Clause attributive de compétence : 17 novembre 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 20/06079

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Clause attributive de compétence : 17 novembre 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 20/06079
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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-6

ARRÊT MIXTE

DU 17 NOVEMBRE 2023

N°2023/ 278

Rôle N° RG 20/06079 – N° Portalis DBVB-V-B7E-BF7TB

Société CORTO YACHTING LIMITED

C/

[F] [L]

Copie exécutoire délivrée

le : 17/11/2023

à :

Me Philippe-Laurent SIDER, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

Me Romain CHERFILS, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CANNES en date du 11 Juillet 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F 17/00478.

APPELANTE

Société CORTO YACHTING LIMITED, sise [Adresse 5]

[Adresse 5] (MALTE)

représentée par Me Philippe-Laurent SIDER, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE et par Me Marine MONGES, avocat plaidant du barreau de MARSEILLE

INTIME

Monsieur [F] [L], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Romain CHERFILS, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE et par Me Lionel BUDIEU, avocat plaidant au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 Septembre 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Philippe SILVAN, Président de chambre, et Madame Estelle de REVEL, Conseiller, chargé du rapport.

Madame Estelle de REVEL, Conseiller, a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M. Philippe SILVAN, Président de chambre

Madame Estelle de REVEL, Conseiller

Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Suzie BRETER.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 17 Novembre 2023.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 17 Novembre 2023.

Signé par M. Philippe SILVAN, Président de chambre et Mme Suzie BRETER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [F] [L] a été engagé par la société Corto Yachting Limited, en qualité de capitaine sur le navire S/Y Free Spirit, immatriculé sur l’Ile de [Localité 4] et propriété de cette société de droit maltais, selon trois contrats d’engagement maritime :

– du 12 mai au 12 octobre 2016,

– du 12 octobre 2016 au 12 mai 2017,

– du 5 juin 2017 au 5 novembre 2017.

L’employeur a fait savoir à M. [L] qu’il n’entendait pas reconduire son emploi.

Contestant cette décision estimant être lié par un contrat de travail à durée indéterminée, le salarié a fait procéder à [Localité 3] le 16 novembre 2017 à une saisie conservatoire de ce navire, en garantie d’une créance de salaires et indemnités liées à l’exécution et à la rupture de son contrat de travail évaluée à 88 006,50 euros.

Il a par ailleurs, saisi au fond le 28 décembre 2017, le conseil de prud’hommes de Cannes afin d’obtenir paiement par l’employeur de ces salaires et indemnités.

Par jugement du 11 juillet 2019, le conseil de prud’hommes de Cannes s’est déclaré compétent, a dit que :

– le droit français est applicable,

– les contrats de travail à durée déterminée doivent être requalifiés en contrat de travail à durée indéterminée;

– la rupture du contrat de travail est sans cause réelle et sérieuse,

– la dissimulation d’emploi salarié est caractérisée,

– a condamné la société Corto Yachting Limited à verser à M. [L] les sommes suivantes :

– 5 455 euros à titre d’indemnité de requalification du CDD en CDI,

– 5 455 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 545,50 euros au titre des congés payés afférents,

– 2 727,90 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 1 636,50 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

– 9 819 euros brut au titre des congés payés,

– 32 730 euros au titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé,

– 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La société a relevé appel de la décision le 21 novembre 2019.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 2 décembre 2020, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé détaillé des moyens, la société Corto Yachting Limited demande à la cour de :

‘RECEVOIR la société CORTO YACHTING dans ses conclusions les disant bien fondées,

REFORMER le jugement du 11 juillet 2019 du Conseil de prud’hommes de Cannes en ce qu’il:

– S’est déclaré compétent,

– A jugé que le droit français est applicable

– A requalifié les CDD en CDI,

– A considéré la rupture comme étant sans cause réelle et sérieuse,

– A jugé qu’il y avait dissimulation d’emploi,

– A condamné la société CORTO YACHTING a payé à Monsieur [L] :

o 5.455 € au titre d’indemnité de requalification de CDD en CDI,

o 5.455 € bruts au titre d’indemnité compensatrice de préavis,

o 545,5 € bruts au titre des congés payés sur préavis,

o 2.727,90 € au titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

o 1.6365 € au titre d’indemnité de licenciement,

o 9.819 € bruts au titre des congés payés,

o 32.730 € au titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé,

o 2.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile

– A précisé que les dommages et intérêts sont nets et donc exepts de toutes charges de

CSG et de CRDS qui sont à la charge de l’employeur,

– A ordonné la régularisation auprès des organismes sociaux, de prévoyance et de

retraite compétents, par le versement des cotisation sociales dues, sous astreinte de 50€ par jour de retard compter du 31 ème jours à compter de la notification de ce jugement, le conseil de prud’hommes se réservant le droit de liquider l’astreinte,

– A débouté le salarié du surplus de ses demandes,

– A débouté la société CORTO YACHTING de sa demande au titre de l’article 700

IN LIMINE LITIS

DECLARER incompétente la juridiction du travail française au profit des juridictions du travail anglaises ou à défaut maltaises,

INVITER Monsieur [L] à mieux se pourvoir,

DEBOUTER Monsieur [L] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

SUR LE FOND,

– A titre principal,

JUGER le droit français inapplicable,

DECLARER les demandes de Monsieur [L] injustifiées,

DEBOUTER Monsieur [L] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– A titre subsidiaire

DECLARER les demandes de Monsieur [L] injustifiées,

DIRE qu’il n’y a pas lieu à requalification du contrat de Monsieur [L] en contrat à durée indéterminée,

DIRE que le contrat de travail de Monsieur [L] a pris fin à l’arrivée de son terme soit le 5 novembre 2017,

DEBOUTER Monsieur [L] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

EN TOUT ETAT DE CAUSE

CONDAMNER Monsieur [L] à rembourser à la société CORTO YACHTING la somme de 53.334,29 Euros payée au titre de l’exécution provisoire du jugement en date du 11 juillet 2019 ;

CONDAMNER Monsieur [L] au paiement de la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNER Monsieur [L] aux entiers dépens.’

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 26 juin 2023, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé détaillé des moyens, M. [L] demande à la cour de :

‘CONFIRMER le jugement déféré en ce qu’il a :

– retenu sa compétence matérielle et territoriale

– retenu l’application des dispositions impératives du droit français

CONFIRMER le jugement déféré en ce qu’il a condamné la société CORTO YACHTING à verser à Monsieur [L] les sommes suivantes :

5 455 € bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis

545,50 € bruts au titre des congés payés sur préavis

1 636,50 € au titre d’indemnité de licenciement

9 819 € bruts au titre des congés payés

32 730 au titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé ;

2 000€ au titre de l’article 7000 du Code de procédure civile ;

CONFIRMER le jugement déféré en ce qu’il a condamné la société CORTO YACHTING à régulariser sous astreinte auprès des organismes sociaux, de prévoyance et de retraite compétents l’ensemble des charges sociales dues depuis l’embauche de Monsieur [L]

LE REFORMER POUR LE SURPLUS et STATUANT à NOUVEAU

CONDAMNER la société CORTO YACHTING Ltd. à verser à Monsieur [L] la somme de 32.734,80 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse sur le fondement de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans saisie conservatoire rédaction applicable au présent litige

CONDAMNER la société CORTO YACHTING Ltd. à verser à Monsieur [L] la somme de 15.000 € en réparation de son préjudice distinct résultant de l’impossibilité de s’inscrire à pôle emploi,

CONDAMNER la société CORTO YACHTING Ltd. à verser à Monsieur [L] la somme de 10.000 € au titre des frais irrépétibles ainsi qu’aux entiers dépens, ceux d’appel distraits au profit de Maître Romain CHERFILS, membre de la SELARL LEXAVOUE AIX-EN-PROVENCE, avocats aux offres de droit.’

MOTIFS DE LA DECISION

I. Sur la compétence du conseil de prud’hommes de Cannes

Moyens des parties

La société Corto Yachting Limited conclut à l’incompétence du juge français.

A titre liminaire, elle fait valoir que la compétence reviendrait au tribunal d’instance et non au conseil de prud’homme.

Elle se prévaut en premier lieu de la présence d’une clause attributive de juridiction dans les différents contrats d’engagement maritime signés par le marin donnant compétence exclusive aux tribunaux anglais, et estime que cette clause est parfaitement valable selon deux fondements :

– tout d’abord en application du droit international privé : elle soutient que les engagements maritimes avaient vocation à être exécutés à l’étranger tel que le prouve l’analyse des journaux de bord et qu’une telle clause incluse dans un contrat entre un salarié français et une société étrangère pour être exécuté à l’étranger, qui désigne expressément la juridiction étrangère est valide, exclue l’application de l’article R.1412-1 du code du travail et emporte renonciation du salarié au bénéfice de l’article 14 du code civil.

– sur le fondement de l’article 5 du Règlement Bruxelles I Bis qui considère que pour être valable, une clause attributive de compétence doit permettre au travailleur de pouvoir saisir d’autres juridictions que celle indiquée ; ce qui est le cas en l’espèce puisque l’employeur ayant son domicile à Maltes, le salarié pouvait saisir les juridictions maltaises également compétentes.

La société indique ensuite que si la clause attributive de juridiction n’était pas applicable, le conseil de prud’hommes doit se déclarer incompétent sur le fondement de l’article 21 du Règlement Bruxelles I Bis au profit de la juridiction maltaise dès lors qu’il s’agit de celle de l’Etat membre où l’employeur a son domicile et de celui du lieu de l’établissement qui a embauché M. [L].

Elle affirme qu’il n’est pas possible de donner compétence à la juridiction du lieu où le salarié accomplissait habituellement son travail ou du dernier lieu d’accomplissement dès lors que le catamaran dont M. [L] était le capitaine était immatriculé à [Localité 4], que le capitaine avait vocation à naviguer dans le monde entier; que l’analyse des journaux de bord montre qu’il a navigué le plus souvent à l’étranger; que le port d’attache du navire n’a jamais été celui de [Localité 3] comme faussement indiqué par l’appelant; qu’il n’est absolument pas démontré qu’il serait resté 383 jours à [Localité 3] pendant la période d’emploi de M. [L].

La société indique enfin que l’article 7 de la convention de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l’unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer n’est pas applicable dès lors que l’Etat de Malte n’en est pas signataire, pas plus que l’Ile de [Localité 4], et que M. [L] contestant la rupture de son contrat de travail, il ne s’agit pas d’une créance maritime au sens de ce texte.

M. [L] soutient que les juridictions françaises sont compétentes pour connaître du litige.

Il se prévaut de l’application de la convention internationale de Bruxelles du 10 mai 1952 relative à la saisie des navires sur le fondement de laquelle a été pratiquée la saisie conservatoire du navire S/Y Free Spirit et fait valoir qu’en vertu de cette convention, les juridictions françaises sont compétentes:

– en vertu de la loi interne française, Etat au sein duquel la saisie a été pratiquée: les contrats d’engagement ont tous été signés à [Localité 3], qui est le lieu d’embarquement; il réside à [Localité 6] dans le ressort du conseil de prud’hommes de Cannes; le travail a entièrement été accompli à [Localité 3];

– il a sa résidence habituelle ou son principal établissement dans l’Etat où la saisie a été pratiquée;

– la créance maritime est née en France dans l’Etat contractant dont dépend le lieu de la saisie : il a accompli son travail en France et a été licencié en France, lieu de la saisie conservatoire.

Il expose que, contrairement à ce qu’indique l’intimée, l’applicabilité de la convention de Bruxelles du 10 mai 1952 est fonction du lieu de situation du navire lors de la saisie et non de la nationalité de son pavillon ou de son propriétaire, et qu’en tout état de cause, l’Ile de [Localité 4] est un territoire juridiquement rattaché au Royaume-Uni, signataire de la convention.

Il soutient également que le critère de la nature des créances est inopérant pour déterminer la compétence juridictionnelle selon la convention du 10 mai 1952 et qu’en tout état de cause, il s’agit d’une créance maritime puisqu’il s’agit de créances liées au contrat de travail.

Il soutient que les juridictions françaises sont seules compétentes également sur le fondement du Règlement de Bruxelles I Bis.

Il soutient d’abord qu’en vertu de cette convention, ni la nationalité de l’employeur, ni le pavillon ne doivent être pris en compte pour déterminer la compétence du juge français.

Il fait valoir que chacun des critères de rattachement prévus par ce texte renvoie à la compétence des juridictions françaises. Ainsi, il soutient que son lieu habituel de travail est la France dont 383 jours au port de [Localité 3] précisant que le navire bénéficiait de l’usage d’une place à l’année au port de [Localité 3], que les fournisseurs sont français; que l’assureur responsabilité civile du navire est une compagnie basée à [Localité 2] ou [Localité 3]; que la plupart des membres de l’équipage est française; que les contrats de travail ont été signés à [Localité 3] de même que le licenciement.

Il indique également s’agissant du critère du dernier lieu d’accomplissement du travail que le navire est demeuré à [Localité 3] après son retour d’un voyage au Monténégro, du 27 août au 7 novembre 2017, date de son licenciement.

Il soutient enfin que la clause attributive de juridiction insérée dans son contrat de travail lui est inopposable dès lors que le droit français proscrit une telle stipulation, et qu’en vertu de l’article 23 du Règlement de Bruxelles I. Bis applicable aux litiges introduits à compter du 1er janvier 2015 et relatifs aux contrats individuels de travail, il ne peut être dérogé à ces dispositions par des conventions postérieures à la naissance du différend.

M. [L] soutient par ailleurs que c’est bien le conseil de prud’hommes qui est compétent s’agissant d’un contrat international maritime pour lequel la compétence des juridictions d’instance est exclue.

Réponse de la cour

Selon l’article R.1412- 1 du code du travail, l’employeur et le salarié portent les différents et litiges devant le conseil de prud’hommes territorialement compétent.

Ce conseil est :

– soit celui dans le ressort duquel est situé l’établissement où est accompli le travail;

– soit, lorsque le travail est accompli à domicile ou en dehors de toute entreprise ou établissement, celui dans le ressort duquel est situé le domicile du salarié.

Si l’une des parties au contrat de travail est de nationalité étrangère ou si le contrat a été conclu ou exécuté à l’étranger, et s’il existe un traité ou un accord international liant la France et déterminant la juridiction compétente, ces dispositions l’emportent sur la loi française conformément à l’article 55 de la Constitution.

Dans l’Union européenne, les règles relatives à la compétence judiciaire sont celles fixées par le règlement (UE) n° 215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, entré en vigueur le 10 janvier 2015, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Le règlement comprend une section 5 relative à la compétence en matière de contrats individuels de travail (article 20 à 23).

Cependant, l’article 71 de ce texte, qui figure au chapitre VII sur les relations avec les autres instruments, dispose que le présent règlement n’affecte pas les conventions auxquelles les États membres sont parties et qui, dans des matières particulières, règlent la compétence judiciaire, la reconnaissance ou l’exécution des décisions.

En l’espèce, le marin demandeur s’est constitué une sûreté en faisant procéder sur le territoire français (port de [Localité 3]) à une saisie conservatoire du navire sur lequel il travaillait et ce, en vertu de la convention de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l’unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer, dont la France est signataire.

Il est de jurisprudence constante que si les juridictions françaises sont seules compétentes pour statuer sur la validité d’une saisie pratiquée en France et apprécier, à cette occasion, le principe de la créance, elles ne peuvent se prononcer sur le fond de cette créance que si leur compétence est fondée sur une autre règle.

L’article 7 de la convention de Bruxelles du 10 mai 1952 donne expressément compétence au ‘forum arresti’, c’est à dire aux tribunaux de l’Etat dans lequel la saisie a été opérée, pour se prononcer sur le fond du procès:

‘ soit si ces Tribunaux sont compétents en vertu de la loi interne de l’Etat dans lequel la saisie est pratiquée;

‘ soit dans les cas suivants, nommément définis:

a. Si le Demandeur a sa résidence habituelle ou son principal établissement dans l’Etat où la saisie a été pratiquée;

b. Si la créance maritime est elle-même née dans l’Etat Contractant dont dépend le lieu de la saisie;

c. Si la créance maritime est née au cours d’un voyage pendant lequel la saisie a été faite;

d. Si la créance provient d’un abordage ou de circonstances visées par l’art. 13 de la Convention Internationale pour l’unification de certaines règles en matière d’abordage, signée à Bruxelles, le 23 septembre 1910 ;

e. Si la créance est née d’une assistance ou d’un sauvetage;

f. Si la créance est garantie par une hypothèque maritime ou un mort-gage sur le navire saisi.

Contrairement à ce qu’affirme la société, le fait que l’Etat de Maltes dans lequel elle est domiciliée ne soit pas signataire de la convention de Bruxelles du 10 mai 1952 ne fait pas obstacle à l’application de l’article 7 susvisé.

En effet, le paragraphe 2 de l’article 71 du règlement n° 215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 édicte expressément qu’il vise à assurer une interprétation uniforme du paragraphe 1 et dispose à cette fin que le présent règlement ne fait pas obstacle à ce qu’une juridiction d’un État membre partie à une convention relative à une matière particulière puisse fonder sa compétence sur une telle convention, même si le défendeur est domicilié sur le territoire d’un autre État membre non partie à une telle convention. La juridiction saisie applique, en tout cas, l’article 28 du présent règlement’, lequel concerne le cas du défendeur domicilié dans un Etat membre qui est attrait devant une juridiction d’un autre Etat membre et qui ne comparaît pas, ce qui n’est pas le cas de la société Corto Yachting Limited qui a comparu en première instance et en appel.

Par ailleurs, selon l’article 8 de la convention de Bruxelles du 10 mai 1952, ses dispositions sont applicables ‘dans tout Etat contractant à tout navire battant pavillon

d’un Etat Contractant. Un navire battant pavillon d’un Etat non Contractant peut être saisi dans l’un des Etats Contractants, en vertu d’une des créances énumérées à l’art. 1, ou de toute autre créance permettant la saisie d’après la loi de cet Etat.’

Or, l’article 1er de cette convention vise les créances maritimes qui sont définies comme l’allégation d’un droit ou d’une créance ayant notamment comme cause (m): ‘salaires des capitaines, officiers ou hommes d’équipage’.

Il est de jurisprudence constante que le terme de salaire doit s’entendre des salaires proprement dits mais encore des créances trouvant leur cause dans les conditions de formation, d’exécution et de rupture du contrat d’engagement maritime.

La créance alléguée par M. [L] correspond à des dommages et intérêts liés à la rupture abusive du contrat de travail, un solde de congés payés, une indemnité au titre du préavis et une indemnité forfaitaire de travail dissimulé.

Il s’en déduit sa nature maritime au sens de l’article 1er de la convention de Bruxelles du 10 mai 1952.

L’article 7 de la convention de Bruxelles du 10 mai 1952 est par conséquent opposable à la société.

Il n’est pas discuté que M. [L] est de nationalité française et qu’il réside sur le territoire français à Théoule sur mer.

Par conséquent, en application de la convention de Bruxelles du 10 mai 1952, les tribunaux français, Etat dans lequel la saisie a été opérée, sont compétents pour se prononcer sur le fond du procès.

Il est de principe qu’une clause attributive de juridiction incluse dans un contrat international ne peut faire échec aux dispositions impératives de l’article R. 1412-1 du code du travail applicables dans l’ordre public international.

En application des dispositions combinées des articles L 1411’2 et L 1411’4 du code du travail, L 5000-3 et L 5542-48 du code des transports et R.221-13 du code de l’organisation judiciaire, relèvent de la compétence de droit commun des conseils de prud’hommes les litiges individuels du travail concernant un marin français embarqué sous pavillon étranger, en cas de litige dans un port français.

La clause insérée dans les trois contrats d’engagement de M. [L] qui prévoit que ‘les parties se soumettent à la compétence exclusive des cours et tribunaux anglais en ce qui concerne toute réclamation ou tout problème survenant dans le cadre de cet accord’, fait échec à l’application des dispositions impératives de l’article R.1412-1 du code du travail applicable dans l’ordre public international et doit par conséquent être écartée.

La cour relève que le salarié a exercé son activité en dehors de tout établissement.

C’est par conséquent à bon droit qu’il a saisi le conseil de prud’hommes du lieu de son domicile, et que le conseil de prud’hommes de Cannes s’est déclaré compétent.

Le jugement est confirmé de ce chef.

II. Sur la loi applicable

Moyens des parties

La société Corto Yachting Ltd conclut à l’application de la loi des îles Caïmans prévue aux différents contrats d’engagement qui constitue la loi choisie par les parties laquelle s’impose conformément à l’article 8.1 du règlement n°593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008.

Elle ajoute que la loi qui aurait été applicable, à défaut de choix par les parties, est la loi maltaise qui est celle du pays dans lequel a été embauché M.[L], étant impossible de déterminer le pays dans lequel celui-ci accomplit habituellement son travail.

Elle considère par conséquent que le droit des Iles Caïmans est d’abord applicable sauf s’il a pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assure la loi maltaise; que la loi française n’est par conséquent applicable dans aucun cas prévu par la convention.

Elle estime que M. [L] ne démontre pas le non respect de la loi des Iles Caïmans et de Maltes.

M. [L] soutient que la loi française est applicable selon les dispositions de l’article 8 du Règlement (CE) 593/2008 du Parlement européen et du conseil du 17 juin 2008 dit Rome I.

Il fait valoir que l’application de la loi française ressort tout d’abord du critère principal consistant en le lieu dans lequel le travail est régulièrement accompli dès lors que [Localité 3] est son lieu principal de travail :

– l’examen du livre de bord et des contrats de location que pendant la relation de travail qui a duré 550 jours, le navire a navigué dans les eaux française durant 52 jours et dans les eaux internationales durant 115 jours et le reste du temps il se trouvait à [Localité 3], soit durant 383 jours;

– il bénéficiait de l’usage d’une place à l’année au Port de [Localité 3];

– la langue de travail à bord du navire était le français;

– les salaires étaient versés sur un compte bancaire français;

– la plupart des membres de l’équipage était français ;

– le licenciement est intervenu à [Localité 3].

Il affirme qu’en application du critère subsidiaire consistant à appliquer la loi du pays avec lequel la relation de travail présente les liens les plus étroits, c’est encore la loi française qui trouve à s’appliquer au vu des éléments de fait susvisés.

Enfin, il soutient que la loi française doit s’appliquer comme étant plus favorable que le droit des îles caïmans imposé par le contrat.

Il indique que la société Corto Yachting Ltd ne rapporte pas la preuve du contenu du droit étranger qu’elle invoque à son bénéfice et qu’en tout état de cause, le droit applicable dans les îles caïmans est un droit britannique moins favorable au salarié que les dispositions françaises.

Réponse de la cour

L’article 3 du Règlement (CE) n°593/2008 du Parlement européen et du conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (ci-après le Règlement Rome 1) dispose que le contrat est régi par la loi choisie par les parties. Le choix est exprès ou résulte de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause. Par ce choix, les parties peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat.

Par ailleurs l’article 8 du même règlement précise que :

1.’Le contrat individuel de travail est régi par la loi choisie par les parties conformément à l’article’3. Ce choix ne peut toutefois avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui, à défaut de choix, aurait été applicable selon les paragraphes’2, 3 et 4 du présent article.

2.’À défaut de choix exercé par les parties, le contrat individuel de travail est régi par la loi du pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail. Le pays dans lequel le travail est habituellement accompli n’est pas réputé changer lorsque le travailleur accomplit son travail de façon temporaire dans un autre pays.

3.’Si la loi applicable ne peut être déterminée sur la base du paragraphe’2, le contrat est régi par la loi du pays dans lequel est situé l’établissement qui a embauché le travailleur.

4.’S’il résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays que celui visé au paragraphe’2 ou 3, la loi de cet autre pays s’applique.

La loi d’autonomie a dès lors une vocation conditionnelle. Son application ne saurait priver le salarié d’un avantage découlant de la loi objectivement applicable, c’est à dire la loi du pays dans lequel ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail, ou la loi du pays dans lequel est situé l’établissement qui a embauché le travailleur et, en tout état de cause, la loi du pays avec lequel le contat de travail présente des liens plus étroits.

Il est de principe que la détermination du caractère plus favorable d’une loi doit résulter d’une appréciation globale des dispositions de cette loi ayant le même objet ou se rapportant à la même cause, qu’il résulte des dispositions de l’article 8’§’1 du Règlement de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles que les dispositions impératives d’une loi sont celles auxquelles cette loi ne permet pas de déroger par contrat et, enfin, qu’il ne peut être dérogé par contrat aux dispositions de la loi française en matière de rupture du contrat de travail.

En l’espèce, les contrats d’engagements conclus entre M.'[L] et la société Corto Yachting Limited désignent expressément l’application du droit des Iles Caïmans.

Toutefois, le salarié ne justifie pas du contenu de ce droit afin de déterminer si les dispositions impératives de la loi française dont il revendique l’application, notamment en matière de contrat d’engagement maritime et de rupture du contrat de travail, sont plus favorables.

Il est de jurisprudence constante qu’il incombe au juge français, saisi d’une demande d’application d’un droit étranger, d’en rechercher, soit d’office, soit à la demande d’une partie qui l’invoque, la teneur, avec le concours des parties et personnellement s’il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit étranger.

A cette fin, il y a lieu d’ordonner la réouverture des débats, et d’inviter les parties à présenter leurs observations sur :

– le ‘Labour Act 2021″ apparaissant comme le droit social Caïman;

– le cas échéant, le ‘Merchant Shipping (Maritime Labour Convention) (Seafarer Employment Agreement, Shipowener’s liabilities and Wages) Regulation 2014 (‘MSR’) qui s’applique à tous les navires battant pavillon des Iles Caïmans ainsi qu’à tous les navires navigant dans les eaux des Iles Caïmans qui pourrait s’appliquer par le biais d’une clause contractuelle renvoyant à l’application du droit des Iles Caïmans laquelle pourrait permettre l’application des dispositions de cette réglementation qui intègre en droit local les dispositions de la Convention du travail maritime;

Et, en tant que de besoin, à produire de leur côté tout document de nature à déterminer le contenu du droit des Iles Caïmans applicable au contrat de travail et à sa rupture.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire

CONFIRME le jugement entrepris en ce que le conseil de prud’hommes de Cannes s’est déclaré compétent,

ORDONNE la réouverture des débats,

Renvoie à l’audience du 16 janvier 2024 à 14h

INVITE les parties à présenter leurs observations sur le ‘Labour Act 2021″ et le ‘Merchant Shipping (Maritime Labour Convention) (Seafarer Employment Agreement, Shipowener’s liabilities and Wages) Regulation 2014 (‘MSR’) qui paraissent applicables au litige;

DIT qu’une copie PDF de ces dispositions sera transmise aux parties à la diligence du greffe par le RPVA;

INVITE les parties, en tant que de besoin, à produire de leur côté tout document de nature à déterminer le contenu du droit des Iles Caïmans applicable au contrat de travail et à sa rupture;

RESERVE les dépens.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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