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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
6e chambre
ARRET N°
REPUTE CONTRADICTOIRE
DU 26 OCTOBRE 2023
N° RG 21/02205 –
N° Portalis DBV3-V-B7F-UT7E
AFFAIRE :
[R] [W]
C/
[J] [H]
S.A.S. BETOM INGENIERIE ILE DE FRANCE
Association CGEA AGS [Localité 8] (DELEGATION DE L’UNED IC)
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 Juin 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de VERSAILLES
N° Section : E
N° RG : F19/00296
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Franck LAFON
Me Jacques BELLICHACH
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT SIX OCTOBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant, devant initialement être rendu le 28 septembre 2023 et prorogé au 26 octobre 2023, les parties en ayant été avisées, dans l’affaire entre :
Monsieur [R] [W]
[Adresse 5]
[Adresse 5]
Représentant : Me Franck LAFON, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618 et Me Michel DUHAUT de la SELARL DUHAUT AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de NICE, vestiaire : 711
APPELANT
****************
Maître [J] [H] ès qualités de Commissaire à l’exécution du plan de sauvegarde désigné par ordonnance du Tribunal de Commerce de VERSAILLES du 3 janvier 2018 de la SAS BETOM INGENIERIE ILE DE FRANCE
[Adresse 4]
[Adresse 4]
S.A.S. BETOM INGENIERIE ILE DE FRANCE prise en la personne de son Président domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentant : Me Jacques BELLICHACH, Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0334 et Me Dorothée GRANDSAIGNE de la SELAS FIDAL DIRECTION PARIS, Plaidant, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 1702
Association CGEA AGS [Localité 8] (DELEGATION DE L’UNED IC)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
INTIMES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 09 Juin 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Isabelle CHABAL, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,
Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,
Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Juliette DUPONT,
La société Betom Ingénierie Ile-de-France (IDF), dont le siège social est situé [Adresse 3], dans le département des Yvelines, est un bureau d’études tous corps d’état. Elle emploie plus de 10 salariés et applique la convention collective des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils dite Syntec du 15 décembre 1987.
Par jugement du 5 novembre 2015, le tribunal de commerce de Versailles a prononcé l’ouverture d’une procédure de sauvegarde de la société Betom Ingénierie IDF.
Par jugement du 16 mars 2017, le tribunal de commerce de Versailles a arrêté un plan de sauvegarde.
Par ordonnance du tribunal de commerce de Versailles du 3 janvier 2018, Me [J] [H] a été désigné commissaire à l’exécution du plan de sauvegarde. Le plan est toujours en cours.
M. [R] [W], né le 28 septembre 1957, a été engagé par la société Betom Ingénierie IDF selon contrat de travail à durée indéterminée à temps complet en date du 24 juillet 2006 et à effet au 30 octobre 2006, en qualité d’ingénieur plomberie – fluides médicaux, position 3-1, coefficient 170, moyennant une rémunération mensuelle brute de 3 083 euros.
M. [W] percevait en dernier lieu une rémunération mensuelle de 3 570 euros bruts.
Par courrier en date du 18 décembre 2014 rectifié le 23 décembre 2014, la société Betom Ingénierie IDF a convoqué M. [W] à un entretien préalable fixé au 5 janvier 2015.
Par courrier en date du 27 janvier 2015, la société Betom Ingénierie IDF a notifié à M. [W] son licenciement dans les termes suivants :
‘Pour faire suite à notre entretien préalable du 5 janvier 2015, au cours duquel vous avez été assisté de M. [Z] [Y], en sa qualité de représentant du personnel, nous vous informons par la présente de notre décision de procéder à votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.
Lors de cet entretien vous n’avez pas pu fournir d’explications.
Nous avons pu constater lors des missions confiées que certains dossiers, dont vous aviez la charge, comportaient des erreurs conséquentes et récurrentes.
Pour preuve, le rendu des dossiers des projets qui vous ont été confiés, tant en phase APS [avant projet sommaire] qu’en phase APD [avant projet détaillé], illustrent la nature des erreurs commises.
Ces dernières dénotent de surcroît un réel manque de rigueur et d’investissement dans votre travail.
L’ensemble des faits objectifs ayant permis l’appréciation de votre insuffisance professionnelle, préjudiciables à la société, sont détaillées en annexe du présent courrier.
Ces faits mettent en cause la bonne marche du service.
Les griefs qui vous ont été reprochés ont provoqué l’insatisfaction de certains de nos clients et ont contraint notre société à réorganiser les équipes sur les projets dont vous étiez en charge.
Ces insuffisances professionnelles ont conduit à la remise en cause des compétences techniques du groupe, dégradant de ce fait, l’image de celui-ci auprès de nos clients.
Eu égard aux faits précités que nous vous avons d’ailleurs exposés lors de l’entretien préalable et pour lequel [sic] vous ne vous êtes pas justifié, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.’
L’annexe à la lettre de licenciement est ainsi rédigée :
‘Annexe :
Affaire Hôpital [6] : avec la maîtrise d’ouvrage AP-HP [Assistance Publique Hôpitaux de [Localité 10]] (M. [O])
* Phase APS :
Suite à l’analyse du dossier APS, par la maîtrise d’ouvrage, du corps d’état « fluides médicaux » exécuté par vos soins (cf. rapport envoyé par M. [T] [I], directeur du département de l’AP-HP au cabinet GPAA), vous avez reçu un courriel en date du 22 octobre 2014 de M. [O], conducteur de l’opération, vous exprimant clairement son mécontentement.
Au-delà de certaines incohérences constatées dans le rapport précité sur l’analyse du dossier APS, il a été mis en exergue le non-respect du programme technique détaillé (PTD) à différents niveaux et qui sont les suivants :
– non prise en compte des préconisations du PTD relatives au dimensionnement du réseau vide,
– non prise en compte de la suppression de la salle de cathétérisme, actée depuis le mois de mai 2014 et pourtant toujours présente dans la notice APS,
– non prise en compte de deux salles d’échographie, dans lesquelles il convient de prévoir une prise O², vide et air médical,
– non prise en compte des vannes de sectionnement sur l’ensemble du réseau de distribution pourtant prévues, elles aussi, dans le PTD.
Les points mentionnés ci-dessous laissent donc apparaître l’absence de demandes émises par la maîtrise d’ouvrage lors des études (PTD, phase APS, …), caractérisant ainsi votre insuffisance professionnelle.
* Phase APD :
Lors de la phase APD portant sur la partie des fluides médicaux dont vous étiez en charge, nous avons pu constater les faits suivants :
– Une mauvaise estimation des fluides médicaux :
Par courriel du 2 décembre 2014, M. [G] vous a sollicité afin de lui faire parvenir une estimation actualisée des fluides médicaux, en tenant compte de la demande faite par l’AP-HP, par courriel du 21 octobre 2014, d’intégrer la production vide et le bouclage R+5.
Vous lui avez adressé l’estimation en date du 4 décembre 2014 présentant un delta de l’ordre de 227 000 euros entre l’estimation remise à la maîtrise d’ouvrage à l’APS (147 000 euros) et celle remise à l’APD (374 000 euros).
Ainsi M. [G] s’interrogeait sur ces écarts :
« – L’oxygène passe de 42K€ à 100K€ ‘
– L’air comprimé de 30K€ à 72K€ ‘
– Le vide médical de 36K€ à 170K€ ‘
– Les alarmes de 30K€ à 24K€ ‘
Merci de me confirmer qu’il y a erreur. »
Par courriel du 11 décembre 2014, M. [G] confirmait l’écart d’estimation important de l’ordre de 75Keuros (hors modification de programme de la maîtrise d’ouvrage).
Ces écarts d’estimation ne sont pas acceptables et résultent d’erreurs dans le chiffrage des prestations ainsi que d’oublis de prestations décrites dans le PTD et d’erreurs conséquentes commises par vos soins.
– La non prise en compte des remarques de la maîtrise d’ouvrage :
Lors de la prise de connaissance du descriptif des fluides médicaux de la phase APD, le 17 décembre 2014, M. [O] vous a à nouveau fait part de son agacement face à votre absence de rigueur dans votre travail, par le biais d’un premier courriel, dans lequel celui-ci a mis en avant l’absence de prise en compte de ses précédentes observations dans le dossier remis par vos soins.
En effet, les remarques faites par ce dernier lors de l’analyse du dossier APS sur le non-respect du PTD n’avaient toujours pas été corrigées par vos soins en phase APD :
« – Je constate avec stupéfaction que le plateau technique invasif du R+1 est encore présent, avec le poste d’interprétation et la salle de cathétérisme. »
« – Je précise de plus avoir fait la remarque suivante lors de l’analyse de l’APS : Par ailleurs, nous vous rappelons que la suppression de la salle de cathétérisme a été actée il y a plusieurs mois, nous nous étonnons donc d’en trouver mention dans la notice. L’absence des deux salles d’échographie, dans lesquelles il convient de prévoir une prise O², vide et air médical, nous surprend également. »
Puis dans un second courriel envoyé à quelques minutes d’intervalles, confortant son appréciation sur la qualité de votre travail, celui-ci constatait que :
« La poursuite de la lecture du descriptif « fluides médicaux » de l’APD me conforte dans mon appréciation.
Le tableau relatif aux débits et coefficients de foisonnement est entièrement faux et non conforme à la norme FDS 90-155.
De plus, la typologie d’activité n’est pas prise en compte, le programme n’est pas maîtrisé.
Dans ces conditions, la confiance étant rompue, il n’est plus possible de travailler avec le même interlocuteur. »
M. [O] demandait donc le changement immédiat d’interlocuteur eu égard aux nombreuses erreurs signalées par ses soins et non rectifiées.
Il est également important de rappeler que le maître d’ouvrage, ne pouvant transmettre votre analyse en l’état, nous a mis en demeure de rependre celle-ci sous 48h, engendrant ainsi, une charge de travail supplémentaire et une perte de temps pour les équipes travaillant en collaboration avec vous sur ce projet.
L’ensemble des faits précités démontre une mauvaise estimation des différentes phases, ainsi qu’un réel manque de rigueur dans votre travail, qui ont conduit à remettre en cause la crédibilité et les compétences techniques de notre société.
Affaire LDS ‘ Projet du temple au [Localité 7] : avec la maîtrise d’ouvrage Bouygues Bâtiment.
Après plusieurs avertissements de notre interlocutrice de Studios Architecture, Mme [V], concernant nos retards de visas, celle-ci nous a fait parvenir un courrier en date du 6 janvier 2015, nous sommant de rattraper notre retard dans les plus brefs délais.
En effet, le lot plomberie dont vous êtes en charge comptabilisait environ une vingtaine de visas de retard cumulé au 18 décembre 2014 et une trentaine de visas cumulé de retard au 5 janvier 2015.
Nous vous rappelons que ces retards de visas peuvent engendrer du retard sur le chantier dont la société serait tenue pour responsable comme nous l’a rappelé Mme [V] dans son dernier courrier. Ce manque de rigueur dans votre travail peut être préjudiciable pour la société tant du point de vue financier qu’au regard de la crédibilité du Groupe Betom auprès de nos partenaires.
