Conclusions d’appel : 1 juin 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 22/05610

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Conclusions d’appel : 1 juin 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 22/05610

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 2

ARRÊT DU 01/06/2023

****

N° de MINUTE :

N° RG 22/05610 – N° Portalis DBVT-V-B7G-UT7M

& N° RG 22/5615

Ordonnances de référé (N° 2022/52 et 2022/72) rendues le 22 novembre 2022 par le tribunal de commerce d’Arras

– JOUR FIXE –

APPELANTE

SARL Velma prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

ayant son siège social, [Adresse 3]

représentée par Me Virginie Levasseur, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistée de Me Nicolas Monnot, avocat plaidant, substitué par Me Ugo Birchen, avocats au barreau de Paris

INTIMÉES

SAS Ignéo France (anciennement dénommée Weee Metallica) agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

ayant son siège social, [Adresse 6]

représentée par Me Stéphane Mons, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

SARL MCC Non-Ferrous Trading LLC, société par actions à responsabilité limitée régie par les dispositions du droit de l’Etat du Delaware (Etats-Unis d’Amérique), immatriculée dans l’Etat du Delaware, ayant son établissement principal sis [Adresse 1], Etats-Unis d’Amérique (USA), prise en la personne de son Chief Executive Officer, Monsieur [D] [C], domicilié en cette qualité audit siège,

ayant son siège social, [Adresse 2] Etats-unis d’Amérique

représentée par Me Loïc Le Roy, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistée de Me Louis de Gaulle et Me Anker Sorensen, avocats plaidant, substitués par Me Charlotte Buraux, avocats au barreau de Paris

Société Ignéo IP LLC prise en la personne de son CEO (Chief Executive Officier), M. [V] [J], domicilié en cette qualité audit siège

ayant son siège social, [Adresse 2] (USA)

représentée par Me Marie-Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistée de Me Xavier Près, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

DÉBATS à l’audience publique du 14 mars 2023 tenue par Nadia Cordier magistrat chargé d’instruire le dossier qui, après rapport oral de l’affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Samuel Vitse, président de chambre

Nadia Cordier, conseiller

Agnès Fallenot, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 1er juin 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Samuel Vitse, président et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

****

La Société Velma est une SARL dont l’activité principale consiste en la prise de participations dans toutes entités commerciales, financières, industrielles ou immobilières, en la gestion et en la valorisation de ces participations.

Elle est actionnaire minoritaire de la société Ignéo France (anciennement Weee metallica), SAS au capital constitué de 2 293 675 actions, dont l’activité principale consiste en la collecte, le tri, le broyage et le recyclage de déchets porteurs de métaux.

La société MCC Non-Ferrous trading LLC est une société par actions de droit américain, et jusqu’alors associé majoritaire d’Ignéo France.

La société Ignéo France est prestataire de MCC Non-Ferrous trading pour traiter des déchets électroniques. La valeur d’Ignéo France réside dans ses installations pour réaliser les process de recyclage et dans ses droits de propriété intellectuelle (brevets et savoir-faire).

L’assemblée générale extraordinaire du 29 septembre 2021, convoquée à l’initiative de la société Ignéo France (anciennement Weee metallica), avait pour objet d’étudier le transfert de la quasi-totalité des actions de MCC Non-Ferrous trading à la société Ignéo technologies, société de droit américain (résolution n°1), et la cession de certains droits de propriété intellectuelle de la société Ignéo France (anciennement Weee metallica) à la société MCC Non-Ferrous trading (résolution n°2).

Les résolutions présentées lors de cette réunion d’assemblée générale ont été approuvées.

Le 30 septembre 2021, la société MCC Non-Ferrous trading a apporté 2 250 000 de ses actions dans la société Ignéo France à la société américaine Ignéo technologies LLC, la société MCC Non-Ferrous trading ne conservant alors que 1,78 % de son capital.

Elle a ensuite cédé, le 11 juillet 2022, sa participation résiduelle à la société américaine Pedalpoint holdings LLC.

La société MCC Non Ferrous trading a obtenu en outre la cession des brevets et savoir- faire de la société Ignéo France dans le monde entier, à l’exception de ceux sur le territoire français, dès le 30 septembre 2021.

Elle a transféré par voie d’apport en nature ces mêmes droits à la société Ignéo IP LLC, laquelle est une société de droit américain, exerçant une activité de gestion des droits de propriété intellectuelle détenus par les sociétés qui composent le groupe américain Ignéo.

Initialement, seule la 2ème résolution concernant la cession de certains droits de propriété intellectuelle était contestée par la SARL Velma qui considère que la société MCC Non-Ferrous trading a commis un abus de majorité.

La SARL Velma a assigné les 9 et 15 décembre 2021 devant le tribunal de commerce d’Arras, les sociétés Ignéo France et MCC Non-Ferrous trading LLC en vue d’obtenir, sur le fond, 1’annulation de la délibération relative à cette 2ème résolution.

L’audience du fond fixée le 27 avril 2022 a été renvoyée. La société Velma a régularisé des conclusions en sollicitant désormais également l’annulation de la résolution n°1. Cette affaire sur le fond est toujours pendante.

En attendant qu’une décision sur le fond soit rendue, la société Velma a décidé d’assigner, par exploits en date des 11 et 18 mai 2022, la société Ignéo France (anciennement Weee metallica) et la société MCC Non-Ferrous trading LLC devant le juge des référés pour solliciter la suspension des effets de la résolution n°2 de l’assemblée générale du 29 septembre 2021, ainsi que la désignation d’un administrateur séquestre pour conserver les droits de propriété intellectuelle.

Par acte en date du 4 août 2022, la société Velma a également assigné en intervention forcée la société Ignéo IP LLC aux fins notamment de lui rendre commune l’ordonnance de référé à intervenir.

Aux termes de conclusions en date du 3 octobre 2022, la société Velma a sollicité du juge des référés arrageois l’obtention de mesures provisoires en vue de suspendre les effets tant de la seconde résolution que de la première résolution.

Par ordonnance contradictoire et en premier ressort en date du 22 novembre 2022, sur les assignations délivrées les 11 et 18 mai 2022, le juge des référés du tribunal de commerce d’Arras a statué en ces termes :

« Juge recevables les exceptions d’incompétence soulevée in limine litis par la Société MCC NON-FERROUS TRADING LLC et par la SAS IGNEO France,

Juge que les conclusions déposées par la Société MCC NON-FERROUS TRADING LLC dans le cadre de la présente procédure n’encourent aucun grief de nullité et sont recevables,

Déclare le Tribunal de Commerce d’ARRAS territorialement incompétent pour statuer sur les demandes de la société VELMA tendant à ce que soient ordonnées (i) la mise sous séquestre des brevets situés à l’étranger et (ii) la désignation d’un administrateur à effet de mettre en oeuvre ce séquestre,

Renvoie la société VELMA à mieux se pourvoir,

Déboute la SARL VELMA de ses demandes tendant à la nullité et à l’irrecevabilité des conclusions de la Société MCC NON-FERROUS TRADING LLC,

Déboute les parties, la SARL VELMA, la Société MCC NON-FERROUS TRADING LLC et la SAS IGNEO France, de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

Condamne la SARL VELMA aux entiers dépens de l’instance et du présent jugement, en ce compris les ‘ais et débours de greffe taxés et liquidés à la somme de 57,65 € ».

Par déclaration en date du 7 décembre 2022, la SARL Velma a interjeté appel de la décision, reprenant l’ensemble des chefs de la décision précitée, à l’exception de ceux ayant jugé que les conclusions déposées par la Société MCC Non-Ferrous trading LLC dans le cadre de la présente procédure n’encourent aucun grief de nullité et sont recevables, et débouté la SARL Velma de ses demandes tendant à la nullité et à l’irrecevabilité des conclusions de la Société MCC Non-Ferrous trading LLC.

Par ordonnance du 15 décembre 2022, le président de chambre, délégué à cet effet, a fait droit à la requête présentée le 7 décembre 2022 aux fins d’autoriser la société Velma à assigner à jour fixe les sociétés Ignéo France et MCC Non-Ferrous trading LLC, pour l’audience du 14 mars 2023.

Cet appel a été enregistré sous le RG N° 22-5610.

