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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 13
ARRÊT DU 20 Octobre 2023
(n° , 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 20/03182 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CB3EU
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 Janvier 2020 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de CRETEIL RG n° 17/01003
APPELANTE
Madame [Z] [O]
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentée par Me Aymeric BEAUCHENE, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 095 substitué par Me Sébastien REVAULT D’ALLONNES, avocat au barreau de PARIS, toque : E201
INTIMEES
CPAM DU VAL DE MARNE en ses représentants légaux
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901
S.E.L.A.F.A. [8] La SELAFA [8] prise en la personne de Maître [C] es-qualité de Mandataire Liquidateur de la SAS [11]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Catherine LAUSSUCQ, avocat au barreau de PARIS, toque : D0223 substitué par Me Charlotte CASTETS, avocat au barreau de PARIS, toque : T10
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 03 Juillet 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant M. Gilles REVELLES, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Laurence LE QUELLEC, Présidente de chambre
Monsieur Gilles REVELLES, Conseiller
Madame Bathilde CHEVALIER, Conseillère
Greffier : Mme Fatma DEVECI, lors des débats
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, initialement prévu le 13 octobre 2023, prorogé au 20 octobre 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
-signé par M Gilles REVELLES, conseiller pour Madame Laurence LE QUELLEC, présidente de chambre, légitimement empêchée et par Mme Fatma DEVECI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l’appel interjeté par [Z] [O] (l’assurée) d’un jugement rendu le 22 janvier 2020 par le tribunal judiciaire de Créteil dans un litige l’opposant à la caisse primaire d’assurance maladie du Val-de-Marne (la caisse) en présence de la S.E.L.A.F.A. [8] Me [R] [C] ès qualités de mandataire liquidateur de la S.A.S. [11] (la société).
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que l’assurée a été salariée de la société en qualité de vendeuse ; qu’elle a été victime d’un événement le 14 septembre 2016 qui a été déclaré au titre des accidents du travail par la société le 20 septembre 2016 à l’aide d’un imprimé resté vierge, notamment sans indication sur les circonstances de ce fait, accompagné d’une lettre de réserves ; qu’une seconde déclaration d’accident du travail a été établie par l’assurée le 30 janvier 2017 mentionnant des circonstances, le siège et la nature des lésions étant ainsi décrits : « traumatisme psychologique – état de stress post-traumatique, troubles du sommeil, pleurs, clinophilie, perte de l’estime de soi », un témoin des circonstances de ce fait ayant été désigné en la personne de [P] [X] et deux autres personnes ayant été désignées comme étant à l’origine de l’accident ; que le 17 février 2017, avec les mêmes réserves, la société a établi une troisième déclaration d’accident mentionnant également des circonstances de l’événement, aucun témoin n’est mentionné dans cette troisième déclaration ; qu’un certificat médical initial a été établi le 14 septembre 2016 avec arrêt de travail, reçu le 19 septembre 2016 par la caisse ; que ce certificat porte la mention « duplicata » a été établi au titre du risque professionnel, mentionne une « anxiété » et prescrit un arrêt de travail jusqu’au 1er novembre 2016 ; que la caisse a diligenté une enquête ; que par lettre du 25 avril 2017, la caisse a notifié un refus de prise en charge de l’accident au titre de la législation professionnelle au motif que « la preuve d’un accident survenu aux temps et lieu de travail n’a pu être établie du fait des contradictions constatées » ; que le 4 septembre 2017, après vaine saisine préalable de la commission de recours amiable de la caisse, l’assurée a porté le litige devant le tribunal les affaires de sécurité sociale de Créteil afin de se voir reconnaître le bénéfice de la législation sur les risques professionnels à la suite de cet événement ; que la caisse a mis en cause la société ; que par jugement du 4 septembre 2019, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation judiciaire de la société ; que le dossier a été transmis au tribunal de grande instance de Créteil, lequel est devenu le tribunal judiciaire de Créteil.
Par jugement du 22 janvier 2020, le tribunal a :
– Rejeté la demande présentée par l’assurée tendant à voir reconnaître le caractère d’accident du travail à l’événement survenu le 14 septembre 2016 ;
– Dit que le jugement n’est pas opposable au liquidateur de l’employeur ;
– Rejeté toutes les autres demandes plus amples ou contraires.
Le jugement a été notifié le 6 mai 2020 à l’assurée qui en a interjeté appel le 3 juin 2020.
Par conclusions écrites visées et développées oralement à l’audience par son avocat, l’assurée demande à la cour de :
– Réformer le jugement entrepris ;
En conséquence,
– Annuler le refus de prise en charge de son accident du travail survenu le 14 septembre 2016, refus notifié le 25 avril 2017 par la caisse et confirmé implicitement par la commission de recours amiable le 26 juillet 2017 sur son recours ;
– Juger que l’accident du 14 septembre 2016 sera pris en charge au titre de la législation relative aux risques professionnels ;
– Ordonner à la caisse d’ouvrir ses droits au titre de la législation des accidents du travail ;
– Condamner la caisse aux entiers dépens.
Par conclusions écrites visées et développées oralement à l’audience par son avocat, la caisse demande à la cour de :
– Confirmer le jugement entrepris, rendu le 22 janvier 2020 par le tribunal judiciaire de Créteil ;
Et, ce faisant, in limine litis,
– Constater que le délai de péremption de deux ans est acquis ;
À titre subsidiaire, sur le fond :
– Constater l’existence de contradictions quant à la survenance d’un accident au temps et au lieu de travail tel qu’invoqué par l’assurée ;
– Constater que l’assurée présentait au 14 septembre 2016 un état pathologique antérieur ;
– Juger que c’est à bon droit que la caisse a refusé la prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de l’accident dont l’assurée déclare avoir été victime le 14 septembre 2016 ;
– Débouter l’assurée de son appel, ainsi que de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– Condamner l’assurée aux entiers dépens.
Par conclusions écrites visées et développées oralement à l’audience par son avocat, la société représentée par son mandataire liquidateur ès qualités, demande à la cour de :
– Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
* Rejeté la demande présentée par l’assurée tendant à voir reconnaître le caractère d’accident de travail à l’événement survenu le 14 septembre 2016 ;
* Dit que le jugement n’était pas opposable au mandataire liquidateur ;
– Dans tous les cas, débouter l’assurée de ses demandes, fins et conclusions contraires aux présentes.
Pour un exposé complet des moyens des parties, la cour renvoie expressément à leurs productions écrites reprises et développées oralement à l’audience du 3 juillet 2023 par leurs conseils qui les ont déposées, lesquelles ont été visées par le greffe à cette date.
SUR CE :
Sur la péremption d’instance
Aux termes de l’article 386 du code de procédure civile, l’instance est périmée lorsque aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans.
Il résulte des dispositions du décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 ayant abrogé l’article R. 142-22 du code de la sécurité sociale, que l’article 386 du code de procédure civile est applicable en matière de sécurité sociale tant aux instances d’appel initiées à partir du 1er janvier 2019 qu’à celles en cours à cette date.
Lorsque la procédure est orale, les parties n’ont pas, au regard de l’article 386 du code de procédure civile, d’autre diligence à accomplir que de demander la fixation de l’affaire (Cass., 2e Civ., 17 novembre 1993, n° 92-12.807 ; Cass., 2e Civ., 6 décembre 2018, n° 17-26.202).
La convocation de l’adversaire étant le seul fait du greffe, la direction de la procédure échappe aux parties qui ne peuvent l’accélérer (Cass., 2e Civ., 15 novembre 2012, n° 11-25.499).
Il en résulte que le délai de péremption de l’instance n’a pas commencé à courir avant la date de la première audience qui en l’espèce a été fixée par le greffe, dans la convocation du 26 mars 2021, à la date du 3 juillet 2023.
Il en résulte qu’à l’audience du 3 juillet 2023 le délai de péremption a seulement commencé à courir de sorte que la péremption de l’instance n’est pas acquise.
Sur la matérialité de l’accident
Il résulte des dispositions de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale que constitue un accident du travail un événement ou une série d’événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d’apparition de celle-ci (Cass., Soc., 2 avril 2003, n° 00-21.768, Bull. n° 132). Les juges du fond apprécient souverainement si un accident est survenu par le fait ou à l’occasion du travail (Cass., Soc., 20 décembre 2001, Bulletin civil 2001, V, n° 397).
Le salarié doit ainsi établir autrement que par ses propres affirmations les circonstances exactes de l’accident et son caractère professionnel (Cass., Soc., 26 mai 1994, Bull. n° 181). Il importe qu’elles soient corroborées par d’autres éléments (Cass., Soc., 11 mars 1999, n° 97-17.149 ; Cass., 2e Civ., 28 mai 2014, n° 13-16.968).
