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Numérisation : 5 juillet 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 20/02246

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Numérisation : 5 juillet 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 20/02246

AFFAIRE PRUD’HOMALE

DOUBLE RAPPORTEUR

N° RG 20/02246 – N° Portalis DBVX-V-B7E-M54O

Société EQUITIVE

C/

[J]

APPEL D’UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LYON

du 28 Février 2020

RG : F18/02914

COUR D’APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRET DU 05 Juillet 2023

APPELANTE :

Société EQUITIVE

[Adresse 5]

[Localité 6]

représentée par Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Sabine SAINT SANS de la SCP DERRIENNIC & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Alice BREVOST-MALLET, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

[S] [J]

née le 29 Octobre 1974 à [Localité 9]

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée par Me Eladia DELGADO de la SELARL DELGADO & MEYER, avocat au barreau de LYON substituée par Me Mélanie TASTEVIN, avocat au barreau de LYON

DEBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 02 Mai 2023

Présidée par Nathalie ROCCI, conseiller et Anne BRUNNER, conseiller, magistrats rapporteurs (sans opposition des parties dûment avisées) qui en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistés pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

– Joëlle DOAT, présidente

– Nathalie ROCCI, conseiller

– Anne BRUNNER, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

rendu publiquement le 05 Juillet 2023 par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Joëlle DOAT, Présidente, et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Mme [S] [J] a été embauchée par la société EQUITIVE, en qualité d’aide comptable, le 1er juillet 2013, par contrat à durée indéterminée.

La société EQUITIVE appartient au groupe DELOITTE et applique la Convention collective nationale des experts-comptables et commissaires aux comptes.

Mme [J] a été élue déléguée du personnel le 11 février 2014.

A compter du mois d’octobre 2014, Mme [J] a alterné des périodes d’activité et d’arrêt maladie.

Par courrier du 3 mars 2016 adressé à DELOITTE & Associés, Mme [J] a signalé des propos et attitudes de dénigrement, dans son service, qui perdureraient depuis 2014.

Par courrier du 24 mars 2016, la société EQUITIVE a répondu à Mme [J] qu’elle avait saisi la direction des ressources humaines pour qu’une enquête interne soit conduite sans délai et que, durant cette enquête, dans le but d’assurer la qualité de ses conditions de travail, son poste de travail serait installé à proximité de celui de Mme [B] [T], manager du contrôle interne.

A compter du 29 avril 2016, la salariée s’est vu prescrire plusieurs arrêts de travail successifs, sans discontinuer.

A compter du 22/07/2016 le médecin a mentionné sur le volet destiné à la caisse que l’arrêt de travail pour dépression était en lien avec le travail.

La salariée a passé une visite de pré-reprise le 20 juillet 2016. Le médecin du travail a formulé des préconisations à la reprise « temps partiel thérapeutique. Demande changement de service afin de préserver la santé de l’intéressée. A revoir à la reprise.».

Le 8 septembre 2016, le médecin traitant a rempli un certificat de déclaration de maladie professionnelle pour « déséquilibre thymique en lien avec une dégradation des conditions de travail sans état antérieur connu. Actuellement : fatigue chronique, dépression, anxiété, insomnie ».

Le 28 septembre 2016, la salariée a passé une visite de reprise ; le médecin du travail l’a déclarée apte au poste d’aide comptable avec changement de service préconisé au sein du groupe Deloitte, pour préserver la santé de la salariée.

Mme [J] a repris le travail le 17 octobre 2016.

Mme [J] a rencontré le médecin du travail encore 4 fois, à sa demande (les 17/10/2016, 7/12/2016) puis à la demande du médecin du travail, (les 13/12/2016 et 9/01/2017). A chaque fois, le médecin du travail a émis le même avis d’aptitude « apte au poste d’aide comptable avec changement de service préconisé au sein du groupe Deloitte, pour préserver la santé de l’intéressée ».

Du 17 au 20 janvier 2017 puis du 9 au 17 février 2017, Mme [J] s’est trouvée en arrêt de travail.