Par ordonnance contradictoire et en premier ressort en date du 22 novembre 2022, statuant sur l’intervention forcée régularisée le 4 août 2022 par la société Velma à l’encontre de la société Ignéo IP LLC, le juge des référés du tribunal de commerce d’Arras a statué en ces termes :

« Juge recevables les exceptions d’incompétence soulevée in limine litis par la Société IGNEO IP LLC,

Juge que les conclusions déposées par la la Société IGNEO IP LLC dans le cadre de la présente procédure n’encourent aucun grief de nullité et sont recevables,

Déclare le Tribunal de Commerce d’ARRAS territorialement incompétent, et renvoie la cause et les parties devant le tribunal judiciaire de PARIS pour statuer sur les demandes de la société VELMA,

Dit qu’à défaut d’appel dans le délai légal, le dossier sera transmis par le Greffe à la juridiction ci-dessus désignée ;

Déboute la SARL VELMA de ses demandes tendant à la nullité et à l’irrecevabilité des conclusions de la Société IGNEO IP LLC,

Déboute les parties, la SARL VELMA, la Société IGNEO IP LLC, de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

Condamne la SARL VELMA aux entiers dépens de l’instance et du présent jugement, en ce compris les frais et débours de greffe taxés et liquidés à la somme de 40,66 € ».

Par déclaration en date du 7 décembre 2022, la SARL Velma a interjeté appel de l’ensemble des chefs de la décision précitée, à l’exception de ceux l’ayant débouté de ses demandes tendant à la nullité et à l’irrecevabilité des conclusions de la Société Ignéo IP LLC, et ayant jugé que les conclusions déposées par la Société Ignéo IP LLC dans le cadre de la présente procédure n’encourent aucun grief de nullité et sont recevables.

Par ordonnance du 15 décembre 2022, le président de chambre, délégué à cet effet, a fait droit à la requête présentée le 7 décembre 2022 aux fins d’autoriser la société Velma à assigner à jour fixe la société Ignéo IP LLC, pour l’audience du 14 mars 2023.

Cet appel a été enregistré sous le RG n° 22-5615.

MOYENS ET PRÉTENTIONS :

I ‘ dans le dossier RG 22-5610

Par conclusions remises au greffe et adressées entre parties par voie électronique le 9 mars 2023, la SARL Velma demande à la cour de :

« Vu l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme,

Vu les articles 4, 74, 446-4, 696 et 700 du Code de procédure civile,

‘ Infirmer l’ordonnance de référé du Président du tribunal de commerce d’Arras du 22 novembre 2022 (n° 2022/52) en tant qu’elle a :

– « Jug[é] recevable les exceptions d’incompétence soulevée in limine litis par la Société MCC NON-FERROUS TRADING LLC et par la SAS IGNEO France,

– [‘]

– Déclar[é] le Tribunal de Commerce d’ARRAS territorialement incompétent pour statuer sur les demandes de la société VELMA tendant à ce que soient ordonnées (i) la mise sous séquestre des brevets situés à l’étranger et (ii) la désignation d’un administrateur à effet de mettre en ‘uvre ce séquestre,

– Renvo[yé] la société VELMA à mieux se pourvoir,

– [‘]

– Débout[é] les parties, la SARL VELMA, la Société MCC NON-FERROUS TRADING LLC et la SAS IGNEO France, de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

– Condamn[é] la SARL VELMA aux entiers dépens de l’instance et du présent jugement, en ce compris les frais et débours de greffe taxés et liquidés à la somme de 57,65 € » ;

Et statuant à nouveau,

‘ Déclarer les sociétés IGNEO FRANCE (anciennement WEEE METALLICA) et MCC NON-FERROUS TRADING irrecevables et en tout cas mal fondées en leurs demandes, fins et conclusions en cause d’appel,

‘ Débouter les sociétés IGNEO FRANCE (anciennement WEEE METALLICA) et MCC NON-FERROUS TRADING de leurs appels incidents,

En conséquence, à titre principal,

‘ Déclarer compétent le Président du Tribunal de commerce d’Arras pour statuer en référé sur l’ensemble des demandes formulées par la société VELMA à l’encontre des sociétés IGNEO FRANCE (anciennement WEEE METALLICA) et MCC NON-FERROUS TRADING aux termes de ses conclusions du 3 octobre 2022,

Subsidiairement,

‘ Déclarer compétent le Président du Tribunal de commerce d’Arras pour statuer en référé sur les demandes formulées par VELMA aux termes de ses conclusions du 3 octobre 2022 visant à :

o Ordonner la suspension des effets de la résolution litigieuse n° 2 et interdire en conséquence à IGNEO FRANCE de procéder à la cession à MCC NON-FERROUS TRADING des brevets litigieux ainsi que du droit d’exploiter son savoir-faire dans le monde entier, à l’exception de la France, et

o Ordonner la suspension des effets de la résolution litigieuse n° 1 et ordonner la mise sous séquestre des 2 250 000 actions que MCC NON-FERROUS TRADING détenait dans le capital d’IGNEO FRANCE, En tout état de cause,

‘ Débouter les sociétés IGNEO FRANCE (anciennement WEEE METALLICA) et MCC NON-FERROUS TRADING de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions en cause d’appel,

‘ Renvoyer toutes les parties devant le Président du Tribunal de commerce d’Arras afin que l’instance en référé se poursuive, conformément aux dispositions de l’article 86 du Code de procédure civile,

‘ Condamner in solidum les sociétés IGNEO FRANCE (anciennement WEEE METALLICA) et MCC NON-FERROUS TRADING à payer à la société VELMA la somme de 10.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile,

‘ Condamner in solidum les sociétés IGNEO FRANCE (anciennement WEEE METALLICA) et MCC NON-FERROUS TRADING aux entiers dépens de première instance et d’appel. ».

Elle soutient que :

– la société Ignéo France était maintenue artificiellement dans une situation de dépendance commerciale et financière complète à l’égard de son actionnaire majoritaire, la société MCC Non-Ferrous trading, qui a fait le choix de financer le déficit d’exploitation de sa filiale par des apports en compte courant d’associé ;

– cette situation était délibérée et visait à permettre à la société MCC Non-Ferrous trading d’appréhender les droits de propriété intellectuelle de sa filiale en contrepartie d’une créance abusive et dépourvue de toute cause (puisque procédant d’un refus non justifié d’exploitation et de réalisation de chiffre d’affaires), de façon à mieux les exploiter à l’étranger pour son propre compte sans que les recettes d’exploitation y afférentes soient assujetties à l’impôt en France, ce qui concrétise un acte anormal de gestion aussi bien sur le plan sociétaire que sur le plan fiscal ;

– l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la société Ignéo France a adopté la première et la deuxième résolutions agréant ainsi le transfert de la quasi-totalité des actions de la société MCC Non-Ferrous trading à la société Ignéo technologies et approuvant la cession de la plupart des droits de propriété intellectuelle à la société MCC Non-Ferrous trading, malgré le vote « contre » de la totalité de ses actionnaires minoritaires, le résultat de ce vote ayant été rendu possible en raison du fait que la société MCC Non-Ferrous trading détient à elle seule la majorité absolue des droits de vote de la société Ignéo France ;

– la décision du tribunal sur l’abus de majorité commis en date du 1er mars 2023 a fait l’objet d’un appel et la société Velma a toutes les raisons de croire que la société Ignéo France (anciennement Weee metallica) procède au transfert effectif de la quasi-totalité de ses droits de propriété intellectuelle à la société MCC Non-Ferrous trading alors même que lesdits droits sont manifestement litigieux.

Elle conclut à l’irrecevabilité des exceptions d’incompétence soulevées par les sociétés Ignéo France et MCC Non-Ferrous trading, aux motifs que l’exception n’a pas été soulevée avant toute défense au fond, la société Ignéo France ayant soulevé l’exception d’incompétence pour la première fois dans ses conclusions communiquées le 21 septembre 2022 tandis qu’elle ne l’évoquait pas dans ses conclusions du 16 juin 2022 alors que la société MCC Non-Ferrous trading l’a soulevée dans ses conclusions du 22 septembre 2022 et non dans celles du 17 juin 2022 et du 2 septembre 2022, ce que la société MCC Non-Ferrous trading reconnaît d’ailleurs dans ses conclusions du 22 septembre 2022.