En revanche, dès lors qu’il est établi la survenance d’un événement dont il est résulté une lésion aux temps et lieu de travail, celui-ci est présumé imputable au travail, sauf pour celui qui entend la contester de rapporter la preuve qu’elle provient d’une cause totalement étrangère au travail. Il en est ainsi d’un choc psychologique survenu au temps et au lieu de travail (Cass., 2e Civ., 4 mai 2017, n° 15-29.411).
En l’espèce, le 19 septembre 2016 la caisse a reçu un certificat médical initial établi par le docteur [N] [H] à l'[7] le 14 septembre 2016 portant la mention « duplicata » , au titre d’un accident du travail et faisant état d’une « anxiété » avec la prescription d’un arrêt de travail jusqu’au 1er novembre 2016 (sa pièce n° 1). Le 23 septembre 2016, la caisse a reçu une déclaration d’accident du travail établie le 20 septembre 2016 qui ne comportait aucune information relative à l’accident et était accompagnée d’une lettre de réserves de la société (ses pièces n° 2 et 3).
La lettre de réserves était ainsi rédigée :
« Nous vous informons avoir reçu ce jour, de la part de notre salariée [l’assurée], les documents suivants :
« * Un avis de travail établi par le docteur [N] [H] en date du 14 septembre 2016 pour la période du 15 septembre 2016 au 1er octobre 2016 ;
« * Une déclaration d’accident du travail établie par l'[7] en date du 14 septembre 2016 pour la période du 14 septembre 2016 au 1er novembre 2016.
« Or notre salarié ne nous a à aucun moment informé de la survenance d’un quelconque accident du travail
Nous avons interrogé le personnel du magasin [Adresse 9] ou [l’assurée] exerce son activité personne n’a été témoin d’un quelconque accident.
« En vertu de l’article R. 441-11 du code de la sécurité sociale, nous contestons la qualification d’accident du travail et émettons toute réserve quant à sa survenance.
« Nous sollicitons de vos services une enquête pour vérification.
« En effet, notre salariée, [l’assurée], salariée en qualité de vendeuse au sein de notre établissement [Adresse 9] a déclaré avoir eu un accident du travail à une date et dans des circonstances inconnues. La déclaration est datée du 14 septembre 2016.
« Or aucun accident du travail n’est survenu ni ce jour-là, ni dans les jours précédents, dans notre établissement dans lequel 3 de nos collaboratrices travaillaient. Aucune n’a été témoin d’un quelconque accident.
« En revanche, en date du 14 septembre, vers 18h00, notre directrice réseau Madame [F] [D] a rencontré [l’assurée] aux fins de lui remettre en mains propres une convocation à un entretien préalable à une éventuelle sanction, suite à des plaintes de harcèlement visant [l’assurée] qui nous ont été adressées.
« [L’assurée] a refusé de prendre le courrier qui lui était présenté, ce dernier lui a donc été adressé par courrier recommandé dès le lendemain.
« [L’assurée] a quitté son poste de travail normalement. Elle ne souffrait d’aucune blessure ni pathologie apparente et était calme et sereine.
« Il semble cependant qu’elle ait tenté de se faire prescrire un arrêt de travail qualifié d’accident du travail par son médecin traitant. N’ayant obtenu qu’un simple arrêt pour cause de « maladie » elle s’est rendue à l’hôpital [7] à [Localité 10] où elle a obtenu une déclaration d’accident du travail.
« Il n’y a donc aucun lien entre le travail de [l’assurée] et sa supposée pathologie.
« Sa demande de déclaration d’accident du travail est intervenue postérieurement à son dernier jour travaillé dans l’entreprise et après avoir été informée qu’elle encourait une sanction disciplinaire, assortie d’une mise à pied conservatoire.
« En se faisant prescrire un arrêt de travail, [l’assurée] tente par tout moyen :
« * D’empêcher la procédure disciplinaire de suivre son cours ;
« * De percevoir indûment des indemnités journalières pendant que son contrat de travail est suspendu.