Affaire Hôtel R : avec la maîtrise d’ouvrage Compagnie Immobilière de Restauration.
Suite au départ de M. [M], il vous a été confié les études des fluides (chauffage, plomberie, …) de l’opération « Hôtel R ».
Le transfert du dossier a parfaitement été effectué et l’ensemble des éléments vous ont été communiqués contrairement à vos affirmations ; vous étiez donc tout à fait capable de mener à bien cette mission mais vous n’avez pas pris la peine de vous investir sur cette affaire.
En effet, lors d’une réunion avec le maître d’ouvrage, vous lui avez affirmé que le chauffage des bâtiments serait impossible pour la raison suivante :
Compte tenu du fait que l’immeuble initialement prévu pour accueillir des bureaux, sera
finalement destiné à des logements, il sera impossible d’obtenir 22° C dans les salles de bains.
Il est inutile de vous rappeler que votre réponse totalement incorrecte et erronée sur le plan technique, a provoqué l’incompréhension du maître d’ouvrage.
A la suite de cette réunion, M. [A], directeur technique de la société CIR (Compagnie immobilière de Restauration) a directement contacté M. [X], président du Groupe Betom pour lui demander de vous retirer immédiatement de cette opération.
M. [A] a également mis en avant le fait que les propos que vous aviez tenus lors de cette réunion face à vos différents interlocuteurs ont fortement décrédibilisé l’image du Groupe Betom et de ses équipes techniques.
Les faits précités illustrent par conséquent votre insuffisance professionnelle.’
M. [W] a contesté son licenciement par courriers des 30 avril 2015 et 26 mai 2015.
Par requête du 1er juin 2015, M. [R] [W] a saisi le conseil de prud’hommes de Versailles aux fins de contester son licenciement et de voir condamner la société Betom Ingénierie IDF au versement des sommes à caractère indemnitaire et/ou salarial suivantes :
– dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 57 120 euros,
– dommages et intérêts pour licenciement mis en ‘uvre de façon brutale et vexatoire : 21 420 euros,
– article 700 du code de procédure civile : 2 000 euros,
– intérêts légaux depuis la date de la saisine,
– exécution provisoire (article 515 du code de procédure civile).
La société Betom Ingénierie IDF avait, quant à elle, demandé que M. [W] soit débouté de ses demandes et sollicité sa condamnation à lui payer 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par requête du 3 juin 2015, M. [W] a saisi la formation des référés du conseil de prud’hommes de Versailles et par ordonnance du 7 août 2015, la société Betom Ingénierie IDF a été condamnée à lui payer les sommes de :
– 3 407,73 euros au titre des salaires du mois d’avril,
– 1 149,43 euros au titre de la prime du 13ème mois,
– 975,80 euros au titre de la prime de vacances,
– 5 191,83 euros au titre des congés payés,
– 11 210,79 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
– 314,80 euros au titre des RTT,
le tout sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter d’un délai de 10 jours suivant la notification de l’ordonnance, outre 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en prenant acte de la remise à l’audience d’un chèque de 3 259,53 euros par la société au titre des sommes dues.
La société Betom Ingénierie IDF a interjeté appel de l’ordonnance et par ordonnance du 28 juin 2016, la cour d’appel de Versailles lui a donné acte de son désistement d’instance et d’action.
Par jugement contradictoire rendu au fond le 23 juin 2021, la section encadrement du conseil de prud’hommes de Versailles a :
– dit et jugé qu’il n’y a pas péremption de l’instance et que l’affaire de M. [W] est recevable,
– dit et jugé que le licenciement de M. [W] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
– débouté M. [W] de l’ensemble de ses demandes,
– débouté la société Betom ingénierie de sa demande ‘reconventionnelle’ au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeté les demandes plus amples ou contraires des parties,
– laissé les éventuels dépens à la charge des parties les ayant engagés.
M. [W] a interjeté appel de la décision par déclaration du 7 juillet 2021.
Par actes d’huissier de justice en date des 12 et 13 août 2021, M. [W] a fait signifier la déclaration d’appel à l’Unedic délégation AGS CGEA Ile-de-France Ouest et à Me [H] en sa qualité de commissaire à l’exécution du plan de sauvegarde de la société Betom Ingénierie IDF.
Par conclusions n°2 notifiées par voie électronique le 23 février 2022, signifiées le 8 octobre 2021 à l’Unedic en personne, M. [R] [W] demande à la cour de :
1 – Sur la péremption de l’instance
– juger que la demande d’irrecevabilité soulevée par la société Betom Ingénierie est infondée,
– débouter la société Betom Ingénierie de ses demandes à ce titre,
– confirmer en conséquence le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Versailles en date du 23 juin 2021 en ce qu’il a dit et jugé qu’il n’y a pas de péremption de l’instance et que l’affaire de M. [W] est recevable,
– infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Versailles en date du 23 juin 2021 en ce qu’il a dit et jugé que le licenciement de M. [W] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
– infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Versailles en date du 23 juin 2021 en ce qu’il a débouté M. [W] de l’ensemble de ses demandes, rejeté les demandes plus amples ou contraires des parties et laissé les éventuels dépens à la charge des parties les ayant engagés,
Statuant à nouveau :
2 – Sur le licenciement
– juger que le licenciement notifié à M. [W] ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
– fixer la créance de M. [W] d’un montant de 57 120 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au passif de la société Betom Ingénierie,
3 – Sur la demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié au caractère brutal et vexatoire du licenciement
– juger que le licenciement de M. [W] est intervenu dans des conditions brutales et vexatoires,
En conséquence,
– fixer la créance de M. [W] d’un montant de 21 420 euros nets à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié au caractère brutal et vexatoire du licenciement au passif de la société Betom Ingénierie,
– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Versailles en date du 23 juin 2021 en ce qu’il a débouté la société Betom Ingénierie de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
En tout état de cause,
– débouter la société Betom Ingénierie de son appel incident et de toutes fins qu’il comporte,
– condamner la société Betom Ingénierie au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– assortir les condamnations des intérêts aux taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes de Versailles,
– mettre les entiers dépens à la charge de la société Betom Ingénierie dont distraction au profit de Me Franck Lafon, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions adressées par voie électronique le 19 mai 2023, la société Betom Ingénierie Ile-de-France demande à la cour de :
A titre liminaire
– infirmer le jugement prud’homal en ce qu’il a jugé qu’il n’y a pas péremption de l’instance,
– dire et juger et déclarer l’instance introduite par M. [W] devant le conseil de prud’hommes de Versailles périmée,
A titre principal
– confirmer le jugement prud’homal pour le surplus,
– constater l’insuffisance professionnelle de M. [W],
– dire et juger que le licenciement de M. [W] est justifié,
– débouter M. [W] de sa demande de dommages et intérêts de 57 120 euros nets pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– débouter M. [W] de sa demande infondée et injustifiée de dommages et intérêts de 21 420 euros nets pour circonstances vexatoires et brutales entourant la rupture,
– infirmer le jugement prud’homal en ce qu’il a débouté la société concluante au titre de sa demande reconventionnelle,
– condamner M. [W] à verser à la société Betom Ingénierie la somme de 3 000 euros en première instance et 2 000 euros en cause d’appel au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [W] aux dépens.
Par courrier du 12 juillet 2022, l’Unedic délégation AGS CGEA Ile-de-France Ouest a informé qu’elle ne serait ni présente, ni représentée compte tenu de la teneur du litige. La décision sera réputée contradictoire à l’égard de toutes les parties.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
Par ordonnance rendue le 24 mai 2023, le magistrat de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 9 juin 2023.
MOTIFS DE L’ARRET
Sur la péremption d’instance
M. [W] a saisi le conseil de prud’hommes de Versailles par requête du 1er juin 2015. Aucune conciliation n’étant intervenue à l’audience du 4 novembre 2015, l’affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement à l’audience du 6 mars 2017.
A cette date, par ordonnance du 6 mars 2017 constatant l’absence de diligence des parties, à savoir l’absence de la partie demanderesse (M. [W]) et la demande de renvoi formée par l’Unedic, le bureau de jugement a :
‘- ordonné la radiation de l’affaire, ce qui implique sa suppression du rang des affaires en cours,
– dit qu’elle ne pourra être rétablie au rôle par la partie demanderesse que sur dépôt au greffe des pièces qui suivent :
1 – le bordereau de communication des pièces à l’adversaire défendeur,
2 – un exposé écrit du dernier état des demandes de la partie demanderesse et de ses moyens de fait et de droit, tels qu’ils seront développés oralement lors des débats,
– dit qu’à l’expiration d’un délai de deux ans à compter du 6 juin 2017, la péremption de l’instance pourra être encourue si les diligences précitées n’ont pas été effectuées dans ce délai.’ (pièce 19 de la société).
M. [W] a demandé la remise au rôle de l’affaire en produisant ses conclusions et pièces sous bordereau le 10 mai 2019.
La société Betom Ingénierie IDF soutient que l’instance est atteinte par la péremption à défaut de diligences accomplies par M. [W] entre le 4 novembre 2015, point de départ du délai de péremption et le 10 mai 2019, faisant valoir que le conseil de prud’hommes a retenu, de manière erronée car non conforme à l’article 386 du code de procédure civile et au visa de l’article R. 1452-8 du code du travail qui a été abrogé, que le délai de péremption courait à compter du 6 juin 2017 au lieu du 6 mars 2017.
M. [W] conclut au rejet de la demande d’irrecevabilité. Il réplique que par application de l’article R. 1452-8 du code de procédure civile, le délai de péremption ne commence à courir qu’à compter de la date impartie par le bureau de jugement pour la réalisation des diligences ; que la péremption ne peut donc courir à compter de l’audience de conciliation ; que le conseil de prud’hommes lui a ordonné de transmettre au greffe ses conclusions et son bordereau de communication de pièces et a imparti un délai pour réaliser ces diligences, dont le terme était le 6 juin 2019 ; qu’il a réalisé les diligences mises à sa charge et demandé le réenrôlement de l’affaire par lettre recommandée du 30 avril 2019.
L’article R. 1452-8 du code du travail disposait que ‘En matière prud’homale, l’instance n’est périmée que lorsque les parties s’abstiennent d’accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l’article 386 du code de procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction.’
L’article 386 du code de procédure civile dispose que ‘L’instance est périmée lorsque aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans.’
Les dispositions de l’article R. 1452-8 susvisées ont été abrogées par le décret n°2016-660 du 20 mai 2016 pour les instances introduites devant les conseils de prud’hommes à compter du 1er août 2016.
Elles étaient donc applicables à la présente instance, introduite par requête du 1er juin 2016.
Le point de départ du délai de péremption de deux ans doit être fixé au regard des diligences expressément mises à la charge des parties par la juridiction.
Ne constituent pas de telles diligences les indications relatives à la fixation des délais données aux parties par le bureau de conciliation en application de l’article R. 1454-18 du code du travail. Le délai de péremption ne court donc qu’au regard des diligences expressément mises à la charge des parties par le bureau de jugement.
En l’espèce, le point de départ du délai de péremption ne peut donc être l’audience de conciliation du 4 novembre 2015.
