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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 13
ARRET DU 17 JANVIER 2023
(n° , pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/07180, N°RG 22/07602 et N°RG 22/10140
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 31 Mars 2022 -Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris – RG n° 20/03719
APPELANTE
Maître Anne [B]
[Adresse 1]
[Localité 9]
Représentée par Me Antoine BEAUQUIER de l’ASSOCIATION BOKEN, avocat au barreau de PARIS, toque : R191
INTIMES
Monsieur [L] [I]
[Adresse 11]
[Localité 6]
Représenté par Me Caroline HATET-SAUVAL de la SCP SCP NABOUDET – HATET, avocat au barreau de PARIS, toque : L0046
Ayant pour avocats plaidants , Me hilippe LASSERRE, avocat au barreau de PARIS, toque D671 et Me Aude LASSERRE, avocat au barreau de PARIS, toque D598
Madame [J] [I]
[Adresse 11]
[Localité 6]
Représentée par Me Caroline HATET-SAUVAL de la SCP SCP NABOUDET – HATET, avocat au barreau de PARIS, toque : L0046
Ayant pour avocats plaidants , Me hilippe LASSERRE, avocat au barreau de PARIS, toque D671 et Me Aude LASSERRE, avocat au barreau de PARIS, toque D598
Maître Etienne [P]
[Adresse 4]
[Localité 9]
Représenté par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
Ayant pour avocat plaidant Me Christophe LAVERNE, avocat au barreau de PARIS, toque : P133
Compagnie d’assurance ZURICH INSURANCE PLC
[Adresse 2]
[Localité 9]
Représentée par Me Philippe DEROUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J037
S.A.R.L. INCOTECH prise en la personne de ses représentants légaux en exercice
domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 10]
[Localité 8]
Représentée par Me Caroline HATET-SAUVAL de la SCP SCP NABOUDET – HATET, avocat au barreau de PARIS, toque : L0046
Ayant pour avocats plaidants , Me hilippe LASSERRE, avocat au barreau de PARIS, toque D671 et Me Aude LASSERRE, avocat au barreau de PARIS, toque D598
Société EDMOND DE ROTHSCHILD EUROPE Agissant en la personne de ses représentants légaux en exercice, domiciliés audit siège en cette qualité
Ayant pour avocat plaidant Me Clément DUPOIRIER, avocat au barreau de PARIS, toque : J24
[Adresse 5]
L 255 LUXEMBOURG – LUXEMBOURG
Représentée par Me Audrey SCHWAB de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056
Société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représentée par Me Jérôme DEPONDT de la SCP IFL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0042
S.A. MMA IARD prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représentée par Me Jérôme DEPONDT de la SCP IFL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0042
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première présidente de chambre, chargée du rapport et devant Mme Estelle MOREAU, conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première présidente de chambre
Mme Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre
Mme Estelle MOREAU, Conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Nora BENDERRADJ
ARRET :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 17 janvier 2023 ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première présidente de chambre et par Justine FOURNIER, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
Courant 2000, M. [L] [I] a créé la SAS Homelidays dont il détenait la majorité des titres.
Le 29 juillet 2005, il a également constitué la société Incotech, société holding de la première.
A l’été 2008, il a saisi le cabinet d’avocat Bird & Bird d’une mission de conseil fiscal relative aux modalités de cession de sa société Homelidays et à l’installation de sa famille en Malaisie. Son dossier a été géré par Mme [W] [B], à l’époque associée responsable du département droit fiscal du cabinet, ainsi que par M. [T] [P], qui travaillait auprès d’elle en tant que collaborateur.
Dans le cadre de cette opération, courant octobre 2008, M. [I], par l’intermédiaire de ses conseils, est entré en contact avec la société de droit luxembourgeois Banque Privée Edmond de Rothschild Europe, devenue la société Edmond de Rothschild Europe (la société EDR) avec laquelle ont été conclus d’une part des conventions d’ouverture de compte entre celle-ci, M. [I], Mme [I] et la société Incotech et, d’autre part, un « contrat promoteur » aux termes duquel la banque s’est engagée à assurer la constitution et l’administration d’une société de participations financières de droit luxembourgeois dénommée Vaolu.
En décembre 2009, le schéma suivant a été finalement retenu, puis appliqué, à savoir :
– la cession des titres de la société Homelidays par la société Incotech,
– la création de la société Vaolu, société luxembourgeoise, et apport par M. [I] de 100% des titres de la société Incotech à cette société,
– la remontée des fonds de la société Incotech à la société Vaolu par distribution de dividendes au mois de mai 2009 et la réduction du capital de la société Incotech,
– l’installation des consorts [I] en Malaisie, en juin 2009,
– la réduction du capital de la société Vaolu par distribution de dividendes à M. [I] en décembre 2009.
Le 21 juin 2011, à la suite d’une vérification de comptabilité de la société Incotech réalisée
entre septembre 2010 et juin 2021, l’administration fiscale française a redressé cette société
au titre de l’impôt sur les sociétés ainsi que les époux [I] au titre de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux dus pour l’année 2009 à hauteur de 17 369 951 euros.
Le 13 septembre 2012, Mme [B] a déposé une requête devant le tribunal administratif de Montreuil pour le compte de M. [I], afin de solliciter une décharge des cotisations d’impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il avait été assujetti au titre de l’année 2009, au motif qu’il n’aurait pas eu la qualité de résident fiscal français cette année-là.
Par décision du 19 juillet 2013, le tribunal administratif de Montreuil a validé la rectification dont M. [I] avait fait l’objet, jugeant que ce dernier ne démontrait pas ne pas être un résident fiscal français pour l’année 2009 et qu’en conséquence, il n’était pas fondé à demander la décharge des cotisations d’impôt sur le revenu et des contributions sociales auxquelles il a été assujetti la même année.
Les époux [I] ont mis un terme aux mandats confiés à Mme [B] à la fin de l’année 2013.
Par courriers des 3 février et 4 mars 2014, par l’intermédiaires de leurs nouveaux conseils, les consorts [I] ont demandé à la société d’avocats Bird & Bird de procéder à une déclaration de sinistre exigeant une réparation ‘au titre des conséquences dommageables des conseils et réalisations consécutifs ayant généré la réaction des services fiscaux’ réclamant à ce titre le paiement de la somme de 17 369 951 euros, outre 15 797 euros pour la société Incotech ainsi que la somme de 108 566,65 euros au titre des honoraires de Bird & Bird.
Par décision du 16 octobre 2014, le comité de l’abus de droit a estimé que « la création de la SA Vaolu avait procédé d’un montage purement artificiel ayant pour seul but de permettre, du fait de l’interposition de cette société, l’appréhension en franchise d’impôt par M. [I] des liquidités résultant de la cession par la société Incotech de ses parts dans la société Homelidays, et le maintien du régime du sursis à l’imposition dont avait bénéficié l’opération d’apport des titres de la société Homelidays à la société Incotech le 16 mars 2006 », émettant en conséquence l’avis que l’administration fiscale était fondée à mettre en ‘uvre la procédure prévue par l’article L 64 du Livre des procédures fiscales et estimant que M. [I] devait être regardé comme ayant eu l’initiative principale des actes constitutifs de l’abus de droit et le principal bénéficiaire au sens du b) de l’article 1729 du code général des impôts et que l’administration était alors bien fondée à appliquer la majoration de 80% prévue par ces dispositions.
Le 30 novembre 2014, les époux [I] ont été destinataires d’un avis d’imposition sur le revenu d’un montant de 11 468 856 euros.
Le 21 juillet 2015, la cour administrative d’appel de Versailles a confirmé le jugement du tribunal administratif de Montreuil considérant que les époux [I] étaient des résidents français pour l’année 2009, et que dès lors, ils étaient redevables de l’imposition française pour cette année.
Par requête du 18 septembre 2015, les nouveaux conseils des époux [I], ont sollicité du tribunal administratif de Montreuil une décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux auxquels ils ont été assujettis, en droits et pénalités au titre de l’année 2009, le tout à hauteur de 17 369 951 euros, laquelle a été rejetée par décision du 27 février 2017, au motif que l’imposition des époux [I] pour l’année 2009 était bien fondée.
Saisie par les époux [I], la cour administrative d’appel de [Localité 12] a confirmé cette décision par un arrêt rendu le 17 décembre 2019.
Les époux [I] se sont désistés de leur pourvoi devant le Conseil d’Etat, une transaction ayant été conclue avec l’administration fiscale en novembre 2021.
Parallèlement, le 5 avril 2019, M. [I], destinataire d’une citation à prévenu devant le tribunal correctionnel de Paris pour s’être soustrait à l’établissement et au paiement partiel de l’impôt sur le revenu au titre de l’année 2009, en souscrivant des déclarations de plus-values et de revenus minorés, a été déclaré coupable des chefs de fraude fiscale et condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis.
C’est dans ces conditions que par acte du 3 février 2020, les époux [I] et la société Incotech ont assigné Mme [B], M. [P], les sociétés EDR et Bird & Bird devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins d’obtenir réparation du préjudice qu’ils estiment avoir subi du chef des impositions et pénalités mises à leur charge.
Par acte du 5 novembre 2020, ils ont assigné en intervention forcée les sociétés Zurich Insurance, MMA Iard et MMA Iard Assurances mutuelles. Par ordonnance du 19 novembre 2020, le juge de la mise en état a ordonné la jonction des instances.
Puis par ordonnance du 31 mars 2022, il a :
– rejeté l’exception d’incompétence soulevée par la société EDR,
– déclaré recevable l’action engagée par Mme [J] [I] et la société Incotech à l’encontre de la société EDR,
– déclaré recevable car non prescrite l’action engagée par M. [L] [I], Mme [J] [I] et la société Incotech à l’encontre de Mme [B], M. [P], la compagnie d’assurance Zurich insurance PLC, les sociétés MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles, et la société EDR,
– réservé les dépens.
Par déclarations des 6 et 13 avril 2022, Mme [B] et la SA Zurich insurance PLC compagnie ont interjeté appel de cette ordonnance en intimant, pour la première, les époux [I], la société Incotech, M. [P], les sociétés EDR, MMA Iard assurances mutuelles et MMA Iard, et, pour la seconde, les époux [I] et la société Incotech. Les dossiers ont été enregistrés respectivement sous les numéros de RG 22.7180 et 22.7602.
Puis le 14 juin 2022, la société EDR a formé un appel compétence à l’encontre de la même décision en intimant les époux [I] et la société Incotech qu’elle a été autorisée à faire assigner à jour fixe. Dans le cadre de cette procédure ces derniers ont fait assigner aux fins d’appel provoqué M. [P], Mme [B] et les sociétés Zurich insurance, MMA Iard assurances mutuelles et MMA Iard, Le dossier a été enregistré sous le numéro RG 22.10140.
Dans le dossier RG 22.7180
Dans ses dernières conclusions, déposées et notifiées par RPVA le 2 juin 2022, Mme [B] demande à la cour de :
– infirmer l’ordonnance du 31 mars 2022 du juge de la mise en état en ce qu’elle a dit que les demandes de M. [L] [I], de Mme [J] [I] et de la Sarl Incotech étaient recevables et non prescrites,
la reformant,
– dire et juger que les demandes de M. [L] [I], de Mme [J] [I] et de la Sarl Incotech sont prescrites,
– en conséquence, déclarer irrecevables les demandes de M. [L] [I], de Mme [J] [I] et de la Sarl Incotech,
– condamner M. [L] [I], Mme [J] [I] et de la Sarl Incotech à lui payer 20 000 euros au titre de l’article 700 de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées par RPVA le 14 novembre 2022, M. [L] [I], Mme [J] [I] et la Sarl Incotech, demandent à la cour de:
– confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance du juge de la mise en état et ce faisant,
– débouter Mme [B], M. [P], les compagnies Zurich insurance public limited company, MMA Iard assurances mutuelles et MMA Iard de l’ensemble de leurs demandes,
subsidiairement,
– juger que la prescription a été suspendue dans l’attente de l’arrêt définitif de la cour d’appel de Versailles en date du 17 décembre 2019 ou encore sur pourvoi devant le Conseil d’Etat, et ce faisant,
– débouter Mme [B], M. [P], les compagnies Zurich insurance public limited company, MMA Iard assurances mutuelles et MMA Iard de l’ensemble de leurs demandes,
subsidiairement encore,
– déclarer irrecevable la société Zurich insurance public limited company de ses demandes concernant la prescription découlant de l’application de l’article 2224 du code civil et ce par application du principe de l’estoppel,
en tout état de cause,
– les condamner chacun à leur payer sur le fondement de l’article 700 du code de procédure la somme de 10 000 euros.
Dans ses dernières conclusions, déposées et notifiées par RPVA le 6 septembre 2022, M. [P] demande à la cour de :
– infirmer l’ordonnance en ce qu’elle a dit que les demandes de M. [L] [I], de Mme [J] [I] et de la Sarl Incotech étaient recevables et non prescrites,
statuant à nouveau
– juger prescrite l’action des époux [I] et de la société Incotech et les débouter de leurs
demandes,
– les condamner in solidum à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner in solidum les mêmes aux entiers dépens.
Dans leurs dernières conclusions, déposées et notifiées par RPVA le 29 juin 2022, les sociétés MMA Iard assurances mutuelles et MMA Iard demandent à la cour de :
– les déclarer recevables et bien fondées en leur appel incident,
y faisant droit,
– infirmer l’ordonnance en toutes ses dispositions,
et statuant à nouveau,
– déclarer irrecevable comme prescrite l’action des époux [I] et de la société Incotech.
– condamner les époux [I] et la société Incotech à leur verser une somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner les époux [I] et la société Incotech aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions, déposées et notifiées par RPVA le 13 juin 2022, la compagnie d’assurances Zurich Insurance PLC demande à la cour de :
– joindre les appels dirigés contre la même décision, notamment ceux enregistrés sous les numéros RG n°22/07180 et RG n°22/07602,
– réformer l’ordonnance,
– déclarer prescrite l’action des consorts [I] et de la société Incotech à l’encontre de Mme [B] et M. [P], de l’association d’avocats Bird & Bird et de la compagnie Zurich,
– rejeter en conséquence leurs demandes comme irrecevables,
– les condamner aux dépens et au paiement d’une somme de 3 000 euros au titre de l’article
700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions, déposées et notifiées par RPVA le 30 août 2022, la société Edmond de Rothschild (Europe) demande à la cour de :
– rejeter la demande de jonction entre les appels enrôlés sous les numéros RG n°22/07180,
22/07602 et 22/10140 à l’encontre de l’ordonnance rendue par le juge de la mise en état,
– juger que la cour n’est saisie d’aucune demande à son encontre dans le cadre de la présente procédure (RG n°22/07180),
en tout état de cause,
– condamner la partie qui succombera à lui payer la somme de 5 000 au titre de l’article 700
du code de procédure civile,
– condamner la partie qui succombera aux entiers dépens dont le recouvrement sera poursuivi par la Selarl 2H avocats en la personne de Me Audrey Schwab, par application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Dans le dossier RG 22.7602
Les conclusions de la compagnie Zurich Insurance PLC, d’une part, et des époux [I] et de la société Incotech, d’autre part, sont identiques à celles déposées dans le dossier RG 22.7180.
Dans le dossier RG 22.10140
Dans ses dernières conclusions, déposées et notifiées par RPVA le 10 novembre 2022, la société Edmond de Rothschild (Europe) demande à la cour de :
– rejeter la demande de jonction entre les appels enrôlés sous les numéros RG n°22/07180, 22/07602 et 22/10140 à l’encontre de l’ordonnance rendue par le juge de la mise en état,
– infirmer l’ordonnance,
statuant à nouveau
à titre principal,
– juger que les juridictions françaises sont incompétentes pour connaître des demandes de M. et Mme [I] et de la société Incotech à son encontre,
en conséquence,
– les renvoyer à mieux se pourvoir,
le cas échéant, en cas de doute sur la portée de l’article 25.1 du Règlement 1215/2012,
– soumettre à la Cour de justice de l’Union européenne la question préjudicielle suivante:’ Une clause attributive de juridiction prévoyant la compétence exclusive des juridictions d’un Etat membre tout en réservant à une seule des parties la possibilité d’introduire une action devant toute autre juridiction compétente est-elle conforme au Règlement 1215/2012 de sorte qu’elle s’impose à la partie ne bénéficiant pas de la possibilité de saisir une juridiction autre que celle nommément visée par la clause ”
à titre subsidiaire, si la cour retenait la compétence des juridictions françaises,
– juger que Mme [I] et la société Incotech sont dépourvues d’intérêt à agir à son encontre dans le cadre de la présente action,
– juger que l’action intentée par M. et Mme [I] et la société Incotech à son encontre est prescrite et en conséquence, irrecevable,
en tout état de cause,
– condamner in solidum M. et Mme [I] et la société Incotech à lui payer la somme de 20 000 au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner in solidum M. et Mme [I] et la société Incotech aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl 2H avocats en la personne de maître Audrey Schwab, par application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Dans leurs dernières conclusions, déposées et notifiées par RPVA le 7 novembre 2022, M. [L] [I], Mme [J] [I] et la Sarl Incotech, demandent à la cour de :
– débouter la banque EDR de sa demande de rejet de la jonction des recours enrôlés sous les numéros RG 22/07810, 22/07602 et 22/10140,
– joindre les appels enrôlés sous ces numéros,
– confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance déférée,
en conséquence,
– débouter la banque EDR de toutes ses demandes à leur encontre sur l’intérêt à agir, l’incompétence ratione loci et la prescription,
– la condamner au paiement de la somme de 20 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Dans ses dernières conclusions, déposées et notifiées par RPVA le 15 novembre 2022, Mme [B] demande à la cour de :
– recevoir son appel incident portant sur la compétence et la prescription,
– infirmer l’ordonnance en toutes ses dispositions,
la réformant,
– in limine litis pour le cas où la cour viendrait à se déclarer incompétente pour ce qui concerne la banque EDR :
– déclarer le tribunal judiciaire incompétent pour connaître des demandes des époux [I] et de la société Incotech à son encontre,
en tout état de cause,
– dire et juger que les demandes des époux [I] et de la société Incotech sont prescrites, en conséquence les déclarer irrecevables,
– condamner M. [L] [I], Mme [J] [I] et de la Sarl Incotech à lui payer 20 000 euros au titre de l’article 700 de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions, déposées et notifiées par RPVA le 2 novembre 2022, M. [P] demande à la cour de :
– infirmer l’ordonnance en ce qu’elle a dit que les demandes de M. [L] [I], de Mme [J] [I] et de la Sarl Incotech étaient recevables et non prescrites,
statuant à nouveau
– juger prescrite l’action des époux [I] et de la société Incotech et les débouter de leurs demandes,
– les condamner in solidum à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner in solidum les mêmes aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions, déposées et notifiées par RPVA le 7 novembre 2022, la compagnie Zurich insurance PLC demande à la cour de :
– joindre les appels dirigés contre la même décision, notamment ceux enregistrés sous les numéros RG n°22/07180 et RG n°22/07602,
– confirmer l’ordonnance sur la compétence,
– l’infirmer pour le surplus,
– déclarer l’action des consorts [I] et de la société Incotech prescrite,
– rejeter en conséquence leurs demandes comme irrecevables,
– les condamner aux dépens et au paiement d’une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Les sociétés MMA Iard assurances mutuelles et MMA Iard ont constitué avocat mais n’ont pas conclu dans ce dossier.
SUR CE
1- Sur la jonction des dossiers RG n°22/07180, RG n°22/07602 et RG n°22/10140
Les époux [I], les sociétés Incotech et Zurich insurance sollicitent la jonction des trois procédures aux motifs que les trois appels ont été formés contre la même décision, qu’il est sollicité au fond une condamnation in solidum de la banque et des avocats et que la société EDR développe au même titre que les autres parties un moyen tiré de la prescription de l’action.
La société EDR s’y oppose considérant qu’il n’existe pas entre ces affaires un lien tel qu’il soit de l’intérêt d’une bonne justice de les juger ensemble car seuls elle-même, les époux [I] et la société Incotech sont concernés par l’exception d’incompétence internationale des juridictions françaises, car sa fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action est fondée sur la clause de prescription conventionnelle contenue dans ses conditions générales et car dans le cadre des procédures RG n°22/07180 et RG n°22/07602 la question de la recevabilité de l’action ne se pose qu’au regard du droit français.
Aux termes de l’article 367 du code de procédure civile, le juge peut, à la demande des parties ou d’office, ordonner la jonction de plusieurs instances pendantes devant lui s’il existe entre les litiges un lien tel qu’il soit de l’intérêt d’une bonne justice de les faire instruire ou juger ensemble.
S’agissant d’une action en responsabilité introduite à l’encontre des avocats et de la banque intervenus dans le cadre d’une même opération aux fins de condamnation solidaire en paiement et de trois appels formés contre la même décision, il existe entre les trois litiges un lien tel qu’il est de l’intérêt d’une bonne justice de les juger ensemble, peu important que l’exception d’incompétence soulevée ne concerne que certaines parties ou que la fin de non-recevoir tirée de la prescription ait des fondements différents.
Il convient, par conséquent, d’ordonner la jonction de ces trois instances sous le numéro le plus ancien.
2 – Sur la compétence des juridictions françaises pour statuer sur les demandes formées par les époux [I] et la société Incotech à l’encontre de la société EDR
La société EDR reproche au juge de la mise en état d’avoir fait une mauvaise application du Règlement n°1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.
Invoquant l’article 25 de ce texte, elle soutient tout d’abord que les juridictions françaises sont internationalement incompétentes pour connaître du litige en vertu des clauses de juridiction liant les parties, lesquelles sont valables et opposables aux intimés.
Elle explique, en premier lieu, qu’aux termes des conventions d’ouverture de compte et du contrat promoteur, qui renvoient expressément aux conditions générales, les parties ont convenu de soumettre tout litige né de leurs relations aux juridictions luxembourgeoises, en sorte que l’action introduite par les époux [I] et la société Incotech, qui concerne bien un litige né à l’occasion de leurs relations justifie l’application ratione materiae des clauses de juridiction y figurant. Elle estime que la clause de juridiction insérée dans les conditions générales appréhende tous les litiges éventuels susceptibles de naître dans le cadre des relations entre elle-même et les intimés et qu’elle a donc vocation à s’appliquer aux actes et/ou faits antérieurs à la conclusion des conventions d’ouverture de compte et du contrat promoteur. Elle précise que les conditions générales ne sont pas limitées aux ouvertures de compte abordées à l’article 4 de celles-ci et critique l’argument des intimés relatif à la clause de juridiction figurant dans le projet de garantie bancaire en ce que ce projet a été soumis par sa filiale française et non par elle-même. Elle affirme n’avoir fourni aux intimés que des prestations bancaires à l’exclusion de toute prestation de conseil fiscal de sorte que les clauses de juridiction figurant dans les contrats les liant sont applicables.
En deuxième lieu, elle fait valoir que la clause de juridiction stipulée dans les conditions générales est opposable aux intimés en ce que tant les conventions d’ouverture de compte que le contrat promoteur signés par les époux [I] et la société Incotech font expressément référence aux conditions générales et que le caractère asymétrique de cette clause est sans incidence sur sa validité, laquelle est parfaitement valable en droit luxembourgeois qui est compatible avec le droit européen.
Elle estime, en troisième lieu, que les intimés ne peuvent pas se prévaloir des règles protectrices applicables aux consommateurs pour neutraliser la clause litigieuse car les articles 17 et 18 du Réglement 1215/2012 sont manifestement inapplicables et qu’en tout état de cause, l’article 18 ne permet pas de retenir la compétence internationale des juridictions françaises mais celle du domicile du professionnel, soit les tribunaux luxembourgeois, ou du domicile du consommateur au jour de l’introduction de l’instance, soit les tribunaux malaysiens. Elle ajoute que ni la société Incotech, qui exerce une activité commerciale par nature, ni les époux [I], actionnaires et/ou dirigeants de la société Incotech, qui ont mis en oeuvre un montage complexe pour transférer le fruit de la cession de la société Homelidays à une société luxembourgeoise et qui ont reconnu avoir utilisé celui-ci pour investir et s’impliquer professionnellement dans des projets, ne peuvent bénéficier des dispositions protectrices des consommateurs, qui sont réservées aux seules personnes physiques, indépendamment de toute activité ou finalité professionnelle dans l’unique but de satisfaire à leurs propres besoins de consommation privée. Elle considère également que les réglementations européenne et luxembourgeoise relatives aux clauses abusives ne sont pas plus applicables en l’espèce.
La société EDR soutient ensuite que le Réglement 1215/2012 est insusceptible de justifier la compétence des juridictions françaises et qu’en application de l’article 4-1 de celui-ci, elle devrait par principe être poursuivie devant les juridictions luxembourgeoises. Elle ajoute que la règle dérogatoire de l’article 8-1 de ce texte ne permet pas plus de consacrer la compétence des juridictions françaises en ce qu’il n’existe entre les demandes formulées à l’encontre de Mme [B] et M. [P], d’une part, et elle-même, d’autre part, aucun lien de connexité au sens du Règlement et que juger séparément ces demandes n’entraînerait aucun risque que des décisions contradictoires soient rendues.
Les époux [I] et la société Incotech soutiennent que le tribunal judiciaire de Paris est compétent tant par application du droit français que du droit européen. Ils rappellent que même si des contrats ont été signés avec la société EDR en mai 2009, c’est pour des prestations de conseil prodiguées en amont, à savoir depuis le mois d’août 2008, que la responsabilité de la banque, comme celle des avocats, est recherchée. Détaillant les échanges et documents produits, ils soutiennent que la banque ne s’est pas contentée de fournir des services bancaires mais qu’elle a délivré des conseils antérieurs de sorte qu’ils ne peuvent pas se voir opposer à quelque titre que ce soit une clause attributive de juridiction portant notamment sur la responsabilité antérieure à la signature des contrats d’ouverture de comptes et de promoteur. Ils ajoutent que la banque échoue à démontrer que les conditions générales auraient été portées à leur connaissance et qu’en tout état de cause les conditions générales sont circonscrites aux ouvertures de compte par application de leur article 4 et qu’il en est de même pour le contrat de promoteur, en sorte que la clause n’est pas générale. Ils invoquent également la garantie bancaire mise en place avec le concours de la filiale française du groupe Rothschild qui prévoit une clause attributive de compétence au profit des juridictions françaises. Ils font valoir qu’en tout état de cause les conditions générales leur sont inopposables en ce qu’elles ne sont pas signées et n’ont été portées à leur connaissance qu’au cours de la procédure de première instance. Ils expliquent, en outre, que les époux [I] ont agi en qualité de consommateurs, qu’ils bénéficient à ce titre d’une protection accrue et d’une législation spécifique et que la jurisprudence de la CJUE est limpide en ce qu’elle réitère qu’une clause attributive de juridiction, qui est insérée dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel sans avoir fait l’objet d’une négociation individuelle et qui confère une compétence exclusive à la juridiction dans le ressort de laquelle est situé le siège de ce professionnel, doit être considérée comme abusive. Ils soutienent ensuite que la clause attributive de juridiction n’est pas valable en raison de son caractère asymétrique en ce qu’elle crée un déséquilibre entre les parties.
Mme [B] estime que les demandes formées contre la société EDR sont rattachées par un lien particulièrement étroit avec celles adressées aux autres défendeurs, qui ont ensemble participé à une mission de nature fiscale, de sorte que juger les parties séparément pourrait aboutir à des solutions inconciliables. Elle en déduit qu’il est donc dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice que tous les défendeurs dans cette affaire soient jugés ensemble, étant précisé qu’en vertu de l’article 8-1 du Règlement Bruxelles I bis des codéfendeurs peuvent être jugés ensemble devant la juridiction du domicile de l’un d’eux.
La compagnie Zurich insurance fait valoir également que l’article 8 du Règlement 1215/2012 est applicable puisque l’objet des demandes est commun à la société EDR et aux autres défendeurs, que les critiques de l’administration fiscale sont dirigées contre le montage proposé conjointement par le service d’ingénierie patrimoniale de la banque et les avocats et mis en oeuvre par chacun en ce qui le concerne. Elle considère que la société EDR se prévaut à tort de la prorogation de compétence qui résulterait des clauses attributives de compétence stipulées dans les conventions d’ouverture de compte et le contrat de promoteur dès lors que les griefs qui lui sont faits procèdent essentiellement des conseils donnés dès octobre 2008 et non de l’exécution des contrats, peu important à cet égard qu’elle n’ait pas été spécialement rémunérée pour les services d’ingénierie patrimoniale qu’elle a rendus.
M. [P], les sociétés MMA Iard assurances mutuelles et MMA Iard ne formulent pas d’observation sur ce point.
La compétence du juge de la mise en état pour statuer sur l’exception de procédure n’est pas critiquée.
C’est par des motifs pertinents que la cour adopte que le juge de la mise en état, après avoir détaillé les documents produits, notamment ceux intitulés ‘Délocalisation en Asie – Ingénierie Financière et Patrimoniale – octobre 2008’ et ‘Relocalisation en Malaisie – Ingénierie Financière et Patrimoniale – Décembre 2008’ établis par la banque et proposant des montages fiscaux ainsi que les échanges sur la commission réclamée par la banque et le détail des factures du cabinet Bird & Bird, a retenu que la banque avait délivré aux époux [I] et à la société Incotech, de concert avec le cabinet Bird & Bird, des conseils en ingénierie fiscale préalablement à la signature des contrats promoteur et d’ouverture de compte, de sorte que l’article 25 du Règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale et la clause attributive de juridiction contenue dans les conditions générales des contrats d’ouverture de compte et dans le contrat promoteur n’avaient pas vocation à s’appliquer à une action recherchant la responsabilité de la banque non pas dans le cadre de l’application de ces contrats mais à l’occasion de sa mission antérieure, peu important l’apposition de la mention ‘document non-contractuel’ sur les documents litigieux.
Il convient d’ajouter qu’il ne résulte ni des conventions d’ouverture de compte datées de décembre 2008 ni du contrat promoteur dont la copie produite par la société EDR ne comporte pas de date que les conditions générales auxquelles ces contrats renvoient, à les supposer opposables aux époux [I] et à la société Incotech, s’appliqueraient aux relations pré-contractuelles existant entre les parties et ne seraient pas circonscrites à l’objet des dites conventions.
En outre, selon l’article 8 du Règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale une personne domiciliée sur le territoire d’un Etat membre peut aussi être attraite : 1) s’il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient êtres inconciliables si les causes étaient jugées séparément.
Il existe un lien de connexité entre les demandes des époux [I] et de la société Incotech, formées à l’encontre de Mme [B], M. [P], leurs assureurs, d’une part, et de la société EDR, d’autre part. En effet, leurs responsabilités alléguées découlent d’une même situation de fait et de droit, à savoir la cession par la société Incotech de sa participation dans la société Homelidays, la création de la société de droit luxembourgeois Vaolu et l’installation de la famille [I] en Malaisie, et sont étroitement imbriquées dans le redressement fiscal qui en est résulté.
Au demeurant, il ressort du document établi par la société EDR elle-même, intitulé Ingénierie patrimoniale – Notre expertise Prévoir et s’organiser’ que l’équipe d’Ingénierie patrimoniale de la banque ‘intervient en collaboration étroite avec vos conseils habituels (notaire, avocat, expert-comptable…).’
Ainsi, nonobstant le rôle distinct mené par chacun, il est certain que juger l’action en responsabilité engagée aux mêmes fins à l’encontre de Mme [B], M. [P], leurs assureurs, d’une part, et de la société EDR, d’autre part pourrait aboutir à des décisions inconciliables, ce qu’il convient d’éviter.
Il y a lieu, par conséquent, de confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par la société EDR.
3- Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir de Mme [I] et de la société Incotech
La société EDR soutient que Mme [I] et de la société Incotech sont irrecevables à agir à son encontre en ce que seul M. [I] s’est acquitté du redressement fiscal litigieux. Elle considère que la demande au titre d’un prétendu préjudice moral, non étayée, présente les caractéristiques d’une demande artificielle formulée dans le seul but de tenter de démontrer un intérêt à agir.
Les époux [I] et la société Incotech font valoir que les propositions de rectification et vérification de comptabilité ont été délivrées à la société Incotech et à chacun des époux [I] le 21 juin 2011, ceux-ci étant de droit considérés comme solidairement débiteurs par l’administration fiscale française.
Comme justement relevé par le juge de la mise en état, les propositions de rectification en date du 21 juin 2011 et l’avis de mise en recouvrement du 30 novembre 2014 ont été adressés à la société Incotech, d’une part, et à M. et Mme [I], d’autre part, en sorte que tant Mme [I] que la société Incotech ont intérêt à agir, peu important que M. [I] ait réglé in fine la totalité du redressement.
L’ordonnance doit donc également être confirmée de ce chef.
4- Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action initiée par les époux [I] et la société Incotech à l’encontre de Mme [B], de M. [P] et de la société EDR
Mme [B] soutient que les demandes des consorts [I] et de la société Incotech sont prescrites en ce qu’en application de l’article 2224 du code civil, le point de départ de la prescription n’est plus la date du dommage mais celle du jour où le demandeur « a connu ou aurait dû connaître les faits » lui permettant d’exercer son action, l’intention du législateur en modifiant le texte étant de sanctionner le créancier négligent ou de mauvaise foi. Elle précise que le fait que le montant précis du dommage dépende d’une procédure en cours ne permet pas de retarder le point de départ de la prescription, le dommage n’étant pas un critère au sens de l’article 2224 du code civil. Elle ajoute, qu’en tout état de cause, la réclamation soulevée par les consorts [I] relève à la fois du domaine de la responsabilité civile professionnelle et de celui de l’assurance, et qu’en cette matière, même selon les anciens textes plus favorables au demandeur, la déclaration de sinistre déclenche le point de départ de la prescription, s’il n’est pas établi que l’assuré connaissait déjà le dommage auparavant. Elle en déduit que les consorts [I] ayant eu connaissance en détails des faits leur permettant d’engager sa responsabilité dès le 21 juin 2011, date où ils ont fait l’objet d’une proposition de rectification fiscale, leur action est prescrite depuis le 21 juin 2016.
Elle fait valoir également que les consorts [I] ne peuvent soutenir avoir ignoré ‘les faits permettant d’exercer’ l’action contre elle, à savoir le caractère frauduleux de leur installation en Malaisie, à partir du 3 février 2014, date à laquelle ils l’ont sommée ainsi que M. [P] et le cabine Bird & Bird de transmettre une déclaration de sinistre relative aux faits et lui ont reproché d’avoir engagé sa responsabilité pour des montants correspondant à ceux réclamés, de sorte que leurs allégations selon lesquelles ils auraient découvert le dommage en 2019 sont fantaisistes. Elle indique, enfin, que les consorts [I] ayant eux-mêmes reconnu que leur dommage était constitué au plus tard le 15 janvier 2015, puisque c’est le jour à compter duquel ils font courir les intérêts dans leur assignation du 3 février 2020, la prescription est donc acquise au plus tard depuis le 15 janvier 2020, soit avant l’assignation du 3 février 2020.
M. [P] soutient également que l’action des consorts [I] est prescrite en ce que le point de départ de la prescription est la connaissance des faits permettant d’exercer l’action et qu’en l’espèce, ils se sont vus notifier une proposition de rectification dès le 21 juin 2011, qui a été confirmée par le comité de l’abus de droit le 9 octobre 2014 et qui a été suivie d’un avis d’imposition en date du 18 novembre 2014, à la suite de laquelle le 3 février 2014 ils lui ont demandé de procéder à une déclaration de sinistre, en sorte qu’ils étaient parfaitement conscients de faits au plus tard à compter du 18 novembre 2014 qui constitue le point de départ de la prescription.
La compagnie Zurich critique la motivation du premier juge en ce que, d’une part, la réalisation du dommage suffit pour ouvrir droit à l’action en réparation de ce dommage, sans qu’il soit besoin d’attendre qu’il devienne définitif, et d’autre part, en ce qu’elle méconnaît la règle de droit public du « privilège du préalable », selon laquelle le contrôle a posteriori du juge de la légalité de l’action administrative ne réalise pas le dommage, mais en confirme ou non la légalité. Elle affirme que le point de départ du délai de prescription est la mise en recouvrement de l’impôt, acte administratif doté de la force exécutoire, dont la date certaine est opposable à tous et à partir duquel le dommage cesse d’être une éventualité pour devenir une réalité. Elle fait valoir que les consorts [I] n’ont pas pu se méprendre sur l’irrégularité fiscale des opérations critiquées par l’administration fiscale et que, même à supposer qu’ils aient pu encore avoir un doute après les propositions de rectification du 21 juin 2011, celui-ci a très vraisemblablement été dissipé lors de la confirmation des redressements par le directeur le 15 février 2012 et qu’il n’a plus été raisonnable de douter après l’avis du comité de l’abus de droit fiscal du 9 octobre 2014, de sorte qu’ils connaissaient avec certitude le montant des impositions et pénalités ainsi que les faits leur permettant d’exercer leur action, au plus tard lors de la mise en recouvrement du 30 novembre 2014.
S’agissant de l’action directe contre les assureurs, elle rappelle que la solution n’est pas différente.
Les sociétés MMA Iard assurances mutuelles et MMA Iard considèrent aussi que l’action des consorts [I] et de la société Incotech est irrecevable comme prescrite en application de l’article 2224 du code civil, le point de départ courant non du jour de la manifestation du dommage, moins encore de celui où il est devenu certain ou a été réalisé, mais du jour où les demandeurs ont connu ou auraient dû connaître les faits leur permettant d’agir, soit en l’espèce, la date de l’avis de mise en recouvrement de l’impôt du 30 novembre 2014.
La société EDR se prévaut, en premier lieu, de la clause de prescription conventionnelle contenue dans ses conditions générales, dont elle considère qu’elle est parfaitement opposable aux intimés en droit luxembourgeois, pour affirmer que l’action des intimés est prescrite. Après avoir rappelé qu’en application de celle-ci, le délai de deux ans imparti aux intimés pour agir à son encontre court à compter de la date de commission ou de l’omission des faits reprochés, elle affirme que même à supposer qu’elle ait été tenue d’une obligation d’information et de conseil à leur égard, celle-ci n’aurait pu avoir lieu qu’il y a plus de dix ans. Elle ajoute qu’en octobre 2017, soit plus de deux ans avant l’introduction du présent litige, les intimés l’avaient informée qu’ils se réservaient la possibilité d’engager sa responsabilité conjointement à celle des avocats, ce qui ne pouvait être qu’en raison de la commission ou de l’omission de faits antérieurs à cette date.
En deuxième lieu, la société EDR soutient qu’en application du droit français, l’action est également prescrite en ce que les intimés ont été en mesure d’agir dès le redressement prononcé par l’administration fiscale le 21 juin 2011 et qu’ils auraient dû, en tout état de cause, agir au plus tard le 14 janvier 2015 et avant le 14 janvier 2020 date à laquelle ils ont eux-même expressément reconnu que le prétendu préjudice était né et certain.
Elle estime, enfin, que les argument des intimés sur la prétendue suspension du délai de prescription sont inopérants à son égard.
Invoquant l’article 2224 du code civil, les époux [I] et la société Incotech répliquent que leur action n’est pas prescrite, l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de [Localité 12] le 17 décembre 2019 constituant le point de départ du délai de prescription. Ils prétendent que tant que le sort des réclamations contentieuses adressées à l’administration fiscale n’était pas définitivement connu, le dommage subi, consistant en des impositions supplémentaires et par la suite en une condamnation pénale à raison de manquements supposés n’était pas réalisé, soulignant que c’est le principe retenu par Mme [F] de la société Zurich insurance, compagnie d’assurance responsabilité des avocats dans sa lettre du 12 mai 2014. Après avoir observé que chaque codéfendeur invoque une date de prescription différente, ils affirment que chaque situation à l’origine d’une action en responsabilité civile professionnelle dirigée notamment contre un avocat, doit faire l’objet d’une appréciation au cas par cas au regard notamment des règles fixées par la jurisprudence qu’ils détaillent.
A titre subsidiaire, ils exposent que les échanges avec la société Zurich insurance montrent que le délai de prescription a été interrompu dans l’attente de l’arrêt de la cour d’appel administrative de Versailles.
Ils reprochent en outre à la société Zurich insurance de se contredire en ce que dans sa lettre du 12 mai 2014, elle avait reconnu que le préjudice n’était pas né et certain, rendant irrecevable, en application du principe de l’estoppel, sa demande de report du point de départ de la prescription au 30 novembre 2014.
Ils exposent par ailleurs que la prescription n’est pas plus acquise en application des conditions générales de la banque qui ne leur sont pas opposables.
Dès lors qu’il a été retenu que les conditions générales auxquelles les contrats d’ouverture de compte et de promoteur renvoient n’étaient pas applicables aux relations pré-contractuelles existant entre les parties, la prescription conventionnelle de deux ans prévues dans celles-ci ne peut pas être utilement opposée.
Selon l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par
cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
C’est par des motifs parfaitement conformes au droit positif que la cour adopte que le juge de la mise en état a retenu, d’une part, que l’action introduite par les époux [I] et la société Incotech à l’encontre de Mme [B], de M. [P], de leurs assureurs et de la société EDR était recevable en ce que la prescription d’une action en responsabilité ne court qu’à compter de la manifestation du dommage et non du jour où apparaît la simple éventualité de cette réalisation et qu’en l’espèce, le dommage invoqué par les demandeurs, constitué par le redressement fiscal subi en 2011 de plus de 17 millions d’euros, ne s’était manifesté qu’à compter de l’arrêt de la cour d’appel administrative de Versailles du 17 décembre 2019, qui a confirmé ce redressement fiscal, peu important qu’en février 2014, M. [I] ait demandé à ses anciens avocats de déclarer le sinistre lié au redressement fiscal et, d’autre part, que l’action directe de la victime contre l’assureur de responsabilité, qui trouve son fondement dans le droit de la victime à réparation de son préjudice, se prescrit par le même délai que son action contre le responsable.
Il convient de relever, en outre, que si au jour de la notification de l’avis de mise en recouvrement, les époux [I] et la société Incotech ont eu connaissance de l’éventualité du dommage, reconnaissant dans une lettre du 14 janvier 2015 adressée à la société Zurich qu’il était né et certain, il n’en reste pas moins que celui-ci ne s’était pas encore réalisé puisque le redressement opéré par l’administration fiscale était susceptible d’évolution tant en son principe qu’en son quantum du fait de la procédure alors en cours devant les juridictions administratives.
L’ordonnance est par suite également confirmée en ce que relevant que les assignations avaient été délivrées les 3 février et 5 novembre 2020, soit moins de cinq ans après l’arrêt du 17 décembre 2019, elle a déclaré l’action recevable.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Ordonne la jonction des instances enrôlées sous les numéros RG n°22/07180, RG n°22/07602 et RG n°22/10140 sous le premier de ces numéros ;
Confirme l’ordonnance en toutes ses dispositions ;
Condamne in solidum Mme [B], la société Zurich insurance PLC et la société Edmond de Rothschild Europe aux dépens ;
Déboute Mme [B], M. [P], les sociétés Zurich insurance PLC, MMA Iard assurances mutuelles, MMA Iard et Edmond de Rothschild Europe de leur demande d’indemnité procédurale ;
Condamne Mme [B], la compagnie d’assurance Zurich insurance PLC et la société Edmond de Rothschild Europe à payer chacun aux époux [I] et à la société Incotech une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [B], la compagnie d’assurance Zurich insurance PLC et la société Edmond de Rothschild Europe aux dépens d’appel.
La greffière La présidente