Prêt illicite de main d’oeuvre : 20 avril 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/05996

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Prêt illicite de main d’oeuvre : 20 avril 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/05996
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRÊT DU 20 AVRIL 2022

(n° , 12 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/05996 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B766Q

Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Avril 2019 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F 16/05770

APPELANTS

Maître [M] [K] ès qualité de liquidateur judiciaire de la société GLOBAL FACILITY SERVICES, anciennement SOCIÉTÉ FRANCAISE DE SERVICES GROUPE

[Adresse 5]

[Adresse 5]

Représenté par Me Vincent RIBAUT, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010

SAS STN

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Adresse 7]

Représentée par Me Vincent RIBAUT, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010

INTIMÉES

Madame [X] [Y]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentée par Me Thomas FORMOND, avocat au barreau de PARIS, toque : C2615

SAS [Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Jessica CHUQUET, avocat au barreau de PARIS, toque : E0595

ASSOCIATION UNEDIC DELEGATION AGS CGEA IDF EST

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Anne-France DE HARTINGH, avocat au barreau de PARIS, toque : R186

SYNDICAT DES SALARIES DES HOTELS DE PRESTIGE ET EC ONOMIQUES CGT-HPE

[Adresse 6]

[Adresse 6]

Représentée par Me Thomas FORMOND, avocat au barreau de PARIS, toque : C2615

Monsieur [N] [H]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représenté par Me Frédéric SAMAMA, avocat au barreau de PARIS, toque : D1267

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 23 Février 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Philippe MICHEL, président, chargé du rapport, et M. Fabrice MORILLO, conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Philippe MICHEL, président de chambre

Mme Valérie BLANCHET, conseillère

M. Fabrice MORILLO, conseiller

Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

– signé par Monsieur Philippe MICHEL, président et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant contrat à durée indéterminée, Mme [Y] a été engagée à compter du 1er août 2007 par la société CHH Services en qualité de gouvernante d’étage.

Par avenant du 1er novembre 2009, Mme [Y] a vu son contrat de travail transféré à la Société Française de Services Groupe, en qualité d’assistante gouvernante MP1 à temps plein.

Elle est devenue gouvernante générale MP2 sur le même site de l’hôtel Claridge par avenant en date du 1er mai 2010.

Elle a été affectée sur le site de l’hôtel Pullman Tour Eiffel par avenant en date du 3 mars 2011, établissement exploité par la société SH 18 Suffren.

La société Française de Services Groupe a été placée en redressement judiciaire en juin 2014.

Dans ce cadre, elle a changé de nom pour devenir la SA Global Facility Services.

Cette dernière a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 1er avril 2015 ayant désigné Me [K] en qualité de liquidateur.

La société Global Facility Services était spécialisée dans le nettoyage d’hôtels de luxe. Elle comptait plus de 11 salariés et appliquait la convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011.

La société STN Tefid lui a succédé à la suite d’un plan de cession à compter du 1er mai 2015.

Le 24 juin, le 20 juillet et le 16 septembre 2015, Mme [Y] a fait l’objet d’avertissements de la part de son employeur.

Estimant avoir été victime de harcèlement moral, de travail dissimulé, de marchandage et ne pas avoir été intégralement remplie de ses droits, Mme [Y] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 24 mai 2016. Le Syndicat des hôtels de prestige et économiques CGT est intervenu volontairement à l’audience.

Dans le dernier état de la procédure de première instance, Mme [Y] et le Syndicat des hôtels de prestige et économiques CGT demandaient au conseil de prud’hommes de :

A. Demandes de Mme [Y]

I. à l’égard de la société Global Facility Services :

– Fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Global Facility Services comme suit :

° Indemnité nourriture années (juin 2011 à avril 2015 ) : 5 600,04 euros,

° Congés payés afférents : 560 euros,

° Dommages et intérêts pour pratiques illicites de l’abattement forfaitaire : 3 000 euros

– Ordonner la remise des bulletins de paie sans abattement sur l’assiette de cotisations sociales sous astreinte de 200 euros / jour,

II. à l’égard de la société SH 18 Suffren et de la société Global Facility Services :

– Condamner la société SH 18 Suffren au paiement et fixer au passif de la société Global Facility Services les sommes suivantes :

