Bijouterie : 18 mai 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/05056

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Bijouterie : 18 mai 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/05056

18 mai 2022
Cour d’appel de Paris
RG
19/05056

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 4

ARRET DU 18 Mai 2022

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/05056 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B7ZXP

Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Février 2019 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOBIGNY – RG n° F 17/02361

APPELANT

Monsieur [E] [Z]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

INTIMEE

SASU [Adresse 5] anciennement dénommée IBB PARIS, prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 3]

[Localité 2]

N° SIRET : 419 395 595

Représentée par Me Patrice MOUCHON, avocat au barreau de PARIS, toque : P0104

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 18 Janvier 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre

M. Bruno BLANC, Président

Mme Anne-Gaël BLANC, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur [R] [J] dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD, en présence de Joanna Fabby, greffier stagiaire

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre et par Victoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

EXPOSÉ DU LITIGE :

M. [E] [Z] a été engagé le 19 août 2002, par la SASU [Adresse 5], suivant contrat à durée indéterminée, en qualité d’Attaché Commercial.

La SASU [Adresse 5] était une société de commerce d’articles d’horlogerie et de bijouterie, et employait au moins 11 salariés.

Les relations de travail étaient régies par la convention collective nationale des entreprises de l’horlogerie.

Le salarié est titulaire d’un mandat de conseiller du salarié depuis le 21 octobre 2017 renouvelé jusqu’au 21 octobre 2023.

Le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Bobigny le 25 juillet 2017 aux fins de voir dire que sa rémunération variable devait être intégrée à sa rémunération fixe et de voir condamner la SASU [Adresse 5] au versement des sommes suivantes avec intérêts au taux légal :

– 190.080 euros de dommages et intérêts pour discrimination salariale ;

– 2.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

En défense, la SASU [Adresse 5] sollicitait la condamnation de la demanderesse à lui payer les sommes suivantes :

– 1.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

– 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– et à supporter les dépens.

Par jugement du 28 février 2019, les demandes de l’une et l’autre des parties ont été rejetées et le demandeur a été condamné aux entiers dépens.

Ce dernier a interjeté appel le 12 avril 2019.

Par conclusions déposées par le réseau privé virtuel des avocats le 11 janvier 2022, l’appelant demande à la cour :

– de fixer son salaire mensuel brut à la somme de 7.856,33 euros en réintégrant le forfait voiture dans le salaire de base, de prononcer la résiliation du contrat de travail aux torts de l’employeur et de condamner la société à procéder à une régularisation à compter du 1er janvier 2016 auprès des organismes sociaux s’agissant des cotisations patronales et salariales qui auraient dû être versées sur la somme de 1.300 euros net représentant le forfait voiture, soit sur un total de 70 mois jusqu’au mois d’octobre 2021, à parfaire à la date de la décision de la Cour ;

– de condamner la société à verser à M. [E] [Z] les sommes suivantes avec intérêts au taux légal et anatocisme :

‘ 47.131,98 euros net de dommages et intérêts en raison de l’inégalité de traitement subi pendant de nombreuses années et de l’exécution déloyale du contrat de travail par l’intimée ;

‘47.131,98 euros net à titre de dommages et intérêts en raison de l’infraction de travail dissimulé caractérisée compte tenu des éléments de rémunération déguisée versés ;

‘17.080,40 euros à titre de rappel de salaire du supposé «forfait voiture » constituant une rémunération déguisée qu’il aurait dû percevoir au cours des années 2019, 2020 et 2021, outre 1.708,04 euros d’indemnité de congés payés afférents ;

‘4.060 euros brut de rappel d’indemnité d’activité partielle entre les mois d’avril 2020 et de mai 2021 ;

‘5.712,19 euros net au titre des frais professionnels non remboursés par la société ;

‘43.209,81 euros à titre de l’indemnité légale de licenciement ;

‘23.568,99 euros à titre de l’indemnité compensatrice de préavis ;

‘2.356,90 euros s’agissant des congés payés afférents au préavis ;

‘196.408,25 euros de dommages-intérêts en réparation de la violation du statut protecteur ;

‘149.270,27 euros correspondant à 19 mois de salaire à titre d’indemnité réparant l’illicéité du licenciement prononcé ou, à titre subsidiaire, 117.844,95 euros soit l’équivalent de 15 mois de salaire ;

‘4.000 euros au titre de l’article 700 du code du procédure civile.

Par conclusions déposées via le réseau privé virtuel des avocats, le 10 janvier 2022, la SASU [Adresse 5] oppose la prescription et demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté le salarié de ses demandes, de déclarer irrecevables ses nouvelles demandes en cause d’appel, et reprend sa demande de première instance au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Pour plus ample exposé sur le litige, la cour se réfère aux conclusions des parties en application de l’article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS :

En l’absence de demande relative aux dommages-intérêts pour discrimination syndicale, la cour n’est pas saisie de ce chef.

1 : Sur l’exécution du contrat

1.1 : Sur l’inclusion du forfait voiture dans la rémunération de base et les demandes de rappel de salaires subséquents

M. [E] [Z] demande que le forfait voiture de 1.300 euros soit inclus dans sa rémunération de base pour un montant brut de 1.578,33 euros, au motif qu’il ne s’agirait que d’une rémunération déguisée échappant aux cotisations et contributions sociales. C’est ainsi que l’employeur aurait choisi d’augmenter ce forfait initialement de 1.080 euros à 1.300 euros à compter de 2005 et ne lui aurait jamais demandé de justificatifs de frais de transport, sauf en 2015. De surcroît il sollicite un rappel de salaire de 6.032,09 euros et la somme de 603,29 euros d’indemnité de congés payés y afférents au titre de ce forfait. En effet, il n’aurait été versé que partiellement pendant la période durant laquelle il a été placé en activité partielle ou n’aurait pas eu de déplacement, soit de mars 2020 à décembre 2020, en février 2021, mars 2021 et mai 2021 et en janvier 2021. Enfin il réclame la somme de 11.048,31 euros de rappel de rémunération en ce que le forfait ne lui a pas été payé du tout au cours de mois d’août 2019, 2020 et 2021, des mois de juillet et novembre 2020, janvier et avril 2021. Il demande donc de ces chefs la somme totale de 17.080,40 euros outre 1.708,04 euros d’indemnité de congés payés y afférents.

Réévaluant son salaire mensuel, compte tenu de la réintégration revendiquée, à la somme de 7.856,33 euros et calculant sur cette base le salaire mensuel qu’il aurait dû percevoir durant les mois d’avril 2020 inclus à juillet 2020 inclus, novembre et décembre 2020, et mars, avril et mai 2021durant lesquels il a travaillé à 70 %, il constate un écart de 7,25 euros de l’heure. En conséquence il réclame un rappel de salaire complémentaire de 4.060 euros.

Enfin il demande le paiement de la somme de 5.712,19 euros en remboursement de frais d’essence.

La SASU [Adresse 5] soulève la prescription trentenaire de ces demandes, en soulignant que le bénéfice de ce forfait remonte à l’origine du contrat, qui constitue donc le point de départ du délai de 30 ans. De plus elle soulève son irrecevabilité, s’agissant de demandes nouvelles en cause d’appel formées par conclusions signifiées en juillet 2019. Sur le fond, elle conclut au rejet de ces prétentions en soutenant que ce forfait était destiné à indemniser le salarié de ses trajets imposés par ses activités de prospection, et qu’il était dans ces conditions normal qu’il ne reçût pas cette indemnité que de manière réduite lors des périodes d’activité partielle.

Sur ce

Aux termes de l’art L 3245-1 du Code du travail l’action en paiement ou en répétition de salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits permettant de l’exercer.

En conséquence la demande en cause, qui est une demande de rappel de salaire par l’effet d’une requalification, n’encourt pas la prescription pour la période antérieure de plus de trois ans à juillet 2016, puisque la demande remonte à des conclusions d’appels signifiées le 11 juillet 2019.

Aux termes des articles 564 et suivants du code procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait. Cependant, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent. Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Ces demandes dont la plus ancienne concerne la rémunération du mois d’août 2019 découlent du travail effectué postérieurement à l’appel interjeté le 12 avril 2019, soit de la survenance d’un fait nouveau et sont donc recevables quoique nouvelles en cause d’appel.

S’agissant de l’obligation de l’employeur de verser les cotisations sociales sur les sommes correspondant au forfait voiture requalifié en salaire, il s’agit d’une demande liée au rappel de salaire, de sorte que cette demande encourt la prescription pour les salaires échus avant le 11 juillet 2016.

Aux termes de l’article 7 du contrat de travail un forfait voiture de 1.080 euros par mois sur 11 mois à justifier par la fourniture de notes de carburant pendant l’utilisation de sa voiture personnelle par M. [E] [Z].

Cette formulation signifie que le forfait est versé régulièrement en dédommagement des frais de transport exposés par le salarié pour ses déplacements professionnels, sauf s’il apparaît notamment par la fourniture de notes de carburant que l’intéressé ne dépense pas une telle somme pour les besoins du service.

Le salarié ne saurait se prévaloir de ce qu’il n’a pas produit lesdits justificatifs, fût-ce parce qu’on ne les lui a pas demandés, pour en tirer une requalification de cette indemnité en salaire.

Selon attestation d’employeur du 16 mars 2005, celui-ci a reconnu que le salarié bénéficie de remboursement de frais de déplacement et frais professionnels d’un montant de 2.290 euros par mois. Il est constant que cette somme comprend une indemnité forfaitaire de frais de déplacement de 1.300 euros.

Les allocations forfaitaires sont présumées utilisées conformément à leur objet, dès lors que l’employeur établit la réalité des circonstances de fait entraînant des dépenses supplémentaires.

Il est constant que cette allocation forfaitaire est liée aux frais effectivemement exposés par le salarié en utilisant son véhicule personnel pour son activité de prospection.

Le salarié ne démontre pas que ce forfait n’est pas utilisé pour un autre objet.

En conséquence, il sera débouté de sa demande de réintégration du forfait dans son salaire et en paiement des cotisations sociales qui seraient appliquées au montant du forfait depuis le 11 juillet 2016 s’il était qualifié de salaire et de rappel de salaire correspondant au non-paiement de ce forfait, pendant les périodes durant lesquelles il ne travaillait pas ou de son paiement à proportion du temps de travail effectué pendant les périodes durant lesquelles il était à temps partiel ou ne se déplaçait pas.

1.2 : Sur la demande en paiement de frais d’essence

Arguant de ce que le forfait voiture n’est qu’une part du salaire, M. [E] [Z] sollicite le paiement de la somme de 5.712,19 euros de frais d’essence

Dès lors que le salarié était indemnité de ses frais d’essence par une somme mensuelle forfaire que la cour ne réintègre pas dans le salaire de base, la demande en remboursement de frais d’essence qui fait abstraction de ce forfait ne peut qu’être rejetée.

1.3 : Sur la rémunération variable

M. [E] [Z] sollicite le paiement de la somme de 47.131,98 euros de dommages-intérêts en réparation de la violation des engagements contractuels et de l’atteinte au principe de l’égalité de traitement, dont il dit avoir été victime au titre de la rémunération variable nette. Il reproche à la société de ne lui avoir proposé que 6 grilles d’objectif en 19 ans, alors que le contrat de travail imposait de le faire tous les ans, de réduire ses revenus considérablement, soit de 28.000 euros par an, quand il faisait une telle proposition, de lui imposer de plus dans ce cas, un objectif qualitatif non stipulé au contrat de travail ou irréalisable, compte tenu du marché. Il fait aussi grief à la société de n’avoir organisé que deux entretiens pour échanger sur les objectifs, en 2010 et 2013, années au cours desquelles l’employeur aurait reconnu que le salarié n’avait pas reçu de rémunération variable. Il soutient que la somme de 2.800 euros qui lui a été versée chaque mois comme avance sur sa rémunération variable depuis 2007 sans fixation d’objectif s’analyse somme une partie du salaire fixe. Il ajoute qu’il a été victime d’une inégalité de traitement en ce que les autres salariés se sont vus, contrairement à lui, proposer une modification des modalités de rémunération avec mise en place d’un système de primes basé sur des pourcentages moins élevés avec une dimension qualitative, et intégration d’une partie de leur avance sur prime dans leur salaire fixe. Il demande en réparation de l’inégalité de traitement et de l’exécution déloyale du contrat, l’allocation de la somme de 47.131,98 euros.

