Your cart is currently empty!
JN/SB
Numéro 22/3707
COUR D’APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 20/10/2022
Dossier : N° RG 20/00811 – N° Portalis DBVV-V-B7E-HQUS
Nature affaire :
A.T.M.P. : demande d’un employeur contestant une décision d’une caisse
Affaire :
S.A.S. [3]
C/
CPAM DES LANDES
Grosse délivrée le
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 20 Octobre 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l’audience publique tenue le 08 Septembre 2022, devant :
Madame NICOLAS, magistrat chargé du rapport,
assistée de Madame LAUBIE, greffière.
Madame NICOLAS, en application de l’article 945-1 du Code de Procédure Civile et à défaut d’opposition a tenu l’audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame NICOLAS, Présidente
Madame SORONDO, Conseiller
Madame PACTEAU, Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l’affaire opposant :
APPELANTE :
S.A.S. [3]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Maître TARDY, avocat au barreau de Pau, loco Maître RIGAL de la SELARL ONELAW, avocat au barreau de LYON
INTIMEE :
CPAM DES LANDES
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Maître SERRANO loco Maître BARNABA, avocat au barreau de PAU
sur appel de la décision
en date du 07 FEVRIER 2020
rendue par le POLE SOCIAL DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MONT DE MARSAN
RG numéro : 16/00924
FAITS ET PROCÉDURE
Le 7 avril 2016, M. [Y] [K] (le salarié), mécanicien maintenance de la société [3] (l’employeur) depuis 2006, a adressé à la caisse primaire d’assurance maladie des Landes (la caisse ou l’organisme social) une demande de reconnaissance de maladie professionnelle, accompagnée d’un certificat médical initial du 24 juillet 2015, faisant tous deux mention d’un «syndrome myéloprolifératif».
Le 4 juillet 2016, après instruction, la caisse, a notifié à l’employeur, sa décision de prendre en charge, au titre de la législation professionnelle, la maladie déclarée de «syndrome myéloprolifératif», comme inscrite au tableau n° 4 des maladies professionnelles.
L’employeur a contesté l’opposabilité à son égard de la décision de prise en charge ainsi qu’il suit :
– le 2 septembre 2016 devant la commission de recours amiable (CRA) de l’organisme social, laquelle a, par décision du 22 septembre 2016, rejeté la contestation,
– le 25 novembre 2016, devant le tribunal des affaires de sécurité sociale des Landes, devenu le pôle social du tribunal judiciaire de Mont de Marsan, en contestation de la décision de rejet de la CRA.
Par jugement du 7 février 2020, le pôle social du tribunal judiciaire de Mont de Marsan a :
– déclaré opposable à l’employeur la décision de la caisse tendant à la prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de la maladie déclarée le 7 avril 2016 par le salarié, ainsi que toutes les conséquences qui en découlent,
– débouté les parties de toute demande plus ample,
– condamné l’employeur aux dépens engagés à compter du 1er janvier 2019.
Cette décision a été notifiée, par lettre recommandée avec avis de réception, reçue de chacune des parties le 24 février 2020.
Le 6 mars 2020, par lettre recommandée avec accusé de réception adressée au greffe de la cour, l’employeur en a régulièrement interjeté appel.
Selon avis de convocation du 21 mars 2022, contenant calendrier de procédure, les parties ont été régulièrement convoquées à l’audience du 8 septembre 2022, à laquelle elles ont comparu.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Selon conclusions visées par le greffe le 23 mai 2022, reprises oralement à l’audience de plaidoirie, et auxquelles il est expressément renvoyé, l’employeur, la société [3], appelante, conclut à l’infirmation du jugement déféré, et statuant à nouveau, demande à la cour de :
-juger que la caisse ne justifie pas de la réunion des conditions médico-légales du tableau n°4 des maladies professionnelles, et précisément des conditions relatives à l’exposition du risque et à la durée d’exposition minimum,
– en conséquence,
– lui déclarer inopposable la décision de prise en charge, au titre de la législation sur les risques professionnels, de la maladie du 24 juillet 2015 du salarié, de même que toutes les conséquences financières y afférentes,
– en tout état de cause,
– débouter la caisse de toutes ses demandes, fins et prétentions, et la condamner aux dépens.
Selon conclusions transmises par RPVA le 22 juin 2022, reprises oralement à l’audience de plaidoirie, et auxquelles il est expressément renvoyé, l’organisme social, la CPAM des Landes, intimée, conclut à la confirmation du jugement déféré, en toutes ses dispositions, et à la condamnation de l’employeur à lui payer la somme de 800 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’à supporter les entiers dépens de première instance et d’appel.
SUR QUOI LA COUR
En application des dispositions de l’article L461-1 du code de la sécurité sociale, « est présumée d’origine professionnelle, toute maladie désignée dans un tableau et contractée dans les conditions qui y sont décrites ».
À ce titre, la maladie telle qu’elle est désignée dans les tableaux des maladies professionnelles est celle définie par les éléments de description et les critères d’appréciation fixés par chacun de ces tableaux.