Dans son ordonnance du 6 mars 2017, le bureau de jugement du conseil de prud’hommes de Versailles a expressément mis à la charge de M. [W] la production de ses conclusions et bordereau de communication de pièces, en prévoyant que la péremption ne serait acquise qu’à l’expiration d’un délai de deux ans courant à compter du 6 juin 2017.
Le point de départ du délai de péremption est donc le 6 juin 2017 et non le 6 mars 2017.
M. [W] a sollicité le rétablissement de l’affaire au rôle, en accomplissant les diligences expressément mises à sa charge par le bureau de jugement, par requête du 30 avril 2019, et l’affaire a été remise au rôle le 10 mai 2019, avant l’expiration du délai imparti par le bureau de jugement.
La péremption de l’instance n’est donc pas acquise et la demande de la société Betom Ingénierie IDF tendant à voir dire l’instance périmée sera rejetée, par confirmation de la décision entreprise.
Sur le licenciement
M. [W] soutient que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse dès lors que les difficultés sur les trois chantiers qui sont cités par la lettre de licenciement ne lui sont pas imputables ; que les avertissements dont se prévaut l’employeur sont anciens ; que la société ne peut invoquer une insuffisance professionnelle sans apporter la preuve qu’elle a respecté son obligation de formation ; que son licenciement repose en réalité sur la santé financière précaire de la société.
La société soutient que les carences répétées du salarié justifiaient son licenciement.
Il résulte de l’article L. 1232-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel est motivé et justifié par une cause réelle et sérieuse.
La cause du licenciement, qui s’apprécie au jour où la décision de rompre le contrat de travail est prise par l’employeur, doit se rapporter à des faits objectifs, existants et exacts, imputables au salarié, en relation avec sa vie professionnelle et d’une certaine gravité qui rend impossible la continuation du travail et nécessaire le licenciement.
L’article L. 1235-1 du code du travail prévoit que le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
En l’espèce, le licenciement est fondé sur une insuffisance professionnelle.
Pour constituer une cause légitime de rupture, l’insuffisance professionnelle doit être établie par des éléments objectifs, constatée sur une période suffisamment longue pour ne pas apparaître comme passagère ou purement conjoncturelle, directement imputable au salarié et non la conséquence d’une conjoncture économique difficile ou du propre comportement de l’employeur.
Il appartient à l’employeur d’établir que l’insuffisance professionnelle reprochée au salarié repose sur des éléments objectifs, précis et imputables à celui-ci.
En l’espèce, la société Betom Ingénierie IDF invoque l’insuffisance professionnelle de M. [W] au regard des erreurs conséquentes et récurrentes commises sur trois chantiers, qui dénotent selon elle un manque de rigueur et d’investissement dans le travail et qui ont conduit à devoir réorganiser les équipes et à la dégradation de l’image du groupe auprès des clients, certains clients étant insatisfaits et remettant en cause les compétences techniques du groupe.
Il convient d’examiner les manquements allégués pour chacun des trois chantiers en cause.
1 – sur l’affaire de l’hôpital [6]
Sur ce projet destiné à rénover certains étages de l’hôpital, l’AP-HP (plus particulièrement M. [O], ingénieur) était maître d’ouvrage en charge d’établir le programme technique détaillé (PTD), le cabinet d’architecture GPAA était maître d’oeuvre (MOE) et la société Betom (notamment M. [G], directeur de l’agence de [Localité 9]) était le bureau d’étude, chargé de transmettre des documents techniques à la maîtrise d’ouvrage conformément au PTD. M. [W] intervenait sur les parties techniques plomberie – fluides médicaux.
La phase avant-projet sommaire (APS) permet de définir les caractéristiques générales (plan, volume, dispositions techniques, calendrier de réalisation) et d’estimer le budget pour la prise de décision. La phase avant-projet définitif (APD) est une étude plus détaillée, sans être définitive (délimitation des surfaces, espaces et plans, matériaux, estimation définitive du coût prévisionnel des travaux).
Il est reproché à M. [W] d’avoir commis des incohérences dans son analyse du dossier APS et de n’avoir pas respecté le PTD en ne prenant pas en compte les préconisations relatives au dimensionnement du réseau vide, à la suppression de la salle de cathétérisme, à la présence de deux salles d’échographie à équiper d’une prise oxygène, vide et air médical, aux vannes de sectionnement sur l’ensemble du réseau de distribution.
S’agissant de la phase APD, il est reproché une mauvaise estimation des fluides médicaux, avec des erreurs de chiffrage et des oublis de prestations, qui a conduit à des écarts importants dans l’estimation actualisée en décembre 2014, ainsi que la non-prise en compte des remarques de la maîtrise d’ouvrage, qui ont engendré de la part de cette dernière une demande de changement immédiat d’interlocuteur, une mise en demeure de reprendre l’analyse, occasionnant une charge de travail supplémentaire et une perte de temps pour les équipes travaillant sur le projet.
M. [W] répond qu’aucune de ces erreurs ne lui est imputable.
Il convient d’examiner chacun des manquements invoqués.
– sur l’absence de prise en compte des demandes du maître d’ouvrage
L’employeur produit en pièces 1 et 24 le courrier recommandé que lui a adressé l’AP-HP le 8 octobre 2014 pour lui indiquer que la notice fournie en APS n’était pas convaincante quant à l’atteinte finale de ses objectifs. S’agissant des fluides médicaux, plusieurs reproches étaient faits :
* concernant le dimensionnement du réseau de vide :
La lettre indique que ‘l’AP-HP regrette que les préconisations de la page 65 du PTD relatives au dimensionnement du réseau de vide n’aient pas à ce jour été prises en compte par la MOE :
‘NOTA : Il est expressément précisé à la maîtrise d’oeuvre que le simple respect des normes existantes en matière de vide médical ne garantit en aucun cas le bon fonctionnement du réseau à sa mise en service. En effet, le respect de la norme semble conduire dans de nombreux cas à un sous-dimensionnement important des réseaux de vide empêchant leur bon fonctionnement notamment dans le cas d’utilisation de systèmes de drainage thoracique et de gestion des fluides corporels de style Pleur-Evac. Un travail particulier devra donc être apporté quant au dimensionnement du réseau de vide, en liaison avec la maîtrise d’ouvrage. La maîtrise d’oeuvre aura sur ce sujet une obligation de résultats.”
M. [W] réplique que dans ce courrier, l’AP-HP a commenté la totalité du travail de la société Betom Ingénierie et pas seulement le sien, ce qui est exact mais ne dédouanne pas M. [W] de son manquement, qui est établi.
* concernant le bouclage du réseau :
L’AP-HP avait demandé un bouclage du réseau des fluides médicaux au R+5 de l’immeuble, afin d’assurer la continuité du service dans le cadre des opérations de maintenance et en cas d’incendie.
M. [W], lors d’une réunion le 14 octobre 2014, a répondu que le bouclage était interdit, ainsi qu’il résulte du compte-rendu de ladite réunion : ‘L’AP-HP souhaite que les réseaux de FM soient bouclés à chaque étage pour la maintenance des réseaux et la continuité de service en cas d’incendie dans une zone U10. Betom précise que ce bouclage est interdit. L’AP-HP demande une note sur ce point à la MOE afin qu’elle explicite et justifie sa position.’ (pièces 2 et 29 de l’employeur). M. [W] invoquait des normes à respecter, dont l’AP-HP ne faisait pas la même lecture, soulignant que le schéma technique réclamé avait été mis en oeuvre sur un précédent projet.
Après avoir pris attache avec le cabinet GPAA, MOE, M. [O] a maintenu sa demande de bouclage auprès de M. [W] par courriel du 22 octobre 2014. M. [W] a répondu que la réalisation d’une canalisation de bouclage au dernier niveau ne pouvait avoir lieu qu’avec des vannes de sectionnement entre chaque niveau, ce qui a provoqué l’agacement de M. [O] dès lors que les vannes de sectionnement étant prévues dans le PTD relatif aux fluides médicaux, il lui semblait manifeste que M. [W] n’avait pas lu le document (pièce 3 de l’employeur).
M. [W] a répondu le 23 octobre 2014 que le programme et la réglementation étaient respectés sur les vannes de sectionnement prévues mais que des vannes supplémentaires devaient être ajoutées (pièce 22 du salarié).
Il n’en demeure pas moins que la carence de M. [W] est établie en ce qu’il a dans un premier temps affirmé que le bouclage était interdit.
* concernant les salles :
La lettre du 8 octobre 2014 indique : ‘Par ailleurs, nous vous rappelons que la suppression de la salle de cathétérisme a été actée depuis plusieurs mois ; nous nous étonnons donc d’en trouver mention dans la notice. L’absence de mention des deux salles d’échographie, dans lesquelles il convient de prévoir une prise O2, vide et air médical, nous surprend également.’
Après la remise du dossier fluides médicaux (FM), M. [O] a écrit par courriel du 17 décembre 2014 : ‘Je suis en train de prendre connaissance du dossier FM. Je constate avec stupéfaction que le plateau technique invasif du R+1 est encore présent, avec le poste d’interprétation et la salle de cathétérisme. Or ces deux salles ont été supprimées en mai 2014. Nous sommes en décembre. C’est affligeant.’ Il a rappelé la remarque qu’il avait faite dans l’analyse de l’APS du 8 octobre 2014, reproduite ci-dessus et a conclu : ‘[P] humanum est, perseverare diabolicum. La première fois, je peux comprendre. La seconde fois, non. Que se passe-t-il ‘Messieurs, j’attends vos explications.’ (pièce 5 de l’employeur).
M. [W] répond qu’il fondait ses travaux sur le plan établi par l’architecte, qu’il ne lui appartenait pas de réaliser.
Or il ressort du cahier des pièces graphiques et des tableaux de surfaces réalisés par l’architecte en juillet 2014 (pièces 26 et 27 de l’employeur) que la salle de cathétérisme était supprimée et que les deux salles d’échographie étaient prévues et devaient être reliées au réseau fluides médicaux. Pourtant, dans le lot fluides médicaux établi en juillet 2014, l’alimentation de la salle de cathétérisme était prévue et on ne retrouve pas les deux salles d’échographie (pièce 28 de l’employeur).
Le manquement de M. [W] est donc avéré.
– sur la mauvaise estimation des fluides médicaux
Il est reproché à M. [W] d’avoir mal estimé le coût des fluides médicaux, par des erreurs et des oublis, ce qui a conduit à son importante augmentation (227 000 euros) entre l’APS et l’APD.
Il ressort de l’échange de courriels produit en pièce 4 par l’employeur que le 2 décembre 2014, M. [N], directeur de l’agence Betom de [Localité 9], a demandé à M. [W] l’estimation APD réactualisée intégrant notamment la production vide et le bouclage R+5.
Répondant à l’envoi de M. [W] du 4 décembre 2014, M. [N] s’est aussitôt étonné dans les termes suivants : ‘Comment se fait il que nous passions de 147 000 à l’aps à 374 000 euros HT à l’apd. La seule modification de programme acceptable est la réalisation de la production de vide créée. Une plus value sur le surdimensionnement du réseau vide est très contestable car il est demandé au programme. Le bouclage en R+5 pourrait être justifié, mais tout ça n’explique pas cet écart de 254 %.’. Il invoque les augmentations de postes reprises dans la lettre de licenciement.
