Crimes contre l’humanité : 9 novembre 2004 Cour de cassation Pourvoi n° 04-81.742

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Crimes contre l’humanité : 9 novembre 2004 Cour de cassation Pourvoi n° 04-81.742
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AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de justice à PARIS, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

– X… Edith, épouse Y…, partie civile,

contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de PARIS, en date du 21 janvier 2004, qui, sur sa plainte du chef de recel d’extorsion, a confirmé l’ordonnance du juge d’instruction constatant l’extinction de l’action publique du chef d’extorsion de signature et se déclarant incompétent territorialement pour le surplus ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 12 octobre 2004 où étaient présents : M. Cotte président, M. Valat conseiller rapporteur, M. Joly, Mmes Chanet, Anzani, M. Beyer, Pometan, Mmes Palisse, Guirimand conseillers de la chambre, Mmes Ménotti, Degorce conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Di Guardia ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire VALAT, les observations de la société civile professionnelle CHOUCROY – GADIOU – CHEVALLIER, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général DI GUARDIA, l’avocat de la demanderesse ayant eu la parole en dernier ;

Vu l’article 575, alinéa 2, 3 et 4 du Code de procédure pénale ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 113-2, 113-5, 113-6, 113-7, 113-8, 321-4, 321-5 du Code pénal, 52, 203, 689 du Code de procédure pénale, ensemble de l’article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, défaut de réponse à conclusions, manque de base légale ;

“en ce que l’arrêt attaqué a jugé que le magistrat instructeur était incompétent pour informer sur le fond de la plainte en recel ;

“aux motifs que le délit de recel est, depuis la loi du 22 mai 1915, un délit autonome ; qu’en conséquence les éléments constitutifs de l’infraction d’extorsion dénoncée, tel que le pouvoir signé à Paris le 24 mai 1937, ne sont pas des éléments constitutifs de l’infraction de recel d’immeuble qui est situé à Karlsruhe, en Allemagne ; qu’en outre la qualité d’auteur de l’infraction principale d’extorsion exclut celle de receleur ; qu’en conséquence, le délit de recel n’est susceptible d’avoir été commis qu’à compter du 9 juin 1954, lors de la vente du bien par l’auteur désigné de l’extorsion, acquéreur initial de l’immeuble, la société BGV, à la société Haarfarben und Parfümerien GMBH ; qu’il résulte des pièces du dossier que cette vente s’est déroulée à Karlsruhe de même que la cession, le 20 juin 1991, par la société Haarkosmetic und Parfümerien anciennement Haarfarben und Parfümerien GMBH à la société VBL dont le siège social est à Karlsruhe ; qu’aux termes de l’article 113-2 du Code pénal, la loi pénale française est applicable aux infractions commises sur le territoire de la République dès lors que l’un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire ; qu’en conséquence, le lieu des cessions successives et de la prise de possession de l’immeuble, objet de l’infraction possible, se situant en Allemagne, la loi française n’est pas applicable aux faits de recel dénoncés ; que sur le produit du recel, soit le montant de la vente perçu par la société Haarkosmetic und Parfumerien le 20 juin 1991, qu’il a été perçu en Allemagne, lieu de la vente, et est détenu en Allemagne par la personne morale à Karlsruhe ; qu’en conséquence, la loi française n’est pas davantage applicable aux faits de recel du produit de la vente commis en Allemagne ; que par ailleurs, sur les faits de complicité susceptibles d’être reprochés aux dirigeants français ou allemands des sociétés allemandes et sur la complicité de la société française l’Oréal dont le siège est à Paris, qu’il résulte de l’article 113-5 du Code pénal que la loi pénale française est applicable à quiconque s’est rendu coupable sur le territoire de la République, comme complice, d’un crime ou d’un délit commis à l’étranger si le crime ou le délit est puni à la fois par la loi française et par la loi étrangère et s’il a été constaté par une décision définitive de la juridiction étrangère ; qu’il s’énonce des termes de la plainte que n’est intervenue aucune décision définitive d’une juridiction étrangère dont la saisine n’est pas alléguée, en sorte que la loi pénale française n’est pas applicable sur ce fondement ; qu’il résulte des articles 113-6, 113-7 et 113-8 du Code pénal que la loi pénale française est applicable à tout crime commis par un français hors du territoire de la République et dans certains cas à des délits commis par un français hors du territoire de la République ; qu’elle est également applicable à ces infractions lorsque la victime est française ; que toutefois, dans ces cas, la poursuite des délits ne peut être exercée qu’à la requête du ministère public qui doit être précédée d’une plainte de la victime ou de ses ayants droits ou d’une dénonciation officielle par l’autorité du pays où le fait a été commis ; qu’en l’espèce, la partie civile est, selon la plainte, de nationalité allemande et ne revendique pas la nationalité française ;

que la poursuite du délit de recel provenant de l’infraction d’extorsion devenue délictuelle n’est pas exercée à la requête du ministère public en sorte que la loi pénale française n’est pas applicable, en l’état, aux faits susceptibles de mettre en cause, en qualité d’auteur en Allemagne, des personnes physiques ou morales, de nationalité française et notamment la société l’Oréal France ; que sur la société française l’Oréal, que la partie civile soutient que cette dernière a perçu au titre des dividendes, partie du produit de la vente de l’immeuble effectué le 20 juin 1991 par sa filiale, la société Haarkosmetic und Parfumerien, dénommée en dernier lieu l’Oréal Deutschland ; que la société l’Oréal Deutschland est une personne morale et a un patrimoine distinct de la société mère, l’Oréal France ; qu’en conséquence, les sommes résultant de la réalisation d’immobilisations foncières ont intégré le seul patrimoine de la société allemande qui en est propriétaire ; que la distribution de dividendes qui est liée à son activité relève des dispositions régissant les rapports entre les actionnaires et la personne morale quant à la répartition du résultat en sorte que leur perception n’est pas susceptible de revêtir une qualification pénale à l’encontre de l’Oréal France et de ses dirigeants, en relation avec les faits dénoncés par la partie civile ; qu’en définitive, qu’à défaut de l’application de la loi pénale française conformément à l’article 689 du Code de procédure pénale, les règles prévues à l’article 52 du même code relatives à la compétence territoriale du juge d’instruction sont sans objet ;

“alors que, d’une part, est réputée commise sur le territoire de la République une infraction dont un des éléments constitutifs est caractérisé par un acte accompli en France ; que la juridiction française est compétente pour connaître des faits commis à l’étranger par un étranger dès lors que ces faits apparaissent comme indivisiblement liés à une infraction commise en France, et que cette dernière infraction a été le moyen de commettre l’autre, si bien qu’elle en constitue un élément constitutif ; que, comme l’avait montré Edith X… dans ses conclusions laissées sans réponse, l’extorsion de signature et de bien commise à Paris s’inscrivait dans le cadre de violences d’Etat mettant en oeuvre la vente fictive des biens immobiliers de la famille X…, et donc l’infraction de recel ; qu’il en résultait que l’extorsion de signature et de bien était liée indivisiblement au recel, et en constituait même la commission si bien que dès lors que la juridiction d’instruction s’était reconnue compétente pour statuer sur le crime d’extorsion de signature, elle ne pouvait, sans méconnaître les conséquences légales de ses propres constatations, refuser sa compétence pour instruire le recel connexe et même indivisible, sans priver sa décision de toute base légale ; et pour les mêmes motifs, a entaché sa décision d’un défaut de réponse aux conclusions ;

“et alors, d’autre part, que la continuité du recel est opposable à tous ceux qui, en connaissance de la provenance frauduleuse de la chose, ont bénéficié du produit d’un crime et d’un délit ; qu’Edith X…, dans ses conclusions laissées sans réponse, avait fait état de la continuité par les acquéreurs successifs du bien extorqué le 20 janvier 1938 d’une parfaite conscience de l’origine du bien, jusqu’à la vente en 1991, dont le prix avait bénéficié à l’Oréal Deutschland et sa maison mère, l’Oréal France ; qu’en se bornant, à ce moyen, à opposer l’indépendance de la personne morale de l’Oréal France avec sa filiale, sans se prononcer au regard de la conscience du profit retiré du recel, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale ; et pour les mêmes motifs, a entaché sa décision d’un défaut de réponse aux conclusions” ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation de l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme, et de l’article 1er du protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l’homme et, ensemble de l’article 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs et manque de base légale ;

“en ce que l’arrêt attaqué a jugé que le magistrat instructeur était incompétent pour informer sur le fond de la plainte en recel ;

