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SOC.
BD4
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 janvier 2023
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 29 F-D
Pourvoi n° M 21-17.298
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 18 JANVIER 2023
1°/ la société Orascom Construction Industries NV, dont le siège est [Adresse 2] (Pays-Bas),
2°/ la société Orascom Construction Industries SAE, dont le siège est [Adresse 3] (Égypte),
ont formé le pourvoi n° M 21-17.298 contre l’arrêt rendu le 28 janvier 2021 par la cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 2), dans le litige les opposant à Mme [D] [J], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l’appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat des sociétés Orascom Construction Industries NV, et Orascom Construction Industries SAE, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de Mme [J], et l’avis de Mme Roques, avocat général référendaire, après débats en l’audience publique du 23 novembre 2022 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire rapporteur, Mme Ott, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 28 janvier 2021), Mme [J] a été employée, du 5 janvier 2010 au 4 janvier 2014, par la société Orascom Construction Industries SAE (la société OCI SAE), établie en Égypte, en qualité de directrice du développement commercial.
2. Par requête du 19 octobre 2016, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Paris de diverses demandes en condamnation de la société Orascom Construction Industries NV (la société OCI NV), établie aux Pays-Bas, puis a appelé, dans la cause, la société OCI SAE.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
3. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen relevé d’office
4. Après avis donné aux parties, conformément à l’article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l’article 620, alinéa 2, du même code.
Vu l’article 20, § 1, et l’article 8, point 1), du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale :
5. Selon le premier de ces textes, en matière de contrats individuels de travail, la compétence est déterminée par les articles 20 à 23 de ce règlement, sans préjudice de l’article 6, de l’article 7, point 5), et, dans le cas d’une action intentée à l’encontre d’un employeur, de l’article 8, point 1).
6. Aux termes de l’article 8, point 1), du même règlement, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut aussi être attraite, s’il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l’un deux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.
7. Pour déclarer le conseil de prud’hommes de Paris compétent pour connaître du litige opposant la salariée à la société OCI NV, après avoir relevé que la salariée a été engagée par un contrat de travail par la société OCI SAE, établie en Égypte, l’arrêt retient que la salariée a accompli habituellement son travail à partir de la ville de [Localité 4].
8. En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté qu’aucune des deux sociétés défenderesses n’était établie en France, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il déclare le conseil de prud’hommes de Paris compétent pour connaître du litige opposant la salariée à la société Orascom Construction Industries NV et en ce qu’il condamne cette société aux dépens d’appel, l’arrêt rendu le 28 janvier 2021, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris autrement composée ;
Condamne Mme [J] aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour les sociétés Orascom Construction Industries NV et Orascom Construction Industries SAE
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Les sociétés OCI SAE et OCI NV font grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR déclaré le conseil de prud’hommes de Paris compétent pour connaître du litige les opposant à Mme [J] et d’AVOIR renvoyé l’affaire devant cette juridiction ;
ALORS, en premier lieu, QUE toute décision doit, à peine de nullité, être motivée ; qu’en l’espèce, pour dire qu’il ressortait suffisamment des productions que Mme [J] a de façon effective accompli habituellement son travail à partir de la ville de [Localité 4] et désigner le conseil de prud’hommes de Paris comme la juridiction territorialement compétente pour connaître du litige opposant Mme [J] et les société OCI SAE et OCI NV, la cour d’appel a considéré que [Localité 4] constituait le centre effectif de l’activité de la salariée, qu’elle organisait à partir de son domicile parisien et surtout à partir d’un bureau à [Localité 4] mis à sa disposition par la société BESIX, filiale du groupe, et qu’à cet égard, plusieurs documents établissent la présence régulière de Mme [J] dans les locaux parisiens de la société BESIX, en particulier une attestation circonstanciée de Mme [C], qui est citée in extenso ; qu’en statuant ainsi, sans préciser les documents qu’elle vise ni analyser, même sommairement, ces éléments de preuve, et ce, alors que les sociétés OCI SAE et OCI NV contestaient la présence physique et régulière de la salariée dans les locaux de la société BESIX à [Localité 4], la cour d’appel a privé sa décision de motifs et violé les dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ;
ALORS, en deuxième lieu, QUE toute décision doit, à peine de nullité, être motivée ; qu’en l’espèce, pour dire qu’il ressortait suffisamment des productions que Mme [J] a de façon effective accompli habituellement son travail à partir de la ville de [Localité 4] et désigner le conseil de prud’hommes de Paris comme la juridiction territorialement compétente pour connaître du litige opposant Mme [J] et les sociétés OCI SAE et OCI NV, la cour d’appel a considéré que [Localité 4] constituait le centre effectif de l’activité de la salariée, qu’elle organisait à partir de son domicile parisien et surtout à partir d’un bureau à [Localité 4] mis à sa disposition par la société BESIX, filiale du groupe, et qu’à cet égard, plusieurs documents établissent la présence régulière de Mme [J] dans les locaux parisiens de la société BESIX, en particulier une attestation circonstanciée de Mme [C], qui est citée in extenso ; qu’elle ajoute que ces documents montrent en outre que Mme [J] était associée à la collectivité de travail réunie dans ces locaux parisiens ; qu’en statuant ainsi, sans préciser quels étaient ces derniers documents ni les analyser, même sommairement, et ce, alors que les sociétés OCI SAE et OCI NV contestait l’appartenance de la salariée à la collectivité de travail liée aux locaux parisiens de la société BESIX, la cour d’appel a privé sa décision de motifs et violé les dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ;
ALORS, en troisième lieu, QUE toute décision doit, à peine de nullité, être motivée ; que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; que les sociétés OCI SAE et OCI NV faisait valoir dans leurs écritures d’appel (conclusions d’appel de la société OCI SAE, pp. 7 et 8 ; conclusions d’appel de la société OCI NV, pp. 7 et 8) que M. [J] ne pouvait avoir travaillé habituellement à [Localité 4] puisque ses fonctions l’amenaient à travailler en Égypte, en Algérie, en Afrique, en Europe et en Amérique et que, si la salariée a produit des documents avec un numéro de téléphone français qui lui appartenait, elle fournissait à de très nombreuses reprises ses numéros de téléphone égyptiens et algériens ; que la cour d’appel a pourtant décidé qu’il ressortait suffisamment des productions que Mme [J] a de façon effective accompli habituellement son travail à partir de la ville de [Localité 4] et que le conseil de prud’hommes de Paris était la juridiction territorialement compétente pour connaître du litige opposant Mme [J] et les sociétés OCI SAE et OCI NV, et ce, aux motifs notamment que les autres productions de la salariée corroborant le fait que l’essentiel de la prestation était réalisée sur le territoire français sont constituées de nombreux courriels transmis par ses soins sur lesquels sont mentionnés des numéros de téléphone français, identifiés par l’indicatif 33, et que c’est en vain que les sociétés ont soutenu que les courriels communiqués par la salariée pouvaient avoir été écrits n’importe où dans le monde, par définition, alors qu’ils n’ont pas été argués de faux et que la salariée mentionnait sur nombre d’entre eux ses coordonnées téléphoniques françaises, ce qui suppose nécessairement qu’elle puisse être jointe en France ; qu’en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions des sociétés OCI SAE et OCI NV alors que celles-ci avaient une influence sur la solution du litige, la cour d’appel a violé les dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ;
ALORS, en quatrième lieu, QUE le juge a l’obligation de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis ; que, pour dire qu’il ressortait suffisamment des productions que Mme [J] a de façon effective accompli habituellement son travail à partir de la ville de [Localité 4] et désigner le conseil de prud’hommes de Paris comme la juridiction territorialement compétente pour connaître du litige opposant Mme [J] et les sociétés OCI SAE et OCI NV, la cour d’appel a considéré que les sociétés OCI SAE et OCI NV ne sauraient tirer argument du contrat de travail complémentaire conclu pour la période du 18 septembre 2012 au 24 octobre 2013 avec la société de droit algérien SORFERT ALGÉRIE, cette nouvelle embauche de Mme [J] en qualité de directrice commerciale, qui dans les faits ne requérait pas une présence régulière de la salariée à Oran, étant manifestement accessoire au contrat de travail principal qui a perduré au cours de la période considérée ; que la constatation tenant au fait que cet engagement ne requérait pas dans les faits une présence régulière de la salariée est cependant incompatible avec le contrat de travail conclu entre Mme [J] et la société SORFERT ALGÉRIE, d’où il ressort que la salariée s’était expressément engagée « à assurer un travail continu, pour une durée de : 12Mois » (dossier d’appel de la société OCI SAE, pièce n° 5 : contrat de travail conclu entre Mme [J] et SORFERT ALGÉRIE du 16 sept. 2012) ; qu’ainsi, la cour d’appel a dénaturé, par omission, ce document et de la sorte violé le principe susvisé ;
ALORS, en cinquième lieu, QUE toute décision doit, à peine de nullité, être motivée ; qu’en l’espèce, pour dire qu’il ressortait suffisamment des productions que Mme [J] a de façon effective accompli habituellement son travail à partir de la ville de [Localité 4] et désigner le conseil de prud’hommes de Paris comme la juridiction territorialement compétente pour connaître du litige opposant Mme [J] et les sociétés OCI SAE et OCI NV, la cour d’appel a considéré que les sociétés OCI SAE et OCI NV ne sauraient tirer argument du contrat de travail complémentaire conclu pour la période du 18 septembre 2012 au 24 octobre 2013 avec la société de droit algérien SORFERT ALGÉRIE, cette nouvelle embauche de Mme [J] en qualité de directrice commerciale, qui dans les faits ne requérait pas une présence régulière de la salariée à Oran, étant manifestement accessoire au contrat de travail principal qui a perduré au cours de la période considérée ; qu’en statuant ainsi, en affirmant que le contrat de travail conclu avec la société SORFERT présentait un caractère manifestement accessoire, sans préciser les éléments de preuve sur lesquels elle se fondait ni analyser ces éléments, et ce, alors que les sociétés OCI SAE et OCI NV soutenaient que l’Algérie était le dernier lieu où la salariée avait accompli habituellement son travail, la cour d’appel a privé sa décision de motifs et violé les dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ;
ALORS, en sixième lieu et à titre subsidiaire, QUE, selon l’article 23 du règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, il ne peut être dérogé aux dispositions de la section 5 de ce règlement que par des conventions postérieures à la naissance du différend ou qui permettent au travailleur de saisir d’autres juridictions que celles indiquées à cette section ; qu’en l’espèce, pour fixer à [Localité 4] le lieu à partir duquel la salariée a accompli habituellement son travail et désigner, en application de l’article 21 du règlement n° 1215/2012, le conseil de prud’hommes de Paris comme la juridiction territorialement compétente pour connaître du litige opposant Mme [J] et la société OCI SAE, la cour d’appel a considéré que la clause attributive de compétence au profit de la juridiction égyptienne est antérieure à la naissance du différend de sorte que l’employeur n’a pas qualité à s’en prévaloir ; qu’en statuant ainsi, alors que la clause attributive de compétence permettait à la salariée de saisir une autre juridiction que celle désignée compétente en application du règlement n° 1215/2012 et que la salariée avait manifesté sa volonté de la mettre en oeuvre, la cour d’appel a violé l’article 23 du règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012.
SECOND MOYEN DE CASSATION
La société OCI NV fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR déclaré le conseil de prud’hommes de Paris compétent pour connaître du litige opposant Mme [J] à la société OCI NV et d’AVOIR renvoyé l’affaire devant cette juridiction ;
ALORS QUE, conformément à l’article 20 du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, la juridiction compétente, en matière de contrats individuels de travail, est déterminée par la section 5 du chapitre II de ce règlement, intitulé « Compétence en matière de contrats individuels de travail », qui comprend les articles 20 à 23 ; que la notion de « contrat individuel de travail » suppose un lien de subordination du travailleur à l’égard de l’employeur, la caractéristique essentielle du rapport de travail étant la circonstance qu’une personne est obligée d’accomplir, pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle a le droit de percevoir une rémunération ; que, selon l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), du règlement susvisé, un employeur domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait dans un autre État membre devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail ; que, pour l’application de ce texte, les parties au litige doivent donc être liées par un contrat de travail ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté que Mme [J] a conclu avec la société OCI SAE, société de droit égyptien, un contrat de travail et qu’il ressortait suffisamment des productions que la salariée avait de façon effective accompli habituellement son travail à partir de la ville de [Localité 4] ; qu’elle en a conclu que le conseil de prud’hommes de Paris était territorialement compétent pour connaître du litige opposant Mme [J] aux sociétés OCI SAE et OCI NV ; qu’elle a ajouté qu’en l’état des documents produits de part et d’autre, il n’était nullement démontré que la société de droit néerlandais OCI NV soit la continuation de la société OCI SAE et qu’il appartiendrait donc à la juridiction prud’homale de déterminer si la société de droit néerlandais OCI NV avait ou non la qualité de coemployeur de Mme [J] ; qu’en statuant ainsi, en renvoyant à la juridiction déterminée comme étant compétente au regard du règlement susvisé le soin de vérifier si la société OCI NV avait ou non la qualité de coemployeur de Mme [J], alors qu’il lui appartenait, pour faire application de ce règlement, de déterminer au préalable si la société OCI NV avait la qualité d’employeur ou de coemployeur de Mme [J], la cour d’appel a violé les articles 20 et 21 du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.