« Nous comptons sur vous pour diligenter une enquête contradictoire. »
La caisse a sollicité les 22 septembre, 7 novembre et 27 décembre 2016 une déclaration circonstanciée. Elle a reçu ainsi une seconde déclaration le 1er février 2017 établie par l’assurée et une troisième le 20 février 2017 établie par la société (ses pièces n° 4 et 5)
La déclaration établie le 31 janvier 2017 par l’assurée fait état d’un accident le 14 septembre 2016 à 17 heures, ses horaires de travail étant de 10h30 à 12h30 et de 13h30 à 18h30, dans les circonstances suivantes : « [11], [Adresse 9], harcèlement moral, agissements répétés ayant pour objet ou une dégradation des conditions de travail, pourtant pouvant porter atteinte aux droits à la dignité, à la santé ou l’avenir professionnel d’autrui », le siège et la nature des lésions étant « traumatisme psychologique » et « état de stress post-traumatique, troubles du sommeil, pleurs, clinophilie, perte de l’estime de soi ». Cette déclaration indique que la victime a été « transportée » à l'[7] et désigne un témoin [P] [X] ainsi que deux responsables du fait accidentel, à savoir la responsable de la boutique et la directrice, toutes deux employées par l’entreprise (pièce n° 4 de la caisse).
La déclaration établie le 17 février 2017 par la société fait état d’un accident au 14 septembre 2017 à 17h00 « d’après la salariée », les heures de travail étant celles déclarées par la salariée, et les circonstances de l’accident étant ainsi rapportées : « [l’assurée] a été convoquée pour remise en mains propres en vue d’un RDV pour entretien de licenciement. Elle a refusé de le signer et partie du magasin. Elle dit avoir été à l’hôpital et elle a fait une déclaration d’accident elle-même que je vous joins. Je vous joins également notre contestation. » (pièce n° 5 de la caisse).
L’enquête administrative diligentée par la caisse (pièce n° 8 de la caisse) conclut en ces termes : « Le 14 septembre 2017 aux alentours de 17h00, [l’assurée] a subi un entretien humiliant avec des propos vexatoires de la part de Madame [D] et Madame [K] dans la réserve de la boutique [11], faits corroborés par Madame [X], collègue et témoin. Madame [B] directrice des ressources humaines et Madame [D] ancienne directrice de réseau infirment les propos avancés. »
Il ressort des éléments de cette enquête que l’assurée travaillait dans la boutique en cause depuis 2014 à raison de 35 h par semaine selon un emploi du temps variable et sous la responsabilité de Madame [K], responsable de magasin. L’assurée a décrit une ambiance de travail qui se dégradait depuis 2015 à la suite du décès d’une collègue. Elle a déclaré avoir subi à répétition des humiliations et des propos vexatoires de la part de sa responsable Madame [K] Elle a ajouté qu’elle avait été accusée de vol de vêtements à tort et qu’elle a fait part de ses difficultés à son directeur régional puis a dénoncé à de nombreuses reprises par mail les faits qu’elle imputait à Madame [K] Elle a affirmé avoir fini par solliciter un entretien personnel avec Madame [D], la nouvelle responsable régionale, et qu’une date avait été proposée au 14 septembre 2016 vers 16h30. Elle a indiqué que le mercredi 14 septembre elle était à son poste de travail, occupée à servir une cliente, quand Madame [D] en compagnie de Madame [K] sont venues et ont insisté pour que sa collègue Madame [X], exceptionnellement présente ce jour-là au magasin, prenne le relais pour la vente. Elle a affirmé que Madame [D] et Madame [K] l’avaient fait rentrer de force dans la réserve du magasin qui n’était pas un bureau mais un lieu de stockage, en bloquant la porte, où elle a subi des propos humiliants. Madame [X] qui s’était rendu à la réserve pour rechercher la pièce réclamée par la cliente a constaté alors que la porte d’entrée était bloquée. Elle est repartie et face à l’insistance de la cliente est revenue à la réserve et a ouvert avec force la porte où elle a constaté que Madame [K] était derrière la porte les bas bras croisés avec un sourire et regardait l’assurée. Elle les a entendues accuser l’assurée de vol de la robe qu’elle portait. Par ailleurs à cette occasion après avoir été accusée de vol de la robe, l’assurée a déclaré que Madame [D] lui a tendu une lettre en lui annonçant que c’était une mise à pied et en insistant pour qu’elle la signe, ce qu’elle avait refusé. Madame [D] lui a alors demandé de quitter le magasin en regardant ses affaires comme si elle était une voleuse. Elle a donc quitté la réserve et devant la cliente déjà présente Madame [D] lui a dit « vous n’avez plus rien à faire ici ». Elle a quitté le magasin vers 17h00 en état de choc et a retrouvé son mari qui l’attendait. Elle dit s’être alors décidée à chercher le ticket de caisse de la robe qu’elle portait et l’ayant retrouvé elle est retournée au magasin pour le montrer à Mme [D] qui a tenté de le lui arracher des mains.