La SASU [Adresse 5] soulève la prescription applicable en matière d’exécution d’un contrat de travail en soulignant que la demande à raison de l’écoulement d’un délai de plus de deux ans entre la dernière proposition d’objectif, soit le 6 mars 2017, date à laquelle elle avait connaissance de l’ensemble des éléments fondant sa demande de dommages-intérêts et le 11 juillet 2019, date de signification de ses conclusions comportant pour la première fois sa demande de dommages-intérêts en cause. Sur le fond, la société objecte que le salarié refusait ses propositions de fixation d’objectifs, de sorte qu’elle était tenue de poursuivre l’exécution du contrat de travail sur la base des conditions antérieures tant sur les objectifs que sur les avances sur prime mensuelles, que M. [E] [Z] ne saurait s’en plaindre puisqu’il a reçu de ce fait, une rémunération variable supérieure à celle de ses collègues, qu’aucun objectif n’a été imposé au salarié, que des grilles d’objectifs lui ont été proposées comme aux autres salariés en 2015 et 2016, qu’il a refusé, que rien ne justifie une réintégration des avances sur primes dans le salaire de base, puisque ces avances découlaient des seuils du chiffre d’affaire déclenchant des augmentations de primes.

Sur ce

Aux termes de l’article L. 1471.1 du code du travail toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.

Le salarié invoque une situation de fait caractérisée par une absence de fixation de ses objectifs qui s’est poursuivie par la volonté de l’employeur jusqu’à la demande de réparation qu’il a faite dans le cadre de la présente procédure. S’agissant de l’intégration des avances sur prime de 2 800 euros dans le salaire de base à raison notamment de leur versement régulier depuis 2007, celui-ci s’est poursuivi jusqu’à la date de la demande correspondante. S’agissant de l’exécution globalement déloyale prétendue, elle résulte selon le salarié d’une série de faits, dont en particulier la volonté de lui imposer un objectif qualitatif en 2015 et 2016 ou encore un objectif inatteignable, ou encore d’avoir été victime d’une inégalité de traitement qui s’est poursuivie également jusqu’à la sa saisine du conseil des prud’hommes.

En conséquence la prescription n’est pas encourue, car c’est au jour de la demande qu’était totalement connue l’ampleur du manquement revendiqué, croissant avec le temps.

Sur le fond, aux termes de l’article 4 du contrat de travail, en sus du salaire mensuel M. [E] [Z] devait percevoir une prime dont la valeur devait être indiquée à l’annexe B du contrat et calculée en fonction du chiffre d’affaire réalisé sur son secteur et des marges sur chiffre d’affaires respectées. Cette prime devait être versée à partir du second trimestre de l’année civile suivant l’exercice réalisé et selon une périodicité indiquée à l’annexe B en fonction de la prime obtenue.

Il est constant au vu des écritures des parties que les objectifs devaient être fixés d’un commun accord entre le salarié et l’employeur.

L’annexe B stipulait que les objectifs étaient fixés selon des paliers HT de 565 000 euros, 690 000 euros et 840 000 euros et que les primes correspondantes étaient respectivement de 6 900 euros, 9 200 euros et 11 800 euros, avec une avance mensuelle sur prime pour 2002 de 760 euros les deux premiers mois, à parfaire sur les deux mois suivants, ou à récupérer en cas de non-réalisation des objectifs.

