Produits dérivés : 8 décembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/00189

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Produits dérivés : 8 décembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/00189
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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 8

ARRET DU 08 DECEMBRE 2022

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/00189 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBG5H

Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Novembre 2019 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F 18/02193

APPELANTE

SOCIÉTÉ HARPAGON FRANCE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Laurent POZZI-PASQUIER, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050

INTIMÉ

Monsieur [E] [G]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Anne RENAULT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1969

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Nathalie FRENOY, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Nathalie FRENOY, présidente

Madame Corinne JACQUEMIN, conseillère

Madame Emmanuelle DEMAZIERE, vice-présidente placée

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [E] [G] a été engagé par la société Harpagon France, qui exerce une activité de conseils aux entreprises en vue d’optimiser leurs dépenses, par contrat à durée indéterminée à compter du 10 novembre 2014 en qualité de directeur, statut cadre, position 3.2, coefficient 210 de la convention collective des bureaux d’études, cabinets d’ingénieurs-conseils, sociétés de conseils, dite Syntec.

Par courrier remis en main propre le 14 février 2018, la société Harpagon France a convoqué M. [G] à un entretien préalable fixé au 21 février suivant et l’a dispensé d’activité, tout en le rémunérant.

Par lettre du 5 mars 2018, elle lui a notifié son licenciement pour faute grave.

Contestant cette rupture, M. [G] a saisi le 21 mars 2018 le conseil de prud’hommes de Paris qui, par jugement du 21 novembre 2019, a :

-dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-condamné la société Harpagon à verser à M. [G] les sommes suivantes :

-15 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement,

-5 972 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

-15 000 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

-1 500 euros à titre de congés payés afférents,

avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation,

-rappelé qu’en vertu de l’article R1454-28 du code du travail, ces condamnations sont exécutoires de droit à titre provisoire, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire,

-fixé cette moyenne à la somme de 5 000 euros,

-condamné la société Harpagon à verser à M. [G] la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-ordonné la remise des documents sociaux conformes à la décision,

-débouté M. [G] du surplus de ses demandes,

-débouté la SAS Harpagon de sa demande reconventionnelle,

-condamné la SAS Harpagon au paiement des entiers dépens.

Par déclaration du 31 décembre 2019, la société Harpagon France a interjeté appel du jugement.

Par ses dernières conclusions notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 23 août 2022, la société appelante demande à la cour :

-d’infirmer le jugement attaqué en ce qu’il a jugé sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour faute grave de Monsieur [G] et a condamné subséquemment la société,

et, statuant à nouveau :

à titre principal,

-de dire et juger que le licenciement pour faute grave est intervenu à bon droit,

-de débouter Monsieur [G] de l’ensemble de ses prétentions injustifiées et infondées, qu’il s’agisse de l’indemnité de licenciement sollicitée à hauteur de 5 972 euros, de l’indemnité compensatrice de préavis de 15 000 euros et des congés payés y afférents pour un montant de 1 500 euros ou encore des dommages et intérêts réclamés, tant au titre du licenciement à hauteur de 20 000 euros qu’au titre du préjudice moral allégué à hauteur de 30 000 euros,

à titre subsidiaire,

-de dire et juger que le licenciement est intervenu pour une cause réelle et sérieuse,

-de débouter Monsieur [G] de l’ensemble de ses prétentions indemnitaires infondées et injustifiées, qu’il s’agisse tant des dommages et intérêts sollicités au titre du licenciement d’un montant de 20 000 euros que de ceux réclamés à hauteur de 30 000 euros au titre du préjudice moral allégué,

à titre infiniment subsidiaire,

si, par impossible, la Cour considérait le licenciement comme dépourvu de cause réelle et sérieuse,

-de débouter Monsieur [G] de sa demande indemnitaire manifestement excessive portant sur 20 000 euros au titre du licenciement, comme infondée et en tout état de cause injustifiée,

-de faire application de l’article L1235-3 du code du travail et de ramener les dommages et intérêts susceptibles d’être alloués à la somme de 5 000 euros correspondant à un mois de salaire en l’absence de préjudice établi,

-de débouter Monsieur [G] de sa demande indemnitaire portant sur 30 000 euros au titre d’un prétendu préjudice moral, comme infondée et en tout état de cause injustifiée,

en tout état de cause,

-de débouter Monsieur [G] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires et de son appel incident,

-de débouter Monsieur [G] de sa demande de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de sa demande tendant à ce que la décision à intervenir soit assortie d’une astreinte ainsi que de sa demande de condamnation aux dépens,

-de condamner Monsieur [G] à verser à la société Harpagon France la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-de condamner Monsieur [G] aux entiers dépens.

Par ses dernières conclusions notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 17 février 2022, M. [G] demande à la cour :

-de confirmer le jugement du 21 novembre 2019 en ce qu’il a :

*jugé le licenciement pour faute grave notifié à Monsieur [G] sans cause réelle et sérieuse,

*condamné la société Harpagon France à payer à Monsieur [G] les sommes suivantes :

-15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement,

-15 000 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

-1 500 euros au titre des congés payés sur préavis,

-5 972 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la société Harpagon de la convocation devant le bureau de conciliation,

-500 euros au titre de l’article 700 code de procédure civile,

*fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire de Monsieur [G] à 5 000 euros brut, en application de l’article R 1454-28 du code du travail,

y ajoutant,

-de condamner la société Harpagon France à payer à Monsieur [G] une somme complémentaire de 5 000 euros au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse la portant ainsi à un montant total de 20 000 euros,

-de condamner la société Harpagon France à payer à Monsieur [G] une somme de 30 000 euros au titre de l’indemnité pour préjudice moral,

-de dire que la délivrance de l’ensemble des documents légaux rectifiés sera assortie d’une astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir et par document,

-en tant que de besoin,

-de condamner la société Harpagon France au paiement de ladite astreinte,

-de débouter la société Harpagon France de toutes ses demandes, fins et conclusions,

-de condamner la société Harpagon France à payer à Monsieur [G] une indemnité de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-de condamner la société Harpagon France aux entiers dépens tant de première instance que d’appel et comprenant ceux d’exécution.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 20 septembre 2022 et l’audience de plaidoiries a été fixée au 8 novembre 2022.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu’aux conclusions susvisées pour l’exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS DE L’ARRET

Sur le licenciement :

La lettre de licenciement du 5 mars 2018 adressée à M. [G] contient les motifs suivants, strictement reproduits :

« […]. 1. Manquements aux impératifs de protection de données confidentielles dans l’élaboration et l’envoi de documents clés

Notre société a été mandatée par notre client A. afin de mener une consultation auprès de différents prestataires potentiels dans le cadre d’un marché portant sur leurs achats annuels de produits dérivés représentant pour ce client une enveloppe budgétaire annuelle de 2,7 m€ ( mission M18).

Au titre de vos fonctions de Directeur, vous étiez en charge opérationnelle de cette mission et avait bâti un fichier Excel de consultation à renseigner par les différents prestataires susceptibles de répondre à ce marché.

Le 5 février 2018, vous avez envoyé ce fichier à la dizaine de prestataires consultés. Il s’est cependant avéré que le fichier dont vous êtes l’auteur contenait les prix pratiqués par le prestataire sortant sur trois des prix à renseigner, ainsi que le nom de l’un des intervenants consultés par notre société.

Simplement masquées et très facilement accessibles, ces informations confidentielles n’avaient aucune raison d’être présentes sur ce document.

Ainsi portées à la connaissance des prestataires sollicités, de telles informations cassaient la dynamique de consultation et de baisse substantielle des coûts visée, ce qui est pourtant le c’ur même de notre mission. Les prestataires consultés disposant d’indications tarifaires et du nom du prestataire sortant, lui-même consulté, se sont en effet trouvés en mesure de limiter leurs efforts tarifaires.

L’envoi, à votre initiative, d’un fichier non correctement finalisé traduit un amateurisme fautif, incompatible avec les usages et précautions de notre métier.[…]

Notre société, par votre intermédiaire, a d’ailleurs dû procéder à un nouvel envoi par mail du fichier nettoyé et adresser un message d’excuse au client.

Dans ce cadre et sans mon aval, vous avez donné instruction à l’une de nos collaboratrices de contacter chaque prestataire concerné en invoquant un motif mensonger pour leur demander de ne consulter que le second envoi, ce qui est contraire aux valeurs de la société et témoigne de votre peu de respect de notre éthique professionnelle et des consignes que vous recevez.[…]

Vos agissements préjudiciables et votre éthique professionnelle déficiente portent non seulement atteinte à la crédibilité et à l’image de notre société mais aussi à ses intérêts financiers. En effet, la rémunération de notre société étant indexée sur la base des gains réalisés dans le cadre de cette mission, renseigner indûment les prestataires conduit à amputer les marges de négociation et, de ce fait, la rémunération finale d’Harpagon.[…]

2. Absence de prise en compte des préconisations d’un client provoquant son vif mécontentement quant à la prestation réalisée et remet en cause la pertinence de notre intervention

Notre société a été consultée par la société A. sur une mission d’optimisation de ses dépenses d’hôtellerie, dossier dont vous aviez la charge (mission M 19).[…]

A cette occasion, nous avons été confrontés à la manifestation du mécontentement hostile exprimé par la principale collaboratrice d’A. En effet, cette dernière a été contrariée par votre absence de prise en compte de ses observations et avis malgré vos nombreux échanges avec elle et le temps consacré à cette mission par cette interlocutrice, ce qui a remis en question la pertinence de plusieurs de vos recommandations et confirmé son manque d’adhésion à la mise en ‘uvre de nos recommandations dans le cadre de ce projet.

Vous aviez pourtant été sensibilisé sur le sujet par mes soins par un mail soulignant l’indispensable prise en compte du point de vue de cette collaboratrice afin d’obtenir son adhésion sur ce projet.

Déplorant ce manque d’adhésion, le DGA d’A. a, depuis lors, fermement critiqué vos méthodes de travail et indiqué souhaiter que la mise en ‘uvre de nos recommandations ne vous soit pas confiée, l’adhésion au projet étant un préalable indispensable au déploiement des changements et efforts qu’impliquent de telles missions.[…]

3. Comportement inadéquat ayant généré des situations conflictuelles

*comportement préjudiciable à notre société dans le cadre de la mission P.M.

[…] Vos comportements et méthodes qualifiés d’imprécis et incohérents par ce client, ont préjudicié au bon avancement de ce marché, allant même jusqu’à engendrer une situation conflictuelle avec notre client ayant des répercussions négatives sur plusieurs autres volets de la mission que nous avions entamés ou menés et que le client a interrompus ou annulés en raison des difficultés sur le volet image considéré par ce dernier comme prioritaire.

Par ailleurs, votre animation des ateliers de travail avec les équipes du client, ainsi que vos modes de communication et méthodes de travail avec certaines agences photo, ont engendré des crispations, incompréhensions, reproches et blocages relatés par courriers et mails par plusieurs protagonistes.[…]

Mise en cause en raison de vos approximations et manquements durant cette mission, notre société a été obligée de signer, il y a peu, une transaction avec ce client pour clore le différend existant et nous permettre de ne pas perdre l’intégralité des honoraires que P.M. refusait de nous régler, le manque à gagner pour notre société s’élevant à plus de 260K€.

*Comportement source de différends ou conflits avec divers interlocuteurs de la société

Au-delà du grave différend évoqué ci-dessus, votre manque d’organisation, vos méthodes approximatives, votre manque d’investissement, les erreurs que vous avez commises et vos modes de communication inappropriés ont généré des situations d’incompréhension et des différends, voire des situations conflictuelles, dont de nombreux clients et partenaires sous-traitants (JB, RK, JYC, CL, JG, SK, VS) se sont émus. Ces difficultés ont nécessité l’intervention d’A.P. ou encore mon implication dans leur pilotage à vos côtés, ce que votre seniorité aurait dû m’éviter.

4. Prise d’initiatives déplacées auprès de prospects et de prestataires de la société

Il apparaît que vous avez pris l’initiative, sans consulter quiconque au préalable, d’envoyer des courriels à plusieurs prospects dont le ton est particulièrement déplacé et nuit, ici encore, à l’image de notre société.

Vous avez en effet, le 1er février 2018, adressé aux sociétés « PB », « C », « V » des messages intitulés « (…) Peut mieux faire ‘ » par lesquels vous formulez au destinataire de ces messages des remarques quant aux sites internet de ces enseignes, de manière intrusive, déplacée et brutale.

Ce type de prospection sauvage, qui illustre certaines des regrettables méthodes que vous employez, est à l’opposé des manières de procéder en vigueur au sein de notre société et ne peut que desservir son image.[…]

De même, nous avons découvert que, contrairement aux procédures en vigueur, vous aviez sollicité un prestataire potentiel afin de lui communiquer des renseignements pourtant supposés rester confidentiels sur le client à l’origine de la consultation (A., en l’occurrence).

[…]

5. Utilisation à des fins personnelles non autorisées de votre messagerie électronique professionnelle

[…]

Nous avons eu le désagrément de constater que vous n’hésitiez pas à utiliser votre messagerie électronique professionnelle mentionnant les coordonnées de notre société à de nombreuses reprises ces dernières semaines et derniers mois pendant votre temps de travail à des fins personnelles plus qu’inconvenantes, le type de lien ou les messages que vous copiez dans votre messagerie professionnelle étant de surcroît hébergés sur des sites à risque en termes de virus.[…]

6. Carence générant l’absence de concrétisation des attendus de votre fonction

Outre le développement de la satisfaction des clients et du chiffre d’affaires de la société, qui ne sont pas au rendez-vous, votre embauche en qualité de directeur devait me permettre de consacrer un temps significativement plus important au développement de l’activité. La réalité est toute autre.[…]

-vous n’avez spontanément pris aucune initiative visant à proposer de mener des chantiers transverses pour la société […]

-votre contribution au développement du CA de la société au travers de votre réseau professionnel a été inexistant, là encore malgré les différents rappels effectués.

La qualité de vos travaux n’est en outre pas à la hauteur de nos légitimes attentes, malgré nos demandes et comme cela s’est manifesté à l’occasion du lancement de la consultation A.M18. En effet, la piètre qualité du projet de document de consultation que vous avez établi m’a contraint à vous adresser une liste de nombreux points de fond à reprendre afin de réécrire cette consultation de manière professionnelle et à vous demander de décaler le lancement de cette consultation compte tenu des points précités.[…]

L’ensemble de ces agissements et manquements graves et répétés, malgré les nombreuses mises en garde qui vous ont été adressées, inadmissibles de la part d’un cadre de votre envergure, nuisent à l’image, à la crédibilité et au développement de la société et ne nous permettent pas de poursuivre notre collaboration.

Au regard de la multiplicité et de la gravité des manquements et agissements qui vous sont imputables, nous sommes contraints de procéder à votre licenciement pour faute grave […] »

La société Harpagon France soutient que le licenciement de M. [G] est justifié en raison des manquements professionnels, fautifs et répétés, qu’il a commis. Elle rappelle que l’envoi – mis au jour par un collaborateur- d’un fichier non protégé, reconnu par l’intéressé qui s’est excusé auprès du client, a eu des conséquences négatives sur l’image de l’entreprise et sur ses intérêts financiers. L’amateurisme fautif invoqué par l’employeur s’illustre également, selon lui, dans le mécontentement du client et son souhait de faire cesser l’intervention de M. [G] dans la mise en ‘uvre des recommandations. La société appelante invoque différents témoignages et courriels démontrant le fonctionnement imprécis et incohérent du salarié, générant diverses récriminations de la part de ses partenaires et lui causant des pertes. Elle assure que le grief tiré de l’utilisation de la messagerie professionnelle a été discuté lors de l’entretien préalable et souligne que les notes rédigées par le conseiller extérieur, ayant assisté l’intimé, n’ont été communiquées qu’en cours de procédure, sans avoir été signées par les deux parties.