Au cas particulier, la maladie professionnelle retenue par l’organisme social, est désignée par le tableau numéro 4 relatif aux hémopathies provoquées par le benzène et tous les produits en renfermant.
Les parties sont en désaccord sur le point de savoir si cette maladie professionnelle est effectivement caractérisée ou non conformément aux exigences du tableau n° 4, et concomitamment si la décision de prise en charge est opposable à l’employeur.
La contestation de l’employeur, consiste exclusivement à soutenir, contrairement à l’analyse du premier juge, que n’est pas remplie la condition de l’exposition au risque, de même qu’à la durée d’exposition au risque, faisant valoir que le salarié n’a jamais été exposé au benzène lorsqu’il travaillait au sein de l’entreprise, et que le seul élément sur lequel s’est fondé le premier juge, pour retenir le contraire, mais pas de nature à démontrer que les conditions d’exposition au risque prévu par le tableau n° 4, sont remplies.
Il rappelle pour les approuver, les motifs par lesquels, la même juridiction du pôle social du tribunal judiciaire de Mont-de-Marsan, saisie par le même salarié, d’une action visant à reconnaître la faute inexcusable de l’employeur dans la survenance de la maladie objet du présent litige, a estimé que le caractère professionnel de cette maladie ne pouvait être retenu.
La caisse, au contraire, au visa de l’article L461-1 code de la sécurité sociale, des termes du tableau n° 4, et par des conclusions au détail desquelles il est expressément renvoyé, estime que les éléments du dossier permettent de confirmer le jugement déféré.
Sur ce,
Le tableau n° 4 des maladies professionnelles, désigne notamment la maladie de « syndromes myéloprolifératifs », prévoit un délai de prise en charge de 20 ans, sous réserve d’une durée d’exposition de 6 mois, et au titre de la liste indicative des travaux susceptibles de provoquer ces maladies, est libellé en ces termes :
« Opérations de production, transport et utilisation du benzène et autres produits renfermant du benzène, notamment :
– production, extraction, rectification du benzène et des produits en renfermant ;
– emploi du benzène et des produits en renfermant pour la production de leurs dérivés, notamment en organosynthèse ;
– préparation des carburants renfermant du benzène, transvasement, manipulation de ces carburants, travaux en citerne ;
– emplois divers du benzène comme dissolvant des résines naturelles ou synthétiques ;
– production et emploi de vernis, peintures, émaux, mastics, encre, colles, produits d’entretien renfermant du benzène ;
– fabrication de simili-cuir ;
– production, manipulation et emploi des dissolutions de caoutchouc naturel ou synthétique, ou des solvants d’avivage contenant du benzène ;
– autres emplois du benzène ou des produits en renfermant comme agent d’extraction, d’élution, d’imprégnation, d’agglomération ou de nettoyage et comme décapant, dissolvant ou diluant ;
– opérations de séchage de tous les produits, articles, préparations, substances où le benzène (ou les produits en renfermant) est intervenu comme agent d’extraction, d’élution, de séparation, d’imprégnation, d’agglomération, de nettoyage, de concentration, et comme décapant, dissolvant ou diluant ;
– emploi du benzène comme déshydratant des alcools et autres substances liquides ou solides ;
– emploi du benzène comme dénaturant ou réactif de laboratoire ;
– poste de nettoyage, curage, pompage des boues de fosses de relevage dans le traitement des eaux usées de raffinerie. »
Au soutien de sa démonstration de l’exposition au risque prévu par le tableau n° 4, la caisse produit l’enquête administrative qu’elle a diligentée, les éléments recueillis à cette occasion, ainsi que le colloque médico administratif de maladie professionnelle en date du 9 juin 2016.
Conformément aux développements de l’employeur, l’étude de ces documents permet de retenir que :
-le salarié, né en mai 1961, a déclaré avoir, au cours de sa carrière ayant précédé son embauche le 1er juin 2006, par la société employeur en la cause, avoir été embauché dans plus de 30 entreprises, pour des mêmes travaux de « maintenance mécanique, serrurerie, chaudronnerie, réparation, fabrication, entretien », l’enquête menée par la caisse, en page 3, de même que le curriculum vitae établi par le salarié à l’occasion de cette enquête, confirmant ces déclarations,
-le salarié, dans son questionnaire, indique que la maladie dont il est atteint serait à son avis d’origine professionnelle, comme ayant été déclenchée par « des produits à base de benzène et autre produits en renfermant et produits dérivés », et indique avoir exécuté des opérations de nettoyage de pièces, et de peinture,à l’aide de produits dégrippant, dégraissant, à base de benzène, faisant état « d’inhalation de gaz chez [5] »,
– l’enquêteur de la caisse, qui a entendu les parties, rappelle que le salarié ne sait pas exactement les emplois qui l’auraient exposé au benzène ou aux produits en renfermant ; l’enquêteur retranscrit ainsi page 4 à 6, les déclarations du salarié, relatives aux nombreux emplois successifs qu’il a exercés, et ce depuis son service militaire (1979 à 1980), jusqu’à son dernier emploi depuis 2006 avec la société « [5] », s’agissant de l’employeur dans la cause, le salarié déclarant de manière répétée mais sans plus de précision pour l’essentiel de ces emplois, qu’il a utilisé dans l’exercice de ses fonctions, des graisses, du dégrippant et toute huile, hydraulique, de moteur’
– si l’employeur reconnaît que l’entreprise utilisait un produit contenant du benzène (AK12), aucun élément ne permet de le contredire, lorsqu’il indique que ce produit a cessé d’être utilisé par l’entreprise à compter de l’année 2002, c’est-à-dire antérieurement à l’embauche du salarié,
– le seul élément faisant état de benzène ou de ses dérivés, est une « fiche de données de sécurité », produite par le salarié lors de l’enquête, relative à un « diluant de nettoyage », correspondant au code « DN 01 SANS N », établie la société «[6] », dont il est constant qu’elle fait le commerce de gros de combustible et produits annexes.