Par avenant non daté, l’objectif était fixé pour l’année 2003 à savoir pour le premier semestre à 301 000 euros de chiffre d’affaire HT, 351 000 euros et 400 000 euros pour une prime mensuelle de 800 euros, 1 000 euros et 1 500 euros, et pour le second semestre moyennant 700 000 euros, 800 000 euros et 900 000 euros moyennant une prime mensuelle de 800 euros, 1 000 euros et 1 500 euros. Il était ajouté la clause suivante : ‘Ces objectifs de CA facturé seront révisés chaque année pour tenir compte de l’évolution du marché des nouveaux produits qui lui seront confiés, de la suppression de certains articles’.

Aux termes de l’article L. 1222-1 du Code du travail, l’employeur doit exécuter le contrat de travail de bonne foi. En cas de violation de cette obligation, ce dernier peut voir sa responsabilité civile engagée.

Il appartient au salarié de renverser la présomption d’exécution de bonne foi du contrat de travail par l’employeur en rapportant la preuve d’un manquement à cette obligation et l’intention malicieuse de l’employeur.

Aucun principe ne permet d’intégrer dans les salaires les avances sur primes, dès lors que c’est au titre de la rémunération variable que le montant mensuel litigieux a été versé, sur le fondement de la pratique précédente et des objectifs fixés en 2005.

Si l’employeur ne proposait pas chaque année une grille d’objectifs, les attestations et courriers échangés par les parties démontrent que des discussions existaient entre les parties qui n’aboutissaient pas, notamment parce que le M. [E] [Z] soutenait qu’on ne lui versait pas de prime ou que les propositions faites aboutissait à réduire sa rémunération variable, alors qu’il a toujours perçu au titre de la rémunération variable une somme et notamment entre 2005 et 2015 une avance mensuelle de 2.800 euros. Rien ne permet de considérer que cette somme était insuffisante, puisqu’elle correspondait au dernier accord passé entre les parties et qu’il n’est pas soutenu que celui-ci n’ait pas été respecté dans son application au fil de l’évolution du contrat. Il en est d’autant plus ainsi qu’une attestation de Mme [P] rapporte que la société a affronté des difficultés économiques entre 2012 et 2017 ayant conduit à cinq réorganisations soit 2 en 2013, une en 2015, et à deux plans de sauvegarde en 2016 et 2017. Les propositions de l’employeur d’intégrer les avances sur prime dans le salaire fixe et de fixer des objectifs non seulement quantitatifs mais qualitatifs n’apparaissent pas empreintes de mauvaise foi et ne peuvent être imputées à faute à la société. Il était loisible au salarié de refuser comme il l’a fait.

Il résulte du principe ‘à travail égal, salaire égal’, dont s’inspirent les articles’L.1242-14, L.1242-15, L.2261-22.9 , L.2271-1.8° et L.3221-2 du code du travail, que tout employeur est tenu d’assurer, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l’égalité de rémunération entre tous ses salariés placés dans une situation identique et effectuant un même travail ou un travail de valeur égale.

Sont considérés comme ayant une valeur égale par l’article L.3221-4 du code du travail les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l’expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse.

En application de l’article’1315 du code civil, s’il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe ‘à travail égal, salaire égal’ de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, il incombe à l’employeur de rapporter la preuve d’éléments objectifs, pertinents et matériellement vérifiables justifiant cette différence.

Le fait que le salarié qui prétend être victime d’une différence et le salarié de référence soient classés dans la même catégorie professionnelle prévue par la convention collective applicable à leur emploi n’est pas, à lui seul, suffisant pour conclure que les deux travailleurs concernés accomplissent un même travail ou un travail auquel est attribuée une valeur égale au sens des textes et principes précités’; cette circonstance ne constitue qu’un indice parmi d’autres.

Au-delà d’une affirmation d’ordre général, le salarié ne soumet pas d’éléments de faits susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération en sa défaveur et encore moins un élément de nature à justifier que la prétendue atteinte à ce principe procède d’une intention malicieuse. Le dossier révèle que les autres salariés ont accepté des modifications similaires à ce qui a été proposé à M. [E] [Z]. Il n’est pas plus soutenu que les avances sur primes que recevait régulièrement l’intéressé dans la continuité de l’exécution de la dernière notification de ses objectifs au salarié, fûssent défavorables à M. [E] [Z] par rapport au régime contractuel de ses collègues.

