Bijouterie : 19 janvier 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/04609

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Bijouterie : 19 janvier 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/04609

19 janvier 2023
Cour d’appel de Paris
RG
20/04609

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 8

ARRET DU 19 JANVIER 2023

(n° , 14 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/04609 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCDPC

Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Juin 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CRÉTEIL – RG n° 18/01875

APPELANTE

Madame [B] [P]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Laure CAPORICCIO, avocat au barreau de PARIS, toque : E1983

INTIMÉE

[V]A.[V] AUCHAN HYPERMARCHÉ

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Pierre BESSARD DU PARC, avocat au barreau de PARIS, toque : D0907

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Nathalie FRENOY, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Nathalie FRENOY, présidente

Madame Corinne JACQUEMIN, conseillère

Madame Emmanuelle DEMAZIERE, vice-présidente placée

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [B] [P] née [U] a été engagée par la société Samadoc par contrat à durée indéterminée du 24 août 1992, en qualité d’hôtesse d’accueil, statut employée.

Le 1er septembre 2001, son contrat de travail a été transféré à la société Auchan.

La salariée a évolué au sein de l’entreprise et a occupé les fonctions d’employée qualifiée réserve magasin, d’assistante administrative ou comptable, puis de secrétaire comptable et administrative, avant d’être promue secrétaire de direction, statut agent de maîtrise, et de rejoindre le magasin Auchan du [Localité 6].

Elle a occupé ensuite le poste de responsable de la bijouterie à compter du 17 février 2014, puis celui de coordonnateur équipe à compter du 1er octobre 2014.

Elle a été élue membre titulaire du comité d’établissement lors des élections du 7 novembre 2014.

Après avoir obtenu un diplôme DUT ‘gestion des entreprises et des administrations’, option Ressources Humaines, elle a été détachée au sein d’une des filiales du groupe Auchan, la société Sodec, en qualité de gestionnaire de paie de fin février 2017 au 31 août 2018.

Ayant essuyé un refus pour occuper le poste d’ ‘assistante ressources humaines'( ARH) et ayant repris son activité professionnelle en qualité d’assistante de direction dans des conditions qu’elle critique, Mme [P] a notifié à la société Auchan, par courrier du 24 septembre 2018, la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur.

Souhaitant notamment obtenir la requalification de sa prise d’acte en licenciement, Mme [P] a saisi le 10 décembre 2018 le conseil de prud’hommes de Créteil qui, par jugement du 19 juin 2020, a :

-requalifié la prise d’acte de la rupture du contrat de travail qui liait Mme [P] à la société Auchan Hypermarché notifiée à l’initiative de la demanderesse, en démission,

-débouté Mme [P] de l’intégralité de ses demandes,

-débouté la société Auchan Hypermarché de sa demande reconventionnelle,

-mis les éventuels dépens de l’instance à la charge de Mme [P].

Par déclaration du 15 juillet 2020, Mme [P] a interjeté appel de ce jugement.

Par ses dernières conclusions notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 5 avril 2022, l’appelante demande à la cour :

-de réformer le jugement de première instance en toutes ses dispositions,

et statuant à nouveau,

-de dire et juger qu’elle a été victime d’actes de discrimination en raison de ses trois grossesses et en raison de sa situation familiale durant près de 13 années du fait d’une absence d’évolution professionnelle et d’une stagnation professionnelle,

-de dire et juger qu’à son retour de son congé individuel de formation lui permettant d’obtenir son diplôme professionnel, Madame [B] [P] a été victime d’une inégalité de traitement injustifiée et illégitime matérialisée par le refus de l’employeur qu’elle puisse occuper le poste d’Assistante Ressources Humaines,

-de dire et juger qu’à compter de sa réintégration effective au sein de l’établissement de [Localité 6], Madame [B] [P] a été victime d’actes de harcèlement moral puisqu’elle a vu ses conditions de travail se dégrader, ce qui a eu une incidence sur son avenir professionnel au sein du groupe Auchan,

-de dire et juger que la société Auchan a gravement manqué à ses obligations professionnelles et contractuelles, ce qui rendait impossible la poursuite du contrat de travail,

-de dire et juger que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail de Madame [B] [P] doit produire les effets d’un licenciement entaché de nullité et/ou dépourvu de tout motif réel et sérieux,

en conséquence,

-de condamner la société Auchan à verser à Madame [B] [P] les sommes suivantes :

-4 555,34 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis de deux mois en application des dispositions de l’article L 1234-1 du code du travail,

-455,53 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés afférente,

-17 841,73 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement en application des dispositions de l’article L 1234-9 du code du travail et R 1234-2 du code du travail,

-42 136,89 euros au titre de l’indemnité pour licenciement entaché de nullité et/ou dépourvu de tout motif réel et sérieux en application des dispositions de l’article L 1235-3 du code du travail,

-50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour les actes de discriminations illicites pour l’inégalité de traitement et les actes de harcèlement moral subis,

-8 000 euros au titre de l’indemnité due en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

-d’assortir les condamnations des intérêts légaux,

-de condamner la société Auchan aux entiers dépens.