Elle soutient que l’exception n’est de toute façon pas fondée, précisant que :

– s’agissant de la compétence internationale du juge français pour ordonner des mesures conservatoires qui pourraient être exécutées dans des États membre de l’Union européenne, la Cour de justice juge depuis un célèbre arrêt Van Uden que la compétence au fond entraîne compétence pour prononcer des mesures provisoires et/ou conservatoires, la convention de Lugano de 2007 permettant cette même solution pour la Suisse, à ceci près que la décision française devrait se voir conférer l’exequatur par le juge suisse pour être exécutée en Suisse (art. 38) ;

– concernant les autres États, la doctrine considère que l’emprise de la territorialité semble se desserrer, de sorte qu’il n’est plus exclu que le juge du for puisse autoriser des mesures conservatoires sur des biens sis à l’étranger, encore faut-il toutefois que l’objet du litige déterminé par les prétentions des parties relève de la compétence internationale du juge français ;

– la demande de suspension d’une résolution d’assemblée générale de la société de droit français Ignéo France vise par conséquent à produire un effet dans le ressort du tribunal de commerce d’Arras dans le cadre d’un litige à caractère national ;

– le juge français, en tant que juge compétent au fond, est non seulement compétent pour connaître de l’action en nullité des résolutions litigieuses de l’assemblée générale de la société Ignéo France, mais également pour ordonner la mise sous séquestre des brevets enregistrés dans différents États étrangers, qui en est l’accessoire, la société Velma devant uniquement obtenir l’exequatur de cette décision dans les États non membres de l’Union européenne et aucun principe de droit international public n’étant transgressé.

Elle pointe qu’il n’a jamais été contesté que le juge français était compétent :

‘ d’une part, pour ordonner la suspension des effets de la résolution litigieuse n° 2 et pour interdire en conséquence à la société Ignéo France de procéder à la cession à la société MCC Non-Ferrous trading des brevets litigieux ainsi que du droit d’exploiter son savoir-faire dans le monde entier, à l’exception de la France ;

‘ d’autre part, pour ordonner la suspension des effets de la résolution litigieuse n° 1 et pour ordonner la mise sous séquestre des 2 250 000 actions que la société MCC Non-Ferrous trading détenait dans le capital de la société Ignéo France, ces mesures ayant pourtant été demandées par la société Velma dans ses conclusions et le premier juge n’ayant pas statué sur toutes les demandes.

La société Velma souligne avoir sollicité des mesures provisoires dans le but de préserver les droits de la société Ignéo France (anciennement Weee metallica) ainsi que ceux des actionnaires minoritaires dans l’attente de la décision du tribunal sur le fond et la validité de l’assemblée générale du 29 septembre 2021 ayant autorisé la cession des droits de propriété intellectuelle litigieux.

Il ne saurait lui être reproché d’avoir exercé cette action dans l’unique objectif de se prémunir face au risque de transfert à l’étranger des actifs incorporels de la société Ignéo France. Son action en référé ne saurait donc être qualifiée d’abusive.

Elle précise en outre que même si les sociétés Ignéo France et MCC Non-Ferrous trading soutiennent respectivement dans leurs conclusions que la cession des brevets litigieux aurait déjà eu lieu et que lesdits brevets ont immédiatement fait l’objet d’un second transfert à la société Ignéo IP, ces cessions n’apparaissaient ni dans les registres de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, ni dans ceux de l’Office européen des brevets le 30 août 2022. Ces registres laissent au contraire apparaître que c’est toujours la société Wee metallica (ou Terra Nova, son ancienne dénomination) qui est titulaire de l’ensemble des brevets litigieux. Vis-à-vis des tiers, la société Ignéo France est toujours titulaire des brevets et a seule qualité pour les exploiter ou agir sur leur fondement.

Enfin, elle rappelle que le prononcé de l’amende civile prévue par l’article 32-1 du code de procédure civile relève du seul office du juge et que la demande formée à ce titre par MCC Non-Ferrous trading dans ses conclusions est donc irrecevable. L’amende civile ne pourrait pas être prononcée d’office dans la mesure où son action en référé n’est pas abusive.

Par conclusions remises au greffe et adressées entre parties par voie électronique le 23 février 2023, la société Ignéo France demande à la cour de :

« Vu le principe d’indépendance et de souveraineté respective des Etats,

Vu les articles 860-1 du CPC, 446-1 et suivants du CPC, 606 du CPC et 700 du CPC

Vu l’absence de mise en état ordonné par le Président du tribunal de commerce,

Vu la jurisprudence,

CONFIRMER l’ordonnance en date du 22 novembre 2022 en ce qu’elle a :

Jugé recevables les exceptions d’incompétence soulevées in limine litis par la société MCC NON- FERROUS TRADING LLC et par la SAS IGNEO France,

Déclaré le Tribunal de Commerce d’ARRAS territorialement incompétent pour statuer sur les demandes de la société VELMA tendant à ce que soient ordonnées (i) la mise sous séquestre des brevets situés à l’étranger et (ii) la désignation d’un administrateur à effet de mettre en ‘uvre ce séquestre,

Renvoyé la société VELMA à mieux se pourvoir,

Condamné la SARL VELMA aux entiers dépens de l’instance et du présent jugement, en ce compris les frais et débours de greffe taxés et liquidés à la somme de 57,65 €.

INFIRMER l’ordonnance en ce qu’elle a :

Débouté les parties, la société MCC NON-FERROUS TRADING LLC et la SAS IGNEO France, de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

Et statuant à nouveau,

Condamner la société VELMA à payer à la société IGNEO FRANCE la somme de 100 000 EUR à titre de dommage et intérêts,

Condamner la société VELMA à payer à la société IGNEO FRANCE la somme de 10 000 EUR en application de l’article 700 du CPC,

Condamner la société VELMA aux entiers dépens de première instance et d’appel ».

La société Ignéo France rappelle qu’ :

– elle n’a jamais réalisé de résultats d’exploitation bénéficiaires depuis sa constitution et dispose d’une dette en compte courant conséquente à l’égard de la société MCC Non-Ferrous trading ;

– les brevets qu’elle détenait ne généraient aucun revenu et elle n’était ni en mesure de les exploiter sur son site à [Localité 4], ni en capacité de développer son activité à l’étranger ;

– la cession des brevets a été réalisée à bref délai et les formalités de cession des brevets ont été effectuées par la société Novagraaf, cabinet de conseil en brevet et marque ;

– les droits de propriété ont été ainsi cédés par la société Ignéo France à la société MCC Non-Ferrous trading LLC, laquelle les a in fine apportés à la société de droit américain Ignéo IP LLC.

La société Ignéo France estime que la cour devra constater l’incompétence du juge français, et notamment du juge des référés d’Arras, pour prononcer l’interdiction du droit d’exploitation du savoir-faire et le séquestre des brevets, mesures devant s’appliquer dans le monde entier, à l’exception de la France.

Le juge français, sauf convention internationale, ne peut ordonner ou autoriser une mesure conservatoire devant être accomplie dans un État étranger, les mesures d’exécution forcée ou conservatoire ayant un caractère territorial très marqué. Ce principe trouve son fondement dans l’indépendance et la souveraineté respective des États.

Il en découle que le juge français des référés n’est compétent que si la condamnation peut être exécutée sur le territoire français. Il ne peut être argué de l’article 14 du code civil.

La société Ignéo France précise en outre qu’une mise sous séquestre auprès de l’Office européen des Brevets (OEP) et l’Office mondial de la propriété intellectuelle (OMPI/WIPO) est en outre matériellement impossible.

Elle pointe que la demande de la société Velma tend à demander au juge de l’évidence qu’il mette à néant une cession de brevets régulièrement intervenue, conformément à la loi américaine, entre deux sociétés américaines.

La société Ignéo France réfute toute irrecevabilité des exceptions d’incompétence soulevées, aux motifs que :

– la procédure devant le tribunal de commerce est orale et avant l’entrée en vigueur de la réforme issue du décret 2010-1165 du 1er octobre 2010, il était de jurisprudence constante qu’au regard du principe de l’oralité des débats, les écritures échangées préalablement par les parties n’empêchaient pas la présentation orale, le jour de l’audience, d’une exception d’incompétence qui n’avait pas été soulevée préalablement dans les écritures de cette partie ;

– le régime, introduit par l’article 446-1 du code de procédure civile, instaure une mise en état optionnel, à la discrétion du juge et des parties, qui consiste en la mise en place d’un calendrier de procédure ;

– la mise en état prévue par l’article 446-2 du code de procédure civile rend l’article 446-4 applicable, et le juge des référés du tribunal de commerce d’Arras n’a aucunement organisé, lors de la première audience d’évocation du dossier, le 21 juin 2022, de mise en état, accédant simplement à la demande de renvoi formulée par la société Velma.

