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8ème Ch Prud’homale
ARRÊT N°342
N° RG 20/00181 –
N° Portalis DBVL-V-B7E-QMKP
SAS SOCIETE FRANCAISE DE LEVAGE ( SOFRAL)
C/
M. [V] [F]
Infirmation partielle
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 23 OCTOBRE 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Rémy LE DONGE L’HENORET, Président de chambre,
Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,
Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 07 Juillet 2023
devant Monsieur Philippe BELLOIR, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 23 Octobre 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTE :
La SAS SOCIETE FRANCAISE DE LEVAGE (SOFRAL) prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Marie VERRANDO de la SELARL LEXAVOUE RENNES ANGERS, Avocat postulant du Barreau de RENNES et ayant Me Elsa LEDERLIN, Avocat au Barreau de PARIS, pour conseil
INTIMÉ :
Monsieur [V] [F]
né le 21 Septembre 1958 à [Localité 6] (72)
demeurant [Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Laurent LE BRUN de la SCP CALVAR & ASSOCIES, Avocat au Barreau de NANTES
Suivant contrat de travail à durée indéterminée du 2 janvier 2001, la SAS SOCIETE FRANCAISE DE LEVAGE a engagé M. [V] [F] en qualité de Directeur d’agence, en application de la convention collective des Machines et matériel agricole, matériels de travaux publics, BTP et manutention.
Par lettre du 14 septembre 2017, M. [F] a été convoqué à un entretien préalable à un licenciement fixé le 28 septembre 2017, auquel il ne s’est pas présenté, avant d’être licencié pour faute lourde par lettre du 9 octobre 2017.
Le 26 février 2018, M. [F], a saisi le conseil de prud’hommes de Nantes d’une action en contestation de son licenciement et en paiement de diverses sommes au titre de l’exécution et de la rupture de ce dernier.
La cour est saisie d’un appel formé le 10 janvier 2020, par la SAS SOCIETE FRANCAISE DE LEVAGE à l’encontre du jugement prononcé le 5 décembre 2019 par lequel le conseil de prud’hommes de Nantes a :
‘ Dit que le licenciement de M. [F] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
‘ Condamné la SAS SOCIETE FRANCAISE DE LEVAGE à verser à M. [F] les sommes suivantes :
– 35.123,17 € nets au titre de l’indemnité légale de licenciement,
– 23.003,52 € bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
– 2.300,35 € bruts au titre des congés payés afférents,
– 50.000 € nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
‘ Lesdites condamnations étant assorties des intérêts au taux légal à compter de la saisine du Conseil, soit le 26 février 2018, pour les sommes à caractère salarial et de la notification du jugement pour celles à caractère indemnitaire, lesdits intérêts produisant eux-mêmes intérêts conformément à l’article 1343-2 du Code civil ;
‘ Condamné la SAS SOCIETE FRANCAISE DE LEVAGE à verser à M. [F] la somme de 1.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
‘ Condamné en outre d’office la SAS SOCIETE FRANCAISE DE LEVAGE à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées à M. [F] dans la limite de 3 mois d’indemnités ;
‘ Limité l’exécution provisoire du jugement à l’exécution provisoire de droit définie à l’article R. 1454-28 du code du travail et à cet effet, fixé à 7.667,84 € le salaire mensuel moyen de référencé ;
‘ Débouté M. [F] de toutes ses autres demandes ;
‘ Reçu la SAS SOCIETE FRANCAISE DE LEVAGE en ses demandes reconventionnelles, mais l’en a déboutée ;
‘ Condamné la SAS SOCIETE FRANCAISE DE LEVAGE aux dépens éventuels.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 23 janvier 2023, suivant lesquelles la SAS SOCIETE FRANCAISE DE LEVAGE demande à la cour de :
‘ La recevoir en son appel, le dire bien fondé et y faisant droit ;
‘ Infirmer le jugement en ce qu’il a :
– dit que les faits reprochés à M. [F] étaient connus de la société dès le mois de juin 2017,
