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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Chambre commerciale internationale
POLE 5 – CHAMBRE 16
ARRET DU 31 JANVIER 2023
(n° 14/2023 , 14 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/07383 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDQE6
Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Mars 2021 -Tribunal arbitral de PARIS RG n° 23880/DDA
APPELANTES :
AMT CAMEROUN
société de droit camerounais, immatriculée au registre du commerce et des crédits mobiliers de DOUALA sous le n° 2010 [Cadastre 3],
ayant son siège social : [Adresse 2] (CAMEROUN)
prise en la personne de ses représentants légaux,
AMT SA ADVANCE MARITIME TRANSPORTS
société de droit suisse, immatriculée au registre du commerce et des sociétés sous le n° CHE 104-893.579
ayant son siège social : [Adresse 6] (SUISSE)
prise en la personne de ses représentants légaux,
PRIVINVEST
société de droit libanais,
ayant son siège social : [Adresse 5] (LIBAN)
prise en la personne de ses représentants légaux,
Représentées par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0018
Assistées par Me Carine DUPEYRON et Me Georgia-Julia PAPADOPOULOS, de l’AARPI DARROIS VILLEY MAILLOT BROCHIER, avocats plaidants du barreau de PARIS, toque : R170
INTIMÉES :
Madame [O] [W] [Y] épouse [S]
née le 09 Juin 1971 en République centrafricaine,
domiciliée : [Adresse 4] (CAMEROUN)
Représentée par Me Michel GUIZARD de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0020
Assistée par Me Caroline DUCLERCQ et Me Marie MORIER du cabinet MEDICI, avocats plaidants du barreau de PARIS, toque : J112
EN PRÉSENCE DE :
S.C.P. [L]-DAUDE, prise en la personne de Maître [D] [L] Es-qualités de liquidateur judiciaire de la Société NECOTRANS HOLDING
ayant son siège social : [Adresse 1]
non constituée
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 15 Novembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Daniel BARLOW, Président
Mme Fabienne SCHALLER, Conseillère
Mme Laure ALDEBERT, Conseillère
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l’audience par Mme [F] [T] dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* *
*
I/ FAITS ET PROCÉDURE
1. La cour est saisie d’un recours en annulation à l’encontre d’une sentence finale sur la compétence ratione materiae et sur le fond rendue le 31 mars 2021 à Paris (CCI n°23880/DDA) par laquelle le tribunal arbitral s’est déclaré compétent et a fait droit aux demandes de Mme [W], ordonnant notamment la cession des 13.498 actions détenues par AMT Suisse et le paiement des dividendes impayés à Mme [W] pour 2018.
2. La société AMT Cameroun (ci-après « AMT Cameroun ») est une société anonyme de droit camerounais dont l’actionnariat est détaillé ci-après, ayant une activité de transport, logistique, transit en douane, commission de transit international, consignation maritime, stockage et entreposage, la manutention portuaire et l’acconage.
3. La société AMT SA Advanced Maritime Transports, anciennement dénommée Necotrans Suisse (ci-après « AMT Suisse ») est une société de droit suisse, filiale à 100% de Necotrans Holding, dont l’objet social est l’exécution de services dans le domaine du transport aérien et maritime, le transit et la représentation commerciale dans le domaine pétrolier. AMT Suisse détient 90% des actions d’AMT Cameroun (13.497 actions d’AMT Cameroun).
4. La société Privinvest est une société anonyme de droit libanais, société holding d’un groupe industriel spécialisé dans la conception et la construction de navires militaires et commerciaux ainsi que de super yachts.
5. Madame [O] [W] [Y] (ci-après « Mme [W] ») est actionnaire de la société AMT Cameroun dont elle possède 10% du capital (1 500 actions d’AMT Cameroun).
6. La SCP [L]-Daude, prise en la personne de Maître [D] [L], non représenté dans la présente instance, est le liquidateur judiciaire de la société française Necotrans Holding qui a fait l’objet d’un redressement judiciaire le 29 juin 2017.
7. A l’ouverture du redressement judiciaire, en 2017, l’actionnariat d’AMT Cameroun était composé de (i) Mme [W] (détenant 1 500 actions), (ii) AMT Suisse (détenant 13.497 actions), (iii) Necotrans Holding (détenant une action) (ci-après l’« action unique ») et (iv) deux actions prêtées par AMT Suisse à M. [A], président du conseil d’administration d’AMT Cameroun et d’AMT Suisse, et à M. [V], soit 15 000 actions en tout.
8. Le 29 juin 2017, la société Necotrans Holding a été mise en redressement judiciaire.
9. Plusieurs offres de reprise portant sur les actifs détenus par Necotrans Holding ont été soumises au tribunal de commerce de Paris, dont celle de Bolloré Africa Logistics (« Bolloré ») et celle de Privinvest du 17 juillet 2017. L’offre initiale de Bolloré portait sur la reprise de l’Action unique d’AMT Cameroun détenue par Necotrans Holding. Elle avait subordonné son offre à l’obtention d’un engagement de la part d’AMT Suisse à lui céder les 13.497 actions d’AMT Cameroun détenues par AMT Suisse. De son côté, Privinvest avait sollicité la reprise des 200 actions d’AMT Suisse détenues par la société Necotrans Holding.
10. Les statuts d’AMT Cameroun prévoyaient à l’article 14.5 un droit de préemption pour les actionnaires sur les transferts des titres d’AMT Cameroun et, à l’article 40, une clause compromissoire en cas de litige.
11. Mme [W], actionnaire d’AMT Cameroun a, en application de l’article 14.5 des statuts, fait valoir l’exercice de son droit de préemption les 2 et 4 août 2017 sur les transferts de titres d’AMT Cameroun.
12. Le 9 août 2017, le conseil d’administration d’AMT Cameroun a pris acte de l’exercice du droit de préemption par Mme [W].
13. Le 11 août 2017, dans le cadre d’offres de reprises améliorées, Bolloré et Privinvest se sont regroupées au sein du « Consortium Bolloré » pour présenter de nouvelles offres en vertu desquelles (i) Bolloré renonçait à acquérir les 13.498 actions d’AMT Cameroun et (ii) Privinvest étendait son offre, initialement limitée aux 200 actions d’AMT Suisse, à l’action unique d’AMT Cameroun détenue par Necotrans Holding.
14. Le 18 août 2017, Mme [W] a, de nouveau, exercé son droit de préemption.
15. Par jugement du 25 août 2017, le tribunal de commerce de Paris a arrêté le plan de cession présenté par le consortium Bolloré et a ordonné la cession de la totalité des actions d’AMT Suisse (200 actions) et de l’action unique d’AMT Cameroun détenues par la société Necotrans Holding au profit de Privinvest, relevant que (i) « les actifs de Necotrans Suisse [les 13 497 actions] ne sont pas dans le périmètre des sociétés en redressement judiciaire dont les plans de cession sont examinés » et (ii) Privinvest ferait son « affaire des conséquences d’un refus d’agrément ou de l’exercice d’un droit de préemption pouvant affecter les participations intégrées à [son] offre[‘] ».
16. Le 20 octobre 2017, un premier acte de cession concernant l’action unique d’AMT Cameroun détenue par Necotrans Holding a été conclu, par lequel Privinvest s’est substituée AMT Suisse (le « premier acte de cession »). Un second acte de cession a été conclu à la même date concernant les 200 actions d’AMT Suisse par lequel Privinvest s’est substituée MEAOS (le « second acte de cession »).
17. Par jugement du 7 novembre 2017, le tribunal de commerce de Paris a complété le dispositif du jugement du 25 août 2017 par un certain nombre de rectifications matérielles, relatives notamment aux facultés de substitutions, et notamment celle de Privinvest au profit d’AMT Suisse.
18. Mme [W], qui avait exercé son droit de préemption les 2, 4 et 18 août 2017 pour les 13 498 actions sur les 13 500 détenues par AMT Suisse a sollicité leur transfert, par courriers des 28 novembre 2017 et 22 février 2018. Le 22 février 2018, Mme [W] a fait notifier par ses conseils une ultime relance aux fins de transfert des titres préemptés au directeur général d’AMT Cameroun.
19. Respectivement, les 14 et 27 juin 2018, AMT Suisse et les administrateurs judiciaires de Necotrans Holding lui ont répondu que les titres d’AMT Cameroun détenus par AMT Suisse n’étaient pas offerts à la vente et qu’aucune offre d’acquisition n’a été acceptée par AMT Suisse et que, par conséquent, ils s’opposaient à la cession de ces titres.
20. C’est dans ce cadre qu’est né leur différend portant sur l’exercice du droit de préemption par Mme [W].
21. Le 17 août 2018, Mme [W] a introduit une procédure d’arbitrage afin de mettre un terme à ce différend sur le fondement de l’article 40 des statuts de la société AMT Cameroun, étant précisé qu’elle a, au préalable, conclu un accord de financement le 28 mai 2018 avec la société Navitrans pour que cette dernière finance la procédure arbitrale.
22. La procédure d’arbitrage CCI n° 23880/DDA, dont le siège a été fixé à Paris, s’est déroulée sous la conduite d’un tribunal arbitral composé de Maître [X] [I] et des professeurs [M] [E] [N] (co-arbitres) et [G] [H] (Président).
23. A la demande d’AMT Cameroun, AMT Suisse et Privinvest, la société Navitrans a été attraite à la procédure arbitrale.
24. Une sentence partielle sur la compétence ratione personae a été rendue le 9 mars 2020 par laquelle le tribunal arbitral s’est (i) déclaré compétent à l’égard de Privinvest, et (ii) incompétent à l’égard de Navitrans, tiers financeur de Mme [W].
25. Le 21 août 2020, les demanderesses ont initié un recours en annulation de cette sentence partielle aux motifs que le tribunal arbitral se serait à tort déclaré compétent vis-à-vis de Privinvest et incompétent vis-à-vis de Navitrans. Leur recours a été rejeté par la cour d’appel de Paris le 25 janvier 2022 (RG n° 20/12332), cet arrêt faisant l’objet d’un pourvoi en cassation.
26. La sentence finale sur la compétence ratione materiae et sur le fond a été rendue le 31 mars 2021.
27. Le 13 avril 2021, les demanderesses ont initié le présent recours en annulation sur le fondement des articles 1520, 1° et 1520, 5° du code de procédure civile, enregistré sous le numéro RG 21/07383.
28. Les parties ont notifié leur accord au Protocole de la Chambre Commerciale Internationale de la cour d’appel de Paris.
29. L’ordonnance de clôture a été prononcée le 25 octobre 2022.
II/ PRÉTENTIONS DES PARTIES
30. Dans leurs dernières conclusions récapitulatives, communiquées par voie électronique le 9 septembre 2022, AMT Cameroun, AMT Suisse et Privinvest demandent à la cour, au visa des articles 1520 1° et 5° du code de procédure civile, de bien vouloir :
– DIRE ET JUGER que par la Sentence Finale rendue le 31 mars 2021, le Tribunal arbitral constitué sous l’égide de la CCI et composé du Professeur [G] [H], Madame [X] [I] et Monsieur [M] [E] [N] s’est déclaré à tort compétent pour statuer sur des demandes non-arbitrables portant sur:
” l’existence d’un droit de préemption de Madame [W] sur les 13.497 actions détenues par AMT Suisse et l’Action Unique d’AMT Cameroun ;
” la nullité du Premier Acte de Cession.
– DIRE ET JUGER que la Sentence Finale rendue le 31 mars 2021 par le Tribunal arbitral constitué sous l’égide de la CCI et composé du Professeur [G] [H], Madame [X] [I] et Monsieur [M] [E] [N] viole l’ordre public international car :
” elle tranche un litige qui relève de la compétence exclusive et d’ordre public international du Tribunal en charge de la procédure collective ;
” elle aboutit à la violation du droit de propriété d’AMT Suisse (i) en ordonnant le transfert de 13.498 actions d’AMT Cameroun à Madame [W], et (ii) en ordonnant le transfert de dividendes afférents à ces actions, sans considérer l’appauvrissement injuste que ceci génère pour la société AMT Suisse ;
” elle méconnaît le principe de la personnalité juridique d’AMT Suisse (i) en niant toute indépendance de cette filiale vis-à-vis de son ancienne société mère, la société Necotrans Holding, et (ii) en amalgamant les différents mandats de Monsieur [A] au sein de la société AMT Cameroun et AMT Suisse.
En conséquence,
A titre principal :
– ANNULER la Sentence datée du 31 mars 2021 objet du présent recours ;
A titre subsidiaire :
– ANNULER partiellement la Sentence datée du 31 mars 2021 objet du présent recours en ce qui concerne les chefs susmentionnés ;
En tout état de cause :
– CONDAMNER Madame [W] à payer la somme de 100.000 euros aux Demanderesses au titre de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux entiers dépens.
31. Dans ses dernières conclusions récapitulatives communiquées par voie électronique le 4 octobre 2022, Madame [W] demande à la cour, au visa des articles 583, 1492, 5°, 1518 et 1520, 1°, 3° et 5° du code de procédure civile et des articles 1109, 1113, 1120, 1172, 1358 et 1382 du code civil, de bien vouloir :
A titre principal :
– DEBOUTER les Demanderesses de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
– REJETER le recours en annulation ;
A titre subsidiaire :
Si, par extraordinaire, la Cour devait cependant considérer que l’une des demandes de la Défenderesse n° 1 devait être considérée comme inarbitrable ou si l’un chefs de la Sentence finale devait être considéré comme violant l’ordre public international français, ANNULER PARTIELLEMENT la Sentence finale seulement en ce qui concerne cette ou ces demandes ou ce ou ces chefs ;
En tout état de cause :
– CONDAMNER in solidum les Demanderesses à verser aux Défenderesses la somme de 100.000 euros, sauf à parfaire, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– CONDAMNER in solidum les Demanderesses en tous les dépens du recours en annulation, dont distraction au profit de Maître Duclercq.
III / MOTIFS DE LA DECISION
Sur le moyen tiré de l’incompétence du tribunal arbitral (article 1520 1° du code de procédure civile)
32. Les sociétés AMT Cameroun, AMT Suisse et Privinvest soutiennent que le tribunal arbitral s’est déclaré à tort compétent pour statuer sur un litige non-arbitrable, issu de la procédure collective de Necotrans Holding et dont le lien avec le droit de préemption est indéniable, que, conformément à l’article R. 662-3 du code de commerce et à la jurisprudence, le tribunal de commerce a compétence exclusive et d’ordre public pour connaître des contestations nées de la procédure collective et/ou sur lesquelles cette procédure exerce une influence juridique, quand bien même le droit à l’origine de l’action serait né d’un contrat antérieur.
33. Elles font valoir que le litige relatif à l’exercice du droit de préemption de Mme [W] est né de la procédure de redressement judiciaire de Necotrans Holding, sans laquelle Mme [W] n’aurait pas pu prétendre exercer un droit de préemption sur les actions appartenant à AMT Suisse. Ce droit a en effet pu être exercé après la notification des offres des repreneurs potentiels communiquées à la suite de l’appel initié par les administrateurs judiciaires. En outre, elles affirment que la procédure de redressement judiciaire exerce une influence juridique sur les demandes relatives au droit de préemption de Mme [W] dès lors que c’est en raison de cette procédure que des offres de rachat ont été émises, permettant ainsi à Mme [W] d’être notifiée et d’exercer son droit de préemption. De plus, elles soutiennent que le tribunal de commerce n’a jamais écarté de sa compétence la question relative à la violation du droit de préemption et que Mme [W] aurait été recevable à agir en tierce-opposition nullité.
34. Elles estiment en conséquence que le litige portant sur l’exercice du droit de préemption, concernant l’Action unique ou de manière liée les 13.497 Titres détenus par AMT Suisse, est né de la procédure collective et que celle-ci exerce une influence juridique incontestable sur ce différend qui est indissociable des pouvoirs réservés exclusivement au Tribunal de commerce, échappant de ce fait à la compétence du tribunal arbitral.
35. S’agissant de la demande de nullité du premier acte de cession, les sociétés AMT Cameroun, AMT Suisse et Privinvest soutiennent que cette demande est également inarbitrable, que le tribunal arbitral n’était pas compétent pour déclarer la nullité du premier acte de cession dès lors que c’est bien en exécution du plan de cession arrêté par le jugement du tribunal de commerce de Paris que cet acte a été conclu. De plus, elles indiquent que le premier acte de cession contient une clause attributive de juridiction en faveur du tribunal de commerce de Paris et le fait que Mme [W] n’en soit pas signataire ne justifie pas, per se, qu’elle puisse ignorer cette clause ou que le tribunal arbitral devienne automatiquement compétent pour connaître de la nullité de cette cession.
36. En réponse, Madame [W] soutient qu’en se plaçant sur le terrain des procédures collectives plutôt que sur celui de l’exécution des dispositions statutaires, les demanderesses tentent de revenir sur la pertinence du raisonnement du tribunal arbitral, ce qui ne saurait être admis.
37. Elle soutient que le tribunal arbitral s’est à juste titre reconnu compétent car le litige, qui portait sur l’exécution des dispositions statutaires relatives au droit de préemption, était bien arbitrable, que la clause compromissoire prévue à l’article 40 des statuts d’AMT Cameroun couvre toutes les demandes de Mme [W] et notamment les demandes relatives à l’exercice de son droit de préemption prévu à l’article 14.5 des statuts et à la nullité du premier acte de cession.
38. Elle souligne que l’article R.662-3 du code de commerce qui prévoit la compétence exclusive du tribunal en charge des procédures collectives doit être interprété restrictivement, que seuls les litiges qui ont pour objet la procédure collective ou qui trouvent leur source dans les règles propres à la procédure collective sont inarbitrables, mais que les litiges d’ordre contractuel demeurent arbitrables, ce qui est le cas du litige portant sur le droit de préemption qui est d’ordre contractuel. Elle précise qu’aucune règle régissant l’exercice du droit de préemption, n’a de caractère impératif de sorte que la volonté des parties, matérialisée dans l’article 14.5 des statuts, doit primer; le fait qu’il soit lié à une procédure collective antérieure ne constituant pas un critère d’inarbitrabilité.
39. En outre, Mme [W] relève que le litige portant sur son droit de préemption a été exclu du champ de la procédure collective comme indiqué dans le jugement rendu le 25 aout 2017 par le tribunal de commerce de Paris, de sorte que le litige était bien arbitrable. Elle précise qu’elle n’avait aucun autre recours possible que celui de l’arbitrage, la voie de la tierce-opposition nullité lui étant fermée.
40. S’agissant de la demande en nullité du premier acte de cession, Madame [W] soutient que cette demande entre dans le champ de la clause compromissoire dès lors que le premier acte de cession a été conclu en violation de ses droits de préemption et donc des statuts. De plus, le tribunal de commerce avait expressément écarté de sa compétence l’exercice du droit de préemption et donc ses conséquences, en laissant le soin aux parties d’en faire « leur affaire ».
41. Enfin, Mme [W] soutient que la clause attributive de juridiction en faveur du tribunal de commerce contenue dans le premier acte de cession ne lui est pas opposable puisqu’elle n’en était pas signataire.
SUR CE,
42. Selon l’article 1520, 1°, du code de procédure civile, le recours en annulation est ouvert si le tribunal s’est
déclaré à tort compétent ou incompétent.
43. Il résulte de ces dispositions que, sans s’arrêter aux dénominations retenues par les arbitres ou proposées par les parties, le juge de l’annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d’apprécier la portée de la convention d’arbitrage. Ce contrôle est exclusif de toute révision au fond de la sentence.
44. En vertu d’une règle matérielle du droit de l’arbitrage international, la clause compromissoire est indépendante juridiquement du contrat principal qui la contient directement ou par référence, et son existence et son efficacité s’apprécient, sous réserve des règles impératives du droit français et de l’ordre public international, d’après la commune volonté des parties, sans qu’il soit nécessaire de se référer à une loi étatique, à moins que les parties aient expressément soumis la validité et les effets de la convention d’arbitrage elle-même à une telle loi.
45. Aux termes de la clause compromissoire contenue à l’article 40 des statuts de la société AMT Cameroun :
« Toutes contestations pouvant s’élever au cours de l’existence de la Société, ou après sa dissolution pendant le cours des opérations de liquidation, soit entre les Actionnaires et la Société, soit entre les Actionnaires eux-mêmes relativement aux affaires sociales ou à l’exécution des dispositions des Statuts (le ‘ Différend ‘), seront exclusivement tranchées conformément aux dispositions du présent Article.
A défaut d’accord amiable entre les parties dans un délai de trente (30) jours à compter de la première notification adressée par l’une des parties à l’autre partie en vue d’un règlement amiable, le Différend sera tranché définitivement suivant le règlement d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale (le « Règlement »), dans sa rédaction en vigueur à la date d’immatriculation de la Société au RCCM, par un ou plusieurs arbitres nommés conformément au Règlement.
Le tribunal arbitral siégera à Paris ; la langue de l’arbitrage sera le français ».
46. L’article 14.5 desdits statuts stipule par ailleurs :
« A l’exception des Transferts Libres, tout Transfert, y compris entre Actionnaires, est soumis au respect du droit de préemption (le « Droit de Préemption ») dans les conditions et selon les modalités prévues à l’Article 14.5 des Statuts.
(‘)
Chaque Actionnaire bénéficie d’un Droit de Préemption sur les Titres Transférés.
(‘)
Sans délai, le Président du Conseil d’Administration notifie à l’Actionnaire Cédant, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par tout autre moyen permettant de s’assurer de sa réception, les résultats de la Préemption (les « Résultats de la Préemption »).
(‘)
En cas d’exercice du Droit de Préemption, le Transfert des Titres devra être réalisé dans le délai de trois (3) mois à compter de la Notification de Transfert, moyennant le prix mentionné dans ladite Notification de Transfert, sous réserve du respecter la procédure d’Agrément de l’Article 14.6 des Statuts. »
47. Le droit de préemption est expressément prévu à l’article 771-2 de l’Acte Uniforme révisé relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique (OHADA), et aux termes de l’article 771-3 de ce même Acte, il est prévu que « dans le cas où une clause de préemption est stipulée dans les statuts, toute cession d’actions réalisée en violation du droit de préemption est nulle ».
48.L’exercice par Madame [W], actionnaire de la société AMT Cameroun, de son droit conventionnel de préemption, contesté par les recourantes, met en jeu les règles statutaires d’AMT Cameroun ainsi que les règles issues de l’Acte Uniforme (OHADA). Ce litige entre par conséquent dans le champ d’application de la clause compromissoire énoncée ci-dessus.
49. La compétence rationae materiae du tribunal arbitral est toutefois contestée par les
sociétés recourantes au motif que ce litige relèverait de la compétence exclusive de la
juridiction étatique en charge de la procédure collective de Necotrans Holding et ne
pourrait dès lors être soumis au tribunal arbitral.
– Sur la compétence rationae materiae relative au litige portant sur le droit de préemption de Madame [W]
50. Il est constant que la compétence du tribunal arbitral n’est pas exclue du seul fait qu’une réglementation d’ordre public, fût-elle une loi de police, est applicable au rapport de droit litigieux.
51. Pour soutenir que le tribunal arbitral n’était pas compétent pour trancher le litige relatif au droit de préemption de Madame [W], les recourantes invoquent l’article R.662-3 du code de commerce qui confère compétence exclusive au tribunal qui a ouvert la procédure de redressement ou de liquidation pour « tout ce qui concerne la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaires, l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif, la faillite personnelle ou l’interdiction prévue à l’article L.653-8 ».
52. Or, le litige portant sur l’exercice de ce droit de préemption concerne d’une part la cession de 13.497 actions d’AMT Cameroun détenues par la société AMT Suisse, société non incluse dans le périmètre de la liquidation judiciaire, et d’autre part la cession d’une action unique d’AMT Cameroun détenue par la société Necotrans Holding, société faisant l’objet de la liquidation judiciaire.
53. S’agissant des 13.497 actions appartenant à la société AMT Suisse, le tribunal de commerce a expressément précisé dans son jugement du 25 août 2017 que « les actifs de Necotrans Suisse (AMT Suisse) ne sont pas dans le périmètre des sociétés en redressement judiciaire dont les plans de cession sont examinés ce jour ».
54. Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les sociétés recourantes, le litige portant sur la cession de ces actions ne relevait pas du champ de compétence exclusive du tribunal en charge de la procédure collective puisque ces titres appartenaient à la filiale suisse de Necotrans Holding dont la cession n’était pas soumise à la compétence exclusive de ce tribunal.
55. A cet égard, le fait que les participations de Necotrans Holding dans Necotrans Suisse (AMT Suisse) fassent partie du périmètre de la reprise et des actifs cédés n’a pas pour effet d’inclure les actifs d’AMT Suisse dans la procédure collective.
56. C’est donc en dehors des règles propres à la procédure collective qu’AMT Suisse a cédé ses titres à Privinvest, de sorte que la contestation relative à l’exercice du droit de préemption appliqué à cette cession n’entre pas dans le champ de la procédure collective, mais constitue un litige de nature contractuelle régi par les dispositions statutaires conventionnelles d’AMT Cameroun et par les règles de l’Acte Uniforme (OHADA).
57. Il en résulte que le litige portant sur l’exercice par Madame [W], actionnaire d’AMT Cameroun, de son droit de préemption sur cette cession n’est exclu de la compétence du tribunal arbitral, ni par l’effet de la volonté commune des parties qui ont choisi de soumettre ce type de litige à une clause compromissoire, ni par l’effet de la procédure collective dont la cession des actifs détenus par la société AMT Suisse est exclue du périmètre.
58. Le moyen développé de ce chef est inopérant.
59. S’agissant du litige portant sur le droit de préemption concernant l’action unique appartenant à la société Necotrans Holding, société faisant l’objet de la procédure collective, ce titre est certes dans le périmètre de la reprise proposée par Privinvest mais le jugement du tribunal de commerce en date du 25 aout 2017 a rappelé que pour cette action les parties « repreneuses » (les quatre sociétés BOLLORE AFRICA LOGISTIC, APCH, Groupe PREMIUM, PRIVINVEST) « confirment que leurs offres ne contiennent plus aucune condition suspensive et qu’elles font notamment leur affaire des conséquences d’un refus d’agrément ou de l’exercice d’un droit de préemption pouvant affecter les participations intégrées à leurs offres » (p.50 du jugement). Le tribunal de commerce a également rappelé la possibilité de cessions d’actifs après la reprise par l’effet de reclassements interne. Les repreneurs ont sollicité une faculté de substitution qui a été accordée par le jugement rectificatif en date du 7 novembre 2017, autorisant Privinvest à se substituer AMT Suisse pour la cession de l’action unique.
60. Il résulte de l’ensemble de ces éléments que le litige portant sur le droit de préemption exercé par Madame [W] sur l’action unique entre les mains d’AMT Suisse après la cession autorisée par le tribunal de commerce est, lui-aussi, purement contractuel et n’est pas soumis aux règles propres à la procédure collective, même s’il a pour origine la décision du tribunal de commerce qui a arrêté le plan de cession. Le tribunal a en outre expressément pris acte de ce que les parties ont déclaré faire leur affaire de l’exercice d’un droit de préemption pouvant affecter les participations intégrées à leurs offres, ce qui renvoie ce litige dans le champ contractuel, les parties en ayant la libre disposition.
61. Le tribunal s’est dès lors déclaré à juste titre compétent rationae materiae pour statuer sur ce litige, sur lequel il n’est en tout état de cause pas établi que la procédure collective aurait une influence juridique, le litige étant régi exclusivement par les règles statutaires et règlementaires issues de l’Acte Uniforme (OHADA).
62. Le recours en annulation ne pourra davantage prospérer sur ce point.
– Sur la compétence rationae materiae relative au litige portant sur la nullité du premier acte de cession
63. Selon les dispositions de l’Acte Uniforme (OHADA) applicables au droit de préemption énoncées ci-dessus, toute cession d’actions réalisée en violation du droit de préemption prévu statutairement est nulle.
64. Il importe peu que la cession d’actions résulte comme en l’espèce d’un jugement du tribunal de commerce statuant en matière de procédure collective, la nullité invoquée ne portant pas sur la décision qui a arrêté ladite cession, mais sur ses effets, à savoir sur l’acte translatif de propriété fait en violation du droit de préemption prévu contractuellement.
65. La nullité de la première cession faisant l’objet du litige ne dépend dès lors pas des règles de la procédure collective à l’origine du jugement, mais de l’application des statuts prévoyant un droit de préemption et de l’Acte Uniforme (OHADA) sanctionnant la violation de ce droit.
66. La compétence du tribunal arbitral n’est dès lors entachée d’aucune irrégularité à ce titre. Il ne peut en outre être soutenu que la clause attributive de juridiction au bénéfice des juridictions étatiques contenue dans ledit acte de cession serait opposable à Madame [W], alors qu’elle n’est pas signataire de l’acte de cession, mais tiers à cet acte. Seul le tribunal arbitral est dès lors compétent pour en connaître.
67. Le moyen inopérant sera rejeté.
Sur le moyen tiré de la violation de l’ordre public international (article 1520 5° du code de procédure civile)
68. Il résulte de l’article 1520-5° du code de procédure civile que le recours en annulation est ouvert si la reconnaissance ou l’exécution de la sentence est contraire à l’ordre public international.
69. L’ordre public international au regard duquel s’effectue le contrôle du juge de l’annulation s’entend de la conception qu’en a l’ordre juridique français, c’est-à-dire des valeurs et des principes dont celui-ci ne saurait souffrir la méconnaissance même dans un contexte international.
70. Le contrôle exercé par le juge de l’annulation pour la défense de l’ordre public international ne vise cependant pas à s’assurer que le tribunal arbitral a correctement appliqué des dispositions légales, fussent-elles d’ordre public, mais s’attache à vérifier qu’il ne résulte pas de la reconnaissance ou de l’exécution de la sentence une violation caractérisée de l’ordre public international.
(i) Sur la violation de l’ordre public international tiré de la compétence exclusive du tribunal en charge de la procédure collective
71. Les sociétés AMT Cameroun, AMT Suisse et Privinvest soutiennent que la sentence finale viole de manière manifeste, effective et concrète l’ordre public international français car elle tranche un litige qui relève de la compétence exclusive et d’ordre public international du tribunal de commerce en charge de la procédure collective en application de l’article R. 662-3 du code de commerce.
72. Elles font valoir que la jurisprudence de la cour d’appel de Paris ainsi que la doctrine affirment que les textes relatifs à la procédure de redressement judiciaire sont d’ordre public interne et international et qu’en l’espèce la sentence finale porte sur un litige relevant de cette compétence exclusive du tribunal de commerce de Paris en charge de la procédure de redressement judiciaire de la société Necotrans Holding dès lors que l’exercice du droit de préemption de Mme [W] et l’annulation du premier acte de cession sont nés de cette procédure, qui exerçait par ailleurs une influence juridique sur le litige.
73. Elles exposent en outre que la présence ou l’absence du liquidateur de Necotrans Holding dans l’arbitrage ou dans le présent recours n’est pas per se une preuve de la prétendue absence du caractère manifeste, effectif et concret de la présente violation de l’ordre public international français, son rôle n’étant tout simplement pas de garantir le respect de l’ordre public international français qui relève de la compétence du juge du recours.
74. En réponse, Mme [W] soutient que le litige porte sur l’exercice du droit de préemption qui est un droit contractuel n’impliquant pas l’application de règles propres à la procédure collective et que la sentence finale qui a statué sur l’exercice du droit de préemption n’a pas interféré avec la procédure collective dès lors que tribunal de commerce avait exclu cette question de sa compétence.
75. En tout état de cause, Mme [W] fait valoir qu’aucune violation manifeste, effective et concrète de l’ordre public international n’a été démontrée par les demanderesses car si la violation avait été manifeste, le liquidateur de Necotrans Holding se serait manifesté, ce qu’il n’a pas fait.
SUR CE,
76. Les sociétés recourantes s’appuient sur le même grief pour invoquer la violation de l’ordre public international que celui examiné ci-dessus au titre de l’incompétence du tribunal arbitral alléguant que le litige relève de la compétence exclusive des juridictions étatiques et qu’en retenant l’arbitrabilité du litige les arbitres ont méconnu les dispositions d’ordre public des procédures collectives.
77. Les griefs allégués au soutien de ce moyen d’annulation sont les mêmes que ceux qui ont été avancés au soutien du moyen d’annulation fondé sur l’article 1520, 1° du code de procédure civile.
78. Le moyen développé par les demanderesses au recours pour conclure à une violation de l’ordre public international est identique à celui tiré de l’incompétence du tribunal arbitral, dès lors qu’il repose, en substance, sur la méconnaissance du principe de compétence exclusive du juge des procédures collectives. Pour les motifs exposés ci-dessus, il ne peut prospérer.
(ii) Sur la violation de l’ordre public international tiré de la violation du droit de propriété de la société AMT Suisse
79. Les sociétés AMT Cameroun, AMT Suisse et Privinvest soutiennent que le droit de propriété est l’un des droits fondamentaux protégé par l’ordre public international français et que la sentence finale aboutit à la violation du droit de propriété d’AMT Suisse en ordonnant le transfert de 13 498 actions d’AMT Cameroun détenues par AMT Suisse, sans la moindre preuve d’un consentement de cette dernière et en ordonnant le transfert de dividendes afférents à ces actions, sans considérer l’appauvrissement injuste que ceci génère pour la société AMT Suisse.
80. Elles précisent qu’il n’existe aucune preuve écrite, ni aucun comportement non équivoque qui prouverait l’intention d’AMT Suisse de céder ses actions, ce que le tribunal arbitral a pourtant constaté dans sa sentence tout en concluant, à tort, à l’intention de vendre d’AMT Suisse ; la spéculation du tribunal arbitral sur le silence de Necotrans Holding, la société mère d’AMT Suisse, ainsi que l’absence de réserve de M. [A] au nom d’AMT Suisse lors de l’offre de cession comme preuve de l’acceptation implicite d’AMT Suisse ne pouvant être sérieusement considérées comme un indice de la volonté d’AMT Suisse de céder ses biens.
81. En réponse, Mme [W] soutient que la sentence finale ne viole pas le droit de propriété d’AMT Suisse dans la mesure où le tribunal arbitral avait, à juste titre, retenu qu’AMT Suisse avait consenti à la cession de ses actions en fondant sa décision sur de nombreux indices et notamment le silence de Necotrans Holding suite à l’offre de rachat des actions d’AMT Suisse, l’absence d’opposition d’AMT Suisse concernant cette cession et l’absence de réserve de M. [A] lors de la notification de l’offre de cession.
82. Par ailleurs, Mme [W] conteste l’appauvrissement allégué d’AMT Suisse dès lors qu’elle était illégitimement propriétaire des actions entre 2017 et 2021, ne démontrait pas avoir investi dans AMT Cameroun et que les demanderesses ne peuvent reprocher au tribunal arbitral de ne pas les avoir compensées de la cession de ses actions ‘ auxquelles est attaché un droit aux dividendes ‘ par un remboursement des investissements qu’elles auraient engagés entre 2017 et 2021, dès lors qu’elles ne lui avaient jamais soumis une telle demande. En tout état de cause, Mme [W] soutient qu’AMT Suisse n’apporte aucune preuve d’un appauvrissement.
SUR CE,
83. Il n’appartient pas au juge du contrôle de se substituer aux arbitres pour rejuger en droit et en fait les conditions conventionnelles d’exercice du droit de préemption, sauf à établir une violation caractérisée de l’ordre public international, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
84. Les sociétés recourantes contestent en effet la réalité de leur consentement à la cession des actions et la validité de l’exercice par Madame [W] de son droit de préemption, portant tout à la fois sur les conditions légales et les conditions factuelles d’exercice de ce droit. Elles soutiennent que le tribunal arbitral n’aurait pas correctement apprécié les différents indices et éléments de preuve démontrant son absence de consentement à leur juste valeur, qu’il aurait inversé la charge de la preuve, qu’il aurait mal interprété la valeur de la notification de l’offre de Bolloré d’acquérir les actions d’AMT Suisse, ce qui revient à remettre en cause l’appréciation faite par les arbitres de la validité du consentement, et de sa nécessité à l’exercice du droit de préemption litigieux, et en réalité à demander au juge du contrôle de rejuger l’affaire au fond.
85. Les sociétés recourantes soutiennent encore que la sentence aurait privé AMT Suisse de la jouissance des fruits de son travail et l’aurait appauvrie injustement. Or, même si le droit de tirer un profit de ses biens est un des accessoires du droit de propriété, l’appauvrissement résultant de l’exercice d’un droit contractuel par une autre partie, à le supposer établi, relève de l’appréciation au fond du litige par les arbitres, qu’il n’appartient pas au juge de réviser.
86. Par conséquent, sous le couvert du grief de violation de l’article 1520, 5° du code de procédure civile, le moyen, qui tend à mettre en cause la motivation des arbitres sur l’exercice du droit de préemption et la validité de ce droit au regard des autres droits en cause, et qui aurait été méconnu par les arbitres, ne tend en réalité qu’à obtenir une révision au fond de la sentence arbitrale.
87. Il ne peut en conséquence être accueilli.
(iii) Sur la violation de l’ordre public international tiré de la violation de la personnalité juridique d’AMT Suisse
88. Les sociétés AMT Cameroun, AMT Suisse et Privinvest soutiennent que la sentence finale méconnait le principe fondamental de l’ordre juridique français de l’autonomie de la personnalité juridique d’AMT Suisse en niant toute indépendance de cette filiale vis-à-vis de sa société mère, la société Necotrans Holding qui n’avait aucun pouvoir décisionnel sur les actifs d’AMT Suisse et en confondant les différents mandats de Monsieur [A] au sein de la société AMT Cameroun et AMT Suisse
89. En réponse, Mme [W] soutient que la sentence finale ne viole pas la personnalité juridique d’AMT Cameroun dès lors que les demanderesses n’apportent pas la preuve que le principe de la personnalité juridique relèverait de l’ordre public international français et que le tribunal arbitral n’a pas confondu le rôle de M. [A] dans AMT Suisse et AMT Cameroun, ni n’a confondu AMT Suisse avec sa société mère, Necotrans Holding ; il a, en revanche, considéré que constituaient des indices du consentement d’AMT Suisse de céder ses actions, le fait que sa société mère et M. [A] soient restés silencieux suite à l’offre de cession des 13.497 actions de Bolloré.
SUR CE,
90. Les demanderesses ne justifient pas en quoi le principe de l’autonomie de la personne morale relèverait de la conception française de l’ordre public international.
91. En outre, Il résulte du moyen tiré de la violation de l’ordre public international pour non-respect de la personnalité juridique de la société AMT Suisse que les sociétés recourantes tentent d’obtenir une révision au fond de la sentence sur le fondement du droit des sociétés au motif que celle-ci aurait validé le droit de préemption exercé par Madame [W] alors que le dirigeant de la société AMT Cameroun, même s’il était le même que le dirigeant d’AMT Suisse, ne pouvait agir indifféremment au nom d’une entité ou d’une autre, ni engager l’une sous la casquette de l’autre, sans violer le principe d’autonomie des personnes morales. Ce faisant, elles tentent de faire rejuger la validité du consentement d’AMT Suisse au regard des liens entre la société mère et sa filiale, et du rôle du dirigeant, Monsieur [A], liens qui relèvent du fond et qu’il n’appartient pas au juge du contrôle de la sentence de réviser.
92. Au regard de ces éléments, les griefs ne sont pas fondés et le moyen d’annulation sera en conséquence rejeté.
93. La cour ayant rejeté l’ensemble des moyens d’annulation formulés à l’encontre de la sentence, il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes d’annulation partielle subsidiaires.
Sur les frais et dépens
94. Il y a lieu de condamner les sociétés recourantes, parties perdantes, aux entiers dépens.
95. En outre, elles doivent être condamnées à verser à Madame [W], qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile qu’il est équitable de fixer à la somme de 100.000 euros.
IV/ DISPOSITIF
La cour, par ces motifs,
1. Rejette le recours en annulation formé par les sociétés AMT Cameroun, AMT SA Advanced Maritime Transports et Privinvest ;
2. Condamne in solidum les sociétés AMT Cameroun, AMT SA Advanced Maritime Transports et Privinvest à payer à Mme [O] [W] [Y], épouse [S], la somme de cent mille euros (100 000 €) au titre de l’article 700 du code de procédure civile;
3. Condamne les sociétés AMT Cameroun, AMT SA Advanced Maritime Transports et Privinvest aux dépens.
LA GREFFIÈRE, LE PRÉSIDENT,