Prêt illicite de main d’oeuvre : 25 janvier 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 19/04709

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Prêt illicite de main d’oeuvre : 25 janvier 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 19/04709
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COUR D’APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE – SECTION A

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ARRÊT DU : 25 JANVIER 2023

PRUD’HOMMES

N° RG 19/04709 – N° Portalis DBVJ-V-B7D-LGLR

Monsieur [J] [R]

c/

Mutualité Sociale Agricole (MSA)

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 juillet 2019 (R.G. n°17/00303) par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d’appel du 21 août 2019,

APPELANT :

Monsieur [J] [R]

né le 31 Mars 1959 à [Localité 3] (POLOGNE) de nationalité Française

Profession : Contrôleur, demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Caroline DUPUY, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

Mutualité Sociale Agricole de la Gironde (MSA), prise en la personne de son Directeur domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 1]

N° SIRET : 332 159 896 00015

représentée par Me Christophe BIAIS de la SELARL BIAIS ET ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 12 décembre 2022 en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 16 août 1979, Monsieur [J] [R], né en 1959, a été engagé par la Mutualité Sociale Agricole de la Gironde (ci-après dénommée la MSA) en qualité d’agent de contrôle.

A partir de 1991, M. [R] a exercé les fonctions de contrôleur agréé et assermenté au sein du service contrôle de la MSA, composé de six autres contrôleurs ayant pour mission de vérifier la régularité des déclarations et du paiement des cotisations ainsi que l’affiliation du personnel des entreprises du secteur agricole.

***

En septembre 2012, M. [X] [B], responsable du service contrôle et supérieur hiérarchique de M. [R], a signalé à la direction de la MSA un problème déontologique concernant deux contrôleurs, collègues de M. [R], M. [N] [M] et M. [V] [A], lié au fait que M. [A] était associé dans une société de prestations de main d’oeuvre viticole relevant du secteur de contrôle de M. [M].

La question d’une sanction disciplinaire à l’égard de M. [A] a été posée à la direction de la caisse centrale de la MSA qui, le 9 octobre 2012, répondait qu’il semblait difficile d’envisager un licenciement car la seule détention de parts sociales n’était pas interdite et qu’un licenciement pour ‘cumul d’emplois’ présentait des risques de requalification en cas de contentieux d’autant qu’il n’y avait pas de trouble objectif causé par la situation.

Le 3 décembre 2012, la direction de la MSA a décidé de procéder à un signalement sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale auprès du procureur de la République du tribunal de grande instance de Libourne qui a diligenté une enquête.

Le courrier adressé par la MSA indiquait que M. [A] était associé à 80% d’une SARL – la société Vinum Vinea Services – ayant pour objet des prestations de services de travaux viticoles, agricoles, de chais et d’espaces verts, dont la gérante était sa soeur. Il était précisé que cette société avait été affiliée à la MSA suite à un rapport favorable établi par M [M] et que les déclarations préalables à l’embauche des salariés de cette société semblaient avoir été écrites soit de la main de M. [A], soit de celle de M. [M].

Le courrier évoquait des conflits d’intérêts potentiels du fait que les pouvoirs de contrôle des agents les amenaient à connaître le noyau de clientèle, le chiffre d’affaires de la concurrence et les prestataires travaillant pour les donneurs d’ordre.

Dans un second courrier du 17 janvier 2013, la MSA a signalé des faits mettant directement en cause M. [M] à propos d’une autre société -dite société VV- , également affiliée à la MSA, suite à deux rapports de contrôles favorables établis par le salarié en dehors de tout formalisme réglementaire et en contournant l’outil de suivi sécurisé, le courrier précisant que certaines déclarations sociales semblaient écrites de la main de M. [M] ou comportaient des signatures identiques à celles du dossier de la société Vinum Vinea Services.

Par lettre du 4 février 2013, à la suite d’entretiens des 24 octobre, 20 novembre 2012 et des 2 et 29 janvier 2013 avec M. [A], la MSA lui indiquait, que, compte tenu de sa situation, il serait maintenu au sein du service contrôle mais avec un champ d’intervention orienté uniquement sur le domaine des prestations.