– jugé le licenciement de M. [F] dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– condamné la SAS SOCIETE FRANCAISE DE LEVAGE à verser une indemnité de licenciement, de préavis et des dommages et intérêts à M. [F],
– condamné la SAS SOCIETE FRANCAISE DE LEVAGE au remboursement des indemnités de chômage,
– débouté la SAS SOCIETE FRANCAISE DE LEVAGE de sa demande en paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des agissements déloyaux de M. [F],
– condamné la SAS SOCIETE FRANCAISE DE LEVAGE à payer à M. [F] la somme de 1.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
‘ Confirmer le jugement en ses autres chefs ;
Statuant à nouveau,
A titre principal,
‘ Constater que la nature exacte et l’ampleur des faits invoqués au soutien du licenciement de M. [F] ont été connus de la société le 11 septembre 2017 ;
‘ Dire et juger que le licenciement de M. [F] est justifié par une faute lourde ;
‘ Débouter M. [F] de l’intégralité de ses demandes à ce titre ;
‘ Juger que M. [F] bénéficiait du statut de cadre dirigeant ;
‘ Débouter M. [F] de sa demande de :
– paiement d’heures supplémentaires,
– paiement de repos compensateur,
– d’indemnité pour travail dissimulé,
– paiement au titre du temps de déplacement ;
A titre subsidiaire,
‘ Dire et juger que le licenciement de M. [F] repose sur une faute grave ;
‘ Débouter M. [F] de sa demande :
– d’indemnité de licenciement, d’indemnité de préavis et d’indemnité de congés payés afférents,
– dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
‘ Constater que M. [F] ne :
– produit pas d’éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre à sa demande au titre des heures supplémentaires,
– rapporte pas la preuve de ses temps de déplacement ;
‘ Dire et juger qu’elle n’a commis aucun manquement dans l’exécution du contrat de travail de M. [F], en particulier dans le décompte et la rémunération de son temps de travail et la prise en compte de ses temps de déplacement ;
‘ Débouter en conséquence M. [F] de l’ensemble de ses demandes, fins et moyens ;
A titre infiniment subsidiaire,
‘ Limiter le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme minimale de 3 mois de salaire, soit 22.898,79 € ;
‘ Limiter les sommes demandées par M. [F] au titre du rappel d’heures supplémentaires à la somme de 67.424,58 euros et 6.742,45 € de congés payés afférents ;
Reconventionnellement,
‘ Juger bien fondée sa demande d’indemnisation du fait des agissements fautifs de M. [F],
‘ Condamner M. [F] à lui verser la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier et du préjudice moral découlant de ses agissements constitutifs d’une faute lourde ;
En tout état de cause,
‘ Condamner M. [F] à lui verser la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
‘ Condamner M. [F] aux entiers dépens de l’instance avec distraction au profit de l’avocat soussigné aux offres de droit.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 24 janvier 2023, suivant lesquelles M. [F] demande à la cour de :
‘ Confirmer le jugement en ce qu’il a considéré son licenciement dépourvu de toute cause réelle et sérieuse au motif qu’il reposait sur des faits prescrits et en tout état de cause insusceptibles de constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement ;
‘ Débouter la SAS SOCIETE FRANCAISE DE LEVAGE de ses demandes, fins et conclusions
‘ Réformer partiellement le jugement sur le quantum des condamnations ;
‘ Condamner la SAS SOCIETE FRANCAISE DE LEVAGE à lui payer les sommes de :
à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
– 179.111,24 € à titre principal (salaire de référence avec heures supplémentaires),
– 122.860,92 € à titre subsidiaire (salaire de référence sans heures supplémentaires),
à titre d’indemnité compensatrice de préavis :
– 38.380,98 € à titre principal (salaire de référence avec heures supplémentaires),
– 3.838,10 € de congés payés afférents,
– 26.327,34 € à titre subsidiaire (salaire de référence sans heures supplémentaires),
– 2.632,73 € de congés payés afférents,
à titre d’indemnité légale de licenciement :