M. [W] soutient qu’il n’a commis aucune erreur et explique cette augmentation par les demandes supplémentaires émises par l’AP-HP, qu’il a décrites en réponse à M. [N] dans un courriel du 5 décembre 2014, engendrant notamment un passage du poste vide et réseaux primaires de 27 000 à 187 300 euros (pièce 23 du salarié).
Or, ainsi que le souligne l’employeur, M. [W] avait chiffré l’APS au regard des normes règlementaires alors que le PTD ne prévoyait pas une simple mise aux normes mais allait au-delà en ce qui concerne le vide (PTD en pièce 25 de l’employeur, page 65) et il n’avait pas prévu le bouclage du réseau. En outre, l’omission des salles d’échographie, qui ont un coût en terme de réseau de fluides médicaux, résulte d’une erreur de M. [W].
Le manquement est en conséquence établi.
– sur l’erreur dans l’établissement du tableau des débits et des coefficients
La lettre de licenciement indique que le tableau relatif aux débits et coefficients de foisonnement est entièrement faux et non conforme à la norme FDS 90-155, reprenant les remarques faites par courriel du 17 décembre 2014 par M. [O] sur l’APD (pièce 6 de l’employeur).
L’employeur invoque également le tableau qu’il produit en pièce 23, qui ne comporte toutefois aucune remarque sur ce sujet.
M. [W] répond qu’il a présenté la note de calcul initiale, le schéma de distribution de principe et des plans des réseaux des niveaux et que seule la répartition du réseau a fait l’objet de commentaires ; qu’aucune erreur n’a été relevée sur les calculs des débits et des coefficients de foisonnement qui étaient réalisés selon la norme ; que le maître d’ouvrage a simplement ajouté une demande supplémentaire portant sur le vide médical, pour lequel il souhaitait que les débits soient augmentés au-delà de la norme. Il produit en ce sens le compte-rendu de la réunion du 14 octobre 2014 (pièce 24).
L’employeur produit cependant en pièces 30 et 31 les tableaux tels que réalisés par M. [W] et repris par son remplaçant, qui montrent que M. [W] n’avait pas pris en compte le nombre de prises par lit, ce qui modifiait les coefficients.
Le manquement est donc établi.
Les multiples manquements de M. [W] sur le chantier de l’hôpital [6] ont entraîné une demande de changement d’interlocuteur de la part de M. [O], par courriel du 17 décembre 2014, auquel il a été satisfait dès le lendemain par la société Betom Ingénierie IDF par la nomination de M. [L] pour gérer le dossier fluides médicaux (pièces 6, 7 et 21 de l’employeur).
2 – sur l’affaire LDS – projet du temple au [Localité 7]
Dans ce projet de centre culturel à destination de l’église Mormon, la société Bouygues était le maître d’ouvrage et la société Betom Ingénierie IDF bureau d’études.
La lettre de licenciement reproche à M. [W] son retard sur les visas du lot plomberie, témoins d’un manque de rigueur dans son travail.
Dans ses écritures, l’employeur invoque le curriculum vitae du salarié (pièce 12), la définition de la fonction d’ingénieur dans la société (pièce 18) et les procédures internes (pièce 22), pour justifier du fait que le suivi des visas relevait des fonctions de M. [W], ce que ce dernier ne conteste pas.
M. [W] soutient que les retards de la société ne sont pas imputables à ses salariés et à lui-même en particulier, ainsi que le reconnaît le chef de projet. Il a expliqué dans son courrier du 10 janvier 2015 faisant suite à l’entretien de licenciement qu’il avait été demandé à Bouygues depuis le début du chantier un planning de production des documents mais qu’il avait été répondu qu’il n’y en aurait pas.
Il ressort du courriel adressé le 7 janvier 2015 par M. [B] [C], chef de projet dans la société Betom Ingénierie, faisant part de la réclamation de l’architecte concernant le retard sur les visas, que sur 110 retards, 31 concernaient le lot CVC dont 10 dataient du 18 décembre 2014, 18 du 31 décembre 2014 et 3 du 3 janvier 2015 (pièce 9 de l’employeur).
M. [C] y écrit néanmoins : ‘concernant les visas en retard à la date du 31/12 et du 3/01, j’ai fait part du fait qu’ils sont normalement non comptabilisables étant donné que les délais des 21 jours pour effectuer les réaliser [sic] n’a pas été respecté. Ils ont été diffusés respectivement les 17/12 et 19/12/2014. Je ne manquerai pas de faire un rappel à Bouygues du respecter [sic] le délai des 21 jours, mais aussi d’éviter de diffuser 70 plans la veille de vacance(s) et de nous laisser 2 semaines pour exécuter les visas… ce qui fasse [sic] totalement leur tableau de bord de suivi des visas.’
Ainsi, si 21 retards de visa n’étaient pas imputables à M. [W], demeuraient 10 retards datant du 18 décembre 2014 lui étant imputables. Dans cette mesure, le manquement est établi.
3 – sur l’affaire de l’hôtel R
La société Betom Ingénierie IDF était bureau d’étude sur un dossier de réhabilitation en hôtel de locaux situés à [Localité 11], le maître d’ouvrage étant M. [K] [A] pour la société Compagnie Immobilière de Restauration (CIR). M. [W] avait pris la suite d’un collègue début octobre 2014 en qualité d’ingénieur plomberie, chargé des études de fluides (chauffage, plomberie), le chef de projet chez Betom étant M. [E].