Le 17 février 2013, la MSA adressait un troisième courrier au procureur de la République du tribunal de Libourne, signalant qu’un contrôle avait révélé que M. [A] se comportait comme l’employeur actif de plusieurs salariés de la société travaillant sur des parcelles de vigne appartenant à d’autres sociétés, situation pouvant notamment constituer un prêt illicite de main d’oeuvre.

La MSA alertait le Parquet sur l’urgence de clarifier la situation de Messieurs [A] et [M], agents assermentés, en soulignant que plusieurs administrateurs de la caisse représentant les élus MSA salariés, employeurs ou exploitants étaient au courant de remontées de terrain sur ces situations, mettant à mal la politique de contrôle de la caisse et la lutte contre le travail illégal dans le département.

En mars 2014, l’enquête pénale a été clôturée par le procureur de la République par un classement sans suite, ce dont la MSA a été avisée le 15 mai 2014.

***

Du 8 mars 2013 au 6 mai 2013, M. [R] a été placé en arrêt de travail pour maladie.

En août 2013, suite au départ en retraite du responsable du service contrôle, M. [R] a postulé à cet emploi mais c’est un autre candidat, M. [H] [E], qui a été retenu et nommé à ce poste en février 2014.

Le 21 mars 2014, M. [R] a été placé en arrêt de travail pour maladie, arrêt prolongé jusqu’au 31 janvier 2016.

Une déclaration en vue de la reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie a été établie par le médecin traitant de M. [R] le 2 octobre 2014.

Le 15 avril 2015, la MSA a rejeté la demande de reconnaissance de la maladie professionnelle de M. [R].

Le 30 juillet 2015, le médecin traitant de M. [R] a établi une demande de reconnaissance d’accident du travail survenu le 20 mars 2014 au titre ‘du syndrome anxiophobique + mélancolie réactionnel au contexte professionnel ayant justifié un arrêt de travail’ depuis le 21 mars 2014, la déclaration adressée par M. [R] faisant état de l’incident suivant : ‘la réception d’un mail le 20 mars de mon responsable de service [M. [E]] et sa diffusion auprès de la DRH m’a occasionné un choc psychologique pour lequel je suis toujours à ce jour en arrêt de travail’.

Le 3 novembre 2015, la MSA a refusé la reconnaissance de l’accident du travail, cette décision étant confirmée par la commission de recours amiable le 12 février 2016.

Par jugement rendu le 18 septembre 2017, le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Gironde a fait droit au recours formé par M. [R] et dit que l’accident dont celui-ci avait été victime le 20 mars 2014 doit être pris en charge au titre de la législation professionnelle.

Ce jugement a été confirmé par arrêt de la cour le 5 décembre 2019.

***

L’état de santé de M. [R] a été déclaré consolidé le 30 novembre 2015 et le versement des indemnités journalières a été interrompu le 1er février 2016.

A la suite de deux visites des 4 et 25 février 2016 et étude de poste du 5 février 2016, le médecin du travail a déclaré M. [R] inapte, préconisant un reclassement dans l’entreprise “hors service contrôle”.

Le 9 mars 2016, la MSA a adressé une offre de reclassement au poste de conseiller des entreprises et protection sociale à M. [R] qui l’a acceptée le 14 mars 2016.

***

Le 28 février 2017, sollicitant le paiement d’une indemnité d’occupation du domicile à des fins professionnelles ainsi que des dommages et intérêts pour violation par l’employeur des obligations de sécurité, de loyauté et de de reclassement, M. [R] a saisi le conseil de prud’hommes de Bordeaux qui, par jugement rendu le 19 juillet 2019, a :

– condamné la MSA de la Gironde à verser à M. [R] les sommes suivantes :

* 3.189 euros au titre des dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité et de loyauté,

* 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté M. [R] du surplus de ses demandes,

– débouté la MSA de la Gironde de sa demande d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la MSA de la Gironde aux dépens et frais éventuels d’exécution.