° Dommages et intérêts pour travail dissimulé : 10 000 euros,

° Dommages et intérêts pour marchandage : 15 000 euros,

° Dommages et intérêts pour pratiques illicites de l’abattement forfaitaire : 10 000 euros,

° Article 700 du code de procédure civile : 1 000 euros

– Ordonner la remise des bulletins de paie sans abattement sur l’assiette de cotisations sociales sous astreinte de 200 €/jour,

III. à l’encontre de la société STN Groupe (STN Tefid ):

– Condamner la société STN Groupe au paiement des sommes suivantes :

° Indemnité nourriture (mai 2015 à janvier 2019 ) : 2 876,66 euros,

° Congés payés afférents : 287,66 euros,

° Dommages et intérêts pour pratiques illicites de l’abattement forfaitaire : 2 000 euros,

° Article 700 du code de procédure civile : 1 000 euros,

– Ordonner la remise des bulletins de paie sans abattement sur l’assiette de cotisations sociales sous astreinte de 200 euros / jour,

IV. à l’encontre de la société SH 18 Suffren et de la société STN Groupe :

– Condamner solidairement la société SH 18 Suffren et la société STN Groupe à lui payer les sommes suivantes :

° Dommages et intérêts pour marchandage : 10 000 euros,

° Article 700 du code de procédure civile : 1 000 euros,

V. à l’encontre de M. [H] et la société STN Groupe :

– Condamner solidairement M. [H] et la société STN Groupe à lui payer les sommes suivantes:

° Dommages et intérêts pour harcèlement moral : 15 000 euros,

° Article 700 du code de procédure civile : 1 000 euros,

Demandes du syndicat des salariés des hôtels de prestige et économiques CGT

– Condamner solidairement la société SH 18 Suffren et la société STN Groupe à lui payer les sommes suivantes :

° Dommages et intérêts : 10 000 euros,

° Article 700 du code de procédure civile : 1 000 euros.

Me [K], liquidateur de la société Global Facility Services, la société STN Groupe (STN Tefid) et M. [H] ont, chacun, conclu au débouté des demandes et à la condamnation des demandeurs sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, à hauteur de 1 500 euros pour les deux premiers et de 3 000 euros pour le dernier.

La société SH 18 a soulevé l’irrecevabilité des demandes de Mme [Y] pour la période antérieure au 23 mai 2016 et l’irrecevabilité des demandes du syndicat des salariés des hôtels de prestige et économiques CGT.

Par jugement de départage du 19 avril 2019, le conseil de prud’hommes de Paris a :

– Fixé les créances de Mme [Y] au passif de la société Global Facility Services à hauteur de:

° 5 600 euros au titre de la prime de nourriture de juin 2011 à avril 2016,

° 560 euros au titre des congés payés afférents,

° 1 000 euros au titre de la pratique illicite de l’abattement forfaitaire,

– Déclaré la créance opposable à l’AGS, subsidiairement à l’employeur redevenu in bonis,

– Ordonné la remise des documents sociaux conformes sous astreinte de 50 euros par jour,

– Annulé les avertissements des 24 juin, 20 juillet et 16 septembre 2015,

– Condamné la société STN au paiement des sommes de :

° 2 876 euros au titre de la prime nourriture de mai 2015 à juin 2019,

° 287 euros au titre des congés payés afférents,

° 1 000 euros au titre de la pratique illicite de l’abattement forfaitaire,

° 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– Mis hors de cause la société SH 18 Suffren,

– Condamné la société STN au paiement de la somme de 1 000 euros au syndicat CGT-HPE, intervenant volontaire, à titre de dommages-intérêts et 100 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– Débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Par déclaration du 10 mai 2019, la société STN Tefid et le mandataire liquidateur de la société Global Facility services ont interjeté appel du jugement notifié le 29 avril 2019.

