques sont gelés est étrangère au programme nucléaire et balistique iranien et antérieure à la résolution 1737 (2006) n’est pas pertinente » (§ 66 et 67).
14. Les mesures de gel sont définies en termes similaires par le règlement concernant l’Iran et par celui relatif à la Libye. Les considérants de celui-ci, comme ceux du règlement concernant l’Iran, soulignent la portée préventive des mesures de gel, en l’occurrence la prévention de « la menace que représentent les personnes et entités qui possèdent ou contrôlent des fonds publics libyens détournés sous l’ancien régime de [U] [B], susceptibles d’être utilisés pour mettre en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye, ou pour entraver ou compromettre la réussite de sa transition politique » (2ème considérant).
15. Il en résulte que ne peut être diligentée, sur des fonds ou des ressources économiques gelés, aucune mesure d’exécution qui aurait pour effet, non seulement de les faire sortir du patrimoine du débiteur, mais aussi de conférer au créancier poursuivant un simple droit de préférence, sans une autorisation préalable du directeur du Trésor, autorité nationale désignée en application de l’article 11 § 2 du règlement n° 2016/44, une telle interprétation étant indispensable pour assurer l’efficacité des mesures restrictives, quels qu’en soient les effets sur les créanciers étrangers aux détournements de fonds publics opérés sous l’ancien régime libyen.
16. Il ressort de l’arrêt que la société Al-Kharafi n’a pas sollicité l’autorisation du directeur du Trésor préalablement aux saisies.
17. Il en résulte que la mainlevée des saisies ne pouvait qu’être ordonnée.
18. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée.
Réponse de la Cour
6. L’article 1 du règlement (UE) n° 2016/44 du Conseil du 18 janvier 2016 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant le règlement (UE) n° 204/2011 et l’article L. 211-2 du code des procédures civiles d’exécution dispose :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
a) « fonds », les actifs financiers et les avantages économiques de toute nature, y compris et notamment, mais pas exclusivement :
i) le numéraire, les chèques, les créances en numéraire, les traites, les ordres de paiement et autres instruments de paiement ;
ii) les dépôts auprès d’établissements financiers ou d’autres entités, les soldes en comptes, les créances et les titres de créances ;
iii) les titres de propriété et d’emprunt, tels que les actions et autres titres de participation, les certificats représentatifs de valeurs mobilières, les obligations, les billets à ordre, les warrants, les obligations non garanties et les contrats sur produits dérivés, qu’ils soient négociés en Bourse ou fassent l’objet d’un placement privé ;
iv) les intérêts, les dividendes ou autres revenus d’actifs ou plus-values perçus sur des actifs ;
[…]
b) « gel des fonds », toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds ou tout accès à ceux-ci qui aurait pour conséquence une modification de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l’utilisation, y compris la gestion de portefeuilles. »
7. Selon l’article 5 § 4 du même règlement, tous les fonds et ressources économiques qui appartiennent aux entités énumérées à l’annexe VI, parmi lesquelles figure la LIA, ou que celles-ci avaient en leur possession, détenaient ou contrôlaient à la date du 16 septembre 2011 et qui se trouvaient en dehors de Libye à cette date restent gelés.
8. L’article 11 § 2 du même règlement dispose :
« 2. Par dérogation à l’article 5, paragraphe 4, et pour autant qu’un paiement soit dû au titre d’un contrat ou d’un accord conclu ou d’une obligation souscrite par la personne, l’entité ou l’organisme concerné avant la date de sa désignation par le Conseil de sécurité ou le comité des sanctions, les autorités compétentes des États membres, mentionnées sur les sites internet énumérés à l’annexe IV, peuvent autoriser, dans les conditions qu’elles jugent appropriées, le déblocage de certains fonds ou ressources économiques gelés, pour autant que les conditions suivantes soient réunies :
a) l’autorité compétente concernée a établi que le paiement n’enfreint pas l’article 5, paragraphe 2, ni ne profite à une entité visée à l’article 5, paragraphe 4 ;
b) l’État membre concerné a notifié au comité des sanctions, dix jours ouvrables à l’avance, son intention d’accorder une autorisation. »
9. Le quatrième dispose :
« L’acte de saisie emporte, à concurrence des sommes pour lesquelles elle est pratiquée, attribution immédiate au profit du saisissant de la créance saisie, disponible entre les mains du tiers ainsi que de tous ses accessoires. Il rend le tiers personnellement débiteur des causes de la saisie dans la limite de son obligation.
