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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-6
ARRÊT AU FOND
DU 09 DECEMBRE 2022
N°2022/ 356
Rôle N° RG 19/04337 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BD6RK
[R] [P]
C/
SARL LES VIGNERONS DE [Localité 2]
Copie exécutoire délivrée
le : 09/12/2022
à :
Me Stéphanie ROYERE de l’AARPI ROYERE, avocat au barreau de TOULON
Me Noëlle ROUVIER-DUFAU, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DRAGUIGNAN en date du 14 Février 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 17/00041.
APPELANTE
Madame [R] [P], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Stéphanie ROYERE de l’AARPI ROYERE, avocat au barreau de TOULON
INTIMEE
SARL LES VIGNERONS DE [Localité 2], demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Noëlle ROUVIER-DUFAU, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 04 Octobre 2022 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Philippe SILVAN, Président de chambre et Madame Estelle De REVEL, Conseiller.
M. Philippe SILVAN, Président de chambre, a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Philippe SILVAN, Président de chambre
Madame Dominique PODEVIN, Présidente de chambre
Madame Estelle De REVEL, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Suzie BRETER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 09 Décembre 2022.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 09 Décembre 2022.
Signé par M. Philippe SILVAN, Président de chambre et Mme Suzie BRETER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Selon contrat à durée indéterminée du 1er mars 2009, Mme [P] a été recrutée par la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» en qualité d’animatrice caveau. Le capital social de la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» est détenu intégralement par la SCA «’Les Maitres Vignerons De [Localité 2]’».
Le 3 octobre 2016, la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» a convoqué Mme [P] à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement pour motif économique prévu le 17 octobre 2016. Selon lettre recommandée avec accusé de réception du même jour, reçue par Mme [P] le 7 octobre 2016, la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» l’a informée des motifs économiques conduisant à envisager la restructuration de l’entreprise et la suppression de son poste. Le 7 novembre 2016, Mme [P] a adhéré à un contrat de sécurisation professionnelle. Le 8 novembre 2016, elle a fait l’objet d’un licenciement pour motif économique. Mme [P] a été dispensée d’exécuter son préavis.
Le 9 février 2017, Mme [P] a saisi le conseil de prud’hommes de Draguignan d’une contestation de son licenciement.
Par jugement du 14 février 2019 le conseil de prud’hommes de Draguignan a’:
”débouté Mme [P] de ses demandes,
”condamné Mme [P] à payer à la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» la somme de 500’€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
”condamné Mme [P] aux dépens.
Mme [P] a fait appel de ce jugement le 14 mars 2019.
A l’issue de ses conclusions du 27 juillet 2021 auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions, Mme [P] demande de’:
”dire et juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse’;
”condamner la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» au paiement de la somme de 30’000’€ à titre de dommages et intérêts’;
”condamner la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» au paiement de la somme de 2’500’€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Selon ses conclusions du 10 août 2019 auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions, la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» demande de’:
”confirmer le jugement rendu le 14 février 2019 en ce qu’il a débouté Mme [P] de l’ensemble de ses demandes et l’a condamnée au paiement de la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile’;
”débouter Mme [P] de l’ensemble de ses demandes’;
”condamner Mme [P] au paiement de 2000’€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile’;
”condamner Mme [P] aux entiers dépens.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 16 septembre 2022. Pour un plus ample exposé de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère expressément à la décision déférée et aux dernières conclusions déposées par les parties.
SUR CE’:
sur le licenciement pour motif économique de Mme [P]’:
moyens des parties’:
A l’appui de la contestation de son licenciement pour motif économique, Mme [P] se prévaut en premier lieu de l’existence d’un groupe aux motifs que le capital social de la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» est détenu par la SCA «’Les Maitres Vignerons De [Localité 2]’», que les dirigeants des deux sociétés sont identiques, que le personnel est permutable d’une structure à l’autre, qu’elle a exercé ses fonctions au profit de ces deux sociétés, que celles-ci sont domiciliées dans les même locaux, que sa signature électronique mentionne les numéros de téléphone de ces deux sociétés, que sa fiche de poste précise qu’elle devra effectuer certaines tâches au bureau de la SCA «’Les Maitres Vignerons De [Localité 2]’» et au caveau, qu’elle a reçu des instructions des gérants de ces deux sociétés, que celles-ci opèrent dans le même secteur d’activité, à savoir de la commercialisation du vin, que ces deux entreprises appartiennent en conséquence au même groupe au niveau duquel les difficultés économiques doivent être appréciées et que les pièces produites aux débats par la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’», notamment faute de production des bilans de la SCA «’Les Maitres Vignerons De [Localité 2]’», ne permettent pas d’apprécier l’évolution des résultats du groupe.