Aux arguments de la société Velma pour s’opposer à l’incompétence du tribunal de commerce, elle réplique que :

– le règlement (UE) n°1215/2012 dont se prévaut la société Velma a une portée limitée (pas les défendeurs et/ou les pays extra-européens), tout comme la convention de Lugano (Confédération suisse, Communauté européenne, Royaume du Danemark, de Norvège et la République d’Islande) ;

– l’arrêt Van Uden subordonne l’autorisation à prononcer des mesures à leur caractère provisoire et limité dans le temps, ce qui en l’occurrence fait défaut puisque la demande de mise sous séquestre est envisagée jusqu’à ce qu’une décision définitive de la Cour de cassation soit rendue, soit vraisemblablement dans 7 à 10 ans ;

– cet arrêt envisage la compétence du juge qui est le mieux à même d’apprécier les circonstances qui peuvent amener à octroyer ou refuser les mesures sollicitées, impose l’existence d’un lien de rattachement réel entre l’objet des mesures sollicitées et la compétence territoriale de l’État du juge ;

– la jurisprudence française considère que le lien de rattachement réel n’existe que lorsque la mesure est destinée à être exécutée sur le territoire français, ce qui n’est pas le cas en l’espèce ;

– les brevets sont détenus par une société de droit américain Ignéo IP et le séquestre n’est sollicité que pour les brevets détenus hors de France ;

– cette position est d’ailleurs celle adoptée dans le cadre du projet de code français de droit international privé du 31 mars 2022.

La société Ignéo France fait valoir que l’action initiée par la société Velma apparaît clairement, sous des aspects faussement conservatoires, comme une mesure destinée à entraver durablement l’activité, le développement et les capacités financières de la société Ignéo France et par suite la pérennité de l’emploi des 54 salariés qui y travaillent. La société Velma ne détient que 0,34 % de ses titres et cette action engagée 8 mois après la résolution critiquée, et une fois cette dernière intégralement exécutée ne vise qu’à nuire à ses intérêts. La société Ignéo France souligne que la société Velma est désormais son dernier associé minoritaire.

Par conclusions remises au greffe et adressées entre parties par voie électronique le 13 mars 2023, la société MCC Non-Ferrous trading LLC demande à la cour de :

« Vu l’article 918 du Code de procédure civile,

Vu les articles 15 et 16 du Code de procédure civile,

Vu les articles 74 et 446-1 du Code de procédure civile,

Vu les articles 75 et 81 du Code de procédure civile,

Vu les articles 63 et suivants du Code de procédure civile,

Vu le Règlement n°1215/2012 du Parlement Européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Règlement « Bruxelles I Bis »,

Vu la Convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale du 30 octobre 2007, dite « Convention de Lugano » ;

Vu l’article 1240 du Code civil,

Vu l’article 32-1 du Code de procédure civile,

Vu l’article 700 du Code de procédure civile,

Vu les présentes conclusions,

Vu les pièces versées aux débats par la société MCC NON-FERROUS TRADING LLC,

(‘)

Juger et déclarer irrecevables les demandes formulées à titre subsidiaire après la société VELMA ;

Confirmer l’ordonnance de référé rendue par le Président près le Tribunal de commerce d’Arras le 22 novembre 2022 (n°2022/52) en ce qu’elle a :

– Jugé recevables les exceptions d’incompétence soulevées in limine litis par la société MCC Non-Ferrous Trading, LLC et par la société Igneo France ;

– Déclaré le Tribunal de commerce d’Arras territorialement incompétent pour statuer sur les demandes de la société VELMA tendant à ce que soient ordonnées (i) la mise sous séquestre des brevets situés à l’étranger et (ii) la désignation d’un administrateur à effet de mettre en ‘uvre ce séquestre ;

– Renvoyé la société VELMA à mieux se pourvoir ;

– Débouté la société VELMA de ses demandes autres, plus amples ou contraires ;

– Condamné la société VELMA aux entiers dépens de l’instance et de l’ordonnance.

Y ajoutant :

Condamner la société VELMA au paiement d’une amende civile ;

Condamner la société VELMA aux entiers dépens de l’appel.

Mais :

Infirmer l’ordonnance de référé rendue par le Président près le Tribunal de commerce d’Arras le 22 novembre 2022 (n°2022/52) en ce qu’elle a débouté la société MCC Non-Ferrous Trading, LLC et la société Igneo France de leurs autres demandes, plus amples ou contraires ;

Statuant à nouveau

Condamner la société VELMA à payer à la société MCC NON-FERROUS TRADING LLC la somme de 50.000 à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Condamner la société VELMA à payer à la société MCC NON-FERROUS TRADING LLC la somme de 30 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

En tout état de cause

Débouter la société VELMA de tous ses moyens, demandes, fins et prétentions ».

La société MCC Non-Ferrous trading LLC rappelle qu’ :

– elle a été un temps l’actionnaire majoritaire et de référence de la société Ignéo France, avant d’en devenir un actionnaire minoritaire à compter du 30 septembre 2021, puis de ne plus être actionnaire, à la suite de la cession en date du 11 juillet 2022 ;

– M. [S], gérant de la société Velma, connaît en sa qualité d’ancien dirigeant de la société Ignéo France, parfaitement cette dernière société et les difficultés financières qu’elle a rencontrées depuis sa création en 2014, ainsi que les difficultés qu’il tente de mettre désormais sur son compte ;

– la présente action s’inscrit dans le cadre d’une stratégie judiciaire menée de façon abusive depuis 2020 par la société Velma, qui a multiplié les contentieux à son encontre, lesquels se sont manifestement soldés par des défaites ;

– la société Ignéo France rencontre des difficultés financières depuis sa création, ce qui rend nécessaire un retour à une autonomie financière, à laquelle la cession de certains droits de propriété intellectuelle a contribué ;

– la société Ignéo France, à la suite de la cession, est restée propriétaire du brevet français et détentrice du savoir-faire pour une utilisation et une exploitation en France, la valorisation des droits de propriété cédés ayant été effectuée à dire d’expert ;

– le 30 septembre 2021, les droits internationaux de propriété intellectuelle cédés ont été apportés in fine à la société Ignéo IP qui est à ce jour la seule propriétaire et/ou titulaire de ces droits ;

– le groupe américain Ignéo a fait l’objet, en juillet 2022, d’un rachat par le groupe coréen « Korea Zinc », via une prise de participation majoritaire dans la holding faîtière du groupe Ignéo, la société Ignéo Holdings, société faîtière du groupe américain Ignéo.

Elle soulève l’irrecevabilité des demandes formulées à titre subsidiaire par la société Velma, dans ses conclusions en réponse signifiées le 9 mars 2023 au soir – soit deux jours ouvrés avant l’audience-, aux motifs que :

– ces demandes, qui ne figuraient pas dans la requête déposée par la société Velma, ne répondent pas aux arguments développés par l’intimée dans ses conclusions en réponse ;

– suivant le principe de concentration des prétentions et des moyens en matière d’appel à jour fixe, soumis aux dispositions des articles 917 et suivants du code de procédure civile, l’appelant ne peut que conclure en réponse aux conclusions de son adversaire, sans pouvoir présenter de prétentions ou moyens non contenus dans sa requête ;

– en tout état de cause, la société Velma a violé les dispositions de l’article 15 du code de procédure civile, puisqu’elle était tenue de faire connaître ses moyens de fait et de droit en temps utiles ;

– société de droit étranger, elle a reçu l’assignation à jour fixe le 17 janvier 2023 et conclu le 1er mars 2023, soit deux semaines avant l’audience des plaidoiries, et la société Velma a signifié ses conclusions en réponse le 9 mars suivant, dans la soirée, soit deux jours ouvrés avant l’audience, ce qui constitue un comportement procédural contraire au principe du contradictoire et justifie de plus fort l’irrecevabilité de ses prétentions formulées à titre subsidiaire.

La société MCC Non-Ferrous trading LLC rétorque à l’irrecevabilité opposée à l’exception d’incompétence soulevée que :

– en matière de procédure orale, le dépôt de conclusions au fond avant l’audience des plaidoiries n’interdit pas au plaideur de soulever par la suite à l’audience une exception de procédure in limine litis ;

– la procédure de référé étant une procédure dite « orale », elle était parfaitement recevable à soulever à l’audience des plaidoiries devant le juge des référés l’incompétence de la juridiction, nonobstant le dépôt antérieur de conclusions ne faisant pas initialement référence à cette exception ;

– l’article 446-4 du code de procédure civile, invoqué par la société Velma, n’est applicable que dans deux hypothèses strictement limitées qui n’ont pas en l’espèce été mises en ‘uvre ;

– même à considérer, pour les seuls besoins du raisonnement, que ce « calendrier » fixé le 27 septembre 2022 de façon informelle par le président -sans du reste avoir jamais fait référence à l’article 446-2 du code de procédure civile-, puisse relever d’une « organisation des échanges entre les parties comparantes » au sens de cette disposition, ce qui n’est pas établi, l’exception d’incompétence soulevée n’en serait pas pour autant irrecevable, l’exception ayant en effet été soulevée dans des conclusions antérieures à cette audience, déposées le 22 septembre précédent, puis réitérée aux termes de conclusions déposées ultérieurement conformément au calendrier ;

– en matière internationale les dispositions de l’article 75 du code de procédure civile imposant la désignation de la juridiction compétente ne sont pas applicables.