Par ses dernières conclusions notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 22 septembre 2022, la société Auchan Hypermarché demande à la cour :

-de juger irrecevables les prétentions de Madame [B] [P] au titre de faits discriminatoires suite à ses trois grossesses,

-de juger irrecevables les demandes de Madame [P] au titre de l’inégalité de traitement et d’agissements discriminatoires car prescrits au visa des articles L.1132-1 et L.1134-5 du code du travail, L 1451-1 du code du travail,

à toutes fins, si nécessaire,

-de dire et juger que Madame [P] n’a pas fait l’objet d’actes de discrimination en raison de ses trois grossesses en 1995, 1998 et 2012 et n’a nullement été victime « en raison de sa situation familiale durant près de 13 années d’une absence d’évolution professionnelle et d’une stagnation professionnelle »,

-de dire et juger qu’à son retour de congé individuel de formation, Madame [B] [P] n’a pas été « victime d’une inégalité de traitement injustifiée et illégitime matérialisée par le refus de l’employeur qu’elle puisse occuper le poste d’Assistante Ressources Humaines »,

-de dire et juger qu’à compter de sa réintégration effective au sein de l’établissement du [Localité 6], Madame [B] [P] n’a pas été victime de harcèlement moral et qu’elle n’a pas vu ses conditions de travail se dégrader, ayant eu une incidence sur son avenir professionnel au sein d’Auchan,

en conséquence,

-de confirmer la décision des premiers juges rendue le 19 juin 2020 par le bureau de jugement de la section commerce du conseil de prud’hommes de Créteil,

-de juger que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail par Madame [B] [P] le 24 septembre 2018 s’analyse en une démission,

-de débouter Madame [B] [P] de toutes ses prétentions car mal fondées,

subsidiairement,

-de juger que Madame [P] ne peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents faute de s’être tenue à la disposition de son employeur pour l’exécuter,

-de juger, si la Cour devait entrer en voie de condamnation, que l’indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse doit être plafonnée à l’équivalent de 3 mois de salaire,

-de juger que la demande de dommages-intérêts pour acte de discrimination, inégalité de traitement et harcèlement moral fait double emploi avec la demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

par voie d’appel incident, il est demandé à la Cour de :

-de condamner Madame [P] à verser à la société Auchan Hypermarché la somme de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 27 septembre 2022 et l’audience de plaidoiries a été fixée au 22 novembre 2022.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu’aux conclusions susvisées pour l’exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS DE L’ARRET

Sur la prescription de l’action :

La société Auchan Hypermarché soutient que les actions de Mme [P] sont prescrites dans la mesure où la prescription relative à l’exécution du contrat de travail ( manquement à l’obligation de la faire évoluer professionnellement) est biennale et celle relative à la discrimination est quinquennale. La société Auchan affirme que la salariée a exercé ses actions en dehors de ces délais.

Madame [P] précise que son action porte sur la rupture de son contrat de travail et se trouve donc soumise à une prescription de douze mois à compter de la notification de la rupture. Elle ajoute que l’action portant sur la discrimination court à compter du moment où le salarié dispose des éléments de comparaison la mettant en évidence.

Selon l’article L1471-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, ‘ toute action

portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.

Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.[…]’

En cas de prise d’acte par le salarié de la rupture de son contrat de travail, l’action visant à imputer cette rupture à l’employeur se prescrit à compter de la date de cette prise d’acte, peu important l’ancienneté des manquements de l’employeur, invoqués à son soutien, lesquels doivent être examinés par la juridiction.

En l’espèce, en dépit des accusations d’inégalité de traitement remontant loin dans la relation de travail et nonobstant ses grossesses survenues en 1995, 1998 et 2012, Mme [P] a pris acte de la rupture de son contrat de travail par courrier du 24 septembre 2018 et a saisi la juridiction prud’homale en vue de la qualification de cette prise d’acte le 11 décembre 2018, hors de toute prescription par conséquent.

Les fins de non-recevoir soulevées doivent donc être rejetées.

Sur la prise d’acte de la rupture :

Dans son courrier du 24 septembre 2018, après avoir listé les différentes fonctions occupées au sein de l’entreprise ainsi que son inscription à l’Institut Universitaire de Technologie de [Localité 7] où elle a obtenu le 18 octobre 2016 un diplôme universitaire de technologie spécialité ‘gestion des entreprises et des administrations’, option ressources humaines, Mme [P] indique :

‘A mon retour, sans qu’aucun entretien d’évaluation n’ait été organisé et sans qu’aucun avenant à mon contrat de travail n’ait été régularisé, j’ai immédiatement été détachée au sein d’une des filiales d’Auchan, la société SODEC, en qualité de gestionnaire de paie.[…]

Or, ce détachement ne correspondait nullement aux compétences professionnelles que j’avais acquises au cours des derniers mois.

De plus, votre Société m’avait refusé de suivre parallèlement une formation en alternance Master Ressources Humaines avec une période de professionnalisation alors que je n’avais nullement bénéficié d’une quelconque véritable formation qualifiante durant toute ma période d’emploi.

Par mail en date du 17 juillet 2018, j’informais le Responsable des Ressources Humaines de l’Etablissement du [Localité 6] que ma mise à disposition au sein de la société SODEC prenait fin le 31 août 2018 et que je souhaitais occuper un poste d’assistante Ressources Humaines compte tenu du diplôme DUT Gestion des Entreprises et des Administrations, option Ressources Humaines, que j’avais obtenu en 2016, de mon expérience professionnelle en qualité de gestionnaire de paie et de mon ancienneté de près de 26 ans au sein du groupe AUCHAN.

Je lui rappelais que j’avais sollicité à de nombreuses reprises de pouvoir occuper un poste d’Assistante Ressources Humaines et je lui adressais à cet effet mon Curriculum Vitae actualisé en fonction des diplômes obtenus et mes expériences professionnelles.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 4 août 2018, M. [T], Responsable des Ressources Humaines de l’établissement Auchan [Localité 6], refusait que je puisse accéder à un emploi d’Assistante Ressources Humaines au motif :

– le diplôme obtenu, à savoir DUT Gestion des Entreprises et des Administrations, option Ressources Humaines, m’avait permis d’acquérir des compétences techniques pour ce métier d’Assistante Ressources Humaines qui étaient indispensables mais pas exhaustives pour le métier exercé au sein du groupe AUCHAN.

– qu’il me fallait maintenant travailler d’autres compétences y compris des compétences managériales qui me permettraient de réussir sur ce poste à Auchan.

Or, le motif invoqué relatif à l’acquisition de compétences managériales est totalement infondé et injustifié dans la mesure où j’ai développé ces compétences de management en ma qualité de Responsable de la bijouterie du magasin AUCHAN [Localité 6] depuis le 17 février 2014 en qualité de coordinateur équipe depuis le 1er octobre 2014.

J’ai ainsi pu démontrer mes capacités managériales puisque j’ai été amenée à effectuer des recrutements et à manager une équipe de 6 personnes sans rencontrer la moindre difficulté particulière.

Lors de mon entretien d’évaluation en date du 23 avril 2015, mon supérieur hiérarchique, Mme [M] relevait que je m’étais bien intégrée au rayon bijouterie, que j’avais participé au professionnalisme des collaborateurs et relevait notamment « je suis heureuse que [B] ‘ m’ait incitée à recruter la petite dernière [V] car aujourd’hui c’est la meilleure vendeuse : bravo, tu peux être fière de ce recrutement ».

À l’occasion de la préparation de mon Diplôme Universitaire de Technologie, spécialité Gestion des Entreprises, j’ai notamment suivi des enseignements portant justement sur les techniques et les pratiques de management.

De plus, le poste d’Assistant Ressources Humaines au sein de l’Etablissement [Localité 6] n’a nullement pour objet de manager une équipe de Ressources Humaines.[…]

M.[T] me proposait alors de reprendre mon activité professionnelle dès le 1er septembre 2018 au sein du magasin [Localité 6] en qualité de chargée de Coordination en bijouterie (poste occupé avant ma mission) ou bien en qualité d’Assistante de Direction (métier que j’avais précédemment exercé).

[…]

Depuis la reprise de mon activité professionnelle en qualité d’assistante de direction, je n’ai eu aucun entretien avec la direction et en réalité j’exerce mes fonctions sous la responsabilité de la Responsable du secteur caisse. Je n’occupe nullement le bureau de l’Assistante de Direction et je suis contraint de partager un bureau avec les Managers Caisse.

Je n’occupe nullement un poste d’Assistante de Direction et suis cantonnée à des tâches d’hôtesse d’accueil (telles que préparation des petits déjeuners et des pôts lors des réunions, mise en place des salles de réunion pour les formations ou de réunions externes) qui ne m’occupent nullement la journée.

En dépit de mes demandes, je n’ai toujours pas de tenue, ni de badge.

Je suis mise à l’écart dans la mesure où les salariés ont reçu pour instruction de ne pas me parler. À titre d’exemple, Mme [F] a été convoquée par son supérieur hiérarchique lorsqu’elle est venue me parler.

Or, l’article 4.3 de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire prévoit des dispositions spécifiques en matière d’évolution professionnelle […]

L’accord de gestion de l’emploi des équipes commerciales en magasin dans le cadre du programme d’adaptation des compétences pour la transformation de l’entreprise (PACTE) prévoit des dispositions particulières qui tendent à mettre en ‘uvre pour privilégier systématiquement la mobilité interne des salariés et qui déterminent les modalités de mise en ‘uvre de mesures utiles de formation et d’adaptation et de reclassement des salariés:

> examen prioritaire des candidatures :

[…]

> communication des postes à pourvoir :

[…]

> entretien individuel :

[…]

> le bilan de compétences :

[…]

> congé individuel de formation :

[…]

> accompagnement de la mobilité interne :

[…]

Votre Société ne m’a nullement proposé un poste ou un emploi correspondant à mes aspirations, à mes diplômes et aux compétences professionnelles que j’avais acquises en dépit de mon ancienneté de plus de 26 années au sein du Groupe AUCHAN.

Je suis victime d’une inégalité de traitement illégitime ayant une incidence sur mon évolution professionnelle au sein de votre Groupe et d’actes de harcèlement moral depuis la reprise de mon activité professionnelle au sein de l’Etablissement [Localité 6].

De plus, votre Société n’a nullement respecté les dispositions conventionnelles applicables qui privilégient la promotion interne et la mobilité interne.

Le non-respect des dispositions conventionnelles en matière d’évolution professionnelle, l’inégalité de traitement et les actes de harcèlement que je subis constituent des manquements graves rendant impossible la poursuite de mon contrat de travail.

Pour toutes ces raisons, je considère que la rupture de mon contrat de travail est pleinement imputable à votre Société.’

Madame [P] soutient que sa prise d’acte est fondée et doit avoir les effets d’un licenciement nul ou à tout le moins dépourvu de cause réelle et sérieuse, dans la mesure où son employeur n’a pas respecté à son égard les dispositions conventionnelles permettant de bénéficier d’une évolution professionnelle, ne l’a pas faite évoluer professionnellement en dépit de son acquisition de nouvelles compétences par formation universitaire, et a permis la dégradation de ses conditions de travail, ce qui a eu pour objet ou effet de compromettre son avenir professionnel. Elle invoque aussi une inégalité de traitement et une discrimination à raison de ses grossesses.

Au contraire, la société Auchan Hypermarché affirme que la prise d’acte de Madame [P] doit avoir les effets d’une démission, que l’intéressée a bien bénéficié d’une évolution professionnelle conformément aux dispositions conventionnelles et a été informée sur les formations et la mobilité interne, ayant en outre bénéficié de formations professionnelles et qualifiantes tout au long de sa carrière. Elle conteste aussi toute inégalité de traitement, toute discrimination – laquelle n’a pas été listée parmi les manquements invoqués dans la prise d’acte – et tout harcèlement moral à l’encontre de l’intéressée.

*

Il résulte de la combinaison des articles L1231-1, L1237-2 et L1235-1 du code du travail que la prise d’acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l’employeur empêchant la poursuite du contrat de travail.

Cette rupture produit, soit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission.

Il appartient au salarié d’établir les faits qu’il allègue à l’encontre de l’employeur.

L’écrit par lequel il prend acte de la rupture de son contrat de travail ne fixe pas les limites du litige. Il y a lieu d’examiner les manquements de l’employeur invoqués par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.

En ce qui concerne l’évolution professionnelle, premier grief relevé par l’appelante dans sa lettre de prise d’acte, il est constant que l’employeur doit assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail, veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations.

L’article 4.6 de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire, applicable au litige et invoquée par Mme [P], prévoit que:

‘Si en tant que telle une classification ne détermine pas les évolutions de carrière et la promotion professionnelle des salariés, elle ne doit pas constituer un frein à l’égard de celles-ci.

Le système de classifications permet une évolution professionnelle à l’intérieur comme à l’extérieur de la filière.

L’évolution professionnelle se réalise par le changement de fonction quand le salarié, à l’aide notamment d’une formation adéquate, acquiert les compétences et exerce des responsabilités nouvelles, caractéristiques d’une classification supérieure.

La promotion interne, forte dans le secteur, doit rester privilégiée, ce qui implique que l’employeur s’efforcera de faire appel par priorité, aux salariés de l’entreprise aptes à occuper les postes à pourvoir.

Afin de susciter les candidatures internes, les employeurs feront connaître au personnel, par tout moyen à leur convenance les postes à pourvoir dans une zone géographique correspondant au degré de mobilité acceptable par les salariés. Ceux-ci peuvent spontanément saisir leur employeur de leurs souhaits (région, fonction).

Les salariés sont par ailleurs encouragés à utiliser les divers dispositifs que leur offre la formation et à se former tout au long de leur vie.’

Par ailleurs, l’article 3 du titre I de l’accord de gestion de l’emploi des équipes commerciales en magasin dans le cadre du Programme d’Adaptation des Compétences pour la Transformation de l’Entreprise (PACTE) prévoit que la priorité doit être donnée à la mobilité interne :

‘Auchan s’engage à tout mettre en ‘uvre pour privilégier avant tout le repositionnement des collaborateurs concernés sur des postes disponibles dans l’entreprise et dans le groupe’, avec examen prioritaire des candidatures, communication des postes à pourvoir dans le cadre d’une bourse de l’emploi actualisant l’ensemble de ces postes, entretien individuel, bilan de compétences, congé individuel de formation et le cas échéant accompagnement de la mobilité interne.