Le témoin, [P] [X], a été entendu lors d’une conversation téléphonique par l’enquêteur qui a consigné l’entretien par procès-verbal le 29 mars 2017, lequel n’a pas été versé au débat par la caisse, étant observé comme cela a été rappelé ci-dessus que dans ses conclusions, l’enquêteur affirme que le témoin a corroboré les déclarations de l’assurée.
Toutefois, si le procès-verbal établi par l’enquêteur n’est pas versé par la caisse au débat, l’assurée verse une attestation de [P] [X] (sa pièce n° 6), établie le 20 janvier 2017, soit avant son audition par l’enquêteur, dans laquelle elle atteste avoir été témoin des faits du 14 septembre 2016 en disant que les deux supérieurs hiérarchiques avaient « séquestré dans la réserve [l’assurée]. Elles l’ont empêchée de faire son travail pour lui transmettre une mise à pied en la forçant à rester dans la réserve qui n’est ni un bureau ni une pièce de réunion (il n’y a qu’une porte et aucune fenêtre). L’une d’entre elle [Madame [K].] s’appuyant sur la porte pour en bloquer l’entrée et la sortie pour [illisible] à l’intérieur. En sortant de la réserve, je les ai entendues l’accuser de vol (de la robe qu’elle portait et avait achetée quelques jours plus tôt). Leurs (Madame [K] et Madame [D]) propos étaient agressifs et humiliants. Cette dernière accusation s’est effectuée sur le terrain et devant les clientes (dont une avec qui [l’assurée] avait commencé sa transaction avant d’être interrompue). [L’assurée] était en larme, sous le choc et j’ai appris par la suite qu’elle s’est faite hospitalisée à l’hôpital [7] le jour même. »
L’agenda de la boutique confirme que l’assurée et [P] [X] étaient les seules salariées présentes le 14 septembre 2016 et que Madame [K] y est venue à 17 heures (pièce n° 8 de l’assurée).
Le certificat médical initial a été établi à l'[7] le jour même de l’accident, peu importe qu’un second certificat médical initial « duplicata » ait été établi ensuite de façon antidaté par le même médecin (pièces n° 3 de l’assurée et 1 et 16 de la caisse).
En effet, l’assurée verse au débat un certificat médical établi le 14 septembre 2016, soit le jour de l’accident, par le docteur [N] [H], psychiatre de garde au service des urgences de proximité à l'[7] ainsi rédigé : « Je soussigné, docteur [N] [H], psychiatre de garde, certifie que l’état psychologique de [l’assurée] justifie une évaluation du retentissement psychologique (ITT psychiatrique) sous réquisition, examen à effectuer dans le cadre de sa plainte au niveau des UMJ de l'[7]. » (pièce n° 8 de l’assurée).
Ce certificat suffit pour établir la sincérité du certificat médical initial établi en accident du travail, le médecin psychiatre de garde qui a reçu l’assurée ayant dû établir un certificat pour une procédure civile, à savoir la déclaration d’accident du travail, et un certificat pour une procédure pénale parallèle.
De fait, l’assurée verse également le procès-verbal d’audition établi le 14 septembre 2016 à 20h31 relative au harcèlement moral dont elle se plaignait entre le 1er février 2013 et le 14 septembre 2016 ainsi que le récépissé de dépôt de plainte, et le billet de passage à l’UMJ le 24 septembre 2016, laquelle n’a pas fixé d’ITT à cette dernière date (pièces n° 4 de l’assurée).
Madame [K] et Madame [D] ont également été entendues et ont établi des attestations. Elles confirment toutes deux l’existence de l’entretien au jour et à l’heure indiqués par l’assurée et le témoin ainsi que le passage par la réserve. Elles ne divergent des dires de l’assurée et du témoignage de [P] [X] que sur la nature des propos tenus, excluant toute dimension humiliante ou agressive.
Les nombreuses autres attestations et pièces versées de part et d’autre sont sans emport en ce qu’elles décrivent les relations de travail, ou exposent qu’aucun accident n’avait été porté à leur connaissance, étant rappelé que les seules quatre personnes présentes le 14 septembre 2016 au magasin à 17 heures ont été entendues par l’enquêteur et que leur témoignage a été recueilli.