Par déclaration du 21 août 2019, M. [R] a relevé appel de cette décision, notifiée par lettre adressée par le greffe aux parties le 22 juillet 2019.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 8 novembre 2022, M. [R] demande à la cour de :

– déclarer irrecevable l’exception d’incompétence soulevée par la MSA de la Gironde dans ses conclusions en date du 19 février 2020 en application de l’article 74 du code de procédure civile,

– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes en date du 19 juillet 2019 en ce qu’il a d’ores et déjà estimé que la MSA de la Gironde s’était rendue coupable d’une exécution déloyale du contrat de travail et de la violation de son obligation de sécurité,

Faisant droit à son appel limité,

– condamner la MSA de la Gironde au versement des sommes suivantes :

* à titre de dommages et intérêts pour violation des obligations de sécurité et de loyauté antérieurement à la décision d’inaptitude médicale (six mois de salaire intérêts en application des articles L. 1222-1 et L. 4121-1 du code du travail) : 6 x3.189 euros : 19.133,99 euros,

* à titre de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de loyauté dans le cadre du reclassement postérieur à l’inaptitude au poste de travail (12 mois de salaire en application de l’article L.1226-10 à titre principal et des articles L. 1226-2 et L. 1222-1 à titre subsidiaire) : 12 X 3.189 euros : 38.267,97 euros,

* à titre d’indemnité d’occupation du domicile à des fins professionnelles pour la période non prescrite sur la base de 70 euros nets mensuels : 3.640 euros nets selon le tableur arrêté au 31/05/2018, calcul à parfaire,

– rejeter les demandes formulées par la MSA de la Gironde dans le cadre de son appel incident tendant à obtenir la réformation de la décision de première instance sur la condamnation à 3.189 euros de dommages et intérêts pour violation des obligations de sécurité et de loyauté et la condamnation à 700 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– sur l’indemnité article 700 du code de procédure civile, confirmer la somme de 700 euros allouée en première instance et condamner la MSA de la Gironde à lui verser une somme complémentaire de 2.500 euros compte tenu des frais exposés devant la cour,

– rejeter la demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile formulée par la MSA de la Gironde dans ses conclusions d’appel,

– condamner la MSA de la Gironde au paiement des dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 19 février 2020, la MSA de la Gironde demande à la cour :

– d’infirmer par voie de réformation le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Bordeaux le 19 juillet 2019 en ce qu’il l’a condamnée à verser à M. [R] 3.189 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité et de loyauté, 700 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et l’a déboutée de sa demande reconventionnelle sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, après avoir jugé qu’elle n’a manqué à aucune obligation de sécurité,

– de confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Bordeaux le 19 juillet 2019 en ce qu’il a débouté M. [R] de ses demandes de dommages et intérêts au titre de l’indemnité d’occupation du logement à des fins professionnelles et pour violation de l’obligation de reclassement en cours d’emploi en application de l’article L. 1226-10 et, subsidiairement, des articles L. 1226-2 et L. 1 222-1 du code du travail, après avoir dit qu’elle n’a pas manqué à ses obligations en matière de reclassement et que M. [R] ne justifie d’aucun préjudice de carrière,

– de débouter M. [R] de toutes ses demandes,

– de condamner M. [R] à lui verser la somme de 3.000 euros à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

La médiation proposée aux parties par le conseiller de la mise en état le 13 avril 2022 n’a pas abouti.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ainsi qu’à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande au titre de la violation de l’obligation de sécurité et de loyauté antérieure à la déclaration d’inaptitude

M. [R] sollicite la confirmation de la décision déférée en ce qu’elle a reconnu l’existence d’un manquement de l’employeur à ses obligations de sécurité et d’exécution déloyale du contrat de travail mais son infirmation quant au quantum de la somme allouée à titre de dommages et intérêts qu’il souhaite voir porter à 19.133,99 euros correspondant à 6 mois de salaire.

– Sur l’incompétence de la juridiction prud’homale

Outre qu’aucune demande au titre de l’incompétence de la juridiction prud’homale ne figure dans le dispositif des écritures de la MSA, M. [R] fait valoir à juste titre que cette exception d’incompétence évoquée en page 24 des écritures de l’intimée est irrecevable comme n’ayant pas été présentée devant le conseil de prud’hommes en application des dispositions de l’article 74 du code de procédure civile.