L’employeur relate que M. [E] a demandé à M. [W] une note de calcul justifiant les ballons d’eau chaude (pièce 8 – courriel du 1er octobre 2014) et deux coupes de distribution primaire pour la chaufferie n°1 (pièce 10 – courriel du jeudi 2 octobre 2014 avec retour attendu pour le mardi suivant). Lors de la réunion du 15 octobre 2014, les réponses n’avaient pas été apportées (pièce 11 – courriel de M. [E] du 15 octobre 2014).
M. [W] répond qu’il a été désigné pour gérer le lot chauffage, ventilation, climatisation (CVC) alors que cela ne relève pas de sa qualification professionnelle, en remplacement de M. [M], parti sans être remplacé ; qu’il s’agissait d’un travail supplémentaire accompli en plus des dossiers en cours, dans un contexte de sous-effectif dans la société, de sorte qu’on ne peut lui reprocher un retard dans le rendu de son travail. Il produit à cet égard le compte-rendu de son entretien préalable au licenciement où M. [Y], délégué du personnel, a souligné que l’investissement du salarié sur ce projet pour la partie CVC est une demande de sa hiérarchie par manque d’effectif dans le service, sur un domaine qui n’est pas son métier (pièce 27).
Il ressort toutefois de son curriculum vitae que M. [W] est ingénieur plomberie, chauffage, ventilation (pièce 12 de l’employeur). Il est cependant avéré que M. [W] venait d’être nommé sur le poste, en remplacement d’un collègue, en plus de son travail habituel, ce qui explique le retard en début de mission.
La lettre de licenciement indique que lors d’une réunion, qui est celle du 15 octobre 2014 selon les écritures de la société, M. [W] a affirmé qu’il serait impossible d’obtenir 22 ° C dans les salles de bains, réponse incorrecte et erronée qui a provoqué l’incompréhension du maître d’ouvrage, lequel a demandé son retrait de l’opération. Aucune pièce ne justifie cependant de cette demande du client.
M. [W] répond que le projet était une réhabilitation d’un immeuble de bureaux où la consigne de température était de 18 ° C, que le bâtiment n’était pas et ne serait pas isolé, que les anciennes chaudières ne seraient pas remplacées, qu’aucune étude thermique conforme n’avait été réalisée, de sorte qu’il ne pouvait garantir, dans ces conditions, une température de 22 ° C.
L’employeur affirme que l’isolation avait été reprise, sans produire de pièce à cet égard, et que les corps de chauffe avaient été changés, M. [W] devant procéder à des études pour atteindre le résultat escompté.
Dans son courrier du 10 janvier 2015, M. [W] a indiqué qu’il n’avait pas reçu avant la réunion litigieuse l’information selon laquelle l’isolation thermique des bâtiments était prévue depuis le démarrage du projet.
Dans ces conditions, les manquements sur ce chantier ne sont pas établis.
Le fait pour M. [W] de ne pas avoir eu de reproches après des avertissements délivrés les 2 novembre 2009 et 6 avril 2010 sur la qualité de son travail (pièces 13 et 16 de l’employeur), est inopérant pour contester la validité du licenciement fondé sur d’autres manquements ultérieurs.
Les manquements invoqués n’ont pas pour origine un défaut d’actualisation des connaissances et compétences de M. [W] et donc un non-respect de son obligation de formation par l’employeur.
Le seul fait que la société a été placée en procédure de sauvegarde ne permet pas de considérer que le licenciement était en réalité fondé sur un motif économique, comme le soutient M. [W], dès lors que des manquements du salarié sont avérés.
Au regard de l’ensemble des manquements établis, il sera retenu que l’employeur rapporte la preuve d’une insuffisance professionnelle de M. [W], constatée sur une période suffisamment longue et directement imputable au salarié.
Le licenciement sera déclaré fondé sur une cause réelle et sérieuse et M. [W] sera débouté de sa demande indemnitaire, par confirmation de la décision entreprise.
Sur le caractère brutal et vexatoire du licenciement
M. [W] fait valoir qu’il a été licencié du jour au lendemain, après plus de 9 ans d’ancienneté, pour des motifs totalement fallacieux alors qu’il n’avait fait l’objet d’aucun reproche durant sa carrière au sein de la société.
L’employeur répond que M. [W] ne verse pas au débat d’éléments justifiant les conditions particulières qui ont entouré la rupture ou le préjudice distinct de celui tiré d’un licenciement qu’il considère comme sans cause réelle et sérieuse, soulignant qu’il a mis près de 5 ans pour agir en justice.
En l’espèce, le caractère vexatoire des circonstances du licenciement n’est pas établi et la cour relève au surplus que M. [W] avait déjà fait l’objet de reproches durant l’exécution du contrat de travail, ayant reçu des avertissements en 2009 et 2010.
M. [W] sera débouté de sa demande, par confirmation de la décision entreprise.
Sur les demandes accessoires
La décision de première instance sera infirmée en ce qu’elle a laissé les éventuels dépens à la charge de chacune des parties mais confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles.
M. [W], qui succombe en ses prétentions, sera condamné aux dépens de première instance et d’appel et devra payer à la société Betom Ingénierie IDF une somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, sa demande du même chef étant rejetée.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, réputé contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu le 23 juin 2021 par le conseil de prud’hommes de Versailles sauf en ce qu’il a laissé les éventuels dépens à la charge des parties les ayant engagés,
Statuant de nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant,
Condamne M. [R] [W] aux dépens de première instance et d’appel,
Condamne M. [R] [W] à payer à la société Betom Ingénierie IDF une somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute M. [R] [W] de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, présidente, et par Mme Domitille Gosselin, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,