La société MCC Non-Ferrous trading LLC soutient que :

– le juge des référés français n’est pas compétent pour ordonner des mesures provisoires ou conservatoires sur des biens situés à l’étranger ;

– la règle découle tant d’une exigence d’efficacité que du principe de respect de l’indépendance et de la souveraineté des États ;

– les textes et la jurisprudence invoqués par la société Velma contredisent précisément sa thèse et confirment l’absence de compétence du juge des référés français en l’espèce ;

– la décision « Van Uden » confirme que l’octroi de mesures provisoires et conservatoires est subordonné à l’existence d’un lien de rattachement réel entre l’objet des mesures sollicitées et la compétence territoriale de l’État du juge saisi ;

– le « lien de rattachement réel » requis fait précisément défaut dans la mesure où les droits de propriété intellectuelle concernés sont inscrits dans des pays étrangers et sont détenus par la société Ignéo IP, société enregistrée dans l’État du Delaware, qui n’est au demeurant pas partie à la présente procédure ;

– les textes invoqués (règlement européen et convention de Lugano) prévoit pour les litiges en matières d’inscription ou de validité des brevets la compétence de l’État membre sur le territoire duquel le dépôt ou l’enregistrement a été demandé, effectué, ou a été réputé effectué, la sanction de la violation de cette règle de compétence étant le refus de reconnaissance de la décision concernée dans les autres États membres ou en Suisse.

La société MCC Non-Ferrous trading LLC revient sur l’attitude procédurale de la société Velma, et conclut à l’existence d’un abus du droit d’ester en justice. Elle souligne qu’une recherche élémentaire préalablement à la mise en ‘uvre de son action aurait permis à la société Velma de constater l’absence d’objet, depuis des mois, des demandes formulées dans le cadre de ce référé, cette procédure ayant de toute évidence été initiée pour des raisons parfaitement étrangères aux allégations fantaisistes qui y sont développées.

Son conseil avait informé officiellement la société Velma de ces transferts. La société Velma instrumentalise la justice dans le seul dessein de lui nuire.

La société MCC Non-Ferrous trading LLC rappelle que le prononcé d’une amende civile n’est pas exclusif de l’indemnisation de la partie victime de l’action abusive et appelle de ses v’ux une condamnation sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile

II- dans le dossier 22-5615

Par conclusions remises au greffe et adressées entre parties par voie électronique le 10 mars 2023, la SARL Velma demande à la cour de :

« Vu l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme,

Vu les articles 4, 696 et 700 du Code de procédure civile,

Vu l’article L. 615-17 du Code de la propriété intellectuelle,

Vu l’article D. 211-6 du Code de l’organisation judiciaire,

(..)

‘ Infirmer l’ordonnance de référé du Président du Tribunal de commerce d’Arras du 22 novembre 2022 (n° 2022/72) en tant qu’elle a :

‘ « Jug[é] recevable l’exception d’incompétence soulevée in limine litis par la Société IGNEO IP LLC,

‘ [‘]

‘ Déclar[é] le Tribunal de Commerce d’ARRAS incompétent, et renvo[yé] la cause et les parties devant le Tribunal Judiciaire de PARIS pour statuer sur les demandes de la société VELMA,

‘ Dit qu’à défaut d’appel dans le délai légal, le dossier sera transmis par le Greffe à la juridiction ci-dessus désignée ;

‘ [‘]

‘ Débout[é] les parties, la SARL VELMA et la Société IGNEO IP LLC, de leurs demandes autres plus amples ou contraires ;

‘ Condamn[é] la SARL VELMA aux entiers dépens de l’instance et du présent jugement, en ce compris les frais et débours de greffe taxés et liquidés à la somme de 40,66 € ».

Et statuant à nouveau,

‘ Déclarer la société IGNEO IP, LLC irrecevable et en tout cas mal fondée en son exception d’incompétence,

‘ Débouter la société IGNEO IP LLC de son appel incident,

En conséquence, à titre principal,

‘ Déclarer compétent le Président du Tribunal de commerce d’Arras pour statuer en référé sur l’ensemble des demandes formulées par la société VELMA à l’encontre de la société IGNEO IP, LLC aux termes de ses conclusions du 3 octobre 2022,

Subsidiairement,

‘ Déclarer compétent le Président du Tribunal de commerce d’Arras pour statuer en référé sur les demandes formulées par VELMA aux termes de ses conclusions du 3 octobre 2022 visant à :

o Ordonner la suspension des effets de la résolution litigieuse n°2 et interdire en conséquence à IGNEO FRANCE de procéder à la cession à MCC NON-FERROUS TRADING des brevets litigieux ainsi que du droit d’exploiter son savoir-faire dans le monde entier, à l’exception de la France, et

o Ordonner la suspension des effets de la résolution litigieuse n° 1 et ordonner la mise sous séquestre des 2 250 000 actions que MCC NON-FERROUS TRADING détenait dans le capital d’IGNEO FRANCE, En tout état de cause,

‘ Débouter la société IGNEO IP LLC de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions en cause d’appel,

‘ Renvoyer toutes les parties devant le Président du Tribunal de commerce d’Arras afin que l’instance en référé se poursuive, conformément aux dispositions de l’article 86 du Code de procédure civile,

‘ Condamner la société IGNEO IP, LLC à payer à la société VELMA la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile,

‘ Condamner la société IGNEO IP, LLC aux entiers dépens de première instance et d’appel ».

La société Velma conclut à la compétence du juge des référés du tribunal de commerce d’Arras, aux motifs que :

– l’article L. 615-17 du code de la propriété intellectuelle ne concerne que « les actions civiles et les demandes relatives aux brevets d’invention », lequel, malgré une formulation semblant générale, n’attribue de compétence exclusive au tribunal judiciaire qu’en matière d’actions en nullité et en contrefaçon ainsi qu’en matière de contentieux des inventions de salariés et de la titularité, ce qui constitue une exception qui ne peut qu’être d’interprétation stricte ;

– son action principale initiée dans le cadre de ce contentieux est relative à la nullité de résolutions adoptées par l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la société Ignéo France, la procédure en référé n’ayant vocation qu’à suspendre les effets desdites résolutions dans l’attente que le tribunal de commerce d’Arras statue au fond ;

– malgré des développements superfétatoires de la société Ignéo IP LLC affirmant que l’application de règles spéciales en matière de brevet est nécessaire, le présent contentieux ne porte pas sur une question de propriété intellectuelle relative à des brevets, s’agissant d’un contentieux entre actionnaires d’une société française, Ignéo France, relative à la validité d’une assemblée générale et à la suspension des résolutions adoptées relevant de la compétence du tribunal de commerce d’Arras ;

– en tout état de cause, elle ne prétend pas agir en qualité de titulaire des droits litigieux, mais en qualité d’actionnaire minoritaire de la société Ignéo France qui les a cédés à MCC Non-Ferrous trading.

Elle conteste tout caractère abusif aux actions intentées par ses soins. Elle a exercé son action en référé dans l’unique objectif de se prémunir face au risque de transfert à l’étranger des actifs incorporels de la société Ignéo France. Elle n’avait d’autre choix que d’assigner également la société Ignéo IP pour que la décision à intervenir entre les parties principales lui soit opposable, le délai entre l’audience de juin et l’assignation en intervention forcée étant lié à la traduction nécessaire des actes.

Par conclusions remises au greffe et adressées entre parties par voie électronique le 10 mars 2023, la société Ignéo IP LLC demande à la cour de :

« Vu les articles 32, 77, 333, 699, 700, 872 et 873 Code de procédure civile,

Vu les articles L. 613-9, L. 615-17 et R. 613-55 du Code de la propriété intellectuelle,

Vu l’article D. 211-6 du Code de l’organisation judiciaire,

Vu l’article 1240 du Code civil,

Vu la jurisprudence citée aux présentes,

(…)

‘ CONFIRMER l’ordonnance du 22 novembre 2022 du Président du Tribunal de commerce d’Arras en ce qu’elle a « jugé recevable l’exception d’incompétence soulevée in limine litis par la Société IGNEO IP LLC » ;

‘ CONFIRMER l’ordonnance du 22 novembre 2022 du Président du Tribunal de commerce d’Arras en ce qu’elle a déclaré « le Tribunal de Commerce d’ARRAS incompétent » et a renvoyé « la cause et les parties devant le Tribunal Judiciaire de PARIS pour statuer sur les demandes de la société VELMA » ;

‘ CONFIRMER l’ordonnance du 22 novembre 2022 du Président du Tribunal de commerce d’Arras en ce qu’elle a débouté la SARL VELMA « de (ses) demandes autres, plus amples ou contraires » ;

‘ CONFIRMER l’ordonnance du 22 novembre 2022 du Président du Tribunal de commerce d’Arras en ce qu’elle a condamné la SARL VELMA « aux entiers dépens de l’instance et du présent jugement, en ce compris les frais et débours de greffe taxés et liquidés à la somme de 40,66€ » ;

‘ INFIRMER l’ordonnance du 22 novembre 2022 du Président du Tribunal de commerce d’Arras en ce qu’elle a débouté IGNEO IP LLC de ses demandes en dommages et intérêts pour procédure abusive ;

‘ INFIRMER l’ordonnance du 22 novembre 2022 du Président du Tribunal de commerce d’Arras en ce qu’elle a débouté IGNEO IP LLC de ses demandes formées au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

En conséquence et statuant à nouveau des chefs infirmés :

‘ JUGER irrecevables les nouvelles demandes formées par la société VELMA à titre subsidiaire au motif qu’il s’agit de demandes nouvelles ;

‘ DEBOUTER la société VELMA de l’ensemble de ses moyens, demandes, fins et conclusions en cause d’appel ;

‘ CONDAMNER la société VELMA à payer à la société IGNEO IP LLC la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Et en tout état de cause :

‘ CONDAMNER la société VELMA à payer à la société IGNEO IP LLC la somme de 30 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, comprenant les frais irrépétibles de la première instance et d’appel ;

‘ CONDAMNER la société VELMA aux entiers dépens d’appel ».

La société Ignéo IP LLC rappelle que :

– l’action en référé visait initialement deux autres sociétés, les sociétés MCC Non-Ferrous trading LLC et Ignéo France, puisqu’elle a été assignée que dans un second temps, en intervention forcée par la société Velma ;

– l’action en référé, engagée plus de 7 mois après l’assignation au fond, visait initialement la résolution n°2 de l’assemblée générale des actionnaires de la société Ignéo France avant d’être étendue à la résolution n° 1 de la même assemblée du 29 septembre 2021 ;

– les résolutions litigieuses concernent des droits de propriété intellectuelle, contentieux dévolu à des juridictions spécialisées ayant compétence exclusive ;

– les mesures sollicitées sont en tout état de cause sans objet, puisque la cession des droits de propriété intellectuelle a déjà été réalisée, de sorte qu’il n’y a lieu à référé ni sur le fondement de l’article 872 du code de procédure civile, ni sur celui de l’article 873 du même code ;

– s’agissant des demandes nouvelles de la société Velma sur la résolution n° 1, cette dernière prend soin de rappeler qu’elles ne la concernent pas.

La société Ignéo IP LLC conclut à la compétence exclusive de la juridiction spécialisée de [Localité 5] en matière de brevets, laquelle comprend la connaissance des actions impliquant l’examen de l’existence ou de la méconnaissance d’un droit attaché à un brevet, les actions tendant à contester la validité d’une cession d’un brevet et les litiges portant sur la propriété d’un brevet.

Il en va de même des mesures provisoires relatives à des brevets d’invention qui dès lors qu’elles peuvent donner lieu à des incidents impliquant des règles spécifiques à la technique des brevets, relèvent de la compétence exclusive du juge des brevets.

Contrairement à ce qu’allègue la société Velma, la compétence exclusive du juge des brevets n’est aucunement réservée aux actions initiées par le titulaire du droit attaché à un brevet.

On ne peut utilement lui opposer l’article 333 du code de procédure civile, l’obligation de procéder en justice devant la juridiction saisie ne s’imposant au tiers mis en cause que si la contestation ne porte que sur la compétence territoriale, de sorte que celui-ci est libre de décliner la compétence d’attribution de la juridiction.

La société Ignéo IP LLC revient sur le fait qu’il est ainsi demandé d’intervenir sur l’objet même de la résolution en cause, et in fine de geler le transfert des droits sur les brevets dans le monde entier (à l’exception de la France). Il en est a fortiori de même des demandes consécutives à interdire la cession, et qui ont trait directement aux prérogatives reconnues au propriétaire d’un brevet. Ces mesures sont donc susceptibles de porter atteinte à la titularité et à la jouissance des droits attachés aux brevets, ce qui implique la mise en ‘uvre des règles légales répondant à la finalité spécifique de la technique des brevets, justifiant de la compétence de juges spécialisés.

Elle critique l’identification faite par la société Velma et les mesures sollicitées, soulignant que pour des brevets nationaux étrangers les demandes doivent être formulées auprès de chacun des offices nationaux compétents. Les mesures impliquent donc la mise en ‘uvre des règles spécifiques de la matière des brevets qui relève de la compétence exclusive du tribunal judiciaire.

Ces mesures sont en outre susceptibles de limiter, voire d’empêcher, le titulaire des brevets d’en jouir pleinement par l’octroi de licences d’exploitation à des tiers ou la cession des brevets à un tiers, dès lors que le tiers, licencié ou cessionnaire, informé de l’existence du séquestre, pourrait considérer qu’il ne dispose pas des garanties nécessaires quant à la titularité des droits de son interlocuteur. Elles sont enfin susceptibles de donner lieu à d’autres incidents, impliquant là encore les règles spéciales du droit des brevets (question des taxes, identification précise des brevets).

Elle pointe qu’au regard des demandes de la société Velma, il n’est pas possible de déterminer quels sont les brevets nationaux (ou régionaux) qui sont visés.

Elle ajoute que l’action, qui vise à rendre commune l’ordonnance, tend à lui rendre opposable toutes les mesures sollicitées. Il en est de même pour les mesures sollicitées concernant le savoir-faire, connexes au sens de l’article L 615-17 du code de la propriété intellectuelle.

Elle estime l’action menée abusive, et de mauvaise foi, la société Velma ne pouvant valablement croire au succès de sa prétention, ce qui justifie l’infirmation de la décision et la condamnation à des dommages et intérêts pour procédure abusive.

À l’audience du 14 mars 2023, les deux dossiers ont été mis en délibéré au 1er juin 2023.

Il a été indiqué aux parties que le dossier de procédure du tribunal de commerce (note d’audience, cote, plumitif, conclusions déposées et/ou courriers adressés) avait été demandé et qu’elles seraient à réception de ce dernier avisé de la possibilité de le consulter au greffe de la chambre commerciale.

Après avis du greffe concernant la mise à disposition du dossier de procédure, seul le conseil de la société Ignéo France est venu le consulter.

MOTIVATION 

A titre liminaire, il sera observé que les chefs relatifs aux nullités des conclusions des sociétés Ignéo IP et MMC Non-Ferrous trading LLC dans le cadre des deux ordonnances entreprises ne sont pas dévolus à la cour, par les actes d’appel de la société Velma.

Il ne peut également qu’être noté qu’aucune des parties n’a relevé la maladresse de rédaction du dispositif des ordonnances du juge des référés, lequel déclare le tribunal de commerce d’Arras incompétent alors qu’il ne peut s’agir que du juge des référés.

– Sur la jonction

Aux termes des dispositions de l’article 367 du code de procédure civile, le juge peut, à la demande des parties ou d’office, ordonner la jonction de plusieurs instances pendantes devant lui s’il existe entre les litiges un lien tel qu’il soit de l’intérêt d’une bonne justice de les faire instruire ou juger ensemble.

Il peut également ordonner la disjonction d’une instance en plusieurs.

L’article 368 du code de procédure civile précise que les décisions de jonction et de disjonction d’instance sont des mesures d’administration judiciaire, l’opportunité de cette mesure étant appréciée souverainement par la juridiction.

En l’espèce, la cour d’appel de Douai est saisie de deux appels de la société Velma à l’encontre de deux ordonnances rendues par le juge des référés du tribunal de commerce d’Arras, statuant sur une demande de mesures provisoires sollicitées à la suite de l’adoption de deux résolutions par l’assemblée générale extraordinaire de la société Ignéo France en date du 29 septembre 2021.

Ces résolutions visaient à permettre, d’une part, le transfert d’une quotité très conséquente des actions de la société MCC Non-Ferrous trading LLC, associée majoritaire, à la société Ignéo technologies (résolution n°1), d’autre part, la cession de certains des droits de propriété intellectuelle de la société Ignéo France (brevets et savoir-faire, à l’exception de ceux en France), à la société MCC Non-Ferrous trading LLC.

Dans le cadre de ce premier litige, au vu des échanges entre les parties, il s’est avéré que la société MCC Non-Ferrous trading LLC avait transféré par voie d’apport en nature ses droits de propriété à la société Ignéo IP LLC.

Une assignation en intervention forcée a donc été délivrée par la société Velma en date du 4 août 2022 afin de lui rendre opposable les mesures qui pourraient être prises dans le cadre du premier litige.

Ainsi, au vu du lien indéniable existant entre les différentes procédures, lesquelles concernent un même litige, il y a lieu de prononcer la jonction de la procédure enregistrée sous le n° RG 21-5615 avec celle enregistrée sous le n° RG 21-5610.

– Sur la saisine de la cour

1) au titre des demandes principales de l’appelant

Aux termes des dispositions de l’article 562 du code de procédure civile, l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent.

La dévolution ne s’opère pour le tout que lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.

L’article 954 du code de procédure civile dispose que les conclusions d’appel contiennent, en en-tête, les indications prévues à l’article 961. Elles doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé.

Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte.

La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.

Les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées.

La partie qui conclut à l’infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu’elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance.

La partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s’en approprier les motifs.

Ainsi, dans la procédure d’appel avec représentation obligatoire, les prétentions des parties sont déterminées par leurs écritures régulièrement déposées et signifiées, qui définissent l’objet du litige. En outre, la juridiction n’est saisie que des prétentions reprises dans le dispositif et n’est tenue de répondre qu’aux moyens expressément présentés dans la partie discussion des dernières conclusions et non à des moyens implicitement réitérés ou figurant par erreur dans les autres parties des conclusions.

Il s’ensuit en outre que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières écritures, lequel doit les reprendre expressément et se suffire à lui-même. Faute pour des prétentions d’être reprises dans les dernières écritures, celles présentées antérieurement sont réputées avoir été abandonnées.

En l’espèce, la société Velma, appelante, sollicite l’infirmation des décisions entreprises et formule la demande principale suivante :

– aux termes du dispositif de ses écritures récapitulatives en date du 10 mars 2022, dans le dossier 22-5610 : « déclarer compétent le Président du Tribunal de commerce d’Arras pour statuer en référé sur l’ensemble des demandes formulées par la société VELMA à l’encontre des sociétés IGNEO FRANCE (anciennement WEEE METALLICA) et MCC NON-FERROUS TRADING aux termes de ses conclusions du 3 octobre 2022 » ;

– aux termes du dispositif de ses écritures récapitulatives en date du 9 mars 2022, dans le dossier 22-5615 : « Déclarer compétent le Président du Tribunal de commerce d’Arras pour statuer en référé sur l’ensemble des demandes formulées par la société VELMA à l’encontre de la société IGNEO IP, LLC aux termes de ses conclusions du 3 octobre 2022 ».

Ces chefs ne détaillent pas les prétentions précises de l’appelant, notamment les demandes pour lesquelles le juge des référés du tribunal de commerce aurait dû se déclarer compétent, et procèdent par renvoi à des écritures qui sont les dernières écritures, soutenues oralement devant le premier juge, lesquelles comprenaient un dispositif de deux pages visant à ordonner la suspension des effets des résolutions et la mise sous séquestre, la désignation d’un séquestre, des éléments d’identification des brevets et savoir-faire.

Or, il s’induit des dispositions et principes ci-dessus énoncés que l’appelant doit détailler les différentes prétentions qu’il entend voir juger par la cour, dans des termes précis, permettant de circonscrire l’objet du litige, sans qu’il soit nécessaire de se référer à des éléments extrinsèques pour le déterminer.

Par ailleurs, la partie ne peut aucunement se référer, dans le cadre de son dispositif, à des prétentions qui auraient été émises dans des conclusions antérieures aux dernières écritures, qui seules saisissent la cour, et encore moins à des conclusions de première instance.

Le dispositif ci-dessus rappelé des deux derniers jeux d’écritures de l’appelant prises dans chacune des procédures jointes, et notamment leur chef principal sur la compétence, dérogeant manifestement au respect des principes ci-dessus énoncés, la cour ne peut, en conséquence, que constater n’être saisie d’aucune prétention principale par l’appelant.

Il y a donc lieu d’examiner le chef développé à titre subsidiaire par l’appelant dans chacun des jeux d’écritures.

2) au titre des demandes subsidiaires de l’appelant

Aux termes de l’alinéa 2 de l’article 84 du code de procédure civile, en cas d’appel d’un jugement statuant exclusivement sur la compétence, l’appelant doit, à peine de caducité de la déclaration d’appel saisir dans le délai d’appel, le premier président en vue d’être autorisé à assigner à jour fixe.

L’appel est alors « instruit et jugé comme en matière de jour fixe », l’article 918 du code de procédure et suivants ayant vocation à régir la procédure, à l’exception notable pour la requête de l’absence de nécessité d’exposer « la nature du péril ».

Ce texte prévoit que la requête doit contenir les conclusions sur le fond et viser les pièces justificatives. Une expédition de la décision ou une copie conforme par l’avocat doit y être jointe. Copie de la requête et des pièces doit être remise au premier président pour être versée au dossier de la cour.

Il s’infère de ce texte que l’appelant ne peut présenter des prétentions, moyens, pièces non contenus dans son acte d’appel ou les conclusions jointes, si ce n’est pour répondre aux conclusions de l’adversaire.

Par référence au droit commun de la procédure à jour fixe, ce principe de concentration trouve à s’appliquer en présence d’un appel à jour fixe-compétence. Le ‘gel’ des débats opéré par l’obligation faite à l’appelant de déposer ses conclusions au fond au stade de la présentation de sa requête, cède néanmoins le pas devant le nécessaire respect du principe de la contradiction.

Ainsi, sont irrecevables les pièces, moyens et prétentions, non contenus dans la requête initiale, et qui n’ont pas pour objet de répondre à l’argumentation adverse.

En l’espèce, dans le cadre de ses requêtes à jour fixe portant conclusions intégrées d’appel, la société Velma a sollicité l’infirmation des décisions entreprise et a demandé :

– dans le dossier RG 22-5610, de : « Et statuant à nouveau,

‘ Déclarer les sociétés IGNEO FRANCE (anciennement WEEE METALLICA) et MCC NON-FERROUS TRADING irrecevables et en tout cas mal fondées en leurs demandes, fins et conclusions en cause d’appel,

en conséquence,

‘ Débouter les sociétés IGNEO FRANCE (anciennement WEEE METALLICA) et MCC NON-FERROUS TRADING de leurs exceptions d’incompétence,

‘ Déclarer compétent le Président du Tribunal de commerce d’Arras pour statuer en référé sur l’ensemble des demandes formulées par la société VELMA à l’encontre des sociétés IGNEO FRANCE (anciennement WEEE METALLICA) et MCC NON-FERROUS TRADING aux termes de ses conclusions du 3 octobre 2022,

Renvoyer toutes les parties devant le Président du tribunal de commerce d’Arras afin que l’instance en référé se poursuive, conformément aux dispositions de l’article 86 du code de procédure civile  […] », puis suivent les demandes relatives aux dépens et à l’indemnité procédurale ;

– dans le dossier RG 22-5615, de : « et statuant à nouveau,

‘ Déclarer la société IGNEO IP, LLC irrecevable et en tout cas mal fondée en son exception d’incompétence,

en conséquence,

‘ Débouter la société IGNEO IP LLC de son exception d’incompétence,

‘ Déclarer compétent le Président du Tribunal de commerce d’Arras pour statuer en référé sur l’ensemble des demandes formulées par la société VELMA à l’encontre de la société IGNEO IP, LLC aux termes de ses conclusions du 3 octobre 2022,

Renvoyer toutes les parties devant le Président du tribunal de commerce d’Arras afin que l’instance en référé se poursuive, conformément aux dispositions de l’article 86 du code de procédure civile  […] », puis suivent les demandes relatives aux dépens et à l’indemnité procédurale.

Or, dans les écritures prises respectivement pour chacun des dossiers le 10 mars 2023 et le 9 mars 2023, la société Velma a introduit une demande subsidiaire, ainsi rédigée, pour le dossier 22-5610, «  ‘ Déclarer compétent le Président du Tribunal de commerce d’Arras pour statuer en référé sur les demandes formulées par VELMA aux termes de ses conclusions du 3 octobre 2022 visant à : o Ordonner la suspension des effets de la résolution litigieuse n° 2 et interdire en conséquence à IGNEO FRANCE de procéder à la cession à MCC NON-FERROUS TRADING des brevets litigieux ainsi que du droit d’exploiter son savoir-faire dans le monde entier, à l’ exception de la France, et o Ordonner la suspension des effets de la résolution litigieuse n° 1 et ordonner la mise sous séquestre des 2 250 000 actions que MCC NON-FERROUS TRADING détenait dans le capital d’IGNEO FRANCE, », et pour le dossier RG 22-5615, « ‘ Déclarer compétent le Président du Tribunal de commerce d’Arras pour statuer en référé sur les demandes formulées par VELMA aux termes de ses conclusions du 3 octobre 2022 visant à : o Ordonner la suspension des effets de la résolution litigieuse n°2 et interdire en conséquence à IGNEO FRANCE de procéder à la cession à MCC NON-FERROUS TRADING des brevets litigieux ainsi que du droit d’exploiter son savoir-faire dans le monde entier, à l’exception de la France, et o Ordonner la suspension des effets de la résolution litigieuse n° 1 et ordonner la mise sous séquestre des 2 250 000 actions que MCC NON-FERROUS TRADING détenait dans le capital d’IGNEO FRANCE ».

Ces prétentions, qui ne figuraient aucunement dans la requête à jour fixe portant conclusions initiales, et sont des demandes sur le fond, ne visent aucunement à répondre aux prétentions de l’adversaire, mais essayent maladroitement de contourner la défectuosité de la demande principale.

Dans un jeu immédiatement régularisé après l’énonciation de ces nouvelles prétentions, dans leurs écritures, les intimées ont soulevé, à bon droit, l’irrecevabilité de ces prétentions et les moyens les sous-tendant, laquelle doit être prononcée.

Les moyens invoqués par la société Velma en § 48 à 55 dans les écritures prises dans le RG 22-5615 et en § 58 à 66 dans les écritures régularisées dans le RG 22-5610, qui n’ont pour but que de répondre aux prétentions et moyens adverses, sont recevables.

En conséquence, faute de dévolution opérée par les demandes principales et compte tenu de l’irrecevabilité des demandes subsidiaires, les décisions entreprises ne peuvent donc qu’être confirmées en leurs dispositions concernant la compétence.

– Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

En vertu des dispositions des articles 1240 et suivant du code civil, l’exercice d’une action en justice constitue en principe un droit et nécessite que soit caractérisée une faute faisant dégénérer en abus le droit d’agir en justice pour que puissent être octroyés des dommages et intérêts à titre de réparation.

En vertu des dispositions des articles 6 et 9 du code de procédure civile, à l’appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d’alléguer les faits propres à les fonder et il leur incombe de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de leurs prétentions.

L’article 546 du code de procédure civile dispose que le droit d’appel est un droit qui appartient à toute partie qui y a intérêt, sous réserve toutefois de l’abus. Le fait d’intenter une action ou d’opposer des moyens de défense à une demande n’est pas en soi générateur de responsabilité et la succombance du plaideur ne caractérise pas sa faute.

L’action doit être manifestement irrecevable, infondée ou dilatoire et le droit d’agir étant un droit fondamental, la jurisprudence exige, pour déclencher l’application de la théorie de l’abus du droit, une faute que le juge doit caractériser.

Selon la jurisprudence, l’exercice d’une action en justice de même que celui d’un recours ne dégénère en abus pouvant donner lieu à dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière équipollente au dol.

En l’espèce, les sociétés Ignéo IP LLC, Ignéo France MMC Non-Ferrous trading sollicitent toutes trois l’infirmation de la décision du juge des référés de ce chef et la condamnation de la société Velma à des dommages et intérêts pour procédure abusive, soulignant l’intention de nuire tant dans l’action menée devant le juge des référés que dans le cadre de l’appel-compétence.

Il convient de rappeler que le juge des référés du tribunal de commerce d’Arras a débouté les défenderesses de leurs demandes de dommages et intérêts, estimant « à ce niveau de la procédure », qu’une telle demande n’était pas fondée.

Les parties évoquent de nombreux moyens de fond pour démontrer le caractère dilatoire ou fautif de l’action engagée, semblant perdre de vue que la cour n’est saisie que dans le cadre d’un appel-compétence, sur décision du juge des référés du tribunal de commerce d’Arras qui a statué exclusivement sur sa compétence.

L’abus doit être apprécié au regard de la procédure en cause dans l’espèce, notamment la spécificité de la saisine de la cour d’appel dans le cadre d’un appel compétence, cette juridiction n’ayant pas à apprécier les questions et éléments de fond du dossier, d’autant qu’elle n’est saisie par l’appelant d’aucune prétention, tout comme d’ailleurs le premier juge, qui a statué exclusivement sur sa compétence.

Dans ce cadre ci-dessus exposé, la faute ayant fait dégénérer en abus l’action ne peut consister que dans la saisine d’une juridiction manifestement incompétente et/ou d’avoir fait un recours contre la décision sur la compétence, dans un seul but dilatoire ou dans l’intention de nuire.

Or, les moyens invoqués par les intimés sont insuffisants à démontrer que la société Velma a saisi une juridiction manifestement incompétente dans le but de nuire aux intimées ou par une légèreté blâmable, et que de tels mobiles ont gouverné aussi son appel de l’ordonnance d’incompétence.

Les moyens ne caractérisant pas un tel abus, la demande de dommages et intérêts de ce chef ne pouvait qu’être rejetée et la décision de première instance confirmée de ce chef.

Le prononcé d’une amende civile relève de l’imperium du juge et ne saurait être réclamé par une partie, la demande de condamnation à une amende civile de la société MCC Non Ferrous trading étant irrecevable, pour défaut de qualité.

– Sur les dépens et accessoires

En application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, la société Velma succombant en ses prétentions dans chacune des procédures jointes, il convient de la condamner aux entiers dépens d’appel.

Les chefs de la décision de première instance relatifs aux dépens et à l’indemnité procédurale sont confirmés.

Le sens du présent arrêt commande de condamner la société Velma à payer aux sociétés MCC Non-Ferrous trading, Ignéo France et Ignéo IP LLC chacune la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Les demandes d’indemnité procédurale de la société Velma ne peuvent qu’être rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour,

ORDONNE la jonction des instances inscrites au répertoire général sous les n°22-5610 et 22-5615 sous le seul n° 22-5610 ;

CONSTATE que la cour n’est saisie d’aucune prétention par l’appelant à titre principal ;

DECLARE irrecevables les prétentions subsidiaires de l’appelant visant à ‘ Déclarer compétent le Président du Tribunal de commerce d’Arras pour statuer en référé sur les demandes formulées par VELMA aux termes de ses conclusions du 3 octobre 2022 visant à : o Ordonner la suspension des effets de la résolution litigieuse n° 2 et interdire en conséquence à IGNEO FRANCE de procéder à la cession à MCC NON-FERROUS TRADING des brevets litigieux ainsi que du droit d’exploiter son savoir-faire dans le monde entier, à l’ exception de la France, et o Ordonner la suspension des effets de la résolution litigieuse n° 1 et ordonner la mise sous séquestre des 2 250 000 actions que MCC NON-FERROUS TRADING détenait dans le capital d’IGNEO FRANCE, » et « ‘ Déclarer compétent le Président du Tribunal de commerce d’Arras pour statuer en référé sur les demandes formulées par VELMA aux termes de ses conclusions du 3 octobre 2022 visant à : o Ordonner la suspension des effets de la résolution litigieuse n°2 et interdire en conséquence à IGNEO FRANCE de procéder à la cession à MCC NON-FERROUS TRADING des brevets litigieux ainsi que du droit d’exploiter son savoir-faire dans le monde entier, à l’exception de la France, et o Ordonner la suspension des effets de la résolution litigieuse n° 1 et ordonner la mise sous séquestre des 2 250 000 actions que MCC NON-FERROUS TRADING détenait dans le capital d’IGNEO FRANCE ;

CONFIRME l’ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce d’Arras en date du 22 novembre 2022, dans le litige opposant la société Velma aux sociétés Ignéo France et MCC Non- Ferrous trading LLC ( 2022/52) en toutes ses dispositions ;

CONFIRME l’ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce d’Arras en date du 22 novembre 2022, dans le litige opposant la société Velma à la société Ignéo IP LLC ( 2022/72), en toutes ses dispositions ;

y ajoutant,

DECLARE irrecevable la demande au titre de l’amende civile ;

CONDAMNE la société Velma à payer à chacune des sociétés MCC Non-Ferrous trading LLC, Ignéo France, Ignéo IP LLC, la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

LA DEBOUTE de ses demandes d’indemnité procédurale ;

CONDAMNE la société Velma aux entiers dépens d’appel.

Le greffier

Marlène Tocco

Le président

[W] [N]

 


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