Bijouterie : 18 janvier 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/00566

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Bijouterie : 18 janvier 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/00566

18 janvier 2023
Cour d’appel de Paris
RG
20/00566

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRÊT DU 18 JANVIER 2023

(n° , 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/00566 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBJCL

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Décembre 2019 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – Section Encadrement chambre 4 – RG n° F19/08222

APPELANT

Monsieur [D] [P]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Nicolas POTTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0461

INTIMÉE

SAS ORFEVRERIE CHRISTOFLE

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Caroline HATET-SAUVAL, avocat au barreau de PARIS, toque : L0046

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 18 Octobre 2022,en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Philippe MICHEL, président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Philippe MICHEL, président de chambre

Mme Valérie BLANCHET, conseillère

M. Fabrice MORILLO, conseiller

Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, prorogé à ce jour.

– signé par Monsieur Philippe MICHEL, président et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par contrat de travail à durée indéterminée du 2 janvier 2015, M. [P] a été engagé par la société Orfèvrerie Christofle à compter du 5 janvier 2015, en qualité de commercial sud ouest, niveau 4, échelon 1 de la convention nationale collective de la bijouterie, joaillerie, orfèvrerie et activités qui s’y rattachent, moyennant une rémunération fixe mensuelle brute de 2 314 euros sur 13 mois et des bonus annuels, sous la forme de :

‘- une prime d’objectifs de 15% de la rémunération annuelle brute, en cas d’atteinte de l’objectif annuel du chiffre d’affaire global qui sera fixé chaque début d’année,

– une commission de 2% sur le montant du chiffre d’affaire réalisé spécifiquement au titre des activités Corporate, cette commission [étant] versée dès que l’objectif annuel du chiffre d’affaires Corporate [sera] atteint, indépendamment de l’atteinte de l’objectif du chiffre d’affaires global.’

Par avenant au contrat du 1er janvier 2019 annulant et remplaçant les stipulations du contrat initial qui lui seraient contraires, M. [P] a été nommé aux fonctions de local hospitality manager au statut cadre, niveau 5, échelon 1, moyennant une rémunération mensuelle fixe brute de 3 000 euros sur 13 mois soit 39 000 euros par an.

Reprochant, entre autres, à son employeur, d’une part, de ne pas lui avoir versé le paiement de sa commission au titre de l’année 2018 correspondant à 2 % de son chiffre d’affaires réalisé, soit environ 2 700 euros bruts, et, d’autre part, de ne pas lui avoir fixé ses objectifs individuels pour l’année 2019, M. [P] a pris acte de la rupture de son contrat de travail par lettre du 26 juillet 2019.

Soutenant que sa prise d’acte de rupture de son contrat de travail doit prendre les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [P] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris, le 17 septembre 2019, afin d’obtenir, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, la condamnation de la société Orfèvrerie Christofle à lui verser les sommes suivantes assorties des intérêts au taux légal :

° dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 38 146,85 euros,

° indemnité compensatrice de préavis : 7 921,33 euros,

° congés payés afférents : 792,13 euros,

° indemnité de licenciement : 9 218,82 euros,

° dommages et intérêts pour préjudice moral et professionnel : 7 000 euros,

° commission au titre de l’année 2019 : 44’000 euros

° article 700 du code de procédure civile : 3 500 euros.

Il sollicitait également la remise de l’attestation destinée à Pôle Emploi, du certificat de travail et des bulletins de paie conformes, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document.

La société Orfèvrerie Christofle a conclu au débouté de M. [P] et à la condamnation de ce dernier à lui verser la somme de 7 921,33 euros à titre d’indemnité pour préavis non effectué, outre celle de 3 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 17 décembre 2019, le Conseil de Prud’hommes de Paris a débouté M. [P] de l’ensemble de ses demandes, l’a condamné aux dépens et a débouté la société Orfèvrerie Christofle de ses demandes reconventionnelles.

Par déclaration du 16 janvier 2020, M. [P] a interjeté appel du jugement qui lui avait été notifié le 27 décembre 2019.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 1er octobre 2020, il demande à la cour de :

– Infirmer le jugement entrepris,

à titre principal,

– Requalifier la prise d’acte de la rupture du contrat de travail en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

– Fixer son salaire mensuel de référence à la somme de 7 404,43 euros bruts, subsidiairement à 3 822,43 euros bruts ;

– Condamner la société Orfèvrerie Christofle à lui verser les sommes de :

° 8 947,02 euros, subsidiairement 4 618,78 euros, à titre d’indemnité de licenciement

° 37 022,15 euros, subsidiairement 19 112,15 euros, à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,,

à titre subsidiaire,

– Condamner la société Orfèvrerie Christofle à lui verser la somme de 7 000 euros à titre de dommages intérêts pour les fautes commises par l’employeur,

en tout état de cause

– Condamner la société Orfèvrerie Christofle à lui verser les sommes de :

° 7 921,33 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre celle 792,13 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de congés payés afférents

° 5 850 euros à titre de prime sur objectif de chiffre d’affaires global,

° 44 00 3,12 euros au titre de la commission sur le chiffre d’affaires Corporate 2019,

° 4 985,31 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de congés payés afférents aux rémunérations variables,

– Condamner la société Orfèvrerie Christofle à lui remettre les documents de fin de contrat et fiches de paie rectifiés pour tenir compte de la décision prononcée,

– Condamner la société Orfèvrerie Christofle à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 20 juillet 2020, la société Orfèvrerie Christofle demande à la cour de :

– Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [P] de l’intégralité de ses demandes,

A titre incident et reconventionnel,

– Infirmer la décision déférée en ce qu’elle l’a déboutée de sa demande reconventionnelle au titre de l’indemnité compensatrice du préavis non exécuté,

et statuant à nouveau,

– Condamner M. [P] à lui payer la somme de 7 921,33 euros au titre de l’indemnité compensatrice du préavis inexécuté,

En tout état de cause,

– Débouter intégralement M. [P] de ses demandes indemnitaires ;

– Condamner M. [P] à lui payer la somme de 3 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance avec recouvrement direct au bénéfice de la SCP Naboudet Hatet,

Subsidiairement, si par extraordinaire la Cour infirmait la décision déférée et considérait que la société Orfèvrerie Christofle a manqué à ses obligations au titre de la rémunération variable 2019,

– Dire que la prime de 15% sur objectifs au titre de l’année 2019 ne saurait excéder le montant de 3 412,50 euros,

– Dire que la commission de 2% du Chiffre d’affaires Corporate 2019 ne saurait excéder le montant de 3 203,33 euros,

– Dire que le salaire moyen de référence de M. [P] s’établit au montant de 3 860 euros bruts,

– Dire que l’indemnité légale de licenciement ne saurait excéder le montant de 4 664,16 euros,

– Dire que les dommages et intérêts au titre de la rupture ne sauraient excéder le montant de 11 580 euros,

– Débouter M. [P] de l’intégralité de ses demandes plus amples ou contraires.

L’instruction a été clôturée le 13 septembre 2022 et l’affaire fixée à l’audience du 18 octobre 2022.

MOTIFS

Sur la prise d’acte de rupture du contrat de travail

Il résulte de la combinaison des articles L.1231-1, L.1237-2 et L.1235-1 du code du travail que la prise d’acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l’employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail.

En cas de prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié, cette rupture produit les effets, d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, ou, dans le cas contraire, d’une démission.

Il appartient au salarié d’établir les faits qu’il allègue à l’encontre de l’employeur.

L’écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige; le juge est tenu d’examiner les manquements de l’employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.

M. [P] reproche à la société Orfèvrerie Christofle, d’une part, de ne pas lui avoir versé la commission de 2 % sur le chiffre d’affaires Corporate de 2018 et, d’autre part, de ne pas lui avoir fixé les objectifs 2019. Il soutient que ces manquements sont suffisamment graves pour justifier la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur.

La société Orfèvrerie Christofle réplique, en premier lieu, que M. [P] n’a évoqué l’exigibilité et le non-paiement de la commission Corporate 2018 que le 29 avril 2019, que même après cette date, il s’est inscrit dans la perspective d’une poursuite de son contrat de travail et que sa demande ultérieure en paiement de cette prime, bien que formulée dans des conditions discutables, tardives et après le départ de l’entreprise des responsables hiérarchiques capables d’en avérer l’exigibilité ou non, a été acceptée dès début juin 2019 et, en second lieu, que l’intégration de nouveaux collaborateurs dans de nouvelles fonctions et la négociation initiée par M. [P] pour la revalorisation de sa rémunération variable le 30 mai 2019 ont retardé la détermination de l’ensemble des objectifs 2019.

Elle en conclut qu’aucun manquement grave rendant impossible la poursuite du contrat de travail de M. [P] ne peut lui être reproché alors que, bien au contraire, elle a montré un attachement particulier à son salarié en lui octroyant une évolution professionnelle et salariale régulière depuis son embauche en 2015 et en acceptant même une nouvelle revalorisation salariale en juin 2019 après une récente augmentation en janvier 2019.

Cela étant, il ressort des pièces du dossier les éléments suivants : la rémunération mensuelle brute de M. [P] sur l’année 2018 s’est élevée à 2 458,09 euros soit un revenu annuel d’environ 32’000 euros en comptant le 13e mois. Cette rémunération a été augmentée d’une prime sur objectifs 2018 de 3 120 euros payée avec le salaire de mois de mars 2019. La prime de 2 % sur le chiffre d’affaires Corporate réclamée par M. [P] s’élève à un montant non contesté de 2 700 euros. La première revendication de M. [P] sur le paiement de celle-ci n’est intervenue que le 29 avril 2019 à la suite, selon le salarié, d’une vérification de ses comptes bancaires à l’occasion d’un changement de domiciliation. Le principe du paiement de cette prime par l’employeur était acquis dès début juin 2019 (mail de M. [P] de juin 2019 : ‘Tu m’as confirmé jeudi que cette commission serait versée, cela est-il toujours le cas  »). Par un mail du 30 mai 2019, le salarié s’est surtout plaint de la faiblesse de sa rémunération annuelle brute puisqu’il a indiqué qu’un de ses collègues lui avait évoqué un salaire annuel brut de 52’000 euros dans une proposition d’embauche.

Il doit être observé au vu des éléments ci-dessus, premièrement, que le montant de la prime de 2 % sur le chiffre d’affaires Corporate 2018 ne représente qu’une faible partie de la rémunération de l’intéressé, deuxièmement, que ce dernier s’est aperçu de l’absence de paiement de cette prime fortuitement, selon ses explications, sans que cela n’ait affecté la poursuite de son contrat de travail puisqu’au contraire le salarié et l’employeur se sont engagés ultérieurement dans une renégociation sur les modalités de la rémunération variable à la suite du changement de fonction de l’intéressé, troisièmement, que le principe du paiement de la prime de 2 % sur le chiffre d’affaires Corporate 2018 a été reconnu par l’employeur début juin 2019 même si le paiement n’est intervenu qu’à la suite de la prise d’acte de l’intéressé et, quatrièmement, que le retard dans le versement d’une telle prime ne peut être détaché des changements importants opérés dans la hiérarchie de M. [P] au 1er janvier 2019 avec des flottements que cela pouvait entraîner, comme en a d’ailleurs conscience l’intéressé lui-même lorsqu’il écrit dans son mail de réclamation du 29 avril 2019 : ‘Mais je n’ai pas eu de commissions versées soit 2 696,64 euros bruts manquants selon moi. Avec qui dois-je voir cela ‘ [I] [W] ‘ Mais pas certain parce que cela concerne 2018 et que c’était [M] et [G]’.

Par ailleurs, en ce qui concerne le défaut de fixation des objectifs 2019, il convient de rappeler (ainsi que l’indiquent les deux parties) que lorsque le contrat de travail conditionne le versement et le montant d’une rémunération variable à la réalisation d’objectifs par le salarié, le défaut d’accord ultérieur entre les parties ou l’absence de détermination des objectifs par l’employeur ne privent pas le salarié de sa rémunération variable. En cas de litige, il appartient au juge de déterminer la rémunération due en fonction des critères visés au contrat ou dans les accords conclus les années précédentes.

En l’espèce, l’absence de fixation des objectifs 2019 à M. [P] par la société Orfèvrerie Christofle ne pouvait entraîner la perte de la rémunération variable mais permettait au salarié de se réclamer des objectifs 2018 qui avaient été revus à la baisse par rapport à ceux de 2017 et qui lui étaient donc favorables.

En outre, ainsi qu’avancé par la société Orfèvrerie Christofle, le défaut de fixation d’objectifs ne peut être, à son tour, détaché, en premier lieu, du contexte particulier de la société à ce moment, à savoir la promotion de M. [P] à effet du 1er janvier 2019 au poste de Local Hospitality Manager France / UK, suivie d’un nouveau rattachement hiérarchique à la suite du départ de ses N +1 et N +2 au profit d’un General Manager des Marchés France-UK qui a lui-même pris ses nouvelles fonctions au 1er janvier 2019 à la suite de son départ de la direction de la filiale américaine basée à New-York et, en second lieu, de l’engagement de discussions salariales portant sur la rémunération variable entre le salarié et l’employeur au cours desquelles de nouveaux objectifs lui avaient été proposés dès le 11 juin 2019. Les circonstances ci-dessus et les échanges de mail entre le salarié et sa hiérarchie ne permettent pas de constater que l’employeur s’est volontairement abstenu de définir les objectifs 2019 pour faire pression sur le salarié afin qu’il accepte les nouvelles modalités de sa rémunération variable. En tout état de cause, comme déjà rappelé ci-dessus, l’absence de fixation d’objectifs pour 2019 permettait au salarié de se référer aux objectifs plus favorables de 2018 et le mettait ainsi en position de pouvoir refuser les nouvelles modalités proposées.

En conséquence, les éléments invoqués par M. [P] à l’appui de sa prise d’acte ne constituent pas des manquements de l’employeur suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté M. [P] de ses demandes liées à la rupture de contrat de travail.

Sur la demande subsidiaire en dommages et intérêts pour manquements de l’employeur dans l’exécution du contrat de travail

La seule évocation de manquements de l’employeur dans l’exécution du contrat de travail, même à les considérer comme établis, ne saurait suffire à justifier l’octroi de dommages et intérêts alors que le salarié ne caractérise ni l’existence ni la nature d’un quelconque préjudice, autre que financier réparable par un rappel de rémunération, qui serait né de ces manquements.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté M. [P] de sa demande subsidiaire en dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à la loyauté contractuelle.

Sur le préavis

La société Orfèvrerie Christofle sollicite la condamnation de M. [P] à lui verser une indemnité pour préavis non effectué égale au montant du salaire qui aurait dû être versé au salarié pendant la période de préavis.

M. [P] sollicite le paiement du solde de l’indemnité compensatrice de préavis représentant la différence entre la rémunération versée par l’employeur jusqu’au 9 septembre 2019 et celle qui aurait dû lui être versée durant la période de préavis de trois mois ayant débuté après ses congés estivaux.

Toutefois, si la prise d’acte emporte rupture immédiate du contrat de travail, elle n’interdit pas pour autant au salarié de se mettre à la disposition de l’employeur pour effectuer son préavis.

Dans un pareil cas, l’employeur ne peut réclamer l’indemnité de préavis non effectué et le salarié ne peut pas être débouté de sa demande de rappel d’indemnité compensatrice de préavis s’il démontre qu’il a offert d’exécuter le préavis et qu’il en a été dispensé.

En l’espèce, la lettre de la prise d’acte de M. [P] se conclut comme suit : ‘Je vous remercie donc, dans ces conditions, de bien vouloir me fixer sur les modalités d’exécution de mon préavis dans les plus brefs délais’.

L’employeur a répondu en ces termes : ‘Quant à l’exécution du préavis que vous proposez, compte tenu du fait que vous êtes en congé estival jusqu’au 23/08/2019 et que vous êtes en possession de dossier complet à suivre et à nous transmettre en toute sécurité, nous souhaitons que vous occupiez pleinement votre poste jusqu’au 09/09/2019 inclus. Vous serez donc libre de tout engagement vis-à-vis de notre société à compter du 09/09/2019 au soir, date à laquelle ne ferez plus partie de nos effectifs et ne serez plus rémunéré en conséquence’.

Il résulte de ces échanges que M. [P] a offert d’effectuer son préavis mais que la société a décidé unilatéralement de réduire celui-ci de sorte que le salarié est en droit de réclamer une indemnité compensatrice correspondant à la durée totale du préavis, peu important que l’employeur ait considéré qu’il n’avait plus à rémunérer son salarié à compter de la date à laquelle il avait fixé la fin de leur collaboration.

Au vu d’un salaire brut mensuel de 3 000 euros, d’un préavis d’une durée de trois mois, et de la rémunération versée à M. [P] jusqu’au 9 septembre 2019, la société Orfèvrerie Christofle sera condamnée, par infirmation du jugement entrepris, à verser à l’intéressé la somme de 7 921,33 euros à titre de solde d’indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 792,13 euros au titre des congés payés afférents, selon les montants réclamés non autrement contestés.

Sur le rappel des primes 2019

Selon le principe déjà rappelé ci-dessus, à défaut d’accord entre l’employeur et le salarié pour la fixation des objectifs annuels gouvernant les éléments de rémunération variable, il appartient à la juridiction saisie de déterminer cette rémunération en fonction des critères visés au contrat et des accords conclus les années précédentes.

Les parties s’accordent pour indiquer qu’il revient à M. [P] une prime d’objectif de 15% de sa rémunération fixe annuelle brute et une commission de 2% sur le montant du chiffre d’affaires réalisé spécifiquement au titre des activités Corporate.

En ce qui concerne la prime de 15 %, celle-ci s’élève en théorie à la somme de 5 850 euros (39 000 euros X 15 %). Toutefois, comme justement rappelé par la société Orfèvrerie Christofle, lorsque le salarié quitte l’entreprise en cours d’année, la rémunération variable susceptible de lui être versée doit être calculée à proportion du temps de présence de l’intéressé dans l’entreprise sur cette année.

M. [P] a pris acte de la rupture de son contrat de travail fin juillet 2019. Son préavis de trois mois doit être pris en compte ainsi que le report de celui-ci du fait des congés estivaux pris par le salarié dès sa prise d’acte. Le coefficient à appliquer à la prime de 15 % n’est donc pas de 7/12 comme proposé par la société Orfèvrerie Christofle mais de 11/12.

La société Orfèvrerie Christofle sera donc condamnée, par infirmation du jugement entrepris, à verser à M. [P] la somme de 5 362,50 euros au titre de la prime de 15 %.

En ce qui concerne la commission de 2% sur le montant du chiffre d’affaires réalisé spécifiquement au titre des activités Corporate, M. [P] soutient que, compte tenu des fonctions qu’il a prises à compter du 1er janvier 2019, il est uniquement intervenu pour des clients relevant du canal d’activité ‘Corporate’ – au sens initial du terme – et qu’à partir du 1er janvier 2019, le chiffre d’affaires global et le chiffre d’affaires ‘Corporate’ réalisé par lui-même se confondent donc pour un chiffre d’affaires de 2 200 156 euros soit une commission de 44 003,12 euros.

L a société Orfèvrerie Christofle réplique qu’après avoir eu connaissance depuis septembre 2018 de la nouvelle consistance du marché Corporate, M. [P] ne peut pas sérieusement contester avoir accepté un avenant prévoyant une commission assise sur le chiffre d’affaires Corporate tel qu’entendu à la date de signature de cet avenant, et non une commission prétendument assise sur un chiffre d’affaires Hospitality selon la définition alors applicable en janvier 2019.

Cela étant, il doit être rappelé qu’une modification des conditions d’octroi et des modalités de calcul d’une rémunération variable prévue au contrat de travail ne peut être mise en oeuvre que si elle a été acceptée par le salarié.

En l’espèce, par mail du 26 septembre 2018, la société Orfèvrerie Christofle a écrit à un certain nombre de collaborateurs en ces termes :

‘Afin de retraiter nos historiques et de nous aider à construire nos plans d’action, nous vous proposons de diviser l’ancien canal ‘Corporate’ en trois canaux : Hospitality, B2B, Corporate’….

La signification des termes étant la suivante :

Hospitality : hôtels, restaurants et associés,

B2B : business to business : cadeaux d’affaires, produits développés pour une entreprise,

Corporate’ : architectes, décorateurs et VIP].

L’avenant au contrat de travail de M. [P] en date du 1er janvier 2019 a pour seuls objets et effets de modifier les fonctions du salarié et la rémunération fixe qui y est associée.

Il ne modifie donc pas les éléments de la rémunération variable, comme cela a été confirmé à M. [P] par un mail du 24 janvier 2019 : ‘Comme nous n’évoquons pas ta rémunération variable, cela veut donc dire que rien ne change sur ce point’.

Il résulte également des échanges de mails des 22 au 28 janvier que si l’avenant est daté du 1er janvier 2019, il a été néanmoins signé le 25 janvier 2019 après que le salarié a obtenu des précisions sur sa rémunération variable (mail de M. [P] du 25 janvier 2019 : ‘D’accord, c’est entendu. Je te remercie pour ces précisions concernant les bonus. En PJ, l’avenant signé’).

Il doit dès lors être observé que :

– la division de l’activité Corporate en trois activités distinctes dont l’une a conservé la dénomination Corporate, annoncée par la société Orfèvrerie Christofle dans le mail du 26 septembre 2018, réduit considérablement le champ de l’activité associée à l’appellation Corporate, et donc restreint l’assiette de calcul de la prime de 2 % prévue au contrat de travail de M. [P], une telle modification nécessitant dès lors l’accord du salarié,

– au vu des mails du 26 septembre 2018 et de janvier 2019, le salarié pouvait considérer que la division annoncée dans le mail du 26 septembre 2018 était d’ordre organisationnel et commercial sans affecter les modalités de calcul de sa rémunération variable,

– comme justement relevé par M. [P], calculer la prime de 2 % sur le seul chiffre d’affaires ‘Corporate’ au sens nouveau du terme apparaît incohérent en ce qu’en sa qualité de Local Hospitality Manager,l’intéressé n’intervenait plus dans ce nouveau canal ‘Corporate’ mais dans le canal ‘Hospitality’ (hôtels et restaurants),

– le montant considérable de la prime de 2 % réclamé par M. [P] par rapport à celle versée sur l’année 2018 n’est que la résultante de l’accroissement important du secteur d’activité du salarié en raison de ses nouvelles fonctions à compter du 1er janvier 2019,

– à compter du 1er janvier 2019, M. [P] est intervenu uniquement pour des clients relevant du canal Corporate au sens initial, c’est-à-dire antérieurement à septembre 2018.

Ainsi, M. [P] est fondé à solliciter le calcul de la prime de 2 % sur son chiffre d’affaires réalisé en 2019, soit 2 200 156 euros.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a débouté M. [P] de sa demande en versement de la commission sur chiffres d’affaires Corporate.

La demande de M. [P] s’appuyant sur le chiffre d’affaires réalisé par le salarié, il n’y a pas lieu de réduire la somme sollicitée au prorata du temps passé dans l’entreprise en 2019.

La société Orfèvrerie Christofle sera donc condamnée à verser à M. [P] la somme de 44 003,12 euros au titre de la commission sur le chiffre d’affaires Corporate 2019.

Les primes prévues au contrat de travail de M. [P] sont liées à l’activité personnelle du salarié pendant les mois travaillés, sans que soit prise en compte la période de congés payés, et doivent donc être incluses dans l’assiette de calcul des congés payés.

Dès lors, la société Orfèvrerie Christofle sera condamnée à verser à M. [P] la somme de 4 936,56 euros au titre des congés payés afférents.

Sur la remise des documents sociaux de fin de contrat de travail

Au vu des développements ci-dessus, la société Orfèvrerie Christofle sera condamnée à remettre à M. [P] un bulletin de paie récapitulatif, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conformes au présent arrêt.

Sur les frais non compris dans les dépens

Conformément aux dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, la société Orfèvrerie Christofle sera condamnée à verser à M. [P], accueilli sur une partie de ses demandes en appel, la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par l’appelant qui ne sont pas compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a débouté M. [P] de ses demandes au titre du préavis et congés payés afférents et rappels de rémunération variable 2019 et congés payés afférents, ainsi que sur la répartition des dépens de première instance,

Statuant à nouveau sur les seuls chefs infirmés,

CONDAMNE la société Orfèvrerie Christofle à verser à M. [P] les sommes suivantes :

° 7 921,33 euros à titre de solde d’indemnité compensatrice de préavis,

° 792,13 euros au titre des congés payés afférents,

° 5 362,50 euros de prime sur objectif de chiffre d’affaires global,

° 44 003,12 euros au titre de la commission sur le chiffre d’affaires Corporate 2019,

° 4 936,56 euros au titre des congés payés afférents à ces primes,

CONDAMNE la société Orfèvrerie Christofle à remettre à M. [P] un bulletin de paie récapitulatif, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conformes au présent arrêt,

Y ajoutant,

CONDAMNE la société Orfèvrerie Christofle à verser à M. [P] la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Orfèvrerie Christofle aux dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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