Les différentes pièces produites relativement à la carrière de Mme [P] au sein du groupe Auchan montrent que cette dernière, ayant pu valider grâce à différentes actions de formation un bac secrétariat par validation des acquis de l’expérience, puis à diverses formations récapitulées dans les différents bilans sociaux individuels produits aux débats (formations égales en moyenne à trois dans l’année), a bénéficié d’une progression constante de son coefficient et de son niveau de rémunération, se situant au-dessus du niveau de progression le plus favorable pour ses fonctions, ainsi que de promotions et d’un changement de statut (passant d’employée à agent de maîtrise).

Il est justifié en l’espèce, conformément aux articles 11-3 et 12.11 de la convention collective nationale du commerce de gros et de détail prédominance alimentaire, que Mme [P] a bénéficié d’un bilan de compétences, financé par son employeur, d’entretiens professionnels réguliers avec sa hiérarchie -dont une partie consacrée à ses perspectives d’évolution en termes d’emploi et de qualification-, qu’un congé individuel de formation induisant un cursus universitaire a été accepté à son profit en 2015, conduisant à la validation d’un diplôme en octobre 2016, qu’à son retour, quand l’intéressée a exprimé le souhait d’évoluer professionnellement, de devenir cadre et de cesser ses activités de responsable de bijouterie coordinateur d’équipe, qui l’intéressaient moins, un détachement au sein de la société Sodec en charge de la paie de tous les salariés de la société Auchan lui a été accordé pour acquérir de l’expérience dans ce domaine des ressources humaines.

Comme l’a relevé à juste titre le conseil de prud’hommes, les contacts de Mme [P] avec le Responsable des Ressources Humaines ont été, notamment dans la période proche de sa reprise de poste, non seulement cordiaux mais réguliers, au vu des pièces produites.

Comme l’indiquait d’ailleurs la salariée elle-même dans un mail du 29 mai 2018 adressé à M. [S], cette dernière est « entrée dans une grande famille qui m’a incité à rester et à évoluer. Vous m’avez fait confiance lorsque vous m’avez demandé de venir travailler aux côtés de C. et je vous en remercie. Ceci m’a permis de voir les opportunités qui s’offraient à moi et de grandir dans cette grande entreprise ».

En revanche, alors que l’article 3.1 de la convention collective applicable impose l’information des salariés par voie d’affichage ou de notes de service quant aux perspectives possibles en matière de mobilité professionnelle, la société Auchan Hypermarché produit un listing des postes à pourvoir en décembre 2017, mais ne justifie pas des modalités par lesquelles il a été porté à la connaissance des salariés, ni de la communication, notamment à Mme [P] des postes à pourvoir lorsqu’elle a obtenu son diplôme, ni de son actualisation jusqu’à la date de sa prise d’acte. La mention apposée en fin de ‘bilan social individuel’ orientant la salariée vers son Responsable Ressources Humaines vers le site ‘Projet social’, en cas de projet de formation en dehors du plan de formation de l’entreprise ne sauraient suppléer à la carence de l’employeur à ce titre.

Cependant, il est justifié que par courriel du 27 décembre 2017, le Responsable des Ressources Humaines a transmis à Mme [P] deux annonces concernant des postes d’Assistant RH disponibles à [Localité 5] et au [Localité 6] et s’est intéressé aux raisons pour lesquelles la salariée n’avait pas accès à la ‘bourse de l’emploi’ instaurée au sein du Groupe.

Par ailleurs, il résulte du courrier du 4 août 2018 de M. [T], Responsable des Ressources Humaines d’Auchan [Localité 6] que la candidature de Mme [P] n’a pas été retenue sur le poste d’Assistante Ressources Humaines pour lequel elle avait candidaté, en raison de la nécessité, pour elle, de travailler d’autres compétences que celles acquises par diplôme, et notamment la compétence managériale.

Si la salariée justifie de bonnes évaluations professionnelles et de l’exercice effectif pendant plusieurs années de missions impliquant de sa part diverses compétences RH, dont des compétences managériales, elle ne démontre pas avoir l’expérience professionnelle nécessaire pour les missions dévolues au poste d’Assistant Ressources Humaines sur lequel elle avait postulé, lequel impliquait un appui apporté à la DRH dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi, la constitution des dossiers administratifs, la préparation des supports pour les réunions avec les instances représentatives du personnel et la réalisation de comptes rendus notamment. Il est manifeste, à la lecture de l’annonce litigieuse, que l’expérience souhaitée en interne était de deux ans minimum en ressources humaines, ce dont Mme [P] ne justifie pas, et que dans le document de synthèse du bilan de compétences mené par la société Arpèges Conseils en 2014, les ‘tâches relatives à la comptabilité’ et à ‘l’encadrement d’équipe’ étaient des caractéristiques à écarter pour la salariée.