Dans leurs dernières conclusions transmises à la cour le 12 août 2019, la société STN Tefid de venue la société STN et le mandataire liquidateur de la société Global Facility Services demandent à la cour de :

– Infirmer le jugement déféré en ce qu’il a fait droit à certaines demandes de Mme [Y] et du Syndicat des hôtels de prestige et économiques CGT,

– Débouter Mme [Y] et le Syndicat CGT-HPE de l’intégralité de leurs demandes,

– Condamner solidairement ou in solidum Mme [Y] et le Syndicat CGT-HPE à payer à Me [K], en sa qualité de liquidateur de la société Global Facility Services, la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,

– Condamner solidairement ou in solidum Mme [Y] et le Syndicat CGT-HPE à payer à la société ‘STN Tefid’ la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel.

Dans ses dernières conclusions transmises à la cour le 10 janvier 2022, la société SH 18 Suffren demande à la cour de confirmer le jugement déféré, de la mettre hors de cause, de débouter Mme [Y] et le syndicat CGT-HPE de l’ensemble de leurs demandes, de juger irrecevables les demandes de rappels de salaires, de juger irrecevables les demandes émanant du syndicat CGT-HPE, et de condamner in solidum Mme [Y] et le syndicat au paiement de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.

Dans ses dernières conclusions transmises à la cour le 21 octobre 2019, M. [H] demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [Y] et le syndicat CGT-HPE de leurs demandes à son encontre, et de les condamner solidairement au paiement de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 10 décembre 2020, l’AGS appelée en garantie demande à la cour d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il a fait droit à certaines demandes de Mme [Y] et du Syndicat CGT-HPE, de juger prescrites les demandes salariales antérieures au 24 mai 2016, de débouter Mme [Y] et le syndicat CGT-HPE de l’ensemble de leurs demandes, de déclarer inopposables les sommes réclamées par le syndicat, de juger irrecevables les demandes solidaires, en tout état de cause, d’opposer la subsidiarité de sa garantie à l’employeur in bonis, de limiter aux plafonds légaux sa garantie, et de ne pas mettre à sa charge les frais d’instance.

Par ordonnance définitive du 21 janvier 2021, le conseiller de la mise en état près la cour d’appel de Paris a déclaré irrecevables les conclusions prises dans l’intérêt de Mme [Y] et du syndicat CGT-HPE le 17 et le 22 juillet 2019, ainsi que toutes conclusions postérieures.

L’instruction a été clôturée le 25 janvier 2022, et l’affaire plaidée le 23 février 2022.

MOTIFS

Sur la prime de nourriture

Sur la prescription

Invoquant les dispositions de l’article L.3245-1 Code du travail, la société SH 18 Suffren et l’AGS CGEA Ile de France Est soutiennent que les demandes de Mme [Y] au titre de salaires et accessoires de salaires correspondant à des périodes antérieures au 24 mai 2013 sont irrecevables en ce qu’elles sont prescrites.

Cela étant, l’article L. 3245-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi 2013-504 du 14 juin 2013 a réduit de cinq à trois ans le délai de prescription de l’action en paiement ou en répétition du salaire.

Mais, selon les dispositions transitoires de la loi, pour les prescriptions en cours au jour de son entrée en vigueur, le nouveau délai de prescription court à compter de ce jour sans que le délai total ne puisse excéder l’ancien délai de prescription.

Mme [Y] sollicite le paiement de la prime de nourriture à compter de juin 2011.

L’ancien délai de prescription lié à cette demande était donc en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi 2013-504 du 14 juin 2013 fixé au 17 juin 2013, de sorte qu’un nouveau délai de trois ans a commencé à courir à cette date pour s’achever au 17 juin 2016.

L’action en paiement de la prime de nourriture n’était donc pas prescrite à la date de saisine du conseil de prud’hommes au 24 mai 2016.

Sur le fond de la demande

L’article 1er de l’arrêté Croizat du 22 février 1946 énonce :

‘L’arrêté s’applique pour l’ensemble du territoire métropolitain aux entreprises comprises dans les rubriques suivantes de la nomenclature des industries et professions de la statistique générale de la France telle qu’elle résulte du décret du 9 avril1936 relatif au classement des industries et professions.

Sous-groupe 6 Ac :débitants de boissons, limonadiers.

Sous-groupe 6 Af : restaurants et hôtels.