Or, si conformément à l’observation du premier juge, cette fiche est en date du 16 mars 2009, soit postérieure à l’embauche du salarié, c’est à juste titre que l’employeur observe qu’aucun élément ne permet de la rattacher ni à l’activité professionnelle du salarié, ni a fortiori à l’activité du salarié au sein de la société employeur dans la cause.
De même, c’est à tort que la caisse soutient dans ses écritures, que l’employeur ne contesterait pas l’utilisation de ce diluant, dès lors que l’employeur conteste de façon circonstanciée la portée de ce document et fait observer qu’il n’est pas permis de savoir d’où il provient (ses conclusions page 10 premier paragraphe).
En outre, le diluant décrit par cette fiche de sécurité datée de 2009, n’apparaît pas dans la liste mise à jour le 29 juin 2008, des produits répertoriés au sein de la société employeur, que l’employeur a produite, et sur laquelle il fait valoir sans contestation que ne figure aucun produit contenant du benzène .
La fiche de sécurité datée de 2009 et produite par le salarié ne permet donc aucunement d’établir, contrairement à l’analyse du premier juge, qu’à l’ocasion de son exercice professionnel pour le compte de la société employeur, le salarié a été exposé à des opérations de production, transport et utilisation du benzène et autres produits renfermant du benzène, telles que prévues par le tableau numéro 4 des maladies professionnelles.
Par ailleurs, le colloque médico administratif invoqué par la caisse, n’apporte pas d’éléments supplémentaires ; en effet, si comme le fait observer la caisse, le médecin-conseil a bien coché « oui », à la question « conditions médicales réglementaires du tableau remplies ‘ », il s’est pourtant abstenu, comme le fait remarquer l’employeur, de remplir les mentions pré imprimées, par lesquelles il lui était demandé « l’exposition au risque est-elle prouvée’ », la « nature des travaux effectués », et la « date de début d’exposition ».
L’expertise du risque chimique réalisée par le cabinet [4] que produit encore l’employeur au soutien de sa position, résulte d’une mission du CHSCT du 15 mars 2013, et retient dans cette limite temporelle, une sous évaluation du risque chimique par l’employeur. Pour autant, ce rapport propose une méthode de prévention du risque chimique, en procédant en premier lieu à l’inventaire très précis des produits utilisés, précisément listés au nombre de 42, au titre desquels ne figurent pas le benzène et autres produits renfermant du benzène.
Enfin, le fait que la caisse indique que les sources majeures d’exposition sont les gaz d’échappement automobile, et l’évacuation de l’essence, ainsi que le fait que le salarié a exercé des fonctions de mécanicien en maintenance, est inopérant dès lors que le risque invoqué ne correspond pas au risque prévu par le tableau 4, étant en outre observé que ces affirmations ne démontrent ni que le salarié aurait été exposé à un tel risque, ni qu’il l’aurait été pour le compte de la société employeur en la cause.
Les éléments du dossier ne permettent pas de retenir que la condition d’exposition au risque prévue par le tableau N° 4 soit remplie.
C’est donc à juste titre que l’employeur se prévaut de l’inopposabilité à son égard de la décision de prise en charge de la maladie au titre des maladies professionnelles.
Le premier juge sera infirmé.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
L’équité ne commande pas d’allouer à la caisse, qui succombe et qui forme seule une demande à ce titre, de somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La caisse, qui succombe, supportera les dépens engagés à compter du 1er janvier 2019.
PAR CES MOTIFS :
La cour, après en avoir délibéré, statuant, publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Mont-de-Marsan en date du 7 février 2020,
Et statuant à nouveau,
Déclare inopposable à la société [3], la décision du 4 juillet 2016, par laquelle la caisse primaire d’assurance maladie des Landes a pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels, la maladie de «syndrome myéloprolifératif», concernant M. [Y] [K],
Déboute la caisse primaire d’assurance maladie des Landes de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la caisse primaire d’assurance-maladie des Landes aux dépens engagés à compter du 1er janvier 2019.
Arrêt signé par Madame NICOLAS, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE,LA PRÉSIDENTE,