Le désinvestissement fautif, les carences et initiatives déplacées du salarié justifiaient, selon la société appelante, son licenciement pour faute grave.

M. [G] affirme que les griefs retenus manifestent une prétendue insuffisance professionnelle qui ne peut pas être constitutive d’une faute grave et souligne qu’en tout état de cause, ils sont dénués de tout fondement. Plus particulièrement, il fait valoir que l’erreur de manipulation qu’il a commise lors de l’envoi du fichier Excel à la société A. (contenant des informations protégées par un mot de passe crypté ou situées dans un onglet caché) a été résolu en deux heures, par l’envoi concerté d’un fichier corrigé et l’appel de chaque prestataire pour que le second envoi soit seul consulté. Il souligne n’avoir fait l’objet d’aucune mise à pied dès la découverte de cet envoi, avoir été sommé de quitter la société plusieurs jours après, le 14 février 2018, après avoir achevé les recommandations en cours, qu’il était le seul en mesure de présenter, et rappelle que la preuve de la découverte par le client des informations cachées n’est pas rapportée. M. [G] soutient n’avoir jamais été informé de la prétendue dégradation de son comportement, avoir toujours fait preuve d’un grand professionnalisme, précise que les solutions proposées aux clients étaient habituellement corrigées et mises au point, que celles adressées au client A. avaient été validées par sa hiérarchie, qu’il a fourni un travail énorme dans le cadre de la mission P.M., avec l’aide ponctuelle de deux consultantes seulement, que les crispations étaient inévitables dans son domaine d’activité dans la mesure où des changements de systèmes de travail étaient proposés, que la perte alléguée du chiffre d’affaires n’est pas vérifiée dans l’attestation de l’expert-comptable, qu’au contraire la prestation a généré une rémunération de l’ordre de 700’000 € pour son employeur qui n’a subi aucune perte, comme indiqué lors de l’entretien préalable. Il rappelle aussi être intervenu avec succès à la suite de la demande de son employeur qui souhaitait des ‘démarchages à froid’, avoir transféré quelques photos et liens de sa messagerie professionnelle vers sa messagerie personnelle sans commettre une quelconque nuisance à l’encontre de son employeur, avoir travaillé en concertation et transmis des projets validés par sa hiérarchie. Il sollicite la confirmation du jugement qui a dit son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse mais sollicite 20 000 € à titre de dommages-intérêts.

La faute grave, qui seule peut justifier une mise à pied conservatoire, résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise; il appartient à l’employeur d’en rapporter la preuve.

En l’espèce, la société Harpagon France produit aux débats deux courriels de M.[G] en date du 5 février 2018 faisant état d’un défaut de sécurité dans le fichier XLS envoyé au client A. et en informant la direction de l’entreprise, l’attestation du directeur conseil, à l’origine de la découverte des données confidentielles envoyées par l’intimé à des sociétés tierces, indiquant par ailleurs avoir reçu les plaintes de plusieurs salariés relativement à la qualité de la relation avec l’intimé et aux approximations de ce dernier, l’attestation du directeur général adjoint faisant état des remontées négatives des équipes du client A. quant à son travail, différents échanges de mails, plusieurs attestations dont celle de la directrice administrative et financière d’une société cliente de la société Harpagon France relevant les méthodes ‘pas toujours adaptées au contexte’ et les ‘maladresses dans la conduite’ d’une mission ou des négociations avec les fournisseurs de la part de M. [G] qui a dû être relancé à de nombreuses reprises, ou celle de la représentante d’une autre société faisant part de ses ‘méthodes brutales, dénuées d’écoute et devenues rapidement contre-productives et inacceptables’, ou celle d’un chef d’entreprise critiquant de la part du mis en cause une ‘forme de communication abrupte’.

La société Harpagon France produit en outre un courriel du 25 septembre 2015 dans lequel M. [G] reconnaît un envoi contenant ‘par inadvertance’ deux noms sur deux cases et admet son erreur, différents courriels de la direction de l’entreprise insatisfaite, un courrier du 6 novembre 2017 de la société P.M. reprochant des ‘retards de calendrier imputables’ à la société appelante et des ‘négociations incomplètes’ ainsi que l’absence de rendez-vous de suivi avec les équipes, des messages de relance ou de demandes d’actions correctives émanant de sa hiérarchie, des transferts de documents, brouillons et portraits de jeunes femmes depuis sa messagerie professionnelle, ainsi que différents courriels adressés à des sociétés non clientes, intitulés ‘ … peut mieux faire ” dans lesquels M.[G], après avoir vanté les qualités du site visité, indiquait ‘j’ignore combien il vous coûte par an, et quel est son ROI. Je crois en revanche que pour le même prix vous devriez pouvoir améliorer votre taux de transformation en augmentant la quantité de vos prises de vue, la qualité de vos photographes, de vos stylistes et de vos mannequins. En 2017, nous avons permis à l’un de vos confrères d’augmenter de moitié (sic) le nombre de visuel sur ces sites Web’ à budget constant. Tout en améliorant le rendu des images.

Si vous êtes satisfaite de votre site, ne donnez pas suite à mon mail. Excusez-moi de vous avoir importunée.

Si en revanche vous souhaitez en savoir plus sur ce que nous savons faire pour améliorer vos résultats et votre ROI, nous pourrions convenir d’un call à votre convenance pour une prise de contact’.

Sont établis par conséquent l’envoi d’un fichier Excel contenant des données confidentielles et ruinant les efforts de l’entreprise dans son travail de conseil, envoi effectué par M.[G] le 5 février 2018 et reconnu, des tensions dans les relations avec des sociétés clientes du fait de retards, de délais de réponse inappropriés, d’un manque de suivi ou d’un positionnement inadapté; toutefois, l’imputabilité à l’intimé des retards et atermoiements n’est pas démontrée, en l’état de la charge de travail importante qu’il invoque et en l’absence d’éléments contraires produits par l’entreprise à ce sujet.

Si la société Harpagon France verse aux débats un courriel du 22 décembre 2017 faisant état des ‘illustrations habituelles de votre fonctionnement imprécis, accusateur et incohérent’ à l’occasion d’une réunion KCS, force est de constater que ce courriel ( transmis en copie seulement à Monsieur [G]) est adressé à un autre salarié, Monsieur A.P., et ne saurait donc constituer le précédent invoqué par l’entreprise.

Différents échanges sont produits permettant de vérifier diverses corrections demandées ici ou là à l’intimé par sa hiérarchie, sans qu’il y ait eu à son égard de rappel à l’ordre ou de mise en garde sur la qualité ou l’inadaptation de ses actions notamment. Il n’est justifié en outre d’aucun entretien précis à ce sujet, d’aucune sanction disciplinaire préalable au licenciement.

Par ailleurs, l’attestation de perte du chiffre d’affaires (à hauteur de 262’872 € hors-taxes) rédigée par la société d’expertise comptable en date du 2 avril 2019 impute cette perte ‘aux manquements intervenus dans le déroulement de la mission à l’origine de plusieurs contestations’ de la société P.M. ; sans être adossé à des pièces comptables l’explicitant et alors qu’il admet que ‘les informations à attester ont été établies sous (la) responsabilité’ de la société Harpagon France ‘à partir des documents et informations que vous nous avez transmis’, ce document ne saurait suffire, par les termes imprécis utilisés et alors que la mission n’incombait pas à M. [G] seul, à confirmer cette perte ni à en attribuer la responsabilité à ce dernier.

Par conséquent, les griefs opposés à M. [G], qui relèveraient plutôt d’une insuffisance professionnelle, ne sauraient constituer la faute grave retenue dans la lettre de licenciement, d’autant qu’aucune alerte préalable n’ a été lancée à l’attention du salarié en vue de mieux se conformer aux exigences de son employeur dans le cadre de ses missions. Il convient de dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, par confirmation du jugement entrepris.

