29 juin 2022
Cour d’appel de Montpellier
RG n°
19/01528
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
2e chambre sociale
ARRET DU 29 JUIN 2022
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 19/01528 – N° Portalis DBVK-V-B7D-OBP3
ARRET N°
Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 FEVRIER 2019
CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER – N° RG F 17/00610
APPELANT :
Monsieur [P] [R]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Philippe SENMARTIN de la SELARL CHABANNES-SENMARTIN ASSOCIES, avocat postulant au barreau de MONTPELLIER
Représenté par Me Frédéric MORA, avocat plaidant au barreau de MONTPELLIER
INTIMEE :
SA OREST GROUP
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Christophe KALCZYNSKI de l’AARPI DABIENS, KALCZYNSKI, avocat au barreau de MONTPELLIER
Représentée par Me Philippe WITTNER de la SELARL SELARL ORION AVOCATS & CONSEILS – SOCIAL, avocat au barreau de STRASBOURG
Ordonnance de clôture du 25 Avril 2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 16 MAI 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Jean-Pierre MASIA, Président, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président
Madame Florence FERRANET, Conseiller
Madame Isabelle MARTINEZ, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Marie-Lydia VIGINIER
ARRET :
– contradictoire ;
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par M. Jean-Pierre MASIA, Président, et par Mme Marie-Lydia VIGINIER, Greffier.
*
**
FAITS ET PROCEDURE
Le 19 août 1986, Monsieur [P] [R] a été engagé par la société anonyme Orest Group par contrat à durée indéterminée. Au dernier état de la relation contractuelle, le salarié occupait les fonctions de responsable de fabrication sur le site de [Localité 5] (statut cadre). La convention collective applicable à la relation de travail était celle de la bijouterie, orfèvrerie, joaillerie.
La société Orest Group avait deux sites, l’un à [Localité 4] et l’autre à [Localité 5].
Par courrier du 27 mai 2016, suite à un projet de redéploiement partiel des activités du site de [Localité 5] vers [Localité 4], l’employeur a proposé au salarié une mutation sur le site d'[Localité 4] que le salarié a refusée par courrier du 21 juin 2016.
Le 12 juillet 2016, le salarié a été convoqué à un entretien préalable au licenciement, fixé au 26 juillet 2016 et, le 30 août 2016, il a été licencié pour motif économique.
Contestant son licenciement, le salarié a saisi, le 7 juin 2017, le conseil de prud’hommes de Montpellier lequel, par jugement du 11 février 2019, a dit que la lettre de licenciement était motivée, dit que le licenciement avait une cause réelle et sérieuse, débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts, débouté les parties de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile et laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens.
C’est le jugement dont Monsieur [R] a régulièrement interjeté appel.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions de Monsieur [P] [R] régulièrement notifiées et déposées au RPVA le 19 janvier 2022 dans lesquelles il est demandé à la cour de :
– réformer le jugement en son entier,
– juger que la société Orest ne fournit aucun élément réel, vérifiable, objectif et exact afin de prouver ce motif,
– juger que la société Orest ne peut se contenter de se fonder sur le PSE ou ses déclarations aux instances qui ne constituent pas la preuve du motif,
– juger que la société Orest ne justifie d’aucune difficulté économique et perte de compétitivité,
– juger que le licenciement pour motif économique est sans cause réelle et sérieuse,
– juger que l’employeur a failli à son obligation de tentative de reclassement, nonobstant la modification substantielle du contrat de travail proposée au salarié,
– juger la lettre de licenciement pour motif économique de Monsieur [R] insuffisamment motivée,
– juger que le motif économique est sans cause réelle et sérieuse,
– juger que l’employeur a failli à son obligation de tentative de reclassement nonobstant la modification substantielle du contrat de travail proposée au salarié,
– condamner la société à 180000€ de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 2000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions de la sa Orest Group régulièrement notifiées et déposées au RPVA le 31 juillet 2019 dans lesquelles il est demandé à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement et condamner Monsieur [R] à un montant de 1500€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Pour l’exposé des prétentions des parties et leurs moyens, il est renvoyé, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, à leurs conclusions ci-dessus mentionnées et datées.
Vu l’ordonnance de clôture du 25 avril 2022.
SUR CE
Sur l’obligation de reclassement
Pour demander l’infirmation du jugement, le salarié fait notamment valoir que l’employeur n’avait pas respecté son obligation de reclassement.
L’employeur réplique que la société avait rempli son obligation de reclassement en proposant une modification du contrat de travail ainsi qu’une mobilité internationale.
Selon l’article L1233-3 du code du travail dans sa rédaction alors applicable, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.
Selon l’article L1233-4 du même code, le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie.
Le reclassement du salarié s’effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, le reclassement s’effectue sur un emploi d’une catégorie inférieure. Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.
L’employeur doit rechercher de façon loyale et sérieuse un poste de reclassement dans le périmètre de l’entreprise ou des entreprises du groupe dans lesquelles une permutation de tout ou partie du personnel est possible.
La preuve de l’exécution de l’obligation de reclassement incombe à l’employeur.
En l’espèce, la lettre de licenciement était ainsi rédigée : ‘Nous faisons suite à l’entretien du mardi 26 juillet 2016, entretien où vous vous êtes présenté seul. Lors de cet entretien, nous vous avons présenté le dispositif du CSP en vous précisant notamment par écrit que vous disposiez d’un délai de réflexion de 21 jours pour adhérer à la mesure en question , et donc ce délai expirant le 16 août 2016, cette date incluse.
A ce jour, nous n’avons pas réceptionné de réponse positive quant à votre adhésion à ce dispositif de CSP et nous ne pouvons qu’en déduire, au regard de l’expiration des délais impartis, que vous refusez de souscrire au dispositif de CSP.
Comme nous vous l’indiquions au cours cet entretien, et en l’absence d’adhésion au contrat de sécurisation professionnelle qui vous a alors été proposée, nous sommes contraint de vous notifier votre licenciement économique, qui est justifié par les faits suivants :
1. Exposé de la situation
L’année 2016 marque une baisse significative du volume de production du site de [Localité 5] (-40%).
o Les produits à destination du client [M] sont vieillissants, avec une baisse constante des volumes depuis plusieurs années,
o Les nouveautés proposées par [M] sont des produits plus complexes (Small Carat, Amulettes, juste un clou) et produits sur le site d'[Localité 4], le site de [Localité 5] ne disposant pas de la technologie,
o Les produits à destination du client [C], gamme Possession marquent un net recul par rapport à 2015 (année de lancement) et le prochain lancement significatif interviendra en 2021,
2. Les chiffres
o Le volume 2016 est constitué au 18/01 par le portefeuille de commandes complété par les prévisions de notre budget issu des prévisions clients,
o Cette analyse prend en compte les volumes [C] et [M],
o Les volumes de 2013 à 2015 sont les volumes reçus en commande,
o Le volume 2016 est constitué au 18/01 par le portefeuille de commandes complété par les prévisions de notre budget issu des prévisions clients,
o Nos prévisions 2017 sont au mieux au niveau de 2016, aucun développement en cours n’est susceptible d’être produit à [Localité 5] et le time to Market client est de 12 à 18 mois.
3. Evolution des quantités [C] +[M] (…)
4. Charge en heures de travail (…)
o Nous complétons depuis 2015 la sous charge de [Localité 5] par du transfert en sous-traitance pour [Localité 4], notamment sur VCA trèfles équivalent en nombre de sertisseur à 2 ou 2,5 sertisseurs actuellement du fait de la commande de lancement bague perlée 7.
o Ce transfert de sertissage induit :
– de la charge supplémentaire sur les services supports, service pierres et services logistiques,
– des coûts de transport supplémentaires,
– un prix de revient non compétitif,
– des problèmes de délai et de non-respect du PDP.
o Essais de transfert charge Chaumet non concluants en terme de temps de sertissage20mn par pierre > le coût en sous-traitance est seulement de 4€/la pierre.
o Nous avons essayé de transférer sans succès les productions Torsades du client Chaumet
– Le niveau de qualité produit est très insuffisant (savoir-faire haute joaillerie très insuffisant),
– Le prix de revient est complètement décalé : 20mn par pierre soit 18€ > pour un prix vendu de 6€/la pierre.
o Nous avons essayé de transférer sans succès du sertissage sur base fonte à cire perdue
([Z] [C]) (savoir-faire joaillerie insuffisant).
o Les investissements capitalistiques sur le site de [Localité 5] (Nouvelle Fraiseuse à 600K€) ne sont pas envisageables en regard du temps d’ouverture de l’établissement qui est seulement de 8h comparé à 24h à [Localité 4].
5. Conséquences de la sous-activité
o Le service sertissage est en sureffectif de 4 personnes.
o Le service usinage est en sureffectif de 2 personnes.
o Le poste de responsable de site en charge du développement n’a plus de sens.
o L’ensemble de ces emplois peut être transféré sur le site d'[Localité 4].
Nous vous avons ainsi proposé par courrier, une mobilité géographique entraînant modification de votre contrat de travail quant au lieu d’exécution de votre activité, permettant ainsi de faire face aux difficultés actuelles relatées ci-dessus et, de par cette réorganisation, également de sauvegarder notre compétitivité sur le marché qui est le nôtre.
Pour des raisons qui vous sont personnelles, vous nous avez fait valoir, par courrier daté du 21 juin 2016, votre refus d’une mobilité vers le site d'[Localité 4]. Le 12 juillet, vous avez fait valoir un refus concernant le principe d’une mobilité à l’international
Compte tenu de ce qui précède, et de par l’emploi et le poste que vous occupez au sein de l’entreprise sur le site de [Localité 5], nous sommes amenés à vous notifier le présent licenciement pour motif économique eu égard à la suppression de votre emploi sur le site de [Localité 5]. La durée de votre préavis est de 3 mois et débutera à la date de première présentation de cette lettre. Nous entendons par ailleurs vous dispenser d’effectuer ce préavis
jusqu’à la rupture de votre contrat de travail. Vous percevrez pendant cette période une indemnité compensatrice correspondante à chaque échéance habituelle de paie. (…)’.
Le salarié ayant indiqué, par courrier du 12 juillet 2016, ne pas être intéressé par une mobilité géographique hors du territoire national, c’est à juste titre que l’employeur n’avait pas recherché de poste de reclassement à l’international.
Toutefois, il ressort du courrier de l’employeur du 27 mai 2016 au sujet de la réorganisation de l’entreprise ainsi que des propres écritures de l’employeur que la mutation à [Localité 4] proposée au salarié n’entrait pas dans le cadre de la recherche de reclassement mais constituait l’élément matériel du motif économique. L’employeur ne peut donc invoquer cette mutation pour dire avoir respecté son obligation de reclassement.
L’employeur ne justifie pas de l’impossibilité de reclasser le salarié au sein du périmètre de reclassement.
En effet, en l’absence de production de pièces, l’employeur :
– ne démontre pas avoir recherché de façon exhaustive toutes les possibilités de reclassement dans l’entreprise, étant précisé que le site de [Localité 5] n’avait pas été totalement fermé ;
– ne démontre pas avoir recherché des postes de reclassement dans les autres sociétés du groupe, étant précisé qu’il invoque, dans son courrier du 7 juillet 2016, l’existence d’un groupe auquel il appartiendrait ;
– n’explique pas en quoi la réorganisation aurait fait perdre tout sens au poste de responsable du site de [Localité 5] occupé par le salarié, comme exposé dans la lettre de licenciement.
Même à supposer que la mutation à [Localité 4] proposée au salarié n’avait pas participé du motif économique et avait été proposée dans le cadre de la recherche de reclassement, il n’est de toute façon pas démontré que cet unique poste ait été le seul disponible.
Dès lors qu’il n’est pas justifié du caractère exhaustif des recherches de reclassement, le licenciement pour motif économique doit être déclaré sans cause réelle et sérieuse sans qu’il soit besoin d’aller plus avant dans l’argumentaire du salarié.
Le jugement qui a rejeté la demande du salarié sera en conséquence réformé.
Au vu de la taille de l’entreprise (supérieure à 11 salariés), de l’âge du salarié (né le 28 septembre 1962), de son ancienneté (30 ans), de sa rémunération brute mensuelle non contestée (6000€), de ce qu’il est inscrit sur la liste des demandeurs d’emploi depuis le 8 décembre 2016 et de ce qu’il perçoit encore en 2022 l’allocation de solidarité spécifique, il convient d’allouer au salarié la somme de 72000€ à titre de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les autres demandes
Il sera alloué au salarié la somme de 1500€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Réforme le jugement du conseil de prud’hommes de Montpellier du 11 février 2019 en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau sur les points réformés et y ajoutant,
Dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la sa Orest Group à payer à Monsieur [P] [R] les sommes suivantes :
– 72000€ à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– 1500€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamne la sa Orest Group aux entiers dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT