Clause attributive de compétence : 7 novembre 2023 Cour d’appel de Toulouse RG n° 22/00981

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Clause attributive de compétence : 7 novembre 2023 Cour d’appel de Toulouse RG n° 22/00981
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07/11/2023

ARRÊT N°

N° RG 22/00981

N° Portalis DBVI-V-B7G-OVEW

MD / RC

Décision déférée du 15 Décembre 2021

TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO,

JCP de FOIX – (21/00825)

M. ANIERE

[R] [V]

C/

[O] [T]

INFIRMATION

Grosse délivrée

le

à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

1ere Chambre Section 1

***

ARRÊT DU SEPT NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT TROIS

***

APPELANTE

Madame [R] [V]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Stéphanie BLOT, avocat postulant, avocat au barreau de TOULOUSE

Représentée par Me Emmanuel ARAGUAS, avocat plaidant, avocat au barreau de SAINTES

INTIME

Monsieur [O] [T]

[Adresse 5]

[Localité 1]

Représenté par Me Ingrid CANTALOUBE-FERRIEU, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

Après audition du rapport, l’affaire a été débattue le 11 Septembre 2023 en audience publique, devant la Cour composée de :

M. DEFIX, président

J.C. GARRIGUES, conseiller

A.M. ROBERT, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : N.DIABY

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

– signé par M. DEFIX, président, et par N. DIABY, greffier de chambre.

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Mme [R] [V], de nationalité britannique résidant à [Localité 4] (09) a conclu en avril 2017 avec M. [O] [T], né à [Localité 6] (Grande-Bretagne) et résidant dans le même village, un contrat rédigé en langue anglaise et par lequel Mme [V] a consenti à M. [T] le versement de diverses sommes à des dates différées et comportant diverses modalités de remboursement.

Par actes d’huissier du 29 janvier 2021, Mme [V] qui se prévaut de ce contrat a fait assigner M. [T] devant le tribunal judiciaire de Foix en production forcée de l’acte de vente d’un immeuble, aux fins d’estimation de cet immeuble ainsi qu’en paiement de diverses sommes.

Suivant jugement réputé contradictoire du 15 décembre 2021, le tribunal judiciaire de Foix a débouté Mme [V] de l’ensemble de ses demandes et l’a condamnée aux dépens.

Pour statuer ainsi, le premier juge a constaté que le contrat litigieux versé aux débats, en l’absence de traduction écrite, ne pouvait être exploité et n’était donc pas de nature à établir le manquement contractuel reproché au défendeur.

-:-:-:-:-

Par acte électronique du 8 mars 2022, Mme [V] a formé appel contre cette décision. 

Suivant ordonnance rendue le 10 novembre 2022, le conseiller de la mise en état a jugé qu’il n’a pas le pouvoir de statuer sur l’exception d’incompétence de la cour d’appel soulevée en appel par M. [T], non comparant en première instance, dès lors que la décision attendue aurait, en cas d’accueil de l’exception, vocation à remettre en cause le jugement dont la cour est saisie.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans ses dernières écritures transmises par voie électronique le 8 février 2023, Mme [R] [V], appelante, demande à la cour, au visa des articles 1103 et suivants, 1217, 1221, 1305-1, 1305-3, 1341 du code civil, et de l’article 700 du Code de procédure civile de :

– déclarer la juridiction de céans compétente pour statuer sur son action et y faire droit, en conséquence ;

– infirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel ;

Statuant à nouveau :

À titre principal

– condamner M. [O] [T] à la rembourser de la somme de trente mille euros correspondant aux versements effectués en capital par elle en application du contrat de prêt rémunéré dont a bénéficié M. [O] [T] ;

– condamner M. [O] [T] à lui payer à la somme de dix mille euros à titre de dommages et intérêts ‘tous chefs de préjudices confondus en exécution forcée du contrat par équivalent satisfactoire au titre de la rémunération forfaitaire du prêt, comme convenu entre les parties et en compensation de sa perte de chance d’investir ou de disposer autrement des fonds versés en pure perte à M. [O] [T]’ ;

– débouter M. [O] [T] de l’ensemble de ses demandes reconventionnelles, fins et conclusions contraires aux présentes ;

– condamner M. [O] [T] à lui payer de la somme de dix mille euros en vertu de l’équité selon l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner M. [O] [T] aux entiers dépens de l’instance devant le tribunal judiciaire de Foix et en cause d’appel, ‘dont distraction’ au profit de avocats constitués pour Mme [V].

L’appelante considère que la production du contrat en cause, en phase d’appel, est de nature à justifier la réformation de la décisions entreprise. Elle soutient ensuite que la cour est compétente pour l’application des dispositions du code civil qu’elle vise dans ses conclusions, après deux tentatives infructueuses de résolution amiable du litige, aux fins d’ ‘exécution en nature du fait de la défaillance du cocontractant débiteur de l’obligation de rembourser les sommes engagées par sa cocontractante pour l’achat, la rénovation, et en vue d’obtention d’une plus-value à la revente d’un bien immeuble, avec le bénéfice pour la prêteuse d’une récompense sous forme forfaitaire, assimilable au paiement de frais et intérêts pour la mise à disposition du capital emprunté (50.000,00€ en nominal au total)’.

Mme [V] soutient que ‘le créancier d’une obligation peut poursuivre l’exécution en nature de ladite obligation après mise en demeure, là où l’obligation est souscrite et devrait être exécutée’ et que ‘toute tentative de voir appliquer au litige un droit étranger au droit civil pour une obligation née et exécutée en France à l’égard de la concluante et au profit d’un ressortissant français (Monsieur [T]) résidant en France est proprement contraire à la loi et au droit’.

Sur le fond, Mme [V] affirme que le débiteur n’est pas de bonne foi, puisqu’il a refusé le troisième versement en indiquant qu’en totale violation de ses obligations, il ne procéderait pas aux rénovations prévues et qu’il est resté taisant sur la vente de l’immeuble à échoir.

Dans ses dernières écritures transmises par voie électronique le 9 février 2023, M. [O] [T], intimé, demande à la cour, au visa des articles 9 et 682 du code civil, de :

rejetant toutes conclusions contraires comme injustes et mal fondées,

– renvoyer Mme [V] à mieux se pourvoir en raison de l’incompétence des juridictions françaises,

– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté Mme [V] de ses demandes injustifiées,

– condamner reconventionnellement Mme [V] à verser le solde du prêt soit 20 000 euros en application de ses obligations contractuelles,

– condamner Mme [V] à compenser l’inflation depuis cinq ans (application de l’indice BT01 depuis 2017) par le versement d’une somme supplémentaire de 7532,95 euros sauf à parfaire au jour de l’arrêt de la cour,

subsidiairement :

– condamner Mme [V] à lui régler une indemnité de 30 000 euros en réparation de son préjudice pour le non respect des obligation contractuelles,

– condamner Mme [V] au paiement d’une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

L’intimé précise que le contrat rédigé en anglais et signé entre les parties en avril 2017 comporte une clause qu’il reproduit de la manière suivante : « Le présent acte régi et interprété conformément au droit anglais. Tout litige concernant l’exécution du présent acte sera soumis à la compétence exclusive des tribunaux d’Angleterre et les parties se soumettent par la présente à la compétence exclusive de ces tribunaux à ces fins ».

Assurant avoir la nationalité britannique contrairement à l’affirmation contraire formulée par l’appelante, M. [T] a soulevé l’incompétence des juridictions françaises en invoquant l’article 25 paragraphe 1 du ‘règlement de Bruxelles’ prévoyant que si les parties sont convenues d’une juridiction d’un état membre celle-ci est compétente et considère que si depuis le 1er janvier 2021, le Royaume Uni n’est plus tenu par le droit de l’Union Européenne dont l’article 25 du ‘règlement 1215/2012″, il n’en demeure pas moins que le contrat signé en avril 2017 est antérieur au ‘Brexit’.

M. [T] a demandé qu’il lui soit donné acte qu’il n’a pas à ce jour revendu l’immeuble du [Adresse 3] à [Localité 4] et qu’il ne saurait donc communiquer un contrat qui n’existe pas ajoutant que Mme [V] n’a toujours pas communiqué les annexes traduites en français visées dans le contrat principal.

Sur le fond, l’intimé soutient que du fait du non-paiement de la part de Mme [V] de la totalité de la somme nécessaire à la rénovation, il est resté depuis 2017 dans l’impossibilité de procéder ou faire procéder aux travaux nécessaires afin de réaliser une plus-value à la revente, situation qu’il estime de nature à fonder sa demande reconventionnelle en paiement de la troisième échéance restant due avec indexation et en paiement de dommages et intérêts.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 26 juin 2023. L’affaire a été examinée à l’audience du 11 septembre 2023.

MOTIVATION DE LA DÉCISION

1. La cour est saisie d’une exception d’incompétence des juridictions françaises, présentée pour la première fois en appel et recevable en raison de l’absence de représentation du défendeur en première instance qui l’a soulevée avant toute défense au fond dans ses conclusions d’intimé. L’examen de cette exception sera prioritairement effectué sur la base du contrat liant les parties et qui est produit avec sa traduction en français notamment en sa clause d’attribution de compétence.

2. Selon une traduction réalisée par un expert traducteur en anglais, inscrit près la cour d’appel de Bordeaux et choisi par Mme [V], non discutée par M. [T], il est prévu dans le contrat litigieux la clause suivante au point 13 de l’acte : ‘Le présent acte sera régi et interprété conformément au droit anglais. Tout litige découlant de ou lié à, ou concernant l’exécution du présent acte sera soumis à la compétence exclusive des tribunaux d’Angleterre et les parties se soumettent par la présente à la compétence exclusive de ces tribunaux à ces fins.’

3. Mme [V] a la nationalité britannique et affirme que son cocontractant a la nationalité française. M. [T] affirme n’avoir que la nationalité britannique.

La cour ne peut que constater que l’intimé produit la copie de son passeport en cours de validité démontrant qu’il a la nationalité britannique ainsi que celle de son titre de séjour permanent délivré le 3 mai 2021 et valable jusqu’au 2 mai 2025. Mme [V] n’apporte pour sa part aucun élément de nature à établir que M. [T] n’a pas la nationalité britannique de sorte que l’appréciation de la compétence des juridictions françaises doit intégrer l’identité de nationalité des co-contractants.

4. Dans les relations entre les ressortissants d’États membres de l’Union Européenne, la validité ou la portée des clauses attributives de juridiction relève du règlement Bruxelles I bis. Si ce texte a cessé de s’appliquer aux relations entre les ressortissants d’États membres et ceux du Royaume-Uni et a fortiori entre ressortissants de ce dernier depuis le 1er janvier 2021, ses dispositions demeurent applicables aux situations impliquant les ressortissants du Royaume-Uni pour les actions judiciaires intentées jusqu’au 31 décembre 2020 inclus en application de l’article 67.1 de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (2019/C 384 I/01).

Pour toutes les actions judiciaires introduites postérieurement au 31 décembre 2020, le juge saisi de l’exception d’incompétence des juridictions françaises doit rechercher les dispositions applicables au litige.

Selon l’article 5.1 de la Convention de La Haye du 30 juin 2005 sur les accords d’élection de for, le tribunal d’un État contractant désigné dans un accord exclusif d’élection de for est exclusivement compétent pour connaître tout litige auquel l’accord s’applique, sauf si cet accord est nul selon le droit de cet État.

Cette disposition est d’ailleurs compatible avec le règlement Bruxelles I bis qui prévoit que sur le fondement de son article 25, sans considération du domicile des parties en présence d’une clause attributive de juridiction désignant les juridictions d’un État membre tel qu’il était applicable aux contrats signés entre citoyens britanniques durant la période de transition.

Selon l’article 13 du contrat signé entre les parties en avril 2017 à savoir pendant la période de transition de sortie de la Grande-Bretagne de l’Union Européenne, les parties sont convenues d’une clause attributive de compétence exclusivement aux juridictions de ce pays, dont la validité n’est pas contestée et dont l’application à l’action engagée par Mme [V] n’est contredite ni par le droit européen ni par la convention de la Haye.

Par la généralité de ses termes qui envisagent tout litige né de l’exécution de ce contrat, cette clause dérogatoire aux règles supplétives de droit international privé en matière d’attribution de compétence judiciaire a vocation à s’appliquer à toute action personnelle ou réelle engagée sur le fondement du contrat.

Il s’agit ici de l’existence d’un immeuble sis en France dont la vente entre dans les modalités d’exécution du contrat litigieux ayant pour objet principal, selon les termes de l’acte, un prêt de sommes d’argent.

Infirmant le jugement entrepris, il convient de déclarer les juridictions françaises incompétentes pour connaître du litige né de l’exécution du contrat signé en avril 2017 entre Mme [R] [V] et M. [O] [T] et de renvoyer en conséquence Mme [V] à mieux se pourvoir.

5. Mme [V], partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile, sera tenue aux dépens de l’instance d’appel, le jugement l’ayant condamnée aux dépens de première instance étant confirmé sur ce seul point.

6. Il n’est nullement inéquitable de laisser à la charge de M. [T] les frais non compris dans les dépens qu’il a pu exposer à l’occasion de cette procédure d’appel. Il sera débouté de sa demande présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour statuant, dans la limite de sa saisine, publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme le jugement rendu le 15 décembre 2021 par le tribunal judiciaire de Foix en toutes ses dispositions à l’exception de celle relative aux dépens.

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Reçoit l’exception d’incompétence des juridictions françaises soulevée par M. [O] [T].

Déclare les juridictions françaises incompétentes pour connaître du litige né de l’exécution du contrat signé en avril 2017 entre Mme [R] [V] et M. [O] [T].

Renvoie en conséquence Mme [R] [V] à mieux se pourvoir.

Condamne Mme [R] [V] aux dépens d’appel.

Déboute M. [O] [T] de sa demande présentée au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier Le Président

N. DIABY M. DEFIX .

 


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