Il résulte de ces éléments que le jour des faits, l’assurée a fait établir un certificat médical mentionnant une lésion psychologique, à savoir « traumatisme psychologique – état de stress post-traumatique, troubles du sommeil, pleurs, clinophilie, perte de l’estime de soi » – et même la nécessité d’un examen psychiatrique de son retentissement -, ainsi qu’un arrêt de travail, et qu’elle a déposé une plainte pour les faits incriminés avant de se rendre à l’UMJ dix jours après. Il est bien rapporté de manière concordante une conversation entre l’assurée et ses deux supérieures hiérarchiques dans des circonstances particulières, peu important le ton de cette conversation, la raison de celle-ci et son caractère normal ou anormal. Immédiatement après la conversation, il est établi qu’une collègue a visuellement constaté que l’assurée était en choc et en larmes. L’accident a été déclaré par la société dès qu’elle a reçu l’arrêt de travail de sa salariée, soit quelques jours plus tard, étant rappelé que d’une part la société est un réseau de boutiques, organisées régionalement, et que le service des ressources humaines n’est pas physiquement sur le site de la boutique et d’autre part que la directrice de la boutique et la responsable du réseau régional étaient présentes et impliquées dans le fait, quand bien même il ne leur serait pas apparu de nature accidentelle.
Il importe peu que la première déclaration d’accident du travail n’ait pas été totalement complétée par la société, laquelle avait toutefois pris le soin d’établir une lettre de réserves circonstanciées, et que les deux autres déclarations établies par l’assurée et par la société ne soient pas identiques, dès lors qu’elles se réfèrent toutes les deux dans les termes qui leur sont propres à l’entretien incriminé.
Ces éléments constituent un faisceau d’indices convergents démontrant, au-delà des seules déclarations de l’assurée, l’apparition soudaine d’une lésion au temps et au lieu de travail, à savoir un « traumatisme psychologique – état de stress post-traumatique, troubles du sommeil, pleurs, clinophilie, perte de l’estime de soi » aux alentours de 17h00, le 14 septembre 2016. Le caractère divergent porté sur les termes de la conversation entre les deux supérieures hiérarchiques et l’assurée n’a pas d’incidence sur la solution du litige.
Il appartient donc à l’employeur ou à la caisse de démontrer l’existence d’une cause étrangère.
L’enquête de la caisse ne démontre l’existence d’aucun état pathologique antérieur ni aucune cause totalement étrangère au travail. La caisse se prévaut d’un précédent arrêt de travail prescrit le 13 août 2016 pour un état d’anxiété qui aurait été établi par les pièces n° 16 et 21 de l’assurée produites en première instance. Néanmoins, ces pièces n’ont pas été produites en appel, et au regard des éléments rappelés ci-dessus la caisse ne rapporte ni la preuve que cet état serait la cause du choc psychologique subi le 14 septembre 2016 par l’assurée, ni celle que cet « état pathologique », à le supposer établi, évoluerait pour son propre compte sans lien avec le travail.
Dès lors, l’assurée démontre avoir été victime d’un accident du travail le 14 septembre 2016. La caisse sera en conséquence condamnée à le prendre en charge.
Sur les autres demandes
Le mandataire liquidateur de la société demande la confirmation du jugement en ce qu’il a dit qu’il ne lui était pas opposable. Il fait valoir à l’appui de cette prétention qu’aucune demande en paiement ne peut être dirigée contre lui. Il ajoute, sans l’établir, le jugement étant contraire à ce moyen, que la caisse avait renoncé à la mise en cause de l’employeur compte tenu de la liquidation judiciaire de la société et de l’absence du mandataire liquidateur.
Néanmoins, aucune demande n’est formée contre le mandataire liquidateur de la société ni même contre la société à hauteur de cour et la caisse ne critique pas ce chef du jugement et ne demande ni sa réformation ni son infirmation.
Le jugement déféré sera donc infirmé en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a dit la décision inopposable au mandataire liquidateur de la société.
La caisse qui succombe sera condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
DÉCLARE recevable l’appel de [Z] [O] ;
REJETTE le moyen tiré de la péremption d’instance ;
INFIRME le jugement rendu le 22 janvier 2020 par le tribunal judiciaire de Créteil en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a dit qu’il n’est pas opposable à la S.E.L.A.F.A. [8] prise en la personne de maître [R] [C] ès qualités de mandataire liquidateur de la S.A.S. [11] ;
Et statuant à nouveau,
DIT que [Z] [O] a été victime le 14 septembre 2016 d’un accident du travail ;
DIT que la caisse primaire d’assurance maladie du Val-de-Marne devra prendre en charge cet accident au titre de la législation sur les risques professionnels ;
CONDAMNE la caisse primaire d’assurance maladie du Val-de-Marne aux dépens.
La greffière Pour la présidente empêchée