L’arrêté s’applique au personnel ressortissant de l’industrie hôtelière, des crémeries chaudes, friteries, milck-bars, cercles, clubs, casinos, cabarets, coopératives, cantines, cités universitaires, foyers féminins ou masculins, établissements d’enseignement privé, ‘uvres sociales et établissements de bienfaisance privés, etc.

L’arrêté s’applique également au personnel de l’industrie hôtelière travaillant dans les établissements dont l’activité principale ne ressortit pas de l’hôtellerie, mais où s’effectue cependant à titre accessoire la vente de denrées ou de boissons à consommer sur place, tels les salons de thé, lunchs, pâtisseries, etc.’

Mme [Y], qui a été déclarée irrecevable en ses conclusions, est réputée s’être appropriée les motifs du jugement entrepris qui l’a accueillie en ses demandes en rappel de prime de nourriture sur le fondement de l’article 7 de l’arrêté Croizat du 22 février 1946 après avoir relevé que la salariée était employée à temps complet sur le même site et qu’elle était présente au moment d’ouverture à la clientèle à l’heure des repas.

Mais, comme justement observé par Me [K] et la société STN, selon les termes de l’arrêté Croizat du 22 février 1946, le critère d’application qui permet de mettre à la charge de l’employeur l’obligation de nourrir gratuitement son personnel dans certaines conditions, tient à la nature de l’activité de l’employeur.

Or, Mme [Y] est salariée d’une entreprise de nettoyage et relève à ce titre de la convention collective nationale des entreprises de propreté en raison de l’activité principale de son employeur , non de la Convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants. Par ailleurs, elle n’effectue pas, même à titre accessoire, de vente de denrées ou de boissons.

Elle ne peut donc pas prétendre à l’application de l’arrêté Croizat du 22 février 1946.

Une inégalité de traitement subi par les gouvernantes et les femmes de chambre de la sous-traitance par rapport au personnel de l’hôtel ne peut être davantage invoquée dès lors que le principe d’égalité de traitement ne peut recevoir application qu’entre salariés d’une même entreprise, et non entre salariés d’un donneur d’ordre et salariés d’un sous-traitant.

En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu’il a fait doit aux demandes de rappel de prime de nourriture formées par Mme [Y] et cette dernière sera déboutée de ses prétentions à ce titre.

Sur le marchandage

La société SH 18 Suffren, Me [K], en sa qualité de liquidateur de la société Global Facility Services et la société STN, sollicitent la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il a débouté Mme [Y] de ses demandes liées au marchandage.

Ils font valoir que les sociétés Française de Services Groupe et STN Tefid, d’une part, et SH 18 Suffren, d’autre part, étaient liées par un contrat de prestation de service ayant pour objet d’effectuer avec son propre matériel, ses produits et son savoir-faire, la mise en propreté des parties communes et/ou des chambres dans des hôtels quasiment toujours de luxe ou de grand luxe et que la mise en propreté des chambres et/ou des parties communes ne constitue qu’une partie du service de l’hébergement, qui est constituée par l’existence de chambres et/ou de suites, d’une décoration de ces chambres et/ou suites, de la mise à disposition aux clients de différents matériels dans lesdits locaux, d’un service de ‘room-service’, dans les hôtels de catégorie supérieure d’une conciergerie disponible 24 heures sur 24, et de l’ensemble des services dudit hôtel.

Mme [Y], qui a été déclarée irrecevable en ses conclusions, est réputée s’être appropriée les motifs du jugement entrepris qui relèvent que la société SH 18 Suffren a choisi d’externaliser le nettoyage en la confiant à une société spécialisée dans 1’activité de nettoyage des hôtels de luxe et palaces, que cette dernière produit le contrat de prestations de services qui comporte l’engagement de fournir des prestations de nettoyage sur le site de la société donneuse d’ordre conformément au cahier des charges, que ce travail est exécuté par un personnel qualifié, que la société fournit les produits et le matériel, assume la responsabilité du recrutement et de l’administration de son personnel, ainsi que des obligations qui lui incombent en qualité d’employeur, que les salariés sont placés sous la seule direction d’un chef de site, qui est subordonné à la seule société de nettoyage, que les salariés de cette dernière, contrairement à ceux de la société SH 18 Suffren, bénéficient d’une prime d’expérience et d’un salaire de nuit, que la société de nettoyage organise des élections professionnelles, dispose d’un comité d’entreprise, et qu’une charte sur la sous-traitance de nettoyage a été signée par le Louvre Hotels Group, dont fait partie la société SH 18 Suffren, et les organisations syndicales, y compris le syndicat CGT HPE et qu’il résulte de ces éléments que la salariée échoue à prouver le prêt de main d’oeuvre illicite et le marchandage.

Il s’ensuit que les termes du jugement ayant conduit au rejet de Mme [Y] en ses demandes au titre du marchandage ne sont plus contestés à hauteur d’appel.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a débouté Mme [Y] de ses demandes liées au marchandage.

Sur la pratique de l’abattement sur l’assiette des cotisations sociales

La société STN fait valoir que l’article 5 de l’annexe IV du Code général des impôts prévoit une déduction forfaitaire spécifique de 10 % pour les ouvriers du bâtiment visés aux paragraphes 1 et 2 de l’article 1er du décret du 17 novembre 1936, à l’exclusion de ceux qui travaillent en usine ou en atelier, que les ouvriers des entreprises de nettoyage de locaux sont assimilés aux ouvriers du bâtiment visés par ledit décret et que le fait d’appliquer un statut différent aux salariés d’une même entreprise suivant qu’ils seraient affectés sur un site ou sur plusieurs sites, provoquerait une rupture d’égalité entre les différents salariés, de même qu’une insécurité juridique tant pour les salariés que pour les entreprises.

Mais, comme justement relevé par les premiers juges, l’article 9 de 1’arrêté du 20 décembre 2002, relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale, dans sa rédaction issue de l’article 6 de l’arrêté du 25 juillet 2005, n’ouvre la possibilité de bénéficier de la déduction forfaitaire spécifique pour frais professionnels qu’aux professions énumérées à l’article 5 de l’annexe IV du code général des impôts, lequel ne vise pas nommément les ouvriers de nettoyage de locaux.

Si ces ouvriers sont assimilés par la doctrine fiscale aux ouvriers du bâtiment expressément visés par le texte, c’est à la condition que, comme ces derniers, ils travaillent sur plusieurs chantiers pour le compte d’un même employeur.

Or, Mme [Y] ne travaille que sur un seul site.

Au surplus, Me [K] n’est pas fondé à invoquer une rupture d’égalité entre les différents salariés selon qu’il leur est appliqué ou non un abattement forfaitaire dès lors que les salariés affectés sur plusieurs sites et ceux affectés sur un seul site ne sont pas dans une même situation.

L’abattement forfaitaire ne pouvait donc pas être opéré.

En conséquence, la demande de remise de bulletins de paie sans abattement forfaitaire de Mme [Y] est fondée en son principe.

Toutefois, contrairement au jugement de première instance, il ne sera pas ordonné la remise de bulletins de paie sans abattement depuis l’embauche, mais la remise d’un bulletin de paie récapitulatif sans abattement.

Aucune circonstance particulière ne commande d’assortir l’obligation mise à la charge du liquidateur de remettre à la salariée un bulletin de salaire récapitulatif d’une astreinte.

Par ailleurs, dans la mesure où sur la part des salaires déjà réglés, Mme [Y] a bénéficié d’avantages résultant de ce qu’elle a ainsi versé moins de cotisations et de charges sociales, elle ne justifie pas d’un préjudice particulier susceptible de devoir être indemnisé. Elle sera déboutée, par infirmation du jugement entrepris de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.

Sur l’indemnité pour travail dissimulé

Comme justement relevé par Me [K], l’article L.8223-1 du Code du travail ne prévoit d’indemnité pour travail dissimulé qu’en cas de rupture de la relation de travail et un transfert du contrat de travail par application de l’article 7 de la Convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés n’est pas assimilable à telle une rupture puisqu’il implique au contraire la poursuite en continuité du contrat de travail auprès d’un autre employeur.

Le jugement entrepris sera confirmé, par substitution de motifs, en ce qu’il a débouté Mme [Y] de sa demande en indemnité pour travail dissimulé.