Tenant compte de l’âge du salarié (55 ans) au moment de la rupture, de son ancienneté (3 ans et 4 mois), de son salaire moyen mensuel brut (soit 5 000 €), de l’absence de justification de sa situation après la rupture, il y a lieu de confirmer l’évaluation de l’indemnisation lui revenant au titre de la rupture du lien contractuel, par application de l’article L 1235-5 du code du travail dans sa version applicable au litige, s’agissant d’un licenciement opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés.

Il y a lieu également de confirmer le jugement en ce qu’il a fixé les indemnités de rupture, dont le montant n’est pas strictement contesté et qui correspond aux droits de l’intéressé.

Sur le caractère vexatoire du licenciement :

La société Harpagon France conteste le caractère vexatoire de la procédure, souligne l’absence de preuve des affirmations avancées par le salarié et du préjudice moral invoqué. Elle rappelle qu’après la réunion de travail du 7 février 2018, informée du souhait de sa cliente A. de ne pas laisser M. [G] en charge de la conduite de la mission, puis confrontée quelques jours plus tard à la nécessité de signer une transaction avec la société P.M. du fait des difficultés générées par son comportement, elle a décidé de le convoquer à un entretien préalable par remise en main propre d’un courrier et non par l’envoi froid d’une lettre recommandée avec accusé de réception. Elle souligne que le salarié n’a pas été mis à pied à titre conservatoire mais dispensé d’activité, que la convention collective n’exige pas que le licenciement soit précédé d’un avertissement préalable et conclut au rejet des prétentions indemnitaires de l’intéressé.

M. [G] invoque un préjudice moral, distinct de celui résultant du licenciement, découlant du comportement fautif de son employeur qui n’a pas hésité à le laisser travailler normalement pendant la matinée du 14 février 2018, puis une fois cette prestation de travail effectuée, à mettre fin à son contrat de travail, à lui remettre une convocation à entretien préalable en exigeant son départ immédiat des locaux de l’entreprise et la remise dans la foulée de ses ordinateur et téléphone professionnels. Il invoque le compte rendu d’entretien préalable et réclame la somme de 30’000 € à titre de réparation du préjudice moral subi par les circonstances vexatoires du licenciement.

Le compte rendu d’entretien préalable consiste en un document établi ‘sous réserve d’une validation par le salarié, l’employeur’, signé par M. [G] mais non par le président de la société Harpagon France. Ce document est dactylographié et n’est pas accompagné des documents d’identité, ni informations et mentions requis par l’article 202 du code de procédure civile. Compte tenu des réserves émises par la société appelante, il n’a pas la valeur probante que lui donne l’intimé.

Cependant, la remise en main propre d’une convocation à entretien préalable comme d’ailleurs la dispense d’activité dont M. [G] a fait l’objet, mesure prise sur-le-champ au vu et au su du personnel présent s’avèrent vexatoires ; le fait que cette dispense ait été rémunérée et soit d’une nature différente d’une mise à pied conservatoire n’enlève rien à son caractère humiliant, dans les circonstances décrites avec refus d’accès du salarié à sa messagerie, au sein d’une toute petite structure, qui plus est.

Il convient donc, par infirmation du jugement entrepris, d’accueillir la demande d’indemnisation à hauteur de 3 000 €, compte tenu des éléments de préjudice apportés aux débats.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

L’employeur, qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance, par confirmation du jugement entrepris, et d’appel, étant rappelé qu’en cas d’exécution forcée, le droit proportionnel à la charge du créancier ne peut être perçu quand le recouvrement ou l’encaissement de sommes par un huissier mandaté est effectué sur le fondement d’un titre exécutoire constatant une créance née de l’exécution d’un contrat de travail, par application des dispositions des articles R444-53 et R444-55 du code de commerce.

L’équité commande de confirmer le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles, de faire application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel et d’allouer à ce titre la somme de 2 500 € à M. [G].

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME le jugement déféré, sauf en ses dispositions relatives au caractère vexatoire du licenciement,

Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,

CONDAMNE la société Harpagon France à payer à Monsieur [E] [G] les sommes de :

– 3 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire,

– 2 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

DIT que les intérêts au taux légal sont dus sur ces sommes à compter du présent arrêt,

REJETTE les autres demandes des parties,

CONDAMNE la société Harpagon France aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

 


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