“aux motifs que l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme ne saurait s’interpréter comme étant de nature a remettre en cause les règles relatives à la compétence territoriale du juge d’instruction ;

“alors que, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial qui décidera notamment des contestations sur ses droits en matière civile ;

qu’ainsi la chambre de l’instruction, qui, toute en constatant qu’il existait des présomptions graves, précises et concordantes de la commission à Paris dans les années 1937 et 1938 au préjudice de Fritz et Karl X… d’actes d’extorsion de signature et de bien immobilier situé en Allemagne en vue de son recel extérieur, a refusé sur le principe d’informer et d’effectuer quelconque investigation sur la connaissance par une société française de ces faits d’extorsion, et sur l’implication de cette société dans des agissements visant à faire bénéficier, par recel, une filiale allemande de ce crime, en vue d’en tirer elle-même en définitive profit, a privé l’héritière des victimes, partie civile, de son droit d’accès au juge pénal, violant l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme ;

“et alors que, pour les mêmes motifs, a méconnu le droit des victimes à agir en justice pour recouvrer la propriété d’un immeuble objet d’une spoliation par violence d’Etat et crime contre l’humanité, avec complicité privée dans le recel, violant l’article 1er du protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme” ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu’Edith X… a porté plainte et s’est constituée partie civile le 28 décembre 2001 en dénonçant le recel commis par les propriétaires successifs, notamment la société l’Oréal, d’un immeuble situé à Karlsruhe, que son père, réfugié en France pour fuir le régime nazi, avait été contraint de céder, à des conditions désavantageuses, en donnant, à Paris, en 1937, procuration à une tierce personne ;

qu’il était soutenu qu’en raison du lieu de la signature du pouvoir destiné à permettre l’aliénation du bien, cette “spoliation” relevait de la loi française et de la compétence du tribunal de Paris par application des articles 113-2 du Code pénal, 52 et 689 du Code de procédure pénale ;

Attendu que le juge d’instruction s’est déclaré territorialement incompétent pour instruire sur le recel commis en Allemagne, après avoir constaté que la prescription de l’action publique pour les faits d’extorsion faisait obstacle à une prorogation de sa compétence du second chef ;

Attendu que, pour confirmer la décision entreprise, l’arrêt énonce qu’aucun obstacle de droit ou de fait n’a, au moins depuis la fin de la seconde guerre mondiale, suspendu la prescription de l’action publique relativement aux faits d’extorsion de signature, infraction commise à Paris le 24 mai 1937 ;

que les juges retiennent que, le recel étant autonome, la signature de la procuration ne peut être regardée comme un des éléments constitutifs de cette infraction ; qu’ils relèvent que les faits susceptibles de recevoir la qualification de recel ont été commis à l’étranger et que les dispositions des articles 113-5, 113-6 et 113-7 du Code pénal rendant applicable la loi française à des infractions commises à l’étranger ne peuvent, en l’espèce, recevoir application ; qu’ils ajoutent enfin que l’éventuelle perception par la société l’Oréal France de dividendes provenant de sa filiale allemande, un temps propriétaire de l’immeuble, relève des rapports entre les actionnaires et la personne morale et ne sont pas susceptibles de revêtir une qualification pénale ;

Attendu qu’en l’état de ces motifs, exempts d’insuffisance comme de contradiction, les juges ont justifié leur décision sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées ;

Que, d’une part, contrairement à ce qui est allégué, l’extorsion de signature et de bien et le recel dudit bien constituent des infractions distinctes ;

Que, d’autre part, la demanderesse ne saurait se faire un grief de ce que l’arrêt ait refusé sa compétence malgré la connexité existant entre l’extorsion commise en France et le recel dénoncé dès lors que, l’action publique s’étant trouvée éteinte du premier chef avant le dépôt de la plainte pour recel, la partie civile ne pouvait invoquer une quelconque prorogation de compétence ;

Qu’enfin, c’est à bon droit que la chambre de l’instruction a décidé qu’en l’absence de la requête du ministère public exigée par l’article 113-8 du Code pénal, la poursuite était irrecevable en ce qu’elle visait le recel éventuellement commis à l’étranger par la société l’Oréal France ;

D’où il suit que les moyens ne peuvent qu’être écartés ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

 


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