Sur les avertissements

Pour annuler les avertissements, le jugement entrepris, dont Mme [Y] est réputée s’approprier les motifs, relève que les avertissements sont la conséquence de constats de M. [H] alors qu’il est établi que ce dernier était militant du syndicat CGT des agents de la propreté et des services associés qui a été exclu de la CGT par 87% des suffrages au congrès du 10 novembre 2016 pour sa conduite contraire aux valeurs de ce syndicat, que l’intéressé se trouvait donc, au moment des faits, en opposition avec la salariée, représentante du syndicat CGT-HPE et qu’il en résulte une situation de conflit d’intérêts alors que des témoignages des salariés établissent que M. [H] faisait un usage abusif de son pouvoir de direction et que les situations dénoncées sont invérifiables.

Cela étant, selon les pièces du dossier, la société STN a adressé à Mme [Y] :

– un avertissement le 24 juin pour :

° contrôle incomplet des chambres de 2 juin 2016,

° anomalies dans une chambre contrôlée par la salariée le 19 juin 2016,

° nombreuses anomalies dans une chambre contrôlée par la salariée le 23 juin 2016,

– un avertissement le 20 juillet 2016 pour :

° contrôle défectueux d’une chambre par la salariée le 14 juillet 2016,

° contrôle défectueux d’une chambre par la salariée le 11 juillet 2016,

° contrôle défectueux d’une chambre par la salariée le 7 juillet 2016,

° départs de fin de service anticipés les 23, 24, 26 et 30 juin ainsi que les 8, 9 et 10 juillet 2016,

– un avertissement du 21 septembre 2016 pour :

° contrôle défectueux d’une chambre par la salariée le 12 septembre 2016.

Cela étant, les griefs ayant donné lieu aux avertissements ci-dessus sont établis par de nombreux mails de réclamations adressés à l’employeur avec, pour certains, des demandes de sanctions, au sujet de la mauvaise qualité des prestations de Mme [Y] et du non respect de ses horaires par la salariée.

Aucune des pièces versées à la cour ne permet de constater que les signalements effectués par [N] [H], responsable du site, sont directement ou même indirectement liés au conflit syndical opposant celui-ci au syndicat CGT-HPE auquel appartient Mme [Y].

Au surplus, certains des mails de réclamation proviennent d’une salariée de la société cliente :

– mail du 18 juillet 2016 :

‘objet : TR alerte de ce client 512 arrivé le 14 juillet : ‘[D], c’est quoi cette poubelle sur le balcon – un oubli d’enlèvement ‘ Pas de vérification du balcon ..” Difficult to know now… but indeed not good. [T]’

ou de l’inspectrice de la société STN :

– mail du 12 juillet 2016 :

‘[F],

Ci-dessous le constat du contrôle du 11 juillet.

544 Fati

1 verre à dent sale,

trace de lait sur couvercle poubelle chambre,

tablette lavabo

(suit énumération de six autres anomalies)’

En conséquence, Mme [Y] sera déboutée de sa demande en annulation des avertissements, par infirmation du jugement entrepris.

Sur le harcèlement

Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l’article L.1254-1 du même code, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Cela étant, Mme [Y] qui a été déclarée irrecevable en ses pièces et conclusions ne présente à hauteur de cour aucun élément de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement d’autant que le jugement entrepris dont elle est réputée s’approprier les motifs relève que ‘la dénonciation d’un grand nombre d’agissements répréhensibles [de la part de M. [H]] est inopérante pour caractériser un harcèlement en ce qui concerne Mme [Y], qu’en effet, il n’est pas établi qu’elle en était également victime on qu’elle a fait l’objet de mesures de rétorsion pour les avoir relatés’.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté Mme [Y] de ses demande relatives au harcèlement.

Sur la demande en dommages et intérêts du syndicat CGT-HPE

C’est par des motifs contradictoires que les premiers juges ont, dans un premier temps, écarté le marchandage et le prêt illicite de main d’oeuvre après avoir reconnu l’existence d’un contrat régulier de sous traitance entre l’employeur de Mme [Y] et la société hôtelière client et relevé qu’il n’est pas soutenu que la société STN ait manqué de loyauté dans 1’application des principes contenus dans la charte sur la sous-traitance de nettoyage signée par le Louvre Hotels Group, dont fait partie la société SH 18 Suffren ,et les organisations syndicales, y compris le syndicat CGT-HPE, avant, dans un second temps, de dire que l’action du syndicat CGT-HPE concerne une collectivité de travailleurs et pose un problème de principe, en l’espèce la licéité des contrats de sous-traitance de nettoyage dans l’hôtellerie et l’application loyale de la charte de la sous traitance dont le syndicat CGT-HPE est signataire pour condamner la société STN à verser au syndicat la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts.

En tout état de cause, le syndicat CGT-HPE, irrecevable en ses conclusions et pièces, ne rapporte pas le preuve de l’existence d’un préjudice dont il ne précise d’ailleurs pas la nature.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a fait droit à la demande en dommages et intérêts du syndicat CGT-HPE.

Sur les frais non compris dans les dépens et les dépens

M. [H] sollicite la condamnation solidaire de Mme [Y] et du syndicat CGT-HPE à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Toutefois, il n’apparaît pas dans la procédure que le syndicat CGT-HPE ait dirigé son action contre M. [H].

Ce dernier sera donc débouté de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile à l’encontre du syndicat.

Mme [Y] qui succombe tant en première instance qu’en appel en toutes ses demandes à l’encontre de M. [H] sera condamnée à verser à celui-ci la somme de 200 euros au titre des frais exposés par celui-ci en appel qui ne sont pas compris dans les dépens, conformément aux dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La société SH 18 Suffren sollicite la condamnation in solidum de Mme [Y] et du syndicat CGT-HPE à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de ce même article 700.

Cela étant, les situations économiques respectives des parties commandent de débouter la société SH 18 Suffren de sa demande à l’encontre de Mme [Y], selon la faculté prévue par ce texte.

Toutefois, le syndicat CGT-HPE, qui succombe en toutes ses demandes, sera condamné à verser à la société SH 18 Suffren la somme de 200 euros au titre des frais exposés par celle-ci en appel qui ne sont pas compris dans les dépens.

Me [K] demande à la cour de condamner solidairement ou in solidum Mme [Y] et le syndicat CGT-HPE à lui payer la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

La société STN forme la même demande.

Mais, l’accueil partiel de Mme [Y], appuyée par le syndicat CGT-HPE, en sa demande de rétablissement de l’abattement forfaitaire justifie de rejeter les demandes de Me [K] et de la société STN au titre des frais non compris dans les dépens qu’ils ont exposés.

Chaque partie, qui a été déboutée d’une partie de ses demandes, conservera la charge de ses propres dépens.

Sur l’intervention de l’AGS CGEA Ile de France Est

Même s’il n’engage pas la garantie de l’AGS CGEA Ile de France Est en l’absence de fixation d’une créance au passif de la société Global Facility Services, l’arrêt sera rendu opposable à celle-ci.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Mme [Y] de ses demandes en dommages et intérêts pour harcèlement moral, travail dissimulé et marchandage, et en ce qu’il a mis hors de cause la société SH 18 Suffren,

INFIRME le jugement entrepris pour le surplus,

Statuant à nouveau dans cette limite,

DÉBOUTE Mme [Y] de ses demandes en indemnité de nourriture et congés payés afférents, en annulation des avertissements des 24 juin, 20 juillet et 16 septembre 2015 et en dommages et intérêts pour pratique illicite d’abattement forfaitaire,

DÉBOUTE le syndicat CGT-HPE de sa demande en dommages et intérêts,

CONDAMNE la société STN à remettre à Mme [Y] un bulletin de paie récapitulatif sans abattement sur l’assiette de calcul des cotisations sociales, pour la période débutant au 1er mai 2015,

DIT n’y avoir lieu à assortir cette condamnation d’une astreinte,

Y ajoutant,

CONDAMNE Mme [Y] à payer à M. [H] la somme de 200 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

REJETTE toutes les autres demandes fondées sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

LAISSE à chaque partie la charge de ses propres dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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