Stylisme : 26 janvier 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/16408

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Stylisme : 26 janvier 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/16408
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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-2

ARRÊT AU FOND

DU 26 JANVIER 2023

N° 2023/27

Rôle N° RG 19/16408 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BFB6F

S.E.L.A.R.L. [D]-SOHM

S.E.L.A.R.L. [D]-SOHM

C/

[S] [Z]

[N] [X]

Société MO : VEL LIMITED

Société EXAB LIMITED

Société AL TAADUD INTERNATIONAL INVESTMENT HOLDING

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Maud DAVAL-GUEDJ

Me Romain CHERFILS

Me Jean-françois JOURDAN

Me Romain CHERFILS

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Commerce de GRASSE en date du 02 Septembre 2019 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 2016F00363.

APPELANTES

S.E.L.A.R.L. GAUTHIER-SOHM

représentée par Monsieur [R] [D] Actuellement SELARL JSA représentée par Monsieur [B] [J] Agissant en qualité de Liquidateur de la liquidation judiciaire de la SARL CARIGE, dont le siège est sis [Adresse 5]

représentée par Me Maud DAVAL-GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,

assistée de Me Christophe SANTELLI-ESTRANY, avocat au barreau de GRASSE substitué par Me Jonathan SAMAK, avocat au barreau de GRASSE, plaidant

S.E.L.A.R.L. GAUTHIER-SOHM

représentée par Monsieur [R] [D] Actuellement SELARL JSA représentée par Monsieur [B] [J] Agissant en qualité de Liquidateur de la liquidation judiciaire de SAS IBRA FINANCES, dont le siège est sis [Adresse 4]

représentée par Me Maud DAVAL-GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,

assistée deMe Christophe SANTELLI-ESTRANY, avocat au barreau de GRASSE substitué par Me Jonathan SAMAK, avocat au barreau de GRASSE, plaidant

INTIMES

Monsieur [S] [Z],

demeurant [Adresse 3])

Représenté par Me Romain CHERFILS de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

assisté de Maître Pauline BOURNOVILLE de PARTNERSHIPS HERBERT SMITH FREEHILLS PARIS LLP – Avocat au barreau de PARIS, plaidant

Société MO : VEL LIMITED

dont le siège social est [Adresse 9] prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualité audit siège

Représenté par Me Romain CHERFILS de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

assisté de Maître Pauline BOURNOVILLE de PARTNERSHIPS HERBERT SMITH FREEHILLS PARIS LLP – Avocat au barreau de PARIS, plaidant

Société EXAB LIMITED

dont le siège social est [Adresse 7], prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualité audit siège

Représenté par Me Romain CHERFILS de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

assisté de Maître Pauline BOURNOVILLE de PARTNERSHIPS HERBERT SMITH FREEHILLS PARIS LLP – Avocat au barreau de PARIS, plaidant

Société AL TAADUD INTERNATIONAL INVESTMENT HOLDING

dont le siège social est [Adresse 8], prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualité audit siège

Représenté par Me Romain CHERFILS de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

assisté de Maître Pauline BOURNOVILLE de PARTNERSHIPS HERBERT SMITH FREEHILLS PARIS LLP – Avocat au barreau de PARIS, plaidant

Monsieur [N] [X]

né le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 6], de nationalité française, demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Jean-françois JOURDAN de la SCP JOURDAN / WATTECAMPS ET ASSOCIES, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

assisté de Me Laure GONTIER de la SELARL BERNARD-HERTZ-BEJOT avocat au barreau de PARIS, plaidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 23 Novembre 2022 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Madame Muriel VASSAIL, conseiller a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Michèle LIS-SCHAAL, Président de chambre

Madame Muriel VASSAIL, Conseiller

Madame Agnès VADROT, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Chantal DESSI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 26 Janvier 2023.

MINISTERE PUBLIC :

Auquel l’affaire a été régulièrement communiquée.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 26 Janvier 2023,

Signé par Madame Michèle LIS-SCHAAL, Président de chambre et Madame Chantal DESSI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS PROCEDURES ET PRETENTIONS DES PARTIES

La société CARIGE animait un réseau de magasins de vente de chaussures et accessoires sous la marque NAO DO BRASIL. Ce réseau était composé de magasins intégrés et de commerçants indépendants affiliés. Les chaussures étaient fabriquées au BRESIL et distribuées par la société CARIGE.

Le capital social de la société CARIGE était détenu à 100% par la société IBRA FINANCES, qui était sa gérante, elle-même détenue par :

-des fondateurs de l’entreprise, comprenant notamment M. [U] [A] à hauteur de 58%,

-un investisseur étranger (arrivé en 2012), la société AL TAADUD INTERNATIONAL INVESTMENT HORLDING COMPANY LIMITED (la société AL TAADUD) à hauteur de 42%, représentée par le prince [S] [Z] qui est aussi membre du conseil d’administration de la société IBRA FINANCES.

Puis la société EXAB LIMITED, représentée par le prince [Z], a subrogé la société AL TAADUD qui était sa filiale.

La société CARIGE était dirigée par M. [A].

Le 4 mars 2014, M. [N] [X] a été désigné directeur général de la société IBRA FINANCES et gérant de la société CARIGE en remplacement de M. [A] pour cause de maladie.

M. [X] a démissionné de ses fonctions le 10 mars 2014, soit 6 jours plus tard, restant lié à la société IBRA FINANCES par un contrat de consultant par l’entremise de sa société [X] CONSEIL.

Par jugement du 6 octobre 2014, le tribunal de commerce de GRASSE a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société CARIGE et désigné M. [Y] en qualité d’administrateur judiciaire et la SELARL [D] [J] en qualité de mandataire judiciaire.

Le 28 janvier 2015, le prince [Z] et M. [X] ont crée au Royaume Uni une autre société spécialisée dans la distribution de chaussures de sport, la société MO:VEL LTD.

Le 17 septembre 2015, la société AL TAADUD a cédé l’intégralité de ses titres à M. [A] pour 1 euro symbolique.

Le prince [Z] a démissionné de ses fonctions d’administrateur de la société IBRA FINANCES le 25 septembre 2015.

Le 28 octobre 2015, les sociétés CARIGE et IBRA FINANCES ont été placées en liquidation judiciaire et la SELARL [D] [J], représentée par M. [R] [D], devenue la SELARL JSA, représentée par M. [B] [J] a été désignée liquidateur judiciaire.

Par jugement du 2 septembre 2019 rendu sur assignations du liquidateur judiciaire des sociétés CARIGE et IBRA FINANCES, à savoir la société JSA représentée par M. [J], le tribunal de commerce de GRASSE a :

-joint les deux instances,

-écarté l’exception de nullité de l’assignation délivrée à la société MO:VEL pour défaut de preuve d’un grief,

-retenu sa compétence pour trancher le litige,

-déclaré l’action engagée par la SELARL JSA ès qualités recevable en la forme,

-débouté la SELARL JSA ès qualités de liquidateur judiciaire des sociétés CARIGE et IBRA FINANCES de l’intégralité de ses demandes,

-débouté les parties de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-condamné la SELARL JSA ès qualités aux entiers dépens des deux instances jointes.

Pour prendre leur décision, les premiers juges ont retenu que :

-les demandes sont identiques dans les deux procédures de sorte qu’il procède d’une bonne administration de la justice de les joindre,

-en page 12 de ses conclusions n°5 la société MO:VEL admet avoir reçu l’assignation par lettre recommandée avec avis de réception le 27 mars 2017 et une traduction de cette assignation,

-après plusieurs renvois l’affaire a été plaidée le 13 mai 2019, soit plus de deux ans après, de sorte que la société MO:VEL a eu tout le temps de préparer sa défense et ne rapporte la preuve d’aucun grief,

-M. [X], les sociétés EXAB LIMITED et AL TAADUD et le prince [Z] ont été régulièrement cités et M. [X] n’a pas comparu pour rapporter la preuve d’un grief,

-le dommage allégué ayant été subi au siège social des sociétés CARIGE et IBRA FINANCES, le tribunal de commerce de GRASSE est compétent pour trancher le litige au visa de l’article 46 du code de procédure civile,

-l’action engagée par le liquidateur judiciaire sur le fondement des articles L225-251 du code de commerce et 1382, devenu 1240, du code civil, est recevable,

-la SELARL JSA ne rapporte pas la preuve du détournement d’actif qu’elle prétend imputer aux défendeurs,

-elle ne rapporte pas non plus la preuve de ce que les modèles, l’esprit et la marque NAO DO BRASIL des sociétés CARIGE et IBRA FINANCES ont été copiés.

Le 23 octobre 2019, la SELARL JSA, représentée par M. [J], a fait appel de cette décision en sa double qualité de liquidateur judiciaire des sociétés CARIGE et IBRA FINANCES.

Dans ses dernières écritures, déposées au RPVA le 11 février 2021, elle demande à la cour :

A titre liminaire, de :

-se déclarer compétente,

-débouter l’ensemble des intimés de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

-confirmer le jugement rendu le 2 septembre 2019 par le tribunal de commerce de GRASSE en ce qu’il a retenu sa compétence pour trancher le litige,

Au fond, de :

-la recevoir en son appel limité,

-débouter l’ensemble des intimés de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

-infirmer le jugement frappé d’appel en ce qu’il :

-l’a déboutée de ses demandes,

-a débouté les parties de leurs prétentions au titre des frais irrépétibles,

-l’a condamnée aux dépens,

Statuant à nouveau, de :

-condamner solidairement les sociétés MO:VEL, EXAB LIMITED, AL TAADUD, M. [X] et le prince [Z] à lui payer 4 296 657, 90 euros correspondant au passif actualisé au 22 septembre 2020 de la société CARIGE,

-condamner solidairement les sociétés MO:VEL, EXAB LIMITED, AL TAADUD, M. [X] et le prince [Z] aux dépens, comprenant les frais d’exécution de la décision à intervenir et chacun à lui payer 15 000 euros du chef de l’article 700 du code de procédure civile,

-confirmer le jugement rendu le 2 septembre 2019 en toutes ses autres dispositions,

-débouter tous les intimés de toutes leurs demandes, fins et conclusions.

Dans leurs dernières conclusions, communiquées au RPVA le 29 septembre 2022, les sociétés AL TAADUD, EXAB LIMITED, MO:VEL LIMITED et le principe [Z] demandent à la cour de :

-infirmer le jugement frappé d’appel en ce que le premier s’est déclaré territorialement compétent,

-décliner la compétence des juridictions françaises au profit des juridictions anglaises,

-infirmer le jugement frappé d’appel en ce que le premier juge a déclaré les demandes de la SELARL JSA ès qualités recevables,

-déclarer ces demandes irrecevables,

-confirmer le jugement frappé d’appel en ce qu’il a débouté la SELARL JSA ès qualités de ses demandes à leur encontre,

A titre subsidiaire, de constater que le montant du passif de la société CARIGE susceptible d’être mis à leur charge s’élève à 1 464 431 euros,

En tout état de cause, de condamner le liquidateur des sociétés CARIGE et IBRA FINANCES aux entiers dépens avec distraction et à leur payer à chacun 15 000 euros au visa de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions, notifiées au RPVA le 23 septembre 2022, M. [X] demande à la cour de :

-infirmer le jugement frappé d’appel en ce qu’il a :

-retenu sa compétence territoriale,

-déclaré recevable les demandes de la SELARL JSA ès qualités,

-déclarer les juridictions françaises incompétentes pour trancher le litige au profit des juridictions anglaises,

-déclarer irrecevables les demandes de la SELARL JSA ès qualités,

-confirmer le jugement frappé d’appel en ce qu’il a débouté la SELARL JSA ès qualités de ses demandes,

En tout état de cause, de :

-rejeter l’ensemble des demandes de la SELARL JSA ès qualités,

-condamner la SELARL JSA ès qualités aux entiers dépens et à lui payer 20 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 21 janvier 2021, le conseiller de la mise en état a :

-déclaré parfait le désistement d’incident de M. [X] et de la société MO:VEL LIMITED,

-débouté M. [X] de ses prétentions au titre des frais irrépétibles,

-condamné M. [X] et la société MO:VEL LIMITED aux dépens de l’incident.

Le 3 juin 2022, les parties ont été avisées de la fixation du dossier à l’audience du 23 novembre 2022.

La procédure a été clôturée le 3 novembre 2022 et, le même jour, la date de fixation a été rappelée aux parties.

Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il conviendra de se référer aux écritures des parties pour l’exposé de leurs moyens de fait et de droit.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur les limites de la saisine de la cour

Il ressort des demandes des parties que la cour n’est pas saisie de la validité des actes introductifs d’instance puisqu’aucun des intimés ne poursuit l’infirmation du jugement frappé d’appel en ce qu’il a déclaré valables les assignations qui leur ont été délivrées par la SELARL JSA ès qualités.

Sur la compétence territoriale des premiers juges

En s’appuyant sur la convention de BRUXELLES du 27 septembre 1968, les intimés soutiennent que le tribunal de commerce de GRASSE n’était pas compétent pour trancher le litige aux motifs que :

-ils résident tous hors de la France,

-ils sont tous étrangers à l’exception de M. [X],

-le lieu où le prétendu fait dommageable s’est produit ou risque de se produire (détournement d’actifs de la société CARIGE soit savoir-faire, contacts et expérience dans le but de créer une nouvelle marque similaire via la société MO:VEL) se situe en Grande Bretagne.

Dans le dernier état de ses modifications, il ressort du règlement européen précité régissant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, qui, dans le cas présent, doit prévaloir sur les règles de droit interne et particulièrement sur l’article 46 du code de procédure civile que :

-article 4.1 : sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un Etat membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet Etat membre,

-article 5.1 : les personnes domiciliées sur le territoire d’un Etat membre ne peuvent être attraites devant les juridictions d’un autre Etat membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du présent chapitre,

-article 5.3 : en matière délictuelle ou quasi-délictuelle, le défendeur domicilié sur le territoire d’un Etat contractant peut être attrait dans un autre Etat contractant devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.

A l’instar de ce que soutient la SELARL JSA, représentée par M. [B] [J] ès qualités, les premiers juges ont considéré à juste titre que le lieu du fait dommageable doit s’entendre comme :

-soit du lieu où le dommage est survenu,

-soit du lieu où est survenu l’évènement qui est à l’origine du dommage.

En effet, selon sa jurisprudence non démentie depuis l’arrêt Mines de Potasse d’Alsace du 30 novembre 1976, la CJCE considère que dans le cas où le lieu où se situe le fait susceptible d’engager la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle du ressortissant d’un Etat membre et le lieu où ce fait a entraîné un dommage ne sont pas identiques, l’expression « lieu où le fait dommageable s’est produit (ou risque de se produire) » doit être entendue en ce sens qu’elle vise à la fois le lieu où le dommage est survenu et le lieu de l’évènement causal à l’origine de ce dommage.

En l’espèce, comme ils le font valoir, le fait dommageable reproché aux intimés, à savoir le détournement de l’actif des sociétés CARIGE et IBRA FINANCES, est survenu en GRANDE BRETAGNE (installation de magasins avec un concept similaire, vente de chaussures copiées…).

Cependant, contrairement à ce que prétendent les intimés, le dommage, c’est-à-dire le préjudice (à savoir une perte de clientèle et de débouchés et la perte de recettes afférentes) a bel et bien été subi en FRANCE au siège social des sociétés CARIGE et IBRA FINANCES qui n’allèguent pas avoir subi une simple perte financière mais bien un détournement d’une partie de leurs actifs de sorte que la jurisprudence sur laquelle ils s’appuient n’est pas transposable au cas d’espèce.

Par ces motifs que la cour substitue à ceux des premiers juges, le jugement frappé d’appel sera confirmé en ce qu’il a retenu la compétence territoriale du tribunal de commerce de GRASSE pour trancher le litige.

Sur la recevabilité de l’action engagée par la SELARL [D] [J] ès qualités

Les intimés soutiennent que l’action engagée par la SELARL JSA ès qualités est irrecevable en ce que :

-il s’agit en réalité d’une action en responsabilité pour insuffisance d’actif déguisée,

-cette action a été engagée contre des défendeurs n’ayant pas qualité pour défendre.

La SELARL JSA précise que :

-elle fonde son action sur les articles L225-251 du code de commerce et 1382 ancien du code civil,

-en qualité de membre du conseil d’administration de la société IBRA FINANCES, le prince [Z] a commis un détournement d’actif détachable de ses fonctions de dirigeant, ce n’est donc pas une faute de gestion qui lui est reprochée,

-M. [X] n’a jamais été dirigeant de droit de la société CARIGE mais il en a incontestablement été dirigeant de fait,

-la société AL TAADUD était actionnaire de la société IBRA FINANCES.

Il est exact, comme le font valoir les intimés, que lorsque la liquidation judiciaire d’une société fait apparaître une insuffisance d’actif, l’action en responsabilité visée à l’article L225-251 du code de commerce ne se cumule pas avec l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif prévue aux articles L651-2 et L651-3 du même code.

Toutefois, nonobstant la règle du non-cumul des responsabilités, en sa qualité de liquidateur judiciaire des sociétés CARIGE et IBRA FINANCES, la SELARL JSA a le libre choix du fondement juridique de son action et de ses demandes.

Il en résulte que ses dernières sont recevables et que le jugement frappé d’appel doit être confirmé sur ce point.

Sur les mérites de l’appel

L’article 1382 ancien du code civil pose pour principe que celui qui, par sa faute, a causé un dommage à autrui est tenu de le réparer.

L’article L225-251 du code de commerce pose pour principe que les administrateurs et le directeur général sont responsables individuellement ou solidairement envers la société ou les tiers notamment des fautes commises dans leur gestion.

Aux termes de ses écritures, la SELARL JSA ès qualités ne cesse de rappeler qu’elle poursuit la responsabilité des intimés en ce qu’ils ont été dirigeants de droit et/ou de fait des sociétés CARIGE et IBRA FINANCES.

En page 26, elle précise que sa demande de condamnation reprend une somme qui correspond au passif de la société CARIGE « car il y a un lien de causalité entre le détournement d’actif découvert lors de la période d’observation et la liquidation judiciaire de ladite société ». C’est donc bien la réparation d’un préjudice correspondant à l’insuffisance d’actif de la société CARIGE qu’elle entend voir réparer.

Dans ces conditions, contrairement à ce qu’elle prétend, il importe peu que la faute reprochée soit ou non détachable des fonctions de dirigeant. En effet, détachable ou non, le détournement d’actif constitue une faute de gestion qui, en cas de liquidation judiciaire grevée d’une insuffisance d’actif, ne peut être sanctionnée que sur le fondement des articles L651-2 et L651-3 du code de commerce.

Il en résulte que l’action de la SELARL JSA ne peut prospérer sur le fondement des articles 1382 ancien du code civil et L225-252 du code de commerce.

Cette action est tout aussi infondée à l’égard des sociétés MO:VEL, EXAB LIMITED et AL TAADUD en ce que, de l’aveu même de l’appelante, elles n’ont commis aucune faute puisqu’elles ne sont que des instruments créés et utilisés par le prince [Z] et M. [X] pour opérer le détournement d’actifs qu’elle prétend leur imputer.

En tout état de cause, la SELARL JSA reproche aux intimés d’avoir détourné l’actif principal de la société CARIGE, à savoir son savoir-faire, son expérience et ses contacts dans l’unique but de créer une nouvelle marque similaire via la société MO:VEL.

Elle reproche plus précisément au prince [Z] d’avoir infiltré M. [X] au sein de la société CARIGE dans ce seul but.

Les premiers juges ont considéré qu’elle ne rapportait pas la preuve des fautes commises.

La seule chronologie sur laquelle elle s’appuie est, en effet, insuffisante pour établir les fautes qu’elle prétend imputer aux intimés alors que :

-de l’aveu même de la société JSA (page 6 de ses conclusions) les difficultés de la société CARIGE sont apparues au cours de l’exercice 2013 qui a enregistré un résultat net d’exploitation négatif de 547 119 euros par suite d’une baisse « brutale » de son chiffre d’affaire de 25%,

-M. [X] a été gérant de la société CARIGE pendant seulement 6 jours (du 4 au 10 mars 2014),

-il n’est pas démontré que postérieurement au 10 mars 2014 M. [X] ait occupé d’autres fonctions que celles de simple consultant (via sa société [X] CONSEIL),

-M. [X] a cessé ses fonctions de consultant de la société CARIGE le 25 juin 2014,

-contrairement à ce que prétend l’appelante, le prince [Z] n’a pas privé la société CARIGE de son soutien financier puisqu’il a :

-en début d’année 2014, libéré 250 000 euros au profit de la trésorerie de la société CARIGE,

-le 28 novembre 2014, libéré via la société AL TAADUD 250 000 euros supplémentaires au profit de la société CARIGE,

-la société MO:VEL a été créée en janvier 2015 alors que la procédure de redressement judiciaire de la société CARIGE était déjà ouverte,

-cette société distribuait ses chaussures uniquement en ANGLETERRE via une unique boutique et n’utilisait aucun fournisseur, aucun employé ni aucun matériel de la société CARIGE,

-alors que l’intéressé verse aux débats une multitude de pièces (6, 7, 13, 14, 15, 16, 19, 21, 22, 24, 25, 27, 28, 30, 32, 33, 34, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 44, 47, 48, 49, 50, 51) qui démontrent que M. [A] a continué de gérer le fonctionnement intégral de la société CARIGE même pendant la présence de M. [X] et de sa société, le seul fait que les chaussures et le concept de vente puissent se ressembler pourrait éventuellement justifier une action en contrefaçon mais en aucun cas caractériser la faute de détournement d’actifs reprochée aux intimés,

-alors que c’est la société CARIGE, sous la direction de M. [A], qui a mis fin à la mission de son styliste-consultant, M. [T], en juin 2014 (pièces 4 et 5 de M. [X]) il ne saurait être fait grief aux intimés de s’être rapprochés de lui d’autant qu’il n’est pas allégué qu’il ait été lié par une clause de non-concurrence ou d’exclusivité,

-la société CARIGE n’a commercialisé aucun des modèles que M. [T] lui a proposés (pièce 4 de M. [X]).

Par ces motifs que la cour substitue à ceux des premiers juges, le jugement frappé d’appel sera confirmé en toutes ses dispositions en ce compris celles relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La SELARL JSA ès qualités qui succombe sera condamnée aux dépens d’appel qui seront employés en frais privilégiés des procédures collectives des sociétés CARIGE et IBRA FINANCES.

Elle se trouve, ainsi, infondée en ses prétentions au titre des frais irrépétibles.

Au vu des circonstances de l’espèce et des disparités manifestes qui existent entre les situations matérielles respectives des parties, aucune considération d’équité n’impose de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au bénéfice de l’un quelconque des intimés.

Ils seront tous déboutés de leur demande de ce chef.

L’application de l’article 699 du code de procédure civile sera autorisée pour le conseil des intimés qui l’ont réclamée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, dans les limites de sa saisine, après débats publics et par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe ;

Confirme en toutes ses dispositions, en ce compris celles relatives aux dépens et aux frais irrépétibles, le jugement rendu le 2 septembre 2019 par le tribunal de commerce de GRASSE;

Y ajoutant :

Déclare la SELARL JSA ès qualités infondée en ses prétentions au titre des frais irrépétibles;

Déboute l’ensemble des intimés de leur demande du chef de l’article 700 du code de procédure civile ;

Autorise l’application de l’article 699 du code de procédure civile au bénéfice des intimés qui l’ont réclamée ;

Condamne la SELARL JSA ès qualités aux dépens d’appel et ordonne qu’ils soient employés en frais privilégiés des procédures collectives des sociétés CARIGE et IBRA FINANCES.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

 


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