La notification ultérieure d’autres saisies ou de toute autre mesure de prélèvement, même émanant de créanciers privilégiés, ainsi que la survenance d’un jugement portant ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ne remettent pas en cause cette attribution.
Toutefois, les actes de saisie notifiés au cours de la même journée entre les mains du même tiers sont réputés faits simultanément. Si les sommes disponibles ne permettent pas de désintéresser la totalité des créanciers ainsi saisissants, ceux-ci viennent en concours.
Lorsqu’une saisie-attribution se trouve privée d’effet, les saisies et prélèvements ultérieurs prennent effet à leur date. »
10. La CJUE a été saisie par l’Assemblée plénière d’une question préjudicielle portant sur l’interprétation du règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil, du 19 avril 2007, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran, dont l’article 1° dispose :
« Aux seules fins du présent règlement, on entend par :
[…]
h) « gel des fonds », toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds qui aurait pour conséquence un changement de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l’utilisation, notamment la gestion de portefeuilles. »
11. De cette définition, la CJUE déduit que « la notion de “gel des fonds” englobe toute utilisation de fonds ayant pour conséquence, notamment, un changement de la destination de ces fonds, même si une telle utilisation des fonds n’a pas pour effet de faire sortir des biens du patrimoine du débiteur » (§ 49).
12. La CJUE ajoute que cette interprétation est corroborée par les considérants du règlement 423/2007, selon lesquels :
– « les mesures restrictives adoptées contre la République islamique d’Iran ont une vocation préventive en ce sens qu’elles visent à empêcher un risque de prolifération nucléaire dans cet Etat » (§ 52 et 54) ;
– « les mesures de gel des fonds et des ressources économiques visent par conséquent à éviter que l’avoir concerné par une mesure de gel soit utilisé pour procurer des fonds, des biens ou des services susceptibles de contribuer à la prolifération nucléaire en Iran » (§ 55) ;
– « pour atteindre ces buts, il est non seulement légitime, mais également indispensable que les définitions des notions de “gel des fonds” et de “gel des ressources économiques” revêtent une interprétation large parce qu’il s’agit d’empêcher toute utilisation des avoirs gelés qui permettrait de contourner les règlements en cause et d’exploiter les failles du système » (§ 56).
13. La CJUE ajoute qu’elle « a déjà jugé que l’importance des objectifs poursuivis par un acte de l’Union établissant un régime de mesures restrictives est de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs, y compris pour ceux qui n’ont aucune responsabilité quant à la situation ayant conduit à l’adoption des mesures concernées, mais qui se trouvent affectés notamment dans leurs droits de propriété […] de sorte que la circonstance que la cause de la créance à recouvrer sur la personne ou l’entité dont les fonds ou les ressources économiques sont gelés est étrangère au programme nucléaire et balistique iranien et antérieure à la résolution 1737 (2006) n’est pas pertinente » (§ 66 et 67).
14. Les mesures de gel sont définies en termes similaires par le règlement concernant l’Iran et par celui relatif à la Libye. Les considérants de celui-ci, comme ceux du règlement concernant l’Iran, soulignent la portée préventive des mesures de gel, en l’occurrence la prévention de « la menace que représentent les personnes et entités qui possèdent ou contrôlent des fonds publics libyens détournés sous l’ancien régime de [U] [B], susceptibles d’être utilisés pour mettre en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye, ou pour entraver ou compromettre la réussite de sa transition politique » (2ème considérant).
15. Il en résulte que ne peut être diligentée, sur des fonds ou des ressources économiques gelés, aucune mesure d’exécution qui aurait pour effet, non seulement de les faire sortir du patrimoine du débiteur, mais aussi de conférer au créancier poursuivant un simple droit de préférence, sans une autorisation préalable du directeur du Trésor, autorité nationale désignée en application de l’article 11 § 2 du règlement n° 2016/44, une telle interprétation étant indispensable pour assurer l’efficacité des mesures restrictives, quels qu’en soient les effets sur les créanciers étrangers aux détournements de fonds publics opérés sous l’ancien régime libyen.
16. Il ressort de l’arrêt que la société Al-Kharafi n’a pas sollicité l’autorisation du directeur du Trésor préalablement aux saisies.
17. Il en résulte que la mainlevée des saisies ne pouvait qu’être ordonnée.
18. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée.