25 mai 2022
Cour d’appel de Paris
RG n°
19/17491
Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 3
ARRET DU 25 MAI 2022
(n° 164 , 5 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/17491 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CAUU4
Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Juillet 2019 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 14/18356
APPELANTES
Madame [I] [Z] agissant sa qualité de co-indivisaire de l’indivision successorale de feue sa mère, Madame [T] [Z], décédée le 12 mars 2011
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Pascal SCHEGIN, avocat au barreau de PARIS, toque : E0246
Madame [E] [Z] agissant sa qualité de co-indivisaire de l’indivision successorale de feue sa mère, Madame [T] [Z], décédée le 12 mars 2011
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Pascal SCHEGIN, avocat au barreau de PARIS, toque : E0246
INTIMEE
SARL DESIGNELLES agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 483 425 377
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Antoine PINEAU-BRAUDEL, avocat au barreau de PARIS, toque : C0260
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Avril 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Gilles BALA’, président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Gilles BALA’, président de chambre
Madame Sandrine GIL, conseillère
Monsieur Jean-François FAUQUENOT, conseiller
qui en ont délibéré
Greffières, lors des débats : Madame Marie-Gabrielle de La REYNERIE
lors de la mise à disposition : Madame Claudia CHRISTOPHE
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Gilles BALA’, président de chambre et par Madame Claudia CHRISTOPHE, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
*****
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte du 1er juillet 2005, Mme [T] [Z], aux droits de laquelle viennent Mmes [I] et [E] [Z], a donné à bail en renouvellement à la société Noury, aux droits de laquelle vient la société Designelles, des locaux à usage commercial outre un appartement en étage, situés [Adresse 1], pour une durée de 9 ans à compter du même jour moyennant un loyer annuel principal de 17 611,37 € et pour l’exercice d’une activité de « chaussures et cordonnerie, maroquinerie en tous genres, articles de voyage, parapluies et toutes fournitures pour maroquinerie en gros, demi-gros et détail, articles de Paris, bijouterie, cadeaux, radio, télé, au détail, gros et demi-gros ».
Par acte du 11 décembre 2013, Mmes [Z] ont délivré à la société Designelles un congé à effet du 30 juin 2014 avec offre de renouvellement à compter du 1er juillet 2014 moyennant un prix annuel de 45 000 €, acceptant par ledit acte expressément l’adjonction d’activité opérée en cours de bail par la preneuse, soit « import-export de pierres semi-précieuses et de matériaux précieux », publié au BODACC les 13 et 14 février 2010.
Après un mémoire notifié le 26 mai 2014 à la société Designelles, en fixation du prix du bail renouvelé à la somme annuelle de 45 000 €, Mmes [Z] l’ont fait assigner à comparaître devant le tribunal de grande instance de Paris en fixation du prix du bail renouvelé à la somme annuelle de 50 000 €. La société Designelles a sollicité la fixation du prix au montant du loyer plafond.
Par jugement avant-dire droit du 17 septembre 2015, le juge des loyers commerciaux a ordonné une expertise confiée à M. [P], et ce dernier a déposé son rapport le 02 janvier 2017.
Par jugement du 05 juillet 2019, le juge des loyers a constaté le principe du renouvellement du bail ; dit n’y avoir lieu à déplafonnement du prix du bail renouvelé ; fixé à la somme de 22 853,18 € en principal, hors taxes et hors charges, par an, à compter du 1er juillet 2014, le montant du loyer annuel du bail ; dit qu’ont couru des intérêts au taux légal sur le différentiel entre le loyer effectivement acquitté et le loyer finalement dû, à compter du 15 décembre 2014 pour les loyers avant cette date, puis à compter de chaque échéance contractuelle pour les loyers échus après cette date ; partagé les dépens, en ce inclus les coûts d’expertise, par moitié entre les parties ; dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ; ordonné l’exécution provisoire de la décision ; rejeté toute demande plus ample ou contraire.
Par déclaration du 05 septembre 2019, Mmes [I] et [E] [Z] ont interjeté appel de certains chefs du jugement.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 09 février 2022.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Vu les dernières conclusions déposées le 04 décembre 2019, par lesquelles Mmes [I] et [E] [Z], appelantes, demandent à la Cour d’infirmer le jugement ; et statuant à nouveau, de fixer le loyer à compter du 1er juillet 2014 à la somme annuelle, en principal hors charges et hors taxes, de 59 948 € sauf à parfaire ; dire que le loyer portera intérêt au taux légal de plein droit à compter de sa date d’effet et subsidiairement à compter de la notification du mémoire originel jusqu’à parfait paiement ; dire et juger que les intérêts échus depuis plus d’un an produiront eux-mêmes intérêt par application de l’article 1154 du code civil ; condamner la société Designelles aux intérêts au taux légal, y compris capitalisés ; subsidiairement, fixer le loyer plafonné à compter du 1er juillet 2014 à la somme annuelle, en principal hors charges et hors taxes, de 22 853,18 € ; condamner la société Designelles au paiement de la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; condamner la société Designelles aux entiers dépens.