– Sur la demande au fond

En vertu des dispositions des articles L. 1222-1 et L. 4121-1 du code du travail, l’employeur est tenu d’exécuter loyalement le contrat de travail ainsi que de l’obligation de préserver la santé et la sécurité des salariés et doit, à ce titre prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, mesures comportant notamment la mise en oeuvre des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail et la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés, et veiller à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.

Au soutien de sa demande, M. [R], après avoir rappelé les obligations pesant sur l’employeur au titre de ses obligations de loyauté et de sécurité, invoque en premier lieu, le fait que la MSA ne communique pas le document unique sur la sécurité.

Aucune réponse n’est apportée à ce sujet par la MSA qui ne produit que ‘l’actualisation du document pour l’année 2014′ et non la version pour les années 2012 et 2013 de ce document, obligatoire en vertu des articles L. 4121-3 et R.4121-1 et suivants du code du travail et destiné notamment à l’évaluation des risques psychosociaux et à la mise en oeuvre de mesures de nature à assurer la prévention de tels risques.

*

M. [R] fait ensuite valoir que sa mission, comme celle de tous les contrôleurs assermentés, l’exposait habituellement à des situations de conflit, d’agressivité et de pression subies au quotidien à l’occasion des contrôles, situation qui s’est aggravée après la mise en cause de la probité de deux agents du service, contre lesquelles l’employeur n’a pris aucune mesure.

Ainsi que le fait valoir la MSA, il ne peut lui être utilement reproché de ne pas avoir engagé une procédure disciplinaire à l’encontre de Messieurs [A] et [M], décision qui, outre qu’elle relevait de son pouvoir de direction, était d’autant plus hasardeuse sur un plan juridique que l’enquête diligentée par le Procureur de la République du tribunal de garnde instance de Libourne après le signalement effectué le 3 décembre 2012 a fait l’objet d’un classement sans suite le 5 mars 2014, ce dont la MSA a été informée le 15 mai 2014.

Il appartient cependant à la MSA de démontrer qu’au titre de son obligation de sécurité, elle a mis en place les mesures nécessaires à la prévention des risques psychosociaux liés non seulement à l’exécution de la prestation de travail de ses salariés mais également à l’environnement professionnel dans lequel elle était effectuée alors qu’il ne peut être contesté que les missions des agents du service contrôle s’inscrivent, ainsi que le soutient M. [R], dans un contexte sinon d’agressivité mais à tout le moins d’hostilité des entreprises faisant l’objet de contrôle.

Ce contexte était aggravé par la mise en cause de la probité de deux des agents du service contrôle remettant en cause ‘toute la politique de contrôle (…) et plus encore de lutte contre le travail illégal’ ainsi que le soulignait elle-même la MSA dans le courrier adressé au procureur de la République du tribunal de Libourne le 26 février 2013, évoquant aussi que les administrateurs représentant les élus MSA salariés, employeurs et exploitants étaient ‘au courant de remontées de terrain sur ces situations’.

La MSA fait certes valoir avoir engagé des mesures d’accompagnement à la suite du signalement de la situation particulière de deux des agents du service contrôle dont faisait partie M. [R], invoquant notamment :

– avoir échangé avec le médecin du travail (lettre du 21 mars 2013 adressé par Mme [K] au médecin du travail) ;

– les réunions du CHSCT des 28 février 2013, 12 avril 2013 ;

– la mise en place entre avril et octobre 2013 d’un groupe de travail chargé de proposer des mesures pour améliorer les conditions de travail ;

– la rencontre de la direction de la MSA avec l’inspecteur du travail le 5 novembre 2013 et l’appel à une médiatrice externe qui a reçu M. [R] ;

– des entretiens individuels en juin 2014 avec ‘tous les acteurs concernés pour envisager au mieux l’activité du service en préservant la santé / sécurité de tous les salariés’ ;

– le récapitulatif des actions menées adressé à la mission nationale de contrôle le 17 septembre 2014.

La cour relève cependant les éléments suivants :

– la mise en oeuvre de l’accompagnement évoqué dans le courrier adressé le 21 mars 2013 au médecin du travail des quatre salariés, déclarés par celui-ci en inaptitude temporaire, dont M. [R], comportant notamment l’engagement de recevoir ces salariés lors de la reprise de leur travail, n’est pas justifiée ;

– lors de la réunion du CHSCT du 28 février 2013, la directrice de la MSA, outre qu’elle s’étonnait de la saisine de cette instance, alors que celle-ci était en réalité parfaitement compétente au regard des difficultés soulevées quant aux conditions de travail des agents du service de contrôle, faisait état de la mise en place d’un groupe de parole et de la proposition d’un entretien individuel avec chacun d’eux : il n’est justifié par aucune pièce de la mise en oeuvre de ces propositions en ce qui concerne M. [R] ;

– lors de la réunion du même CHSCT du 12 avril 2013, si la directrice de la MSA déplore la communication en externe [et notamment des articles du journal régional quant aux suspicions de fraude pesant sur certains agents du service] au sujet des difficultés rencontrées au sein du service contrôle, le médecin du travail présent signale l’existence de risques psychosociaux, la situation de ‘grande souffrance’ des personnes du service et suggère l’appui d’une personne extérieure et les membres élus confortent cette analyse,

– les réunions du groupe de travail ont confirmé l’existence des difficultés dans le service de contrôle :

* au cours de la réunion du 18 avril 2013, il est relevé : plus aucune réunion de service depuis janvier 2013, plus aucune information de la direction depuis les articles de presse des 29 mars et 5 avril 2013 générant une ‘ambiance de défiance générale’, arrêt des contrôles concertés avec la police, l’URSSAF, la brigade de contrôle des services fiscaux et la CAF, arrêts des contrôles sur le travail dissimulé, risque de rixe généré par les contrôles,

* au cours de la réunion du 11 juin 2013, il est relevé : la reprise de réunion de service est prématurée ; il faut attendre l’aboutissement de l’enquête,

* au cours de la réunion du 6 octobre 2013, il est relevé : conditions de travail toujours très difficiles de la secrétaire ; sentiment de ‘travail saboté’ des contrôleurs dont la crédibilité est mise à mal ; arrêts de travail en lien avec les conditions de travail ; absence de réunion de service ; la directrice conclut que le groupe de travail est informel et n’a pas vocation à perdurer ;

– aucune action n’est justifiée entre d’une part, l’alerte grave donnée par le médecin du travail le 12 avril 2013, la dernière réunion du groupe de travail le 6 octobre 2013 et, d’autre part le mois de juillet 2014 ; en particulier, la réception individuelle en juin 2014 de ‘tous les acteurs concernés pour envisager au mieux l’activité du service en préservant la santé / sécurité de tous les salariés’ ne repose sur aucune pièce ;

– le mail produit quant à la rencontre de la médiatrice et de M. [R] (le 3 novembre 2014) ne permet aucune conclusion quant au contenu de cet échange ;

– le rapport d’intervention établi par la médiatrice intitulé MSA / septembre – octobre 2014 signale que le service ‘continue de porter les stigmates, les climats relationnel et organisationnel restant toujours très tendus et de nature à interroger les risques éventuels d’altération de la santé mentale de certains salariés’, que la médiation mise en oeuvre révèle ‘une situation d’épuisement psychique de l’équipe dans son ensemble liée à la durée et à l’intensité des difficultés vécues’, ‘une situation post traumatique’, une ‘attente unanime de clarification du cadre de travail par la direction’, des questions d’éthique et d’inéquité dans le travail, liées au mode dégradé d’organisation et d’affirmation de l’autorité du chef de service nouvellement nommé ;

– ce rapport suggérait plusieurs pistes de préconisation avec trois scénarii ; en particulier, la médiatrice soulignait la nécessité pour les membres du service contrôle d’avoir une lisibilité sur l’organisation à venir ainsi que celle d’une remise à plat du fonctionnement général du service ;

– aucune pièce ne permet de retenir que ces préconisations ont été mises en oeuvre.

Il est établi par l’ensemble des pièces produites par les parties que :

– la mise en cause de la probité de deux des agents du service contrôle a entraîné une dégradation des conditions de travail des autres salariés de ce service, qui sont très clairement décrites dans les comptes-rendus des réunions du CHSCT de février à mai 2013 et qui démontrent que le mal-être des salariés, et notamment celui de M. [R], déclaré inapte temporaire à son poste par le médecin du travail le 8 mars 2013 et placé en arrêt de travail à compter de cette date et jusqu’au 6 mai 2013, n’est pas que lié, contrairement à ce que soutient la MSA, au rejet de sa candidature au poste de responsable du service qui lui avait été notifié ultérieurement, le 29 novembre 2013 ;

– les mesures mises en oeuvre n’ont pas été adaptées ni suffisantes à prévenir les risques avérés quant à la santé psychique des autres salariés du service, dont M. [R], étant observé en outre que la prétendue limitation de M. [A] à des tâches de mission de contrôle des prestations n’est pas justifiée, que ce n’est qu’en janvier 2015 que la MSA a proposé un nouveau poste à ce salarié, dont elle indique, sans en justifier, qu’à l’issue d’un arrêt de travail de janvier 2015 à mars 2016, il a été déclaré inapte à son poste par le médecin du travail et licencié pour ce motif. Le sort réservé à M. [M] n’est pas précisé, ce salarié ayant été manifestement maintenu à son poste.

Par ailleurs, en l’état des pièces produites, la nomination d’un nouveau chef de service en février 2014, en la personne de M. [E], dont la médiatrice évoquait un ‘mode dégradé d’affirmation de son autorité sur les agents’ n’a fait l’objet d’aucun accompagnement ni remise à plat du fonctionnement du service, contrairement à ce qui avait été préconisé dans le rapport remis à la MSA.

Ces éléments sont de nature à expliquer la réaction de M. [R] lorsque, le 17 mars 2014, M. [E] lui a annoncé une réunion le 24 mars 2014 de ‘tout le service’, incluant Messieurs [A] et [M], alors que, depuis la fin de l’année 2012, il n’y avait plus de réunion pour éviter une confrontation entre ces deux agents et les autres contrôleurs.

Le message adressé le 19 mars 2014 par M. [E] à M. [R], dont la DRH, Mme [Z], était en copie, faisait fi d’une situation enkystée depuis plus d’un an et demi que subissaient les contrôleurs à raison de la mise en cause de deux collègues, ce que ce responsable de service ne pouvait ignorer pas plus qu’il ne pouvait ignorer que le reproche fait à M. [R] était susceptible de blesser moralement celui-ci.

M. [R] justifie, par l’ensemble des documents médicaux produits ainsi que par la reconnaissance du caractère professionnel de ses arrêts de travail, avoir subi une dégradation de son état de santé imputable aux manquements de son employeur à ses obligations de sécurité et d’exécution loyale du contrat et au climat particulièrement difficultueux de ses conditions de travail.

Le préjudice en résultant sera évalué à la somme de 10.000 euros que la MSA sera condamnée à payer à M. [R].

Sur la demande au titre de la violation de l’obligation de loyauté dans le cadre du reclassement postérieur à l’inaptitude au poste de travail

M. [R] sollicite l’infirmation de la décision déférée qui l’a débouté de sa demande en paiement de la somme de 38.267,97 euros à titre de dommages et intérêts.

***

Il invoque en premier lieu le fait que l’employeur ne lui a proposé qu’un seul poste et que, s’abstenant de produire le registre du personnel, il ne justifie pas qu’il ne pouvait pas en proposer d’autres.

*

Ainsi que l’ont retenu à juste titre les premiers juges, l’obligation de reclassement de l’employeur en cas d’inaptitude médicale du salarié à son poste, lui impose de proposer à ce salarié un autre emploi approprié à ses capacités aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé.

Selon avis et courrier du 25 février 2016, le médecin du travail a préconisé le reclassement de M. [R] à un poste hors du service contrôle. Le 3 mars 2016, la MSA a soumis pour avis à ce médecin l’emploi de conseiller entreprises et protection sociale, poste d’un niveau équivalent à celui que le salarié occupait et comportant, comme le précédent, un travail de terrain auprès des entreprises, exploitants et partenaires, joignant à son courrier la fiche descriptive de cet emploi.

Le médecin a répondu le 4 mars 2016 que ce poste était compatible avec l’état de santé de M. [R] que l’employeur a invité à un entretien au sujet de ce poste le 7 mars.

M. [R] a été reçu le 8 mars et cette proposition a été faite par écrit le lendemain à M. [R] qui l’a accepté.

Dans ces circonstances, la MSA n’avait pas à rechercher d’autres possibilités de reclassement.

***

M. [R] soutient ensuite que :

– il a été sommé de restituer sa carte de contrôleur,

– il ne lui a été proposé aucune formation pour son nouveau poste, si ce n’est trois jours concernant la gestion des situations difficiles avec les adhérents,

– il n’a pas eu de formation en interne, a dû attendre quatre mois pour avoir une imprimante et s’est vu refuser l’entrée au service informatique,

– son activité, qu’il décrit, serait beaucoup moins technique et moins valorisante,

– il subit un préjudice de carrière important et est toujours en souffrance au travail.

Il invoque aussi une disparité de traitement :

– dans la distribution des points de mobilité,

– dans son niveau de classement, soit 5, alors que la personne qu’il a remplacée avait un niveau 6 dont il a sollicité l’obtention le 6 juillet 2018 et qu’il estime amplement mérité.

Il ajoute encore avoir été surchargé de travail par un transfert ‘brutal’ de nouveaux dossiers en mai 2018, être jalousé par ses collègues et méprisé pour ces initiatives restées sans retour.

*

Un certain nombre de faits invoqué par M. [R] tels la restitution de sa carte de contrôleur et la modification de ses conditions de travail ne sont que la résultante de son changement de poste, consécutivement à l’avis d’inaptitude dont il a fait l’objet.

Ses nouvelles missions étaient précisément détaillées dans le descriptif du poste que le salarié a accepté en connaissance de cause et l’appréciation qu’il porte sur leur moindre technicité et valorisation ne repose sur aucun élément objectif et est au demeurant en contradiction avec les nombreuses initiatives qu’il s’attribue en page 26 de ses écritures.

D’autres des faits allégués ne reposent que sur les seules affirmations de M. [R], tels

– la surcharge de travail invoquée, les mails produits concernant des demandes relatives à 4 dossiers,

– le mépris ou la jalousie dont il serait l’objet, la cour relevant notamment que son supérieur hiérarchique a répondu de manière très précise au sujet de l’intervention de M. [M] dans son mail du 21 juin 2017 (pièce 96 bis du salarié) et proposé une solution destinée à éviter l’intervention ‘concurrente’ de deux agents sur un même dossier ;

– l’important préjudice financier qu’il déclare avoir subi du fait de son changement de poste.

Quant aux conditions de son arrivée à ce nouveau poste, d’une part, le fait que celui-ci ait été antérieurement attribué à une salariée de niveau 6, qui ne repose que sur la seule affirmation de l’appelant, n’était pas de nature à contraindre l’employeur, dans le cadre de son obligation de reclassement, à faire bénéficier M. [R] d’une promotion.

A l’examen de la cartographie des emplois produite par la MSA, l’emploi de conseiller exercé par M. [R] relève en effet du niveau 5 et il n’est pas justifié que le salarié se voit confier des responsabilités relevant du niveau 6 correspondant pour la filière à laquelle il est rattaché.

D’autre part, les éléments invoqués quant à l’absence de formation lors de son arrivée sont démentis à la fois :

– par la participation à un stage de 21 heures consacré notamment aux modalités de calcul des cotisations non salariés, mentionnée dans l’entretien professionnel figurant en pièce 32 de la MSA ;

– par le suivi de la formation destinée aux conseillers PSSP (protection sociale santé prévention) en octobre 2016 qui figure dans l’entretien annuel du 4 août 2016 (pièce 31 MSA) au cours duquel M. [R] ne faisait état d’aucune remarque au titre des actions de formation (RAS) ;

– par le suivi d’une formation ‘sociétés en agriculture’ au vu de l’entretien d’évaluation du 25 juillet 2017 (pièce 33 MSA).

S’il résulte de la pièce 94 du salarié qu’il n’a pas reçu une formation individuelle immédiate pour la prise en main de son poste de travail sollicitée par son supérieur auprès du service informatique, c’était en raison d’une diminution des effectifs de ce service, l’interlocuteur indiquant que M. [R] serait intégré dans la prochaine session.

Au surplus, M. [R] ne fait état d’aucune difficulté particulière qu’il aurait rencontrée, soulignant lui-même sa réussite dans ses nouvelles fonctions, réussite attestée d’ailleurs par son entretien d’évaluation.