Ces données objectives, alors qu’il appartient au salarié qui invoque une atteinte à ce principe de soumettre les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de traitement – dont Mme [P] estime avoir été victime en matière d’évolution professionnelle -, permettent aussi d’écarter ce grief, d’autant que l’appelante se compare à des salariées occupant un poste d’Assistante RH, Mesdames [R], [W], [D],[E], dont elle se contente d’évoquer l’absence de diplôme et d’expérience professionnelle, sans produire aucune pièce objective à ces sujets, ne versant aux débats que leur profil Linkedin, sans aucune donnée quant à la réalité des missions qui leur étaient confiées dans le poste occupé.

Au surplus, il convient de relever que Mmes [R] et [E] sont titulaires, au vu des pièces produites, d’un diplôme Master 2, que Mme [W], pour sa part, est titulaire d’une licence, diplômes supérieurs à celui de l’appelante, et a eu une expérience de chargée de recrutement et de Commerce Manager avant d’accéder au poste d’ARH après le départ de Mme [P], que Mme [D] fait état sur son profil Linkedin d’un bac + 3/4 dans le domaine spécifique des Ressources Humaines ( carrières et paie) et d’une expérience multiple centrée dans ce même domaine, données objectives justifiant la différence de traitement alléguée.

Enfin, alors qu’elle avait été engagée par le Responsable des Ressources Humaines à travailler ‘d’autres compétences, y compris les compétences managériales, qui vous permettront de réussir sur ce poste à Auchan’, la salariée se voyait proposer ‘nous pouvons si vous le souhaitez travailler avec vous, pour vous aider dans le développement de celles-ci’, dans le courrier du 4 août 2018, lequel peut être considéré comme un refus ponctuel, mais non définitif et ce, d’autant que par courriel du 17 février 2017, le même Responsable des Ressources Humaines, à la suite d’un entretien avec la salariée, avait relevé ‘compte tenu de tes projets et ta volonté de continuer de travailler dans les RH, je t’ai réaffirmé que pour ce qui concerne Auchan la meilleure voie possible serait un passage sur un secteur caisses afin d’améliorer tes compétences managériales au travers d’un poste de Manager Caisses. Comme j’ai pu te le dire, les postes d’ARH ou de RH sur un magasin Auchan, seuls postes en adéquation avec tes souhaits, ont la particularité d’être à la fois des postes de « technicien expert » et à la fois des postes de management, compétence qui reste à développer chez toi. Nous avons évoqué ensemble le fait que compte tenu des restrictions de personnel, il n’était pas envisageable de te proposer un poste ni en région, ni au national’, orientant ainsi la salariée aux fins de faire aboutir son projet.

Quant au harcèlement moral invoqué au soutien de la prise d’acte, Mme [P] affirme avoir été contrainte d’accepter un détachement auprès de la société Sodec pendant près de deux ans, n’avoir bénéficié d’aucun entretien d’évaluation professionnelle pendant cette durée, n’avoir eu aucun contact régulier avec ses supérieurs hiérarchiques sauf pour le renouvellement de ses missions, avoir été réintégrée après son diplôme dans l’établissement du [Localité 6] sur le poste d’assistante de direction qui avait été supprimé depuis plus de quatre ans, avoir été cantonnée à des tâches ponctuelles d’hôtesse d’accueil (préparation des petits déjeuners et des pôts lors des réunions, mise en place des salles de réunion pour des formations et réunions externes), avoir dû partager un bureau et être restée sans badge, ce qui a contribué à la dégradation importante de ses conditions de travail.

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l’article L. 1154-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L’appelante produit, au soutien du harcèlement moral qu’elle invoque, le courriel en date du 28 décembre 2017 du Responsable des Ressources Humaines s’interrogeant sur son défaut d’accès à la bourse de l’emploi, les écrits de ce dernier refusant sa candidature, son propre courriel du 30 août 2018 contestant ce refus et se disant contrainte d’accepter la reprise de son activité professionnelle en qualité d’Assistante de Direction, les photographies d’une porte et d’un bureau accueillant plusieurs postes de travail.

Elle verse également aux débats l’attestation d’une assistante marketing listant la multiplicité des missions d’une Assistante de Direction à Auchan, celle du directeur général ayant travaillé avec l’appelante – cette dernière en qualité d’Assistante de Direction- pendant près de trois ans faisant état des différentes missions de cette dernière, un document signé par Mme [Z], trésorière du comité d’entreprise et déléguée syndicale, attestant avoir ‘été reçue le mercredi 5 septembre par mon supérieur hiérarchique à la suite de mon entretien avec Mme [B] [U]. Il m’a été reproché d’avoir trop discuté avec elle alors que ce n’était pas nécessaire.’

Est versée aux débats également une attestation du Responsable Direction Support des Opérations listant les différentes missions confiées à Mme [U] épouse [P].

L’appelante invoque également les pièces adverses n° 25 à 32 consistant en des courriels relativement à l’organisation de réunions ou journées particulières et montrant qu’elle était chargée d’informer sur les plans d’accès, de prévoir et d’organiser les collations ou repas à ces occasions.

Bien que les photographies produites et l’attestation de Mme [Z] n’aient pas de valeur probante, les premières en l’absence de tout élément permettant de corroborer objectivement qu’elles concernent le bureau de la salariée à l’époque de sa reprise de poste et la seconde en raison de sa forme dactylographiée et à défaut de toute pièce d’identité annexée, Mme [P] établit avoir eu des tâches d’intendance ponctuelles, distinctes de celles, multiples, dont elle avait la charge précédemment.

Elle présente ainsi des faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre.

La société Auchan Hypermarché conteste tout harcèlement moral, rappelle que Mme [P], au cours de sa période de mise à disposition au sein de la société Sodec a demandé à bénéficier d’une rupture conventionnelle en février 2017, projet exceptionnellement accepté par l’employeur qui n’adhère pas en principe à ce mode de rupture, n’ayant cependant pas abouti du fait de l’appelante qui a estimé insuffisant le montant des indemnités qui lui auraient été versées, qu’elle a été réintégrée dans ses fonctions précédentes, que la directrice du magasin lui a proposé un rendez-vous pour évoquer son retour dans l’entreprise, en vain puisque la salariée, qui était manifestement déjà engagée dans des liens contractuels avec le groupe Vinci (société Bateg Vinci), a préféré – pour être libre rapidement de tout engagement- mettre en place une stratégie de prise d’acte, par un courrier du 24 septembre 2018, lequel ne fait pas référence, selon elle, à un quelconque harcèlement moral.

Elle souligne que le poste d’Assistante de Direction ayant été supprimé depuis 2014, la salariée a reçu des explications quant à ses fonctions qui correspondaient aux évolutions et consistaient en l’organisation des réunions magasin, l’organisation des salles de formation, la tenue de l’outil mesurant la satisfaction des clients et la prise de contact avec eux, tâches incombant déjà à l’intéressée avant son affectation au poste de Responsable de bijouterie et conformes aux prestations demandées à un agent de maîtrise. Elle rappelle que quasiment tous les cadres travaillaient en open space, faute d’espace suffisant pour chaque collaborateur, souligne que le personnel administratif est dispensé du port de la tenue Auchan, relève qu’il est faux de prétendre que l’appelante ne pouvait pas badger et qu’aucune réclamation n’a été émise par l’intéressée pendant sa brève période d’activité de trois semaines avant la prise d’acte.

La société Auchan Hypermarché verse aux débats:

– la convention de mise à disposition de Mme [P] au sein de la société Sodec en date du 22 mars 2017, signée par la salariée après mention ‘lu et approuvé bon pour accord’,

-le courrier en date du 3 juillet 2017 de Mme [P] sollicitant une rupture conventionnelle de son contrat de travail pour se ‘consacrer à de nouveaux projets professionnels’,

– le courriel de la salariée en date du 17 février 2017 sollicitant la prolongation de sa mission au sein de la société Sodec, dans le cadre d’un entretien avec le responsable des ressources humaines, M. [T],

-l’avenant de septembre 2018 affectant Mme [P] au poste de secrétaire de direction, statut agent de maîtrise, niveau 5 au sein du magasin Auchan porte d’Italie au [Localité 6], avenant que cette dernière n’a pas signé,

– mais également le courrier du 30 août 2018 de la salariée se disant, en l’état du refus essuyé sur le poste d’Assistante Ressources Humaines, contrainte d’accepter la reprise de son activité professionnelle en qualité d’Assistante de Direction au terme de ses congés, le 4 septembre 2018,

– différents courriels de la Directrice du magasin Auchan du [Localité 6], notamment un en date du 7 septembre 2018, sur les modalités de plusieurs événements organisés, adressés à Mme [P].

Il s’avère en outre que par courriel du 17 février 2017 le Responsable des Ressources Humaines a relevé que la salariée ne souhaitait pas réintégrer un poste de commercial et indiqué ‘nous entendons ta demande, mais pour l’heure nous n’avons pas d’autre solution à te proposer. Nous restons à ton écoute pour envisager toute possibilité que tu nous soumettras’ et que par courrier du 4 août 2018, la société Auchan Hypermarché a proposé à Mme [P] ‘de reprendre son activité professionnelle sur le magasin de [Localité 6], sur un poste de chargé de coordination bijouterie (poste occupé avant votre mission) ou bien poste d’assistante de direction sur ce magasin (métier exercé précédemment)’ ; cette dernière a donc eu le choix du poste à occuper lors de sa reprise et a pris acte de la rupture de son contrat de travail avant de signer l’avenant qui lui est proposé, et ce, alors qu’ il est établi, au vu de la grille des fonctions de la convention collective applicable, que la classification du poste d’Assistante de Direction (ou secrétaire de direction ) est la même que celle d’un Coordonnateur d’équipe ou d’un Manager de caisse, tous relevant du niveau V.