Par avenant du 16 février 2017, la salariée a été affectée, par le groupe DELOITTE, à compter du 1er mars 2017, au sein de la société Fiduciaire Internationale d’Audit, au poste d’assistante administration du personnel.

La salariée a été placée en arrêt de travail à compter du 4 juillet 2017 et a été hospitalisée à la clinique psychiatrique de [Localité 7] du 7 juillet au 17 août 2017.

Par courrier du 5 octobre 2017, la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône a avisé Mme [J], que sur avis conforme du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), la maladie, déclarée le 8 septembre 2016, était déclarée d’origine professionnelle.

Les arrêts de travail se sont poursuivis courant 2017 et 2018.

Le 16 avril 2018, le médecin du travail, après avoir procédé à l’étude de poste et des conditions de travail et échangé avec l’employeur, a déclaré Mme [J] inapte et précisé que l’état de santé de la salariée faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

La société Financière internationale d’audit, autorisée par décision de l’inspectrice du travail du 16 juillet 2018, a notifié à Mme [J] son licenciement pour inaptitude par courrier du 3 août 2018.

Le 28 septembre 2018, Mme [J] a saisi le conseil de prud’hommes de LYON de demandes indemnitaires, dirigées contre la société EQUITIVE, pour harcèlement moral et exécution déloyale du contrat de travail.

Par jugement du 28 février 2020, le conseil de prud’hommes a débouté Mme [J] de sa demande au titre du harcèlement moral, a condamné la société EQUITIVE à payer à Mme [J] la somme de 20 000 € pour exécution déloyale du contrat de travail, la somme de 1 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et l’a condamnée aux dépens.

Le 25 mars 2020, la société EQUITIVE a relevé appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières écritures, notifiées le 29 juillet 2022, la société EQUITIVE demande à la cour de :

A titre principal,

Confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [J] de sa demande à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

Infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamnée à verser à Mme [J] la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité ;

Débouter Madame [J] de l’ensemble de ses demandes ;

A titre subsidiaire

Ramener le montant des dommages-intérêts à de plus justes proportions ;

En tout état de cause,

Condamner Mme [J] au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamner Mme [J] aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières écritures, notifiées le 19 décembre 2022, Mme [J] demande à la cour de :

Sur son appel incident :

Réformer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral ;

Condamner la société EQUITIVE à lui verser la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

Sur l’appel principal de la société EQUITIVE :

Confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société EQUITIVE pour non-respect de son obligation de sécurité à une somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

En tout état de cause,

Rejeter toutes les demandes, fins et conclusions contraires ;

Dire que ces sommes porteront intérêt au taux légal ;

Condamner la société EQUITIVE à lui verser la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner la même aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 23 mars 2023.

SUR CE,

Sur le harcèlement moral :

Mme [J] soutient qu’elle a été confrontée à une ambiance de travail délétère, ce dont elle a avisé ses responsables sans qu’ils n’interviennent de sorte qu’elle s’est plainte, par écrit, le 3 mars 2016. Elle ajoute qu’elle n’a jamais été informée des conclusions de l’enquête annoncée par la société EQUITIVE.

Elle affirme qu’à son retour dans l’entreprise, la société EQUITIVE a adopté une attitude harcelante à son égard, ce qui a dégradé son état de santé et laisse présumer un harcèlement moral.

Elle reproche à l’employeur de n’avoir pas respecté les préconisations du médecin du travail, de l’avoir laissée dans une salle de réunion à attendre, pendant près de six mois, d’être changée de service et sans lui confier de tâche à effectuer et ce malgré les interpellations du médecin du travail et de l’inspection du travail.

Elle souligne notamment qu’entre le 20 juillet 2016 et le 9 janvier 2017, le médecin du travail a informé six fois l’employeur qu’il était impératif de la changer de service,

Elle ajoute qu’elle s’est tenue à disposition de la société EQUITIVE en se présentant sur son lieu de travail puisqu’elle n’était pas dispensée d’activité. Elle déplore également que l’employeur lui a ensuite demandé la réalisation de tâche en violation des préconisations du médecin du travail.

La société EQUITIVE estime que Mme [J] ne justifie pas de la matérialité des faits de harcèlement, n’apporte aucun élément de preuve des agissements de ses collègues ou de sa hiérarchie ; que sa lettre du 7 mars 2016 n’est étayée par aucun élément. Elle ajoute qu’à la suite de cette lettre, Mme [W] [U], responsable des opérations RH a interrogé la salariée, qui a refusé d’apporter des réponses.

Elle souligne que nonobstant le transfert de son contrat de travail à la société FIDUCIAIRE INTERNATIONALE d’AUDIT, Mme [J] a été déclarée inapte sans qu’aucun lien ne soit établi avec ses conditions de travail.

Elle conteste avoir mis à l’écart Mme [J] et fait valoir qu’entre le mois de juillet 2016 et le 27 janvier 2017, la salariée a été présente dans l’entreprise, environ trois semaines du fait de ses arrêts de travail et de ses congés.

Elle fait valoir que dès réception de l’avis d’aptitude du 17 octobre 2016, elle a tout mis en ‘uvre pour se conformer aux préconisations du médecin du travail mais que Mme [J] n’était pas mobile géographiquement et que le service auquel elle appartenait était le seul à occuper des profils comptables. Elle explique que, dans l’attente, Mme [J] a été isolée de son service d’origine et placée dans une salle de réunion avec le matériel nécessaire et ce pour respecter l’avis d’aptitude. Elle expose qu’après avoir échangé avec la salariée pour connaitre ses souhaits et son profil, elle a finalement pu lui proposer un poste conforme à ses attentes.

Elle considère que le lien entre la souffrance psychique et les conditions de travail n’est pas établi.

***

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l’article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-1088 du 8 août 2016, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En application de l’article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction postérieure à la loi précitée, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En application de l’article L4624-1, alinéa 1 et 2, dans sa version en vigueur du 28 janvier 2016 au 01 janvier 2017, « le médecin du travail est habilité à proposer des mesures individuelles telles que mutations ou transformations de postes, justifiées par des considérations relatives notamment à l’âge, à la résistance physique ou à l’état de santé physique et mentale des travailleurs. Il peut proposer à l’employeur l’appui de l’équipe pluridisciplinaire du service de santé au travail ou celui d’un organisme compétent en matière de maintien dans l’emploi.

L’employeur est tenu de prendre en considération ces propositions et, en cas de refus, de faire connaître les motifs qui s’opposent à ce qu’il y soit donné suite. ».

La salariée invoque :

1/ une ambiance de travail délétère

Mme [J] verse aux débats la lettre qu’elle a adressée à son employeur le 3 mars 2016 : elle dénonce avoir entendu des propos blessants de la part de collègues dont elle ne cite pas les noms, une surveillance excessive de son travail et une mise à l’écart sans plus de précisions, des objectifs fixés sans accès à l’outil de travail. Les faits dénoncés ne sont pas datés.

La salariée ajoute, dans ce courrier, que l’écoute et la bienveillance de relations amicales au sein de la société DELOITTE l’ont également aidée à surmonter cette épreuve et lui ont donné l’envie de se battre pour défendre sa place et pouvoir continuer à travailler pour le groupe. Elle demande à son employeur d’intervenir afin de lui permettre de poursuivre sa mission au sein du groupe Deloitte [Localité 9]-[Localité 8].

La société EQUITIVE a répondu le 24 mars 2016, qu’une enquête allait être menée afin « le cas échéant, de remédier aux dysfonctionnements graves » dont elle faisait état.

L’absence de précisions données par la salariée quant à la date et le ou les auteur(s) des faits dénoncés ne permet pas d’établir l’ambiance de travail délétère. Ce fait n’est pas établi.

2/ le non-respect des préconisations du médecin du travail

Mme [J] verse aux débats la fiche d’aptitude du médecin du travail du 28 septembre 2016 « apte au poste d’aide comptable avec changement de service préconisé au sein du groupe DELOITTE, pour préserver la santé de l’intéressé ». L’avis a été renouvelé, quatre fois dans les mêmes termes.

Un avenant au contrat de travail ayant été proposé à la salariée, le 16 février 2017, et accepté par cette dernière, il ne peut être soutenu que l’employeur a refusé de suivre les préconisations du médecin du travail.

Par ailleurs, aucun texte n’impose un délai à l’employeur pour mettre en ‘uvre les préconisations du médecin du travail.

La réitération du même avis du médecin du travail non suivid’un changement immédiat de service ne constitue pas des agissements distincts et répétés de la part de l’employeur.

Ce fait n’est pas établi.

3/ la « placardisation » pendant six mois

Mme [J] verse aux débats ses propres mails à son employeur, le 18 octobre 2016, à 5h39 « Je vous prie de trouver en pièce jointe copie de la fiche d’aptitude médicale, remise hier en main propre à Monsieur [G] [Z] (à 16h30). Je vous remercie de bien vouloir faire le nécessaire pour répondre aux demandes d’affectation sur un poste similaire dans un autre service. A défaut de dispense d’effectuer mon service, je reste à disposition de l’entreprise. Compte tenu de cette situation, pouvez-vous me préciser mes conditions de travail »., puis, à 9h18 « ‘je suis dans les locaux actuellement, et je suis joignable sur mon portable’ », une lettre recommandée du 20 octobre « je reviens vers vous concernant, notre conversation téléphonique et mes différents mails. Depuis le 20 juillet 2016, la médecine du travail a informé la société sur la nécessité d’un changement de service afin de préserver ma santé (copie des 3 fiches AGEMETRA).

Depuis lundi 14 octobre 2016, je ne suis plus en arrêt-maladie et je me suis présenté chaque jour dans les locaux du groupe DELOITTE ‘ [Adresse 2] afin d’être disponible à écouter et entendre toutes propositions cohérentes à cette situation.

A ce jour, je n’ai eu aucunes réponses, aussi je renouvelle ma demande de faire le nécessaire pour répondre aux demandes d’affectations sur un poste similaire dans un autre service.

A défaut de dispense d’effectuer mon service, je reste à disposition de l’entreprise.

Compte tenu de cette situation, pouvez-vous me préciser mes conditions de travail. »

Le 21 octobre 2016, Mme [J] a encore envoyé un mail pour confirmer sa « présence dans les locaux toute cette semaine » et qu’elle serait « de nouveau présente à partir de lundi ».

Mme [U], DRH a répondu, le même jour, « j’ai bien recueilli votre CV dans votre dossier RH pour déterminer quels postes pourraient vous convenir (notamment pour élargir au mieux les champs de nos recherches chez Taj ou In Extenso). Bien évidemment, je ne transmettrai pas votre CV à ce stade, il s’agit juste pour moi de préciser ma recherche auprès des différents interlocuteurs. J’ignore toutefois si le document en ma possession est à jour. Pourriez-vous m’adresser votre CV à jour ou, par mail le détail de vos qualifications à jour et des types de postes susceptibles de vous intéresser ‘ ».

Le 26 octobre 2016, Mme [J] a envoyé un mail à divers responsables de l’entreprise « Bonjour,

Pour information, en attendant d’avoir un poste de travail je me suis installée dans la salle

connect 194.

En cas de besoin, merci de me prévenir suffisamment tôt si possible pour s’organiser au mieux et que je puisse la libérer selon vos souhaits. ».

Par ses mails, Mme [J] informe qu’elle se trouve dans les locaux de l’entreprise, constate qu’elle n’est pas dispensée d’effectuer son service et déclare qu’elle est en attente d’une nouvelle affectation dans un autre service.

Le 28 octobre 2016, l’inspectrice du travail a aussi envoyé un mail à Mme [U] « ‘Je me suis présentée ce matin à 9h dans vos locaux ; j’ai alors constaté :

– que Mme [J] n’avait pas de poste de travail, et avait dû se poser dans une petite salle de réunion, dépourvue de lumière naturelle

– qu’elle n’avait pas de travail à effectuer

– qu’il y avait normalement 13 salariés EQUITIVE dans ces locaux, dont une responsable, Mme [B] [T], mais que personne d’autre que Mme [J] n’était alors présent dans les bureaux.

Je dois donc vous rappeler :

– que je vous ai écrit à plusieurs reprises sur vos locaux situés [Adresse 2], sans obtenir de réponse satisfaisante de votre part

– que je vous ai également saisie plusieurs fois sur la situation de Mme [J]

– que cette salariée, par ailleurs Déléguée du personnel, vous a alertée plusieurs fois sur la nécessité de lui attribuer un poste de travail conforme à la demande du Médecin du travail

– qu’à ce jour, vous lui avez seulement redemandé son CV, sans reconnaître que vous ne lui fournissiez pas de travail, et sans la dispenser de venir se présenter dans ces locaux.

Je vous demande donc de prendre les dispositions nécessaires pour permettre à Madame [J] de reprendre un poste de travail conforme, dans les meilleurs délais.

Dans l’attente, vous ne pouvez lui demander de se présenter tous les jours dans vos bureaux situés [Adresse 3], sauf à vous rendre responsable, entre autres, d’une situation de souffrance au travail en raison de votre management du personnel ».

Ainsi, Mme [J] a pris l’initiative de s’installer dans une salle, en attendant que l’employeur lui fournisse « un poste similaire dans un autre service », soit un poste conforme aux préconisations du médecin du travail.

Ce choix de la salariée n’établit pas la mise à l’écart invoquée.

Le 18 novembre 2016, Mme [N], senior manager, a adressé un mail à Mme [J] « Bonjour [S],

Comme suite à nos échanges, je vous invite à trouver ci-dessous confirmation des tâches qui vous sont confiées, pour répondre aux besoins de nos clients du Centre de Services Partagés de [Localité 9] :

1. toutes opérations de scan (numérisation) de factures fournisseurs, notamment pour notre client Sanofi Pasteur MSD. Ces opérations sont à réaliser sur le poste de scan dédié de notre société EQUITIVE, au sein du CSP de [Localité 9] ;

2. toutes opérations de « verify » (enrichissement des données de nos factures, fournisseurs, notamment pour notre client Sanofi Pasteur MSD). Ces opérations sont à réaliser sur votre poste de travail ;

3. toutes tâches de saisie de données / alimentation de tableaux (tableurs) pouvant vous être confiées par nos superviseurs du CSP de [Localité 9], exemple : saisie mensuelle des notes de frais pour notre client SISLEY.

[G] et [M] restent à votre écoute pour toute question ou précision.

Je vous remercie de bien vouloir vous consacrer sans délai à la réalisation de ses missions.

L’aménagement de votre travail n’affecte en rien les actions conduites en parallèle par la DRH pour tenter de se conformer au mieux aux préconisations du Médecin du travail ».

Mme [J] a répondu le 23 novembre 2016 en mettant en demeure l’employeur de respecter les préconisations du médecin du travail, estimant qu’il lui était demandé de reprendre la même activité dans le même service, or, il ressort du mail ci-dessus que cet aménagement n’affectait pas les recherches d’un poste dans un autre service. De plus, la salariée avait été déclarée apte au poste d’aide comptable.

Le 19 décembre 2016, Mme [N] a indiqué, par mail à Mme [J] qu’elle était libre de s’installer à distance de l’équipe avec laquelle elle ne souhaitait pas cohabiter, ce à quoi la salariée a répondu en demandant si l’avis du médecin du travail avait été sollicité, en soutenant que les tâches qui lui étaient confiées nécessitaient la collaboration de l’équipe, et en exigeant que soit sollicité un écrit de la part du médecin du travail sur la compatibilité de l’organisation avec son état de santé.

Ainsi, la salariée, qui se plaignait de « l’équipe », s’est vu proposer de travailler à distance si elle le souhaitait mais a alors conditionné l’acceptation de cette organisation à un nouvel avis du médecin du travail.

Le fait de mise à l’écart n’est pas établi.

4/la persistance du comportement de l’employeur

Les fiches de paie font apparaître que la salariée, qui a posé des congés, a repris le travail le 17 octobre 2016 et a été présente jusqu’au 28 octobre 2016, puis les 2 et 3 novembre 2016 et les 7 et 8 novembre 2016 ; pour des demi-journées les 9, 10 novembre 2016 et du 15 au 18 novembre 2016, les 1er et 2 décembre, les 6, 7 et 9 décembre, du 12 au 15 décembre, les 20 et 21 décembre 2016.

A compter du 23 décembre 2016, Mme [J] a été en arrêt maladie, jusqu’au 30 décembre 2016.

Il n’est pas établi que l’employeur ne lui a pas fourni de travail mais qu’au contraire, la salariée se trouvant dans les locaux attendait que lui soit proposé immédiatement un poste conforme aux préconisations du médecin du travail.

Mme [U], directrice des ressources humaines, a interrogé le médecin du travail, par mail, le 18 octobre 2016, soit le lendemain de la reprise du travail par Mme [J], afin de lui demander des précisions quant à ses préconisations et notamment les personnes avec lesquelles la salariée accepterait de travailler ; lui demander son avis sur un changement de poste pour reprendre des fonctions d’assistanat.

Mme [U] a cherché à joindre le médecin du travail le 8 et le 18 novembre 2016 (mail pour lui demander de convenir d’un entretien téléphonique), puis le 2 décembre 2016.

Le 18 novembre 2016, Mme [U] a adressé un mail à la DIRECCTE pour faire le point sur la situation : elle exposait :

s’être entretenue avec la salariée, qui n’a pas donné de noms de ceux de ses collègues qui auraient tenu des propos déplacés, et n’avoir pas pu déterminer des éléments de nature à étayer les propos de Mme [J] ;

être à la recherche d’un poste pour Mme [J], mais rencontrer des difficultés, le service auquel appartient la salariée étant le seul à occuper des profils comptables ;

s’être rapprochée de Mme [J] pour envisager les aménagements pouvant lui convenir.

L’employeur n’est donc pas resté inactif et a cherché un poste correspondant aux préconisations du médecin de travail.

Le fait n’est pas établi.

5/les répercussions sur l’état de santé

Mme [J] verse aux débats un courrier du médecin du travail, en date du 17 octobre 2016, à l’intention d’un confrère, non dénommé, « Je vous adresse Mme [J] [S], 41 ans, aide-comptable, qui a été en arrêt de travail d’avril à octobre 2016, dans le cadre d’une souffrance au travail avec déclaration en maladie professionnelle et arrêt des indemnités journalières en août 2016.

Lors de la reprise le 28/09 dernier, je l’ai déclarée « apte au poste d’aide-comptable avec changement de service préconisé au sein du groupe afin de préserver la santé de l’intéressé ».

Ce jour, après un nouvel arrêt de travail, elle s’est présentée sur son lieu de travail et aucune proposition de nouveau poste ne lui a été faite.

Cette situation est vécue difficilement. Mme [J] est traitée depuis plusieurs mois par Seroplex et a été suivie par son médecin traitant ainsi que par une psychologue du travail depuis 2015 ».

Ce courrier est insuffisant à établir les répercussions sur l’état de santé. Il est rappelé qu’aucun élément n’est produit par la salariée pour établir l’ambiance délétère sur le lieu de travail avant l’arrêt de travail du mois d’avril. 

Mme [J], qui a posé des congés courant novembre et décembre, parfois pour des journées entières, parfois pour des demi-journées, a indiqué, dans l’un de ses courriers à son employeur, en date du 23 novembre 2016, être en congés, « compte tenu de la situation insupportable dans laquelle je me trouve à laquelle votre mail du 18 novembre ne répond en aucun cas. ».

Ce courrier n’établit pas le lien entre le travail et l’état de santé de Mme [J].

Enfin, postérieurement au changement de service, Mme [J] a été placée en arrêt maladie, notamment du 7 juillet au 2 novembre 2017. Elle a été hospitalisée dans une clinique psychiatrique du 7 juillet 2017 au 17 août 2017.

Pour autant, elle ne verse aucun élément permettant d’établir le lien entre ses conditions de travail, plusieurs mois auparavant, dans une autre entreprise, et son état de santé.

Les répercussions sur l’état de santé ne sont pas établies.

Les faits invoqués n’étant pas matériellement établis, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande en dommages-intérêts fondée sur le harcèlement moral.

Sur l’exécution du contrat de travail :

L’employeur soutient que Mme [J] ne peut demander la réparation d’un préjudice en lien avec sa déclaration de maladie professionnelle devant le conseil de prud’hommes de LYON, et ce d’autant que deux instances sont pendantes devant le Pôle Social du Tribunal de Grande Instance de Lyon.

A titre subsidiaire, la société EQUITIVE estime avoir respecté son obligation de sécurité de résultat et conteste que Mme [J] ait subi un préjudice.

Elle soutient avoir répondu à chacun des courriers de la salariée, en prenant très au sérieux ses plaintes mais que l’enquête menée sur site par Mme [U] n’a pas permis d’identifier les éléments d’un contexte relationnel difficile ; qu’elle a reçu la salariée afin d’organiser son retour dans des conditions sereines.

Elle considère avoir fait diligence pour trouver une solution.

Elle affirme avoir engagé une enquête et entendu des collaborateurs, dès le mois de juillet 2016, en attendant le retour de Mme [J].

La salariée réplique que la maladie professionnelle ayant fait l’objet d’une décision de reconnaissance a été déclarée le 8 septembre 2016 tandis que ses demandes portent sur le comportement de l’employeur postérieur à cette date.

Elle ajoute que ce comportement caractérise, à tout le moins, un manquement à ses obligations de sécurité et de loyauté.

***

Aux termes de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

L’obligation générale de sécurité se traduit par un principe de prévention au titre duquel les équipements de travail doivent être équipés, installés, utilisés, réglés et maintenus de manière à préserver la santé et la sécurité des travailleurs.

L’employeur, tenu d’une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, doit en assurer l’effectivité en prenant en considération les propositions de mesures individuelles telles que mutations ou transformations de postes, justifiées par des considérations relatives notamment à l’âge, à la résistance physique ou à l’état de santé physique et mentale des travailleurs que le médecin du travail est habilité à prendre en application de l’article L. 4624-1 du code du travail dans sa version applicable en l’espèce..

Respecte l’obligation de sécurité, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail (actions de prévention, d’information, de formation…) et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.

En l’espèce, les faits dénoncés par la salariée, dans son courrier du 3 mars 2016, comme étant susceptibles de constituer un harcèlement ne sont pas établis.

L’employeur a diligenté une enquête, cela ressort de l’attestation de Mme [T], manager, qui témoigne avoir été entendue par Mme [U], sur des faits de harcèlement signalés par Mme [J].

Les faits dénoncés par Mme [J] étant imprécis, il ressort de plusieurs mails de Mme [U] qu’elle a demandé des précisions à la salariée mais que cette dernière n’en a pas donné.

Ensuite, lorsque la salariée a repris le travail, à compter du 17 octobre 2016, l’employeur a recherché un poste correspondant aux préconisations du médecin du travail, sans toutefois le trouver immédiatement.

Ainsi qu’il a été dit précédemment, il a respecté les préconisations du médecin du travail, a cherché à savoir lesquels du ou des collègues de la salariée étaient à l’origine de propos déplacés afin d’aménager le poste dans l’attente de trouver un nouveau service à la salariée. Il s’est heurté au silence et au refus de la salariée, laquelle demandait une application immédiate des préconisations du médecin du travail.

Aucun manquement à l’obligation de sécurité ni à l’obligation de loyauté n’est établi.

Le jugement sera infirmé en ce sens et la salariée déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et manquement à l’obligation de sécurité.

Sur les autres demandes

Mme [J], qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.

L’équité ne commande pas qu’il soit fait application de l’article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la société EQUITIVE.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition, contradictoirement

Confirme le jugement en ce qu’il a débouté Mme [J] de sa demande en dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

L’infirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau,

Déboute Mme [J] de ses demandes en dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité et exécution déloyale du contrat de travail ;

Déboute Mme [J] de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [J] aux dépens de première instance et d’appel ;

Rejette la demande de la société EQUITIVE fondée sur l’article 700 du code de procédure civile en première instance et en cause d’appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


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