Le salarié n’apporte pas d’élément manifestant une inégalité de traitement en sa défaveur, ni ne démontre une intention malicieuse de l’employeur dans sa renonciation à proposer des objectifs que le salarié avait précédemment refusés.

En conséquence la demande de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail doit être rejetée.

2 : Sur la résiliation

2.1 : Sur les manquements de la SASU [Adresse 5]

M. [E] [Z] sollicite le prononcé de la résiliation du contrat de travail à raison des manquements précédemment évoqués à savoir défaut de proposition d’objectifs loyale chaque année et conforme au contrat de travail, défaut d’intégration de l’avance sur prime dans le salaire de base, tentative de dénaturation des termes du contrat en ajoutant une part qualitative aux objectifs quantitatifs, versement pendant 19 ans d’un forfait voiture constituant une rémunération déguisée et refus de rembourser l’intégralité des frais exposés par ce dernier dans le cadre de son activité professionnelle. A ces fautes, l’intéressé ajoute à l’appui de sa demande qu’il a été enjoint aux salariés par courriel du 27 novembre 2020 de travailler trois semaines en télétravail avec des visites clients seulement si la commande porte sur plus de 2.000 euros et qu’il s’agit d’un déplacement de moins de 200 kilomètres de son domicile. Ceci aboutissait, selon M. [E] [Z], à le priver de la possibilité de visiter les clients puisque son secteur de prospection est à 700 kilomètres de son domicile.

Le salarié invoque en sus d’autres manquements qu’il classe comme récents, à savoir l’introduction au cours du second semestre de l’année 2019 contre le salarié d’une procédure de licenciement sur la base de critères d’ordre des licenciements douteux, puisque :

– ils ne tenaient pas compte de sa situation de parent isolé, quoique la société en eût été informée par un courrier de la Direccte du 17 octobre 2017,

– il lui a été attribué la note la plus basse au titre des qualités professionnelles, quoiqu’il eût toujours fait l’objet de bonnes appréciations et produisait le meilleur chiffre d’affaire de tous les commerciaux.

Si la société a abandonné devant ses contestations son projet de licenciement, le salarié se plaint d’avoir fait l’objet de manoeuvres visant à se défaire de lui par rétorsion.

La SASU [Adresse 5] objecte que les faits allégués sont anciens pour la plupart, qu’elle maintient la contestation de ces griefs, telles que développées au titre de la demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, qu’elle souligne que pendant la période d’activité à temps partiel, les commerciaux ont continué à travailler par téléphone et visioconférence, au point que M. [E] [Z] lui-même a maintenu son niveau de chiffre d’affaire. La société oppose enfin que l’attribution dans les critères d’ordre d’un point supplémentaire en faveur des parents isolés n’était pas initialement prévue, qu’elle n’a appris que M. [E] [Z] était conseiller du salarié que le 7 juin 2019 et que ce n’est que sur la contestation de ce dernier, que la direction en concertation avec le comité économique et social a décidé d’accorder un point supplémentaire aux salariés parents isolés pour satisfaire aux exigences légales et a retiré son projet de licenciement de l’intéressé.

Sur ce

Sur le fondement de l’article 1184 du code civil, l’inexécution de certaines des dispositions résultant d’un contrat synallagmatique justifie la résiliation lorsqu’elle présente une gravité suffisante pour en justifier la résiliation. La résiliation du contrat de travail à la demande du salarié est encourue lorsque l’employeur a commis des manquements ou des actes suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

Il a été démontré que les griefs relatifs au défaut de proposition d’objectifs chaque année, au défaut d’intégration de l’avance sur prime dans le salaire de base, à l’offre de modification des modalités de fixation des objectifs et d’intégration d’une part de la rémunération variable dans le salaire fixe, à la qualification du forfait de remboursement des frais professionnels en rémunération déguisée et au refus de rembourser l’intégralité des frais exposés par ce dernier dans le cadre de son activité professionnelle doivent être écartés.