L’absence d’imprimante pendant 4 mois, outre qu’elle ne repose que sur l’affirmation du salarié, ne peut être considéré comme un manquement de l’employeur, ce délai d’attribution à un salarié nouvellement arrivé dans un service n’étant pas déraisonnable et ce, d’autant qu’il n’est ni démontré ni même allégué que M. [R] était dans l’incapacité totale d’éditer des documents.

Quant à l’interdiction d’entrée au service informatique alléguée, les mails échangés entre M. [R] et un certain M. [L] révèlent que M. [R] y avait néanmoins accédé, le problème provenant d’une certaine inimitié d’un salarié de ce service à l’égard de M. [R], reposant en réalité sur la rivalité opposant les deux protagonistes concernant la gestion financière d’une association financée par le comité d’entreprise et dont M. [R] est le trésorier, ayant conduit celui-ci à déposer plainte pour injure, plainte classée sans suite.

Il ne saurait être retenu que ces difficultés relationnelles, inhérentes à toute collectivité de travail, caractérisent ce que M. [R] qualifiait de discrimination dans son mail du 1er août 2017.

L’affirmation de M. [R], quant à la disparité de traitement subie au sujet des points de mobilité notamment par rapport à M. [M] ne repose que sur sa seule affirmation, l’accord allégué visant les mobilités internes ‘volontaires’ et non la situation du salarié dont la mobilité était la conséqunce de son avis d’inaptitude.

En considération de l’ensemble de ces éléments, la décision déférée sera confirmée en ce qu’elle a débouté M. [R] de sa demande au titre d’un manquement de l’employeur à ses obligations de reclassement et de loyauté.

Sur la demande en paiement au titre de l’indemnité pour occupation du logement personnel à des fins professionnelles

M. [R], exposant travailler à son domicile, sollicite le paiement de la somme de 3.640 euros nets pour la période de janvier 2008 au 31 mai 2018, calcul à parfaire, à raison de 70 euros par mois.

Il invoque ‘une convention verbale entrée dans les usages depuis de nombreuses années selon laquelle les contrôleurs venaient une fois par semaine à la MSA et le reste du temps, étaient à l’extérieur et travaillaient chez eux’. Il soutient que les indemnités kilométriques et frais de repas qui étaient versés avant l’arrivée de Mme [K] compensaient ces dépenses mais que celle-ci en a réduit le montant en 2008 et en 2009.

***

La convention verbale et l’usage allégué par M. [R] ne reposent sur aucune pièce.

Il n’est pas plus établi qu’il travaille à son domicile à la demande de son employeur, preuve qui ne saurait résulter du seul fait qu’il dispose d’un ordinateur portable alors que ses missions s’exercent ‘sur le terrain’ auprès des exploitations agricoles relevant de la MSA, les mails figurant en pièces119 et 121 du salarié, témoignant de ce qu’il dispose d’un poste de travail au sein de la MSA.

Enfin, il ressort de l’accord conclu le 9 novembre 2016 entre la MSA avec deux organisations syndicales et de la liste des personnes non éligibles exposée par la DRH au cours d’une réunion du comité d’entreprise préalable à cet accord que les conseillers en protection sociale ne sont pas éligibles au télétravail.

C’est dès lors à juste titre que les premiers juges ont rejeté la demande en paiement présenté par M. [R] au titre d’une indemnité pour l’occupation d’une partie de son logement à des fins professionnelles.

Sur les autres demandes

La MSA, partie perdante à l’instance, sera condamnée aux dépens, ainsi qu’à payer à M. [R] la somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel en sus de la somme allouée par les premiers juges sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts alloués au titre des manquements de l’employeur à ses obligations de sécurité et d’exécution loyale du contrat,

Statuant à nouveau,

Condamne la Mutualité Sociale Agricole de la Gironde à payer à M. [J] [R] les sommes suivantes :

– 10.000 euros en réparation du préjudice résultant des manquements de l’employeur à ses obligations de sécurité et d’exécution loyale du contrat,

– 2.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel,

Condamne la Mutualité Sociale Agricole de la Gironde aux dépens.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire

 


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