15 février 2023
Cour d’appel de Riom
RG n°
21/01358
COUR D’APPEL
DE RIOM
Troisième chambre civile et commerciale
ARRET N°
DU : 15 Février 2023
N° RG 21/01358 – N° Portalis DBVU-V-B7F-FT36
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Arrêt rendu le Quinze Février deux mille vingt trois