Il est justifié par ailleurs d’un courriel de Mme [O], Directrice du magasin Auchan du [Localité 6], en date du 13 septembre 2018, proposant à la salariée une rencontre pour un ‘rdv découverte’, manifestement en vue de lui présenter son service, ainsi que de l’accusé de réception de ce message, actant le refus de ce rendez-vous par Mme [P].

La société Auchan Hypermarché verse également aux débats un courriel de l’appelante en date du 29 septembre 2018 adressé à Mme [Y], Responsable caisses, indiquant ‘ je suis partie un peu précipitamment mais je souhaitais te remercier toi et ton équipe de l’accueil que vous m’avez réservé’, ressenti contradictoire avec le harcèlement moral allégué.

Enfin, le profil Linkedin de Mme [P] -[U], versé aux débats par la société Auchan Hypermarché, montre qu’au lendemain de sa prise d’acte, et donc depuis septembre 2018, elle était engagée par ailleurs, étant chargée de mission au sein de la société Bateg-Vinci Construction France.

La société intimée produit donc diverses pièces montrant que ses décisions contestées par la salariée étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

Enfin, si la discrimination ne figure pas dans la lettre de prise d’acte de la rupture, elle est invoquée par la salariée comme un manquement justifiant que la rupture soit imputable à l’employeur; il convient donc de vérifier les éléments produits à ce sujet.

Madame [P] affirme avoir été victime de discrimination liée à ses périodes de grossesse, n’ayant plus fait l’objet d’évolution professionnelle pendant plus de 13 ans, ayant occupé les mêmes fonctions d’hôtesse de caisse pendant une période entrecoupée de deux grossesses en 1995 et 1998 et ayant dû attendre près de 15 années après son entrée dans l’entreprise pour accéder au statut d’agent de maîtrise. Elle constate qu’elle a occupé ensuite les mêmes fonctions de secrétaire de direction pendant quatre ans alors qu’elle aurait dû accéder au niveau 6 dès le mois d’avril 2013, nonobstant sa troisième grossesse en 2012.

Selon l’article L1132-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, ‘aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou en raison de son état de santé ou de son handicap.’

Mme [P] invoque ses trois grossesses mais ne verse aux débats aucun élément particulier, se limitant à lister les différentes fonctions qui lui ont été confiées ainsi que les niveaux et classification correspondants.

Or, ces éléments s’avèrent insuffisants à l’appui d’une allégation de discrimination en raison de ses grossesses ou de sa situation de famille, d’autant qu’engagée sans diplôme, la salariée a toutefois évolué au sein de l’entreprise, bénéficiant régulièrement, comme elle l’indique elle-même, de nouveaux coefficients, niveaux ou classifications, sans qu’aucun ralentissement de cette évolution ne soit visible à l’occasion de ses grossesses ou postérieurement à elles, et ce d’autant que ses évaluations sont restées tout à fait positives de la part de son supérieur hiérarchique à ses retours de congés maternité, à la lecture des comptes rendus d’entretiens individuels d’évaluation ou d’entretiens de développement individuel correspondant à ces périodes.

Par conséquent, Mme [P] ne présente pas d’éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte à son encontre, à raison de ses grossesses ou de sa situation de famille.

*

Si un manquement peut être retenu à l’encontre de la société Auchan Hypermarché en l’espèce relativement à la transmission à la salariée des données relatives aux perspectives de mobilité interne et externe, ce grief n’est pas d’une gravité suffisante, en l’état des autres éléments recueillis, pour justifier que la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail par Mme [P] ait les conséquences d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La prise d’acte de l’espèce produit donc les effets d’une démission et le jugement de première instance qui a débouté la salariée de ses demandes au titre d’un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, ainsi que de ses demandes d’indemnisation d’actes de discriminations, d’inégalité de traitement ou de harcèlement moral doit être confirmé.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

La salariée, qui succombe, doit être tenue aux dépens de première instance, par confirmation du jugement entrepris, et d’appel.

L’équité commande de confirmer également le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles, mais de faire application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel et de fixer à ce titre la somme de 700 € au profit de la société intimée, à la charge de Mme [P]-[U].

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME le jugement déféré,

Y ajoutant,

CONDAMNE Mme [B] [P]-[U] à payer à la société Auchan Hypermarché la somme de 700 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

REJETTE les autres demandes des parties,

CONDAMNE Mme [B] [P]-[U] aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

 


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