– 58.871,31 € à titre principal (salaire de référence avec heures supplémentaires),
– 40.382,62 € à titre subsidiaire (salaire de référence sans heures supplémentaires) ;
‘ Réformer le jugement en ce qu’il l’a débouté de ses demandes au titre des heures supplémentaires, repos compensateur, travail dissimulé et temps de déplacement ;
‘ Condamner la SAS SOCIETE FRANCAISE DE LEVAGE à lui payer les sommes de :
au titre des heures supplémentaires :
– 9.746,61 € au titre de l’année 2014 (septembre à décembre),
– 974,66 € de congés payés afférents,
– 26.060,02 € au titre de l’année 2015 (janvier à décembre),
– 2.606 € de congés payés afférents,
– 71.388,44 € au titre de l’année 2016 (janvier à décembre),
– 7.138,84 € de congés payés afférents,
– 14.576,93 € au titre de l’année 2017 (janvier à avril),
– 1.457,69 € de congés payés afférents,
au titre du repos compensateur :
– 9.024,72 € pour la période du 1er janvier 2015 au 30 décembre 2015 (134 h + 232 h), (366 h ‘ 180 h) x 48,52 €,
– 902,47 € de congés payés afférents,
– 21.688,44 € pour la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2016 (268 h + 359 h), (627 h ‘ 180 h) x 48,52 €,
– 2.168,84 € de congés payés afférents,
– 1.179,04 € pour la période du 1er janvier 2017 au 30 septembre 2017 (72,4 h + 131,9 h), (204,30 h ‘ 180 h) x 48,52 €,
-117,90 € de congés payés afférents,
au titre du travail dissimulé :
– 76.761,96 € à titre principal (salaire de référence avec heures supplémentaires),
– 52.654,68 € à titre subsidiaire (salaire de référence sans heures supplémentaires),
– 50.000 € au titre de la contrepartie au temps de déplacement ;
En tout état de cause,
‘ Condamner la SAS SOCIETE FRANCAISE DE LEVAGE à lui payer la somme de 3.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
‘ Condamner la SAS SOCIETE FRANCAISE DE LEVAGE à lui payer les intérêts de droit à compter de l’introduction de l’instance pour les sommes ayant le caractère de salaire et à compter de la décision à intervenir pour les autres sommes ;
‘ Ordonner la capitalisation des intérêts en application de l’article 1154 du code civil (moyenne des derniers mois de salaire : 12.793,66 €) ;
‘ Condamner la SAS SOCIETE FRANCAISE DE LEVAGE en tous les dépens.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 26 janvier 2023.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé à leurs dernières écritures.
* * *
*
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l’exécution du contrat de travail
Sur les heures supplémentaires
Sur le statut de cadre Dirigeant
Pour s’opposer au paiement des heures supplémentaires, l’employeur expose que M. [F] est un cadre dirigeant.
L’article L. 3111-2 du code du travail définit les cadres dirigeants comme « les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement ».
Trois conditions cumulatives sont donc nécessaires pour qu’un cadre soit considéré comme cadre dirigeant, à savoir :
– des responsabilités importantes et une grande indépendance dans l’organisation de l’emploi du temps ;
– un pouvoir de décision largement autonome ;
– le niveau de rémunération.
En droit, la conclusion d’une convention individuelle de forfait s’oppose, quelle que soit la nature de la fonction, à la qualification de cadre dirigeant, même si dans l’exercice de cette fonction se retrouvent les critères d’identification du cadre dirigeant tels que décrits par l’article L. 3111-2 du Code du travail.
En l’espèce, il sera observé, contrairement à ce que soutient le salarié, qu’il n’était pas soumis à une convention forfait en heures dès lors que son contrat de travail, signé le 20 décembre 2000 pour une entrée en vigueur le 2 janvier 2001, qui prévoyait une durée hebdomadaire de 39 heures n’était pas soumis à la loi n°1998-461 du 13 juin 1998, dite loi « Aubry I », compte tenu de la taille de l’entreprise SOFRAL de moins de 20 salariés, laquelle fixait la durée légale du travail à 35 heures hebdomadaires au 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de 20 salariés et au 1er janvier 2002 pour les autres.
Il ressort de l’examen des pièces que M. [F] occupait la fonction de Directeur de la Société SOFAT, puis Directeur d’agence au sein de la société SOFRAL ce qui lui conférait nécessairement une grande indépendance dans l’organisation de son emploi du temps et qu’il occupait donc l’échelon hiérarchique le plus élevé au sein de l’agence où il travaillait.
De même, M. [F] bénéficiait de pouvoirs très étendus en ce qu’il pouvait engager financièrement la société dans le cadre des marchés de l’entreprise ; qu’il décidait seul de la validation des congés payés des salariés de son agence et qu’il disposait d’une délégation permanente de pouvoirs du Président Directeur de la société, qu’il avait expressément acceptée, lui conférant notamment le devoir de veiller au respect de la législation du travail.
M. [F] avait une rémunération s’élevant à un montant de 7.667,84 € brut mensuel et bénéficiait d’un véhicule de fonction haut de gamme, cet avantage étant réservé aux seuls membres de la Direction.
En considération de l’ensemble de ces éléments, il sera retenu que M. [F] avait la qualité de cadre dirigeant.
Sur le bien fondé des demandes au titre des heures supplémentaires, repos compensateur et travail dissimulé
En vertu de l’article L. 3111-2 du code du travail, un cadre dirigeant n’est pas soumis aux dispositions des titres II et III relatives à la durée du travail, à l’aménagement des horaires de travail et au temps de repos.
M. [F] doit donc être débouté de ses demandes en paiement au titre des heures supplémentaires, de repos compensateur et de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé. Le jugement sera confirmé à ces titres.
Sur la contrepartie du temps de déplacement
M. [F] appuie sa demande au travers de tableaux, sans apporter d’éléments matériels probants pour justifier, d’une part, la réalité des déplacements et, d’autre part, le préjudice allégué.
M. [F] sera débouté de sa demande indemnitaire au titre du temps de déplacement. Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur la rupture du contrat de travail
Sur la prescription des faits fautifs
Le salarié fait valoir que les faits invoqués dans la lettre de licenciement datent de plus de deux mois avant la convocation à l’entretien préalable à éventuel licenciement, qu’ils sont donc prescrits.
L’employeur conclut à l’absence de prescription des faits fautifs, le point de départ de la prescription remontant au 11 septembre 2017, date à laquelle il a pu connaître la réelle ampleur des agissements du salarié.
Aux termes de l’article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.
En l’espèce, il ressort des éléments soumis à l’appréciation de la cour que l’employeur a eu connaissance des faits fautifs dans toute leur ampleur lorsque le 11 septembre 2017, l’employeur découvrait par l’intermédiaire de M. [H], Conducteur de travaux au sein de la société GCC, que M. [F] lui avait consenti des avoirs sur les systèmes d’interférence des grues, prétextant de façon mensongère que la société SOFRAL n’était pas en mesure de fournir ces prestations, de sorte que le client s’est finalement tourné vers la société S3CH, elle-même étroitement liée avec la société de M. [F] (CONSLOC), dont elle détient 750 parts ; sans que les attestations produites par le salarié n’apporte une quelconque modification à l’appréciation de l’ampleur de ses agissements.
Le salarié ayant été convoqué à entretien préalable à éventuel licenciement le 14 septembre 2017, les poursuites disciplinaires ont bien été engagées dans le délai de deux mois à compter de ce point de départ. Le moyen tiré de la prescription des faits fautifs doit donc être rejeté. Le jugement attaqué sera infirmé sur ce point.
***
Sur le fond
En application de l’article L. 1232-6 du code du travail, lorsque l’employeur décide de licencier un salarié il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec accusé réception comportant l’exposé du ou des motifs de rupture du contrat de travail.
La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige opposant les parties énonce les griefs qui seront examinés au visa de l’article L. 1235-1 du code du travail, le doute profitant au salarié.
L’employeur qui se prévaut d’une faute lourde et sollicite l’indemnisation par le salarié du préjudice en découlant doit démontrer la réalité d’un comportement fautif animé de l’intention de lui nuire ou de nuire à l’entreprise, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d’un acte préjudiciable à l’entreprise.
Il incombe à l’employeur de rapporter la preuve de la faute lourde et de l’intention de nuire qui la caractérise.
La faute lourde autorise le licenciement immédiat du salarié, lequel perd ses droits aux indemnités de licenciement et de préavis, l’indemnité de congés payés lui restant due, et l’intéressé encourt de surcroît une condamnation à paiement à titre de dommages et intérêts.
La faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié, rendant impossible son maintien dans l’entreprise pendant la durée du préavis, et l’employeur, débiteur de l’indemnité de préavis et de l’indemnité de licenciement, doit démontrer la faute grave reprochée.
En l’espèce, aux termes de sa lettre de licenciement du 9 octobre 2017, il est reproché à M. [F] :
[…] En effet, nous avons appris que vous aviez créé une société concurrente de la société SOFRAL, la société CONSLOC, depuis 2004.
L’activité de cette société, dont vous êtes actionnaire avec les membres de votre famille ainsi que la société SSCH, consiste en la location et la location-bail de machines et équipements pour la construction.
Il est apparu que vous utilisez l’activité SOFRAL pour réaliser des prestations pour les accessoires facturées par votre société CONSLOC ou par votre actionnaire la SARL SSCH aux clients de la société SOFRAL.
Vous alimentez ainsi les grues en accessoires avec votre propre société, au préjudice de la société SOFRAL, votre employeur.
Avec la reprise de la société SOFRAL par [Z] [S] en juillet 2016 et le développement des offres de systèmes d’interférences par la société SOFRAL, vous avez régulièrement détourné le chiffre d’affaires de la société au profit de votre propre entreprise pour la fournitures d’accessoires sur l’activité de location de grues à tour.
Vous avez délibérément entretenu la confusion auprès des clients de la société SOFRAL en utilisant son adresse email dans le but de réaliser de la location de systèmes d’interférences et des opérations de montage et démontage de grue au profit de votre propre société.
Tel, a été le cas avec la société HARRIBEY CONSTRUCTIONS pour laquelle nous avons découvert que des prestations ont été réalisées par CONSLOC à la faveur d’une intervention SOFRAL, notamment le 5 janvier 2016 sur le chantier ARPEGES, des consultations directement adressées à la société GUNSLUC le lundi 13 juin 2016 à 9h55 pour le chantier Résidence [Localité 7] au sujet d’une demande de système d’interférence et de survol de grue de chantier, le lundi 27 juin 2016 à 11 heures du matin, avec l’adresse mail de la société SOFRAL en copie… ou encore avec la société SEG-FAYAT.
Lorsque nous avons eu connaissance de ces premiers éléments le 4 juillet 2017, nous avons entrepris des recherches afin de mesurer la réalité et le sérieux de ces faits.
Nous avons alors découvert que vous n’aviez pas hésité à faire appel à la société de votre frère, [M] [F] Chef de chantier, qui facturait la société SOFRAL pour le déchargement et la manutention de grue, notamment.
Vos deux activités concomitantes SOFRAL et CONSLOC étaient si imbriquées qu’il vous arrivait de donner de mauvaises instructions de facturation, engendrant un travail inutile et totalement inapproprié.
Quelques jours avant votre arrêt de travail, le 24 avril 2017, vous avez envoyé à [Localité 4] un salarié de la société SOFRAL, Monsieur [P] [X], afin d’effectuer des prestations pour le compte de la société CONSLOC. Vous avez ainsi utilisé gratuitement et frauduleusement la main d’oeuvre rémunérée par la société SOFRAL, votre employeur, pour le compte de votre propre société. Ces faits sont constitutifs du prêt illicite de main d’oeuvre.
Malgré votre arrêt de travail pour surmenages, vous avez persisté à travailler pour SOFRAL mais aussi pour la société CONSLOC et à établir des devis, à vendre et réaliser des montages de grue, notamment pour la société GCC et pour la société PERRINO.
Nous avons encore découvert qu’afin de vous assurer que votre société interviendrait sur les systèmes d’interférences au détriment de la société SOFRAL, vous indiquiez que SORAL n’était pas en mesure de réaliser ces prestations et recommandiez la société SSCH, actionnaire de votre société et dont le gérant, Monsieur [B] [D], est également gérant de votre propre société CONSLOC.
Par ces agissements d’une gravité exceptionnelle, vous avez volontairement tenté de nuire à l’entreprise.
Nous considérons donc que ces faits constituent une faute lourde rendant impossible votre maintien même temporaire dans l’entreprise.
Il est fait grief au salarié de la création de la société CONSLOC et de la captation de chiffre d’affaires ; de l’organisation et la gestion d’une opération en Corse et de l’utilisation d’une main d”uvre « familiale ».
Il sera rappelé que M. [F] était, aux termes des stipulations de son contrat et de sa délégation de pouvoir, chargé de ‘développer et d’assurer la responsabilité commerciale et technique de la société dont il avait la charge dans le cadre de la stratégie définie par le Groupe’.
Il occupait donc une position déterminante dans le développement commercial de la société SOFRAL et disposait de la confiance de la direction à cet égard.
Il résulte des pièces 18 et 19 de l’employeur qu’en 2004, M. [F] a créé la SARL CONSLOC dont le capital social était détenu par lui-même et des membres de sa famille, M. [F] détenant 3000 parts sur les 7500 parts composant le capital social.
L’objet social de la SARL CONSLOC est de réaliser une activité de location et de vente de matériel pour le BTP et l’industrie événementielle, lequel est concurrentiel de la société SOFRAL.
En 2008, la société S3CH est devenue actionnaire de la SARL CONSLOC et son représentant, M. [D], en a pris la gérance, étant précisé que la société S3CH réalise également une activité concurrentielle de celle de la société SOFRAL, en commercialisant des accessoires de levage et des systèmes d’interférence.
Contrairement à ce qu’affirme M. [F], lequel ne fournit pas d’élément à ce sujet, son employeur n’a jamais été informé de l’existence de la société CONSLOC avant l’année 2017, pas plus que de l’appartenance de celle-ci à M. [F], ni la prise de participation de la société S3CH à son capital.
Il résulte des mails produits par l’employeur (pièces n° 21 à 25) que M. [F] a profité des marchés obtenus par la société SOFRAL et de la confusion qu’il entretenait entre sa société et la société SOFRAL pour détourner une partie des prestations sollicitées par le client, permettant à sa société ou à la société S3CH d’assurer la fourniture des dispositifs d’interférence et de gestion des zones interdites.
Par ailleurs, il résulte des écritures et pièces que M. [F] à mis à la disposition de la SARL CONSLOC du personnel rémunéré par la société SOFRAL pour réaliser une prestation en Corse, pour l’un des clients de la société SOFRAL, la société HARIBEY.
Si M. [F] justifie son comportement en reprochant à son employeur un surmenage professionnel, des décisions budgétaires destinées à redresser la société ou encore la mise en place de nouveaux process internes, force est de constater que ces arguments, sans rapport avec les griefs constituant le licenciement, sont inopérants.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments, compte tenu des fonctions et responsabilités de M. [F], que la création d’une société personnelle concurrente de son employeur et de la captation du chiffre d’affaires caractérisent une attitude fautive par déloyauté. Si ces actes ne caractérisent pas suffisamment l’intention de nuire du salarié à l’encontre de la société, ils rendaient, par leur caractère fautif, impossible la poursuite du contrat de travail de M. [F].
Le licenciement est donc justifié par une faute grave et non une faute lourde. Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef et des chefs indemnitaires subséquents.
Compte tenu de ce qui précède, la société SOFRAL sera donc déboutée de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier et du préjudice moral causé par M. [F] à la société.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Il convient de d’infirmer le jugement sur les dépens de première instance et l’article 700 du code du CPC, de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens et de rejeter les demandes formées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
INFIRME partiellement le jugement entrepris ;
Statuant à nouveau,
JUGE que le licenciement de M. [V] [F] est justifié par une faute grave et non une faute lourde,
DEBOUTE M. [V] [F] de l’ensemble de ses demandes indemnitaires,
REJETTE les demandes formées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
LAISSE à chacune des parties la charge de ses propres dépens.
LE GREFFIER, P/ LE PRÉSIDENT empêché
Ph. BELLOIR, Conseiller