Elle conteste, en outre, l’existence d’un motif économique et soutient que les pièces comptables de la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» révèlent une baisse du chiffre d’affaires d’à peine 5’% entre les exercices 2014-2015 et 2015-2016, que la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» ne peut donc soutenir qu’elle rencontrait des difficultés économiques se caractérisant par une baisse de la marge commerciale, qu’en effet, la baisse de la marge commerciale et de l’excédent brut d’exploitation ne sont que la conséquence de la baisse du chiffre d’affaires, que le bilan de la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» démontre que le passif exigible est largement couvert par l’actif disponible et que les capitaux propres sont supérieurs au capital social et que la trésorerie n’a pas variée
Elle affirme par ailleurs que la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» n’a procédé à aucune suppression de poste et expose qu’avant son licenciement, la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» a recruté deux vendeuses en contrat à durée déterminée à temps partiel pour occuper ses fonctions et fait paraître une annonce pour recruter une responsable de boutique, à temps plein, dont la description du poste correspond en tous points à celui qu’elle occupait.
Elle reproche enfin à la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» d’avoir manqué à son obligation de reclassement à son égard aux motifs’ qu’aucune proposition de reclassement ni d’aménagement de son poste de travail ne lui a été formulée au sein de la SCA «’Les Maitres Vignerons De [Localité 2]’», que la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» ne peut tirer argument de recherches de reclassement auprès d’entreprises concurrentes et partenaires, qu’en effet, l’employeur est tenu à une obligation de reclassement dans l’entreprise et à l’intérieur des entreprises faisant partie de son groupe, qu’en revanche, il n’existe pas dans la loi d’obligation de reclassement externe, que les recherches de reclassement externes invoquées par la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» n’ont que pour objet de faire croire à tentative de reclassement et que, d’ailleurs, elle a fait l’objet d’une convocation à entretien préalable le 3 octobre 2016 alors que les courriers adressés par l’employeur à d’autres Sociétés l’ont été au-delà du 5 et du 7 octobre 2016, démontrant ainsi que la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» a initié la procédure de licenciement avant même de s’être interrogé sur son reclassement possible.
Pour caractériser le préjudice qu’elle invoque, Mme [P] expose que, depuis son licenciement, elle est à la recherche d’un emploi, qu’elle est indemnisée par Pôle emploi, que la rupture de son contrat de travail lui a occasionné un préjudice moral, qu’elle perçoit des allocations Pôle Emploi d’environ 1’200’€ et doit supporter un loyer d’habitation de 1’250’€ mensuels.
En réponse, la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» conteste l’existence d’un groupe entre elle et la SCA «’Les Maitres Vignerons De [Localité 2]’» au niveau duquel, selon Mme [P], les difficultés économiques justifiant son licenciement devraient être appréciées aux motifs’ qu’il n’est pas établi que Mme [P] a travaillé pour les deux structures, qu’en effet, la SCA «’Les Maitres Vignerons De [Localité 2]’» constitue une coopérative agricole tandis qu’elle est une société commerciale, qu’elles n’opèrent pas dans le même secteur d’activités, que la SCA «’Les Maitres Vignerons De [Localité 2]’» est une coopérative agricole, constituée de viticulteurs indépendants qui cultivent du raisin et le mettent en vinification ensemble, que si elle est susceptible de vendre une grande partie de sa récolte à des groupements de vinification, elle ne commercialise pas sa production au grand public, qu’en ce qui la concerne, elle assure la commercialisation auprès du grand public, moyennant une marge, de différents vins et produits dérivés qui ne sont d’ailleurs pas uniquement les produits de la SCA, tels que des produits alimentaires du terroir comme par exemple l’huile d’olives, des nougats, savons, sirops, etc, que les statuts, dirigeants, activités déclarées auprès de l’INSEE des deux sociétés sont différents, que la société commerciale a été créée en vue de développer une autre activité que la vinification du vin, qu’en effet, du fait de la limitation de son activité viticole, la SCA «’Les Maitres Vignerons De [Localité 2]’» avait besoin de confier à une autre société spécialisée dans la commercialisation au grand public des produits du terroir comprenant notamment ses vins afin de faire connaître ses produits et rayonner ainsi auprès d’une clientèle locale mais également de créer une zone d’activité et de vente sur le thème des produits locaux au pied même de sa coopérative, que la SCA «’Les Maitres Vignerons De [Localité 2]’» avait besoin de changer son image de marque afin que les professionnels comprennent qu’elle avait montée ses produits en gamme, que SARL intervient donc dans un secteur d’activité nouveau qui est interdit à la coopérative agricole du fait même de la limitation de ses statuts, que les activités des deux sociétés sont strictement différentes et que Mme [P] ne rapporte pas la preuve de la permutabilité du personnel entre les deux sociétés.
La SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» soutient qu’il existait en conséquence, à son niveau des difficultés économiques justifiant le licenciement de Mme [P] caractérisés par une baisse du chiffre d’affaires, de la marge commerciale et de l’excédent brut d’exploitation entre les exercices 2014-2015 et 2015-2016, un résultat d’exploitation négatif pour l’exercice 2015-2016 et une trésorie insuffisante pour faire face aux salaires et charges sociales et à l’achat de produits.
La SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» affirme, de surcroît, qu’elle a procédé à la suppression du poste de Mme [P] aux motifs’ que la suppression d’emploi n’empêche pas le recrutement de salariés destinés à occuper d’autres emplois que ceux qui sont supprimés, que l’un des recrutements invoqués par Mme [P] a été réalisé le 5 août 2016, soit avant l’engagement de la procédure de licenciement, et avant l’établissement des comptes annuels, qu’il n’est donc pas concerné par l’obligation de reclassement et ne permet pas de caractériser une absence de suppression de poste, qu’en outre, il s’agissait d’un poste de vendeuse à temps partiel et que la salariée en question a été régulièrement engagée par des contrats courts depuis 2014.
Elle fait en outre valoir qu’elle s’est valablement acquittée envers Mme [P] de son obligation de reclassement aux motifs’ que l’un des recrutements invoqués par Mme [P] a été réalisé le 5 août 2016, soit avant l’engagement de la procédure de licenciement, et avant l’établissement des comptes annuels, qu’il n’est donc pas concerné par l’obligation de reclassement et ne permet pas de caractériser une absence de suppression de poste et que, bien que le code du travail ne lui impose aucune obligation de ce chef, elle a vainement procédé à des recherches de reclassement de Mme [P] en externe.
Enfin, concernant le préjudice allégué par Mme [P], la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» fait valoir’ que Mme [P] produit uniquement des relevés du Pôle emploi jusqu’au mois d’avril 2018, qu’elle ne justifie d’aucune recherche active d’emploi, que dans le cadre de la première instance, elle a indiqué devoir assumer un loyer d’habitation de 1250’€, sans en justifier, et sans préciser qu’elle vivait en couple avec un chirurgien, que la procédure de licenciement n’a pas été conduite de manière abusive et vexatoire, que Mme [P] a été informée des difficultés économiques et des délais, que la procédure n’a pas été conduite avec précipitation et qu’il conviendra de confirmer le jugement entrepris et à titre subsidiaire, de fixer l’indemnisation à de plus justes proportions.
réponse de la cour’:
sur l’existence d’un groupe’:
Il est de principe que la cause économique d’un licenciement s’apprécie au niveau de l’entreprise ou, si celle-ci fait partie d’un groupe, au niveau du secteur d’activité du groupe dans lequel elle intervient.
En l’espèce, le capital social de la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» était entièrement détenu par la SCA «’Les Maitres Vignerons De [Localité 2]’». Par ailleurs, la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» était gérée par M. [G] qui exerçait par ailleurs les fonctions de vice-président de la SCA «’Les Maitres Vignerons De [Localité 2]’». Ces deux sociétés avaient leur siège social à la même adresse’:'[Localité 2], route nationale n°7.
Cependant, la SCA «’Les Maitres Vignerons De [Localité 2]’», en sa qualité de société coopérative, a pour objet la vinification des raisins produits par ses adhérents et la revente de cette production, majoritairement, à destination de professionnels alors que la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» a pour objet la vente, à destination du grand public, depuis une boutique de vente, de vins et autres produits du terroir tels que l’huile d’olive, le nougat ou encore le savon.
Il en ressort que l’activité de ces deux sociétés divergent par la nature des produits délivrés, de la clientèle ciblée ainsi que des réseaux et modes de distribution et opèrent sur des marchés différents. Dès lors, nonobstant la détention du capital social de la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» par la SCA «’Les Maitres Vignerons De [Localité 2]’» et des dirigeants communs, Mme [P] ne peut prétendre à l’existence d’un secteur d’activité entre ces sociétés au niveau duquel les difficultés économiques devaient être appréciées.
sur le motif économique’:
L’article L.’1233-3 du code du travail, dans sa version issue de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, en vigueur lors du licenciement de Mme [P], prévoit que’:
constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment’:
1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à’:
a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés’;
b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés’;
c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés’;
d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus’;
2° A des mutations technologiques’;
3° A une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité’;
4° A la cessation d’activité de l’entreprise.
La matérialité de la suppression, de la transformation d’emploi ou de la modification d’un élément essentiel du contrat de travail s’apprécie au niveau de l’entreprise.
La lettre de licenciement adressée le 8 novembre 2016 à Mme [P] par la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» est rédigée dans les termes suivants’:
«’Nous rencontrons des difficultés économiques très importantes se caractérisant par une baisse de notre marge commerciale.
Cette dernière s’élevait à hauteur de 248’410 euros au 31 juillet 2015 et à hauteur de 217’042 euros au 31 juillet 2016.
Soit une baisse de 31’368 euros.
Cette tendance est également suivie par une baisse de notre Chiffre d’affaires de moins 55’138’euros.
Cette baisse de quantité vendue et la baisse de marge commerciale a fait s’écrouler notre rentabilité.
Ainsi notre excédent brut d’exploitation était de 33’566 euros au 31 juillet 2015 et à hauteur de 8’831 euros au 31 juillet 2016′:
C’est une chute de-74’%.
Notre résultat d’exercice est devenu déficitaire.
Il était de 14’351 euros au 31 juillet 2015 et à hauteur de-5’900’euros au 31 juillet 2016.
Ces résultats sont catastrophiques pour notre petite structure.
Malgré tous nos efforts, les difficultés économiques ont perduré et ont fragilisé notre société.
Il appert que notre situation financière n’est plus tenable d’autant que nos difficultés ne font que s’aggraver.
La société a consenti de nombreux efforts afin de tenter de redresser la situation’; en vain.
Aujourd’hui face à cette situation où la pérennité de l’entreprise est en jeu, je suis contraint d’engager cette procédure en vue d’un éventuel licenciement économique’»
Il ressort de la liasse fiscale de la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’», qui clôture ses comptes au 31 juillet de chaque année, que l’évolution de ses principaux indicateurs économiques entre l’exercice 2015 et l’exercice 2016 peut se résumer comme suit’:
exercice clos au 31/07/15 exercice clos au 31/7/16 évolution
chiffre d’affaires 1’018’015 € 962’877 €
produit d’exploitation 1’018’642 € 964’582 €
résultat d’exploitation 17’402 € -5’419 € -131,14%
résultat courant 16’723 € -5’900 € -135,28%
bénéfice ou perte 14’351 € -5’900 € -141,11%
marge commerciale 248’410 € 217’042 € -12,62%
valeur ajoutée 151’304 € 121’554 € -19,66%
excédent brut d’exploitation 33’566 € 8’831 € -73,69%
Ces éléments, bien que la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» disposait de 44’499’euros de réserves au 31 juillet 2016 et que ses disponibilités sont passées de 74’856’euros au 31 juillet 2015 à 80’860’euros au 31 juillet 2016, caractérisent une dégradation significative du résultat courant et de l’excédent brut d’exploitation de l’employeur, permettant ainsi d’établir l’existence de difficultés économiques.
sur la suppression du poste de Mme [P]’:
Il est de principe qu’est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour motif économique dès lors que la suppression d’emploi n’est pas établie.
La fiche de poste définissant les fonctions de Mme [P] démontre que ses activités au profit de la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» s’inscrivaient de manière essentielle dans une activité de vente.
Il ressort de la liste des salariés de la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» que, le 9 novembre 2016, cette société a procédé au recrutement d’une vendeuse, dont il n’est pas contesté qu’elle a été recrutée dans le cadre d’un temps partiel.
En revanche, il n’est pas établi par les pièces produites aux débats par Mme [P] que la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» a procédé à d’autres recrutements après l’engagement de la procédure de licenciement à son encontre et jusqu’à la rupture de son contrat de travail.
La SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’», qui soutient que le recrutement effectué le 9 novembre 2016 portait sur la reconduction de contrats courts depuis 2014, ainsi que l’atteste l’ancienneté de la salariée en question, ne verse aux débats aucun élément de preuve au soutien d’une telle allégation.
Il est constant que ce recrutement a été réalisé postérieurement au licenciement de Mme [P] le 8 novembre 2016. Cependant, il convient de relever que cette nouvelle salariée a été embauchée le lendemain du licenciement de Mme [P]. Cette concomittance des dates et l’exercice par la nouvelle salariée de fonctions de vente établissent l’absence de suppression du poste de Mme [P].
sur le respect par la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» de son obligation de reclassement’:
L’article L.’1233-4 du code du travail, dans sa version issue de la loi n°2015-990 du 6 août 2015, applicable au litige, dispose que’:
Le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie.
Le reclassement du salarié s’effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, le reclassement s’effectue sur un emploi d’une catégorie inférieure.
Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.
Il en résulte que l’employeur est tenu avant tout licenciement économique de rechercher toutes les possibilités de reclassement existant dans le groupe dont il relève, parmi les entreprises dont l’activité, l’organisation ou le lieu d’exploitation permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel.
Il a été relevé que le capital social de la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» était entièrement détenu par la SCA «’Les Maitres Vignerons De [Localité 2]’», que le gérant de la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» exerçait par ailleurs les fonctions de vice-président de la SCA «’Les Maitres Vignerons De [Localité 2]’» et que ces deux sociétés avaient leur siège social à la même adresse.
Il a été retenu que la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» et la SCA «’Les Maitres Vignerons De [Localité 2]’» n’appartenaient pas au même secteur d’activités.
Cependant, Mme [P] produit à l’instance divers courriels, certains émanant de M. [C], gérant de la SCA «’Les Maitres Vignerons De [Localité 2]’», dont il ressort qu’elle a exécuté diverses prestations de travail pour le compte de cette dernière société (projet de courrier ou traitement d’une demande de réalisation d’étiquettes de vin personnalisées) ou a été associée à l’activité de celle-ci (formation de mise à niveau informatique ou information sur la mise en place d’une vidéoprotection).
Il est ainsi établi que l’organisation et le lieu d’exploitation de la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» et de la SCA «’Les Maitres Vignerons De [Localité 2]’» permettait d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel. Il incombait en conséquence à la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» de procéder à des recherches de reclassement au sein du groupe qu’elle constituait avec la SCA «’Les Maitres Vignerons De [Localité 2]’».
Il ressort de ce qui précède que la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» ne justifie pas de la suppression du poste de Mme [P] et qu’elle n’a pas tenté de procéder au reclassement de cette salariée dans le groupe auquelle elle appartenait, privant ainsi le licenciement de cette salariée de cause réelle et sérieuse.
Compte tenu de l’ancienneté de Mme [P] et de sa rémunération, soit 2’340’€, et de sa situation de demandeur d’emploi en 2017 et 2018, le préjudice qu’elle a subi à raison de la rupture injustifiée de son contrat de travail sera indemnisé en lui allouant la somme de 18’000’euros à titre de dommages-intérêts.
sur le surplus des demandes’:
La SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’», partie perdante qui sera condamnée aux dépens et déboutée de sa demande au titre de ses frais irrépétibles, devra payer à Mme [P] la somme de 2’000’euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement,
DECLARE Mme [P] recevable en son appel’;
INFIRME le jugement du conseil de prud’hommes de Draguignan du 14 février 2019′;
STATUANT à nouveau sur les chefs d’infirmation et y ajoutant’;
DIT que le licenciement de Mme [P] est dépourvu de cause réelle et sérieuse’;
CONDAMNE la SARL «’Les Vignerons de [Localité 2]’» à payer à Mme [P] les sommes suivantes’:
– 18’000’euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse’;
– 2’000’euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile’;
DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,
CONDAMNE Mme [P] aux dépens de première instance et d’appel.
Le Greffier Le Président