Mannequin / Mannequinat : 19 mai 2022 Cour d’appel de Rouen RG n° 19/02859

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Mannequin / Mannequinat : 19 mai 2022 Cour d’appel de Rouen RG n° 19/02859
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N° RG 19/02859 – N° Portalis DBV2-V-B7D-IHOK

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 19 MAI 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DU HAVRE du 25 Juin 2019

APPELANTE :

SARL L.H.P.S

[Adresse 2]

[Localité 5]

représentée par Me Renaud COURBON de la SELARL MARGUET LEMARIE COURBON, avocat au barreau du HAVRE

INTIMEES :

Madame [U] [X]

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Karim BERBRA de la SELARL BAUDEU & ASSOCIES AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN

SA LA POSTE

[Adresse 6]

[Localité 3]

représentée par Me Emmanuelle DUGUE-CHAUVIN de la SCP INTER-BARREAUX EMO AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Claudia LEROY, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 13 Avril 2022 sans opposition des parties devant Madame BERGERE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

M. GUYOT, Greffier

DEBATS :

A l’audience publique du 13 Avril 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 19 Mai 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 19 Mai 2022, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Mme [U] [X] a été engagée en qualité de chauffeur livreur par la SARL Le Havre Port Service (ci-après dénommée la société LHPS) qui a pour client principal la SA La Poste, par contrat de travail à durée indéterminée du 2 juin 2014.

Le contrat de travail a été rompu le 6 juin 2017.

Par requête du 23 mai 2018, Mme [X] a saisi le conseil de prud’hommes du Havre pour voir dire que le contrat conclu entre la société LHPS et la société La Poste s’analyse en une fausse sous-traitance caractérisant l’existence d’un prêt de main d’oeuvre illicite et d’un marchandage interdit, pour que la rupture de son contrat de travail soit qualifiée de licenciement sans cause réelle et sérieuse et obtenir la condamnation in solidum des deux sociétés au paiement de rappels de salaire et d’indemnités.

Par jugement du 25 juin 2019, le conseil de prud’hommes a dit que la SA La Poste et la SARL LHPS se sont rendues coupables des délits de marchandage, de prêt de main d”uvre illicite et travail dissimulé, dit que Mme [X] était salariée de la SA La Poste, s’est dit compétent pour connaître de l’affaire, dit que le licenciement de Mme [X] est dépourvu de cause réelle et sérieuse, condamné la SA La Poste et la SARL LHPS in solidum, à verser à Mme [X] les sommes suivantes :

indemnité pour travail dissimulé : 9 846,48 euros,

dommages et intérêts à titre d’indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse : 7 500 euros,

indemnité compensatrice de préavis : 3 282,16 euros,

indemnité compensatrice de congés payés sur préavis : 328,21 euros,

indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile : 1 500 euros,

fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire de Mme [X] à 1 641,08 euros, ordonné l’exécution provisoire de l’intégralité du jugement, dit que les intérêts légaux commenceront à courir à compter de la date de réception de la convocation au Bureau de Conciliation et d’Orientation, soit le 26 mai 2019 pour la SARL LHPS et la SA La Poste, ordonné in solidum à la SA La Poste et la SARL LHPS de rembourser les indemnités de chômage perçues par Mme [X] dans la limite de six mois en vertu de l’article L.1235- 4 du code du travail, ordonné à la SARL LHPS à défaut de la SA La Poste d’envoyer à Mme [X] un bulletin de paie, un certificat de travail rectifié, une attestation Pôle Emploi rectifiée et un reçu pour solde de tout compte sous astreinte de 15 euros par jour et par document à compter du 15ème jour de la notification du jugement, s’est réservé le droit de liquider l’astreinte, a débouté la SA La Poste et la SARL LHPS de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile, mis à la charge de la SA La Poste et la SARL LHPS in solidum les entiers dépens et frais d’exécution de l’instance, dit qu’en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale, il convient de transmettre le jugement aux services de Monsieur le Procureur de la République du Havre.

La SARL LHPS a interjeté appel de cette décision le 17 juillet 2019, cette instance ayant été enregistrée sous le numéro de RG 19/2859. La SA La poste a également interjeté de cette décision le 26 juillet 2019, cette instance ayant été enrôlée sous le numéro de RG 19/3084. Le conseiller de la mise en état a ordonné la jonction des deux instances le 9 juin 2020 sous l’unique numéro RG 19/2859.

Par conclusions remises le 1er octobre 2019, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la SARL LHPS demande à la cour d’infirmer la décision déférée en toutes ses dispositions, débouter Mme [X] de ses demandes, fins et conclusions, subsidiairement, réduire à de plus justes proportions ses demandes, une fois son préjudice établi et vérifié.

Par conclusions remises le 17 janvier 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la SA La Poste demande à la cour, in limine litis, de constater l’absence de contrat de travail entre Mme [X] et la société La Poste, en conséquence, à titre principal, se déclarer incompétent au profit du tribunal de grande instance du Havre pour statuer sur la demande de Mme [X] de reconnaissance d’un contrat de travail avec la société, à titre subsidiaire, prononcer la mise hors de cause de la société, sur le fond, constater l’existence d’un contrat de prestation de services avec la SARL LHPS, constater que Mme [X] ne fait nullement l’objet d’un prêt de main d”uvre illicite, constater qu’aucun délit de marchandage n’est caractérisé et la débouter de toutes ses demandes, en tout état de cause, condamner Mme [X] à lui verser la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Par conclusions remises le 10 juin 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, Mme [U] [X] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris sauf s’agissant du quantum des dommages et intérêts pour préjudice subi du fait du prêt de main d”uvre illicite et du marchandage, des dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et de l’astreinte ordonnée pour la remise des documents de fin de contrat,

-statuant à nouveau,

-dire que la juridiction prud’homale est compétente pour connaître du litige, dire que le contrat conclu entre la société LHPS et La Poste s’analyse en une fausse sous-traitance caractérisant l’existence d’un prêt de main d”uvre illicite et d’un marchandage interdit, dès lors, dire qu’elle était salariée de La Poste, en conséquence, condamner La Poste au paiement de la somme de 9 846,48 euros au titre de l’indemnité pour travail dissimulé, condamner in solidum, ou l’une à défaut de l’autre, La Poste et la société LHPS au paiement de la somme de 26 394,76 euros à titre de dommages et intérêts en raison du préjudice subi du fait de la fausse sous-traitance caractérisant l’existence d’un prêt de main d”uvre illicite et d’un marchandage interdit,

-en outre, dire que la rupture de sa relation de travail avec La Poste et avec la société LHPS s’analyse en un licenciement est sans cause réelle et sérieuse, en conséquence, condamner in solidum, ou l’une à défaut de l’autre, La Poste et la société LHPS au paiement de la somme de 16 410,80 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamner in solidum, ou l’une à défaut de l’autre, La Poste et la société LHPS au paiement de la somme de 3 282,16 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 328,21 euros au titre des congés payés y afférents, ordonner la remise des documents de fin de contrat rectifiés (attestation Pôle emploi, certificat de travail, solde de tout compte, bulletin de paie y afférent) au regard des dispositions du jugement, sous astreinte de 150 euros par document et par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la notification du jugement, le conseil s’étant réservé le droit de liquider l’astreinte, en tout état de cause, condamner in solidum, ou l’une à défaut de l’autre, La Poste et la société LHPS au paiement de la somme de 3 000 au titre de l’article 700 du code de procédure civile, condamner in solidum, ou l’une à défaut de l’autre, La Poste et la société LHPS aux entiers dépens de l’instance.

L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 24 mars 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la compétence de la juridiction prud’homale

En application de l’article L. 1411-1 du code du travail, le conseil de prud’hommes est compétent pour statuer sur les différends qui peuvent s’élever entre les employeurs et les salariés qu’ils emploient à l’occasion de tout contrat de travail, et par suite pour établir l’existence même d’un tel contrat de travail.

En l’espèce, l’action de Mme [X] tend notamment à voir reconnaître l’existence d’un contrat de travail existant entre elle et la société La Poste. Cette action relève de la compétence de la juridiction prud’homale, de sorte qu’il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par la société La Poste.

Sur le prêt illicite de main d’oeuvre, le délit de marchandage et l’existence d’un contrat de travail conclu avec la société La Poste

Le contrat de travail se définit comme une convention par laquelle une personne s’engage à mettre son activité à la disposition d’une autre, sous la subordination de laquelle elle se place moyennant rémunération.

Il appartient à celui qui se prévaut de l’existence d’un contrat de travail d’en rapporter la preuve.

Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

En l’espèce, il est constant qu’aucun contrat de travail écrit n’a été conclu entre Mme [X] et la société La Poste. Toutefois, elle entend se prévaloir de l’infraction de prêt de main d’oeuvre illicite définie aux articles L. 8241-1 et suivants du code du travail pour établir son existence.

L’article L. 8241-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au moment des faits litigieux dispose que toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’oeuvre est interdite. Toutefois, ces dispositions ne s’appliquent pas aux opérations réalisées dans le cadre :

1° Des dispositions du présent code relatives au travail temporaire, aux entreprises de travail à temps partagé et à l’exploitation d’une agence de mannequins lorsque celle-ci est exercée par une personne titulaire de la licence d’agence de mannequin ;

2° Des dispositions de l’article L. 222-3 du code du sport relatives aux associations ou sociétés sportives

3° Des dispositions des articles L. 2135-7 et L. 2135-8 du présent code relatives à la mise à disposition des salariés auprès des organisations syndicales ou des associations d’employeurs mentionnées à l’article L. 2231-1.

Une opération de prêt de main-d’oeuvre ne poursuit pas de but lucratif lorsque l’entreprise prêteuse ne facture à l’entreprise utilisatrice, pendant la mise à disposition, que les salaires versés au salarié, les charges sociales afférentes et les frais professionnels remboursés à l’intéressé au titre de la mise à disposition.

L’opération de prêt de main d’oeuvre illicite est voisine de l’opération de marchandage prévue à l’article L. 8231-1 du code du travail qui dispose que le marchandage, défini comme toute opération à but lucratif de fourniture de main d’oeuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ou d’éluder l’application de dispositions légales ou de stipulations d’une convention ou d’un accord collectif, est interdit.

Ces dispositions ne font pas obstacle à ce que dans le cadre d’un contrat de sous-traitance une entreprise affecte ses salariés à l’exécution de tâches commandées par l’entreprise cocontractante à condition que :

– l’entreprise sous-traitante s’engage à l’exécution d’une tâche définie par l’entreprise donneuse d’ordre ne pouvant l’accomplir elle-même avec son propre personnel,

– l’entreprise sous-traitante assume la responsabilité de l’exécution des travaux et encadre le personnel affecté sans que son personnel soit intégré de fait dans l’entreprise utilisatrice,

– l’entreprise sous-traitante perçoive une rémunération forfaitaire pour l’accomplissement de la tâche et qu’elle ne facture pas directement et en tant que tels les salaires du personnel affecté.

Le juge du fond doit procéder à une recherche de l’objet réel du contrat de sous traitance sans s’arrêter à la qualification donnée par les parties à cette relation contractuelle.

Enfin, un salarié d’une entreprise peut demander au juge d’établir l’existence d’un contrat de travail entre lui et le donneur d’ordre à la disposition duquel il a été mis par son employeur, à charge pour lui d’établir que les conditions sus-rappelées ne sont pas réunies.

En l’espèce, pour critiquer ‘la fausse sous-traitance’ et établir l’existence d’un contrat de travail avec la société La Poste, Mme [X] fait valoir que la société LHPS ne dispose d’aucun établissement propre, que le seul lieu de travail de ses salariés est l’agence Coliposte du Havre au sein de laquelle ils exécutent exactement les mêmes tâches que les salariés de la société La Poste, qu’à l’exception des chaussures de sécurité et des véhicules, le reste des moyens et matériels professionnels est mis à disposition des salariés par la société La Poste, que les horaires de livraison sont les mêmes et que les consignes et ordres étaient donnés par les cadres de la société La Poste.

Au soutien de ces allégations, elle verse aux débats les éléments suivants :

– une attestation de Mme [G], salariée de la société La Poste, gestionnaire de colis à l’agence Coliposte du Havre, qui explique que les salariés des entreprises sous-traitantes de ce site exécutent les mêmes tâches dans le même créneau horaire et le même lieu de travail, mais qu’ils doivent emporter plus de colis, que les consignes sont données par les encadrants de La Poste et que les salariés des entreprises sous-traitantes doivent rendre des comptes aux mêmes encadrants, qu’enfin en cas de difficultés sur les tournées, ce sont les employés de la société La Poste qui sont appelés.

Il convient de relever que cette attestation est rédigée en des termes très peu circonstanciés, il n’est donné aucune explication sur l’organisation précise du site, avec un organigramme, ou, à tout le moins, l’identité des encadrants dont il est fait état ou encore, à défaut, des salariés des sous-traitants concernés, ce qui ne permet pas d’établir valablement l’existence d’un contrôle, d’un pouvoir de direction de la société La Poste sur les salariés de ses sous-traitants. De même, les commentaires sur la mise à disposition du matériel sont très généraux sans aucun exemple concret.

En outre, la société La Poste rapporte la preuve que si Mme [G] est effectivement une de ses salariées, elle est, néanmoins, à la suite de divers arrêts maladie pour maternité, accident de travail et autres, absente du site depuis 2011 de manière quasiment ininterrompue, à l’exception du second semestre 2014 et des mois d’avril, mai, juillet et août 2015.

Au vu de ces éléments, la valeur probante de ce témoignage est extrêmement faible.

– trois attestations de Mme [J], ancienne salariée de la société LHPS, dont le licenciement fait l’objet d’une instance prud’homale, de sorte que son objectivité et son impartialité sont, à juste titre, questionnées par la société LHPS. Aux termes de ces trois documents, Mme [J] explique qu’elle a travaillé sur l’agence Coliposte du Havre de septembre 2016 à avril 2017, qu’elle recevait ses ordre des cadres de la société La Poste qui contrôlaient les colis et validaient les départs en tournée et qui étaient, de surcroît, appelé, lorsqu’il y avait une difficulté sur les tournées. Elle affirme qu’elle n’a jamais reçu d’ordres de la part de M. [O], salarié de la société LHPS.

-une attestation de M. [E], délégué syndical SUD-PTT qui explique qu’il a visité à plusieurs reprises, en cette qualité, le site de l’agence Coliposte du Havre et qu’il a pu constater que les salariés sous-traitants exécutaient les mêmes tâches que les postiers mais qu’ils emportaient en livraison plus de colis, qu’il n’a pas constaté, lors de ses visites, la présence d’encadrants propres aux salariés sous-traitants qui prenaient les consignes auprès des agents de la société La Poste. Il soutient que depuis plusieurs années, les postiers partant à la retraite sont remplacés par des sous-traitants.

Outre la critique pertinente de la valeur probante de ces attestations, la société LHPS et la société La Poste, pour contester l’existence d’un prêt illicite de main d’oeuvre, produisent leur contrat de sous-traitance.

Contrairement à ce que soutiennent ces deux sociétés, les dispositions de ce contrat ne permettent pas de considérer que l’entreprise sous-traitante s’engage à l’exécution d’une tâche d’une technicité particulière définie par l’entreprise donneuse d’ordre qu’elle ne peut accomplir elle-même avec son propre personnel, puisqu’il s’agit de confier à la société LHPS une fonction de livraison de colis sans aucune plus-value ou spécificités particulières, le seul fait que les tournées et secteurs confiés à l’entreprise sous-traitante soient différents de ceux assurés par les salariés de la société La Poste n’étant pas un élément établissant un savoir-faire distinct.

Néanmoins, l’absence de ce critère de spécificité des tâches confiés au sous-traitant ne permet pas à lui seul de retenir le prêt illicite de main d’oeuvre, dans la mesure où, au vu des pièces produites par les deux entreprises, les autres critères de régularité du recours à la sous-traitance sont parfaitement remplis.

Ainsi, d’une part, le contrat de sous-traitance prévoit une rémunération forfaitaire par colis livré selon le type de colis avec indexation possible sur le coût du carburant, il n’y a aucune facturation en fonction des salaires du personnel affecté, Mme [X] ne soutenant pas, au demeurant, que ces clauses contractuelles ne sont pas appliquées.

D’autre part, sur la responsabilité de l’exécution des travaux et l’encadrement du personnel affecté par le sous-traitant, il est produit un plan de l’entrepôt de tri postal litigieux qui montre, ce que Mme [X] ne conteste pas, que cet endroit est divisé en plusieurs zones bien distinctes, que chacune d’entre elles est affectée à une société différente (La Poste et ses trois sous-traitants présents sur ce site), qu’il existe également des zones de chargement-déchargement attribués à chacune des sociétés. Il s’en suit que s’il est exact que tous les salariés travaillent sur le même site et qu’ils peuvent être amenés à utiliser le même matériel (lecteur de code barre ou diable pour porter les colis), ils ne sont, en revanche, pas affectés à la réception des mêmes colis sur la même zone, aucun des témoignages produits aux débats par Mme [X] ne venant dire que les salariés étaient interchangeables d’une zone à l’autre. De plus, il est constant que la société LHPS fournit à ses salariés des chaussures de sécurité et surtout le véhicule nécessaire à la réalisation des livraisons de colis qui constituent leur mission principale. Il n’y a donc aucune intégration du personnel des sous-traitants au personnel de la société La Poste.

En outre, la société La Poste et la société LHPS versent aux débats un échange de mails qui établit que la société La Poste demandait des comptes à son sous-traitant sur l’organisation de son personnel sur site, sur les réclamations clients qui lui étaient adressées, ce qui tend à établir qu’il n’y avait pas de lien hiérarchique direct sur place entre les encadrants de la société La Poste et les salariés de la société LHPS. Cette situation est corroborée par les deux témoignages de salariés de l’entreprise et le constat d’huissier dressé le 26 janvier 2019 qui relate les échanges SMS entre Mme [X] et le dirigeant de la société LHPS, échanges desquels il ressort qu’à la suite du départ de M. [O] [I], salarié en charge de diriger et contrôler l’activité des salariés de la société LHPS sur site, c’est Mme [X] qui a assumé cette charge, rendant ainsi mensuellement des comptes au dirigeant de la société LHPS sur le nombre de colis livrés par les huit salariés de l’entreprise, sur les éventuelles heures supplémentaires réalisées et également sur les besoins en entretien des véhicules utilisés.

Enfin, s’il n’est pas contesté que la société La Poste est le client principal de la société LHPS, ce seul élément de dépendance économique ne permet pas à lui seul de déduire l’existence d’un transfert du lien de subordination des salariés du sous-traitant au profit de l’entrepreneur principal.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, c’est à tort que les premiers juges ont considéré que les délits de prêt de main d’oeuvre illicite, de marchandage et de travail dissimulé étaient caractérisés, étant au demeurant fait observer que s’il est justifié dans le cadre de la présente procédure que l’inspection du travail a procédé, en septembre 2017, à un contrôle de la régularité de cette situation de sous-traitance, force est de constater qu’après réception des éléments de preuve sollicités par ce service, aucune suite n’a été donnée à l’enquête et aucune poursuite n’a été engagée.

En conséquence, le jugement déféré est infirmé sur ces points ainsi que sur toutes les condamnations subséquentes prononcées à l’encontre de la société La Poste.

Sur le licenciement

La société LHPS soutient qu’elle a licencié Mme [X] pour inaptitude d’origine non professionnelle et impossibilité de reclassement, reconnaissant toutefois que la procédure de licenciement n’a pas été respectée, puisqu’il est constant que la salariée n’a pas été convoquée à un entretien préalable et qu’aucune lettre de licenciement pour inaptitude d’origine non professionnelle avec impossible de reclassement ne lui a été notifiée, seul un courrier daté du 23 mai 2017 qui aurait été remis en mains propres à Mme [X] le 6 juin 2017 fait état d’une ‘rupture à l’amiable’. Néanmoins, la société LHPS affirme que les conditions de fond d’un tel licenciement étaient réunies et que sa salariée ne peut donc prétendre qu’à une indemnisation pour procédure irrégulière, son licenciement étant parfaitement fondé.

Ce raisonnement ne peut être validé en l’absence de tout avis d’inaptitude rendu par le médecin du travail conformément aux dispositions de l’article R. 4624-42 du code du travail qui prévoit que le médecin du travail ne peut constater l’inaptitude médicale du travailleur à son poste de travail que :

1° S’il a réalisé au moins un examen médical de l’intéressé, accompagné, le cas échéant, des examens complémentaires, permettant un échange sur les mesures d’aménagement, d’adaptation ou de mutation de poste ou la nécessité de proposer un changement de poste ;

2° S’il a réalisé ou fait réaliser une étude de ce poste ;

3° S’il a réalisé ou fait réaliser une étude des conditions de travail dans l’établissement et indiqué la date à laquelle la fiche d’entreprise a été actualisée ;

4° S’il a procédé à un échange, par tout moyen, avec l’employeur.

Ces échanges avec l’employeur et le travailleur permettent à ceux-ci de faire valoir leurs observations sur les avis et les propositions que le médecin du travail entend adresser.

S’il estime un second examen nécessaire pour rassembler les éléments permettant de motiver sa décision, le médecin réalise ce second examen dans un délai qui n’excède pas quinze jours après le premier examen. La notification de l’avis médical d’inaptitude intervient au plus tard à cette date.

En effet, en l’espèce, aucun des deux documents établis par le médecin du travail ne réunit ces conditions et ne peut valoir avis d’inaptitude. Le certificat établi le 18 avril 2017 est une visite de reprise au terme de laquelle le médecin du travail a indiqué : ‘pas de reprise au poste de travail actuellement ; prise en charge nécessaire par la médecine pour traitement. Etat de santé et compatibilité à réévaluer après la prise en charge et le traitement. A revoir le 2 mai 2017″.

L’attestation de suivi du 2 mai 2017 est rédigée comme suit : ‘nature de l’examen : visite d’information et de prévention. Préconisations : compte-tenu de l’état de santé de la salariée, constaté lors des examens des 18/04/2017 et de ce jour, et compte-tenu des conditions de travail et du poste de travail occupé par la salariée, Mme [X] [U] ne peut poursuivre son activité au poste de chauffeur livreur au sein de l’entreprise. Etant donné l’absence de réponse de l’employeur aux sollicitations par mail et par téléphone, pour un entretien-une étude du poste de travail – l’établissement de la fiche d’entreprise, l’étude du poste de travail a été effectuée avec la salariée ce jour, et une restitution écrite sera adressée dans les 48h à la salariée et à son employeur. Les capacités restantes de la salarié permettent un travail uniquement administratif, ou de contrôle, ou de surveillance. Pas de conduite automobile, pas de port de charges de plus de 5 kgs, et pas de gestes en élévation des membres supérieurs’.

Dans la mesure où la restitution de l’étude de poste n’a été faite que le 5 mai 2017 avec un complément rédigé le 11 mai 2017, à la suite d’un échange avec l’employeur, cette attestation de suivi ne peut valablement constituer l’avis d’inaptitude prévu par l’article R 4624-42 sus-visé. Le médecin du travail, le cas échéant sur sollicitations de l’employeur, aurait dû rendre un nouvel avis éclairé avec ces informations et échanges notamment les possibilités de reclassement et ne pas se contenter des informations transmises à l’issue de l’examen du 2 mai 2017. C’est donc à tort que la société LHPS a considéré que cet avis valait avis d’inaptitude pouvant fonder un licenciement en application des dispositions des articles L. 4624-4 et L.1226-2 du code du travail.

Surabondamment, ainsi que le fait observer Mme [X], la société LHPS est totalement défaillante à rapporter la preuve de l’accomplissement loyale et sérieuse de son obligation de reclassement.

En conséquence, il convient de confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a considéré que le licenciement de Mme [X] est sans cause réelle et sérieuse.

En l’absence de contestation sur la somme réclamée à ce titre, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a alloué à Mme [X] une somme 3 282,16 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 328,21 euros au titre des congés payés y afférents, la décision étant cependant infirmée en ce qu’elle a prononcé à cet égard une condamnation in solidum de la société LHPSet de la société La Poste.

S’agissant d’un licenciement intervenu avant l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 au sein d’une entreprise employant habituellement moins de 11 salariés, la demande indemnitaire présentée par Mme [X] relève des dispositions de l’article L. 1235-5 du code du travail dans sa version applicable au litige.

En l’absence de tout élément caractérisant le préjudice subi par la salariée, cette dernière ne donnant aucune information sur sa situation professionnelle postérieurement à cette rupture, il convient d’infirmer le jugement entrepris et d’allouer à titre de dommages et intérêts une somme de 5 000 euros.

Sur les autres demandes

Conformément à la demande présentée par Mme [X], il convient d’ordonner à la société LHPS de lui remettre les documents de fin de contrat rectifiés (attestation Pôle emploi, certificat de travail, solde de tout compte, bulletin de paie y afférent) conformément à la présente décision, sans qu’il soit néanmoins justifié d’assortir cette obligation d’une astreinte.

Par ailleurs, il convient d’infirmer le jugement entrepris ayant ordonné le remboursement à Pôle emploi des indemnités versées au salarié en application des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail, non applicable dès lors que le licenciement est intervenu dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société LHPS aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à Mme [X] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile exposés tant en première instance qu’en cause d’appel.

L’équité et la nature du litige commandent qu’il ne soit pas fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de la société La Poste.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement,

Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a retenu sa compétence pour statuer sur l’existence d’un contrat de travail entre la SA La Poste et Mme [U] [X] et en ce qu’il a dit que le licenciement de Mme [X] par la SARL Le Havre Port Service était dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

L’infirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau,

Déboute Mme [U] [X] de sa demande tendant à voir reconnaître la caractérisation des délits de prêt illicite de main d’oeuvre, de marchandage et de travail dissimulé et par suite l’existence d’un contrat de travail la liant à la société La Poste ainsi que de toutes ses demandes indemnitaires subséquentes ;

Condamne la SARL Le Havre Port Service à payer à Mme [U] [X] les sommes suivantes :

dommages et intérêts à titre d’indemnité

pour licenciement abusif : 5 000,00 euros

indemnité compensatrice de préavis : 3 282,16 euros

indemnité compensatrice de congés payés

sur préavis : 328,21 euros

Ordonne à la SARL Le Havre Port Service de remettre à Mme [U] [X] les documents de fin de contrat rectifiés (attestation Pôle emploi, certificat de travail, solde de tout compte, bulletin de paie y afférent) conformément à la présente décision ;

Dit n’y avoir lieu d’assortir cette obligation d’une astreinte ;

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail ;

Y ajoutant,

Déboute la SARL Le Havre Port Service et la SA La Poste de leur demande respective au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SARL Le Havre Port Service à payer à Mme [X] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés tant en première instance qu’en cause d’appel ;

Condamne la SARL Le Havre Port Service aux dépens de la présente instance.

La greffièreLa présidente

 


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