S’agissant de l’impossibilité dans laquelle il s’est trouvé de démarcher les clients pendant la période de crise sanitaire, dès lors que M. [E] [Z] reconnaît qu’il a réussi à maintenir son chiffre d’affaire pendant cette période pourtant difficile, il ne peut prétendre qu’il y a eu un manquement qui lui aurait causé un préjudice.

S’agissant des critères d’ordre, dès que le salarié a fait connaître sa situation de parent isolé, la société lui a fait part par lettre du 19 juin 2019 de sa renonciation au projet.

Quant à l’évaluation faible de M. [E] [Z], au regard des critères d’ordre, de trois points au titre des qualités professionnelles, il n’est pas prouvé que ce fût par malveillance, puisque ceci n’a pas changé le sort de l’intéressé qui avait suffisamment de point pour ne pas devoir être licencié.

Ainsi aucun manquement n’est de nature à justifier la résiliation.

2.2 : Sur les demandes chiffrées au titre de la résiliation

Estimant que le paiement d’une part de salaire sous la qualification mensongère de frais professionnels caractérise un travail dissimulé, le salarié sollicite le paiement d’une indemnité de travail dissimulée de 47.131,98 euros. Il prie aussi la cour de condamner la partie adverse à verser les indemnités inhérentes à un licenciement nul.

L’article L8221-5 du code du travail dispose qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d’un bulletin de paie ou d’un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.

L’article 8223-1 du code du travail dispose quant à lui que, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

En l’absence de résiliation et de rupture du contrat de travail, et eu égard au rejet de la demande tendant à voir dire que les frais professionnels doivent être intégrés dans le salaire, la demande en cause ne peut qu’être rejetée.

Dès lors que la demande de résiliation est rejetée, M. [E] [Z] ne saurait prospérer dans ses demandes en paiement d’une indemnité de licenciement, d’une indemnité de préavis, de l’indemnité de congés payés y afférents, d’indemnité pour rupture pendant la période de protection et d’indemnité pour licenciement illicite.

3 : Sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

Il est équitable, compte tenu de la situation économique respective des parties et au regard de l’article 700 du code de procédure civile de rejeter les demandes du salarié au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel.

Le salarié qui succombe sera condamné aux dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS :

La Cour statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe et en dernier ressort ;

Se déclare non saisi de la demande de dommages-intérêts pour discrimination syndicale ;

Confirme le jugement déféré pour le surplus ;

Y ajoutant ;

Déclare irrecevable la demande de condamnation de l’employeur à verser les cotisations sociales échues avant le 11 juillet 2016 sur les sommes correspondant au prétendu forfait voiture ;

Déclare M. [E] [Z] recevable en ses autres demandes nouvelles en cause d’appel ;

Rejette les demandes de M. [E] [Z] tendant à voir intégrer les indemnités de forfait voiture échues après le 11 juillet 2016 dans le salaire de base, de régularisation auprès des organismes sociaux quant aux cotisations patronales et salariales applicables à ces indemnités de transport échues après le 11 juillet 2016, à voir intégrer dans le salaire de base les avances sur prime de 2.800 euros mensuels, en paiement d’une indemnité de travail dissimulé, en paiement de rappel de salaire au titre du forfait voiture, d’indemnité de congés payés y afférents, de rappel de salaire au titre d’avril 2020 et mai 2021, de remboursement de frais professionnels, de dommages-intérêts pour atteinte au principe de l’égalité de traitement, de résiliation du contrat de travail, d’indemnité de licenciement, d’indemnité de préavis, d’indemnité de congés payés y afférents, de dommages-intérêts pour violation du statut protecteur, de dommages-intérêts pour licenciement illicite et d’indemnité au titre des frais irrépétibles d’appel ;

Rejette la demande de la SASU [Adresse 5] en paiement d’une indemnité au titre des frais irrépétibles d’appel ;

Condamne M. [E] [Z] aux dépens d’appel.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

 


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