La société Designelles a constitué avocat mais n’a pas conclu. Aux termes de l’article 954 du code de procédure civile, la partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement, est réputée s’en approprier les motifs.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des appelantes. Pour une meilleure compréhension du présent arrêt, leur position sera succinctement résumée.
Au soutien de leur demande relative au déplafonnement du prix du bail, les appelantes affirment que le prix du bail doit être déplafonné en raison de la modification de la destination des lieux.
Elles rappellent l’extension de l’objet social de la société preneuse par adjonction des activités « d’achat, de vente, d’import-export de pierres semi-précieuses et métaux précieux ». Elles font observer que ces activités ne sont inclues ni dans les activités autorisées par le bail, ni dans celles effectivement exercées auparavant, ajoutant qu’elles ne sont ni connexes, ni complémentaires avec les activités autorisées ou celles effectivement exercées. En tout état de cause, elles prétendent que la société preneuse n’a pas mis en oeuvre la procédure de déspécialisation. Elles affirment que la seule circonstance de cette extension suffit à établir le caractère notable de la modification.
Au soutien de leur demande relative à l’évaluation de la valeur locative, les appelantes contestent l’appréciation de l’expert relative au second tronçon de la rue du Temple en ce qu’elle serait de commercialité moyenne, et rappellent qu’il est de jurisprudence constante que la qualité de l’emplacement s’apprécie au regard du commerce exercé. Elles sollicitent l’application d’un prix au mètre carré de 700 € au lieu de 600 € s’agissant de la partie relative à la boutique, et sollicitent la fixation de la valeur locative à la somme de 43 148 €. S’agissant de la partie relative à l’appartement, elles affirment que le prix proposé par l’expert est sous-évalué compte tenu de la qualité des lieux, du quartier recherché et de la réfection des parties communes associée au ravalement complet de l’immeuble. Ainsi, elles demandent que soit reconnue une valeur locative de 16 800 €.
MOTIFS DE L’ARRET
Selon l’article L 145 -33 du Code de commerce, le loyer du bail renouvelé doit par principe correspondre à la valeur locative. En application de l’article L 145 34 du même code, le mécanisme du plafonnement est cependant écarté en cas de modification notable de l’un des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l’article L. 145-33 ; et en particulier la destination des lieux loués.
Aux termes de l’article R 145-5 du code de commerce, « la destination des lieux est celle autorisée par le bail et ses avenants ou par le tribunal dans les cas prévus aux articles L 145-47 à L 145-55 et L642-7 ».
En l’espèce, il convient de rechercher la modification de la destination des lieux intervenue entre le 1er juillet 2005 et le 30 juin 2014.
Une infraction aux clauses du bail ne peut pas constituer une modification notable susceptible d’entraîner le déplafonnement, sauf si le bailleur, la ratifiant, l’invoque en tant que modification et non comme une infraction, dont il s’interdit pour l’avenir de faire reproche au preneur.
En l’espèce, Mmes [Z] invoquent le fait que par assemblée générale du 5 novembre 2009, les associés de la société Designelles ont décidé « d’étendre, à compter de ce jour, l’objet social à l’achat, la vente, l’import-export de pierres semi-précieuses et métaux précieux ». En conséquence, l’assemblée modifie l’article 4 des statuts de la manière suivante:
La société a pour objet : Achat, vente, import-export de marchandises en tout genre, bijoux fantaisie, photos, pierres semi-précieuses et métaux précieux, accessoires de mode, articles de [Localité 6], articles de confection, textiles, prêt-à-porter, maroquinerie, articles de cadeau, bimbeloteries, chaussures, électroménager, radios, hi-fi, photos. Le reste de l’article demeure inchangé ».
Il doit être rappelé que le bail a été consenti pour l’activité de « chaussures et cordonnerie, maroquinerie en tous genres, articles de voyage, parapluies et toutes fournitures pour maroquinerie en gros, demi-gros et détail, articles de [Localité 6], bijouterie, cadeaux, radio, télé, au détail, gros et demi-gros » et qu’il résulte des termes du jugement entrepris que par l’acte de congé, les bailleresses expressément accepté l’exercice des activités nouvelles d’« import-export de pierres semi-précieuses et de matériaux précieux ».
Il est admis que le preneur n’est jamais tenu d’exercer toutes les activités autorisées par le bail; c’est pourquoi, l’adjonction d’activités nouvelles dans son objet social, s’agissant d’une société, et dans sa pratique commerciale, n’a pas nécessairement pour effet d’étendre la destination contractuelle des lieux, si les activités nouvellement exercées étaient déjà autorisées par le contrat. Mais surtout, certaines activités peuvent être comprises dans l’objet social d’une société, sans être pour autant exercées dans les lieux faisant l’objet d’un bail commercial, la société n’étant pas tenue d’exercer toutes les activités de son objet social, ni dans un unique lieu.
La modification de l’objet social, pour des motifs relevant du droit des sociétés, de l’information des tiers, et du contrat de société, n’a pas en l’espèce entraînée une modification de la destination contractuelle des lieux faisant l’objet du bail.
En effet, l’importation de pierres semi-précieuses et de matériaux précieux est une activité de bijouterie autorisée par le bail. Il ressort d’une pratique courante de certains bijoutiers d’importer des pierres semi-précieuses des matériaux précieux, c’est-à-dire d’en faire l’acquisition à l’étranger.
S’agissant de l’exportation de ces mêmes pierres semi-précieuses et matériaux précieux, il faut en premier lieu observer, s’agissant de la définition d’un objet social d’une société commerciale, qu’elle est généralement adjointe à l’activité d’importation, le terme import-export permettant d’englober toutes les opérations de négoce.
Ainsi, l’activité qui consisterait à vendre à l’étranger des pierres semi-précieuses et des métaux précieux doit-elle être considéré comme un accessoire, et un complément naturel des acquisitions faites à l’étranger.
Mais surtout, en l’absence de conclusions de la société Designelles, il ne résulte pas des termes du jugement entrepris que l’activité d’import-export de pierres semi-précieuses et de matériaux précieux serait réellement exercée dans les lieux loués ; à l’inverse, le premier juge a rappelé les prétentions des bailleresses en précisant qu’elles « déduisent de cette adjonction d’une activité nouvelle de manière unilatérale, sans respect de la procédure de déspécialisation prévue aux articles L 145-47 et suivants du code de commerce ce qui les a privées d’une possibilité de faire valoir leurs droits dès 2009 et une révision du prix du bail en 2011 et pourrait justifier la résiliation du bail, l’existence d’un motif de déplafonnement, puisqu’elles ont ratifié une modification notable de la destination contractuelle, peu important que la nouvelle activité n’ait pas été mise en place effectivement par le locataire ». Le premier juge avait également relevé que la société Designelles conteste la réalité de l’exploitation d’une nouvelle activité, en remarquant que l’expertise judiciaire n’a révélé l’exercice d’aucun commerce de métaux précieux ou semi-précieux.
Aucune pièce n’est produite permettant de démontrer la réalité de l’exploitation. En particulier, le rapport d’expertise comporte une photo de la devanture ne mentionnant aucune activité particulière en lien avec les activités litigieuses ; l’expert a d’ailleurs relevé que les bijoux dont il a constaté l’existence, vendus dans la boutique, ne sont pas d’une matière ou d’un métal précieux.
Or, la société locataire n’a pas demandé une extension de la destination contractuelle, et la ratification par les bailleresses d’une activité prévue dans la modification de l’objet social, ne saurait constituer une modification de la destination contractuelle à défaut de preuve de l’exercice effectif d’une activité nouvelle dans les lieux loués, d’autant que par lettre du 1er avril 2014, le conseil de la société locataire a contesté, à réception du congé, que soit intervenue une quelconque adjonction d’activité pouvant justifier le déplafonnement du loyer contractuel.
Le jugement entrepris doit en conséquence être confirmé en toutes ses dispositions, n’étant pas autrement critiqué, dès lors qu’il n’y a pas lieu de rechercher la valeur locative en raison de l’application des règles du plafonnement.
Les appelantes, qui succombent, supporteront les dépens d’appel et doivent être déboutées de leur demande d’indemnisation de frais irrépétibles, en application des articles 696 et 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme, en toutes ses dispositions, le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 5 juillet 2019,
Déboute Mesdames [I] et [E] [Z] de leur demande d’indemnisation de frais irrépétibles,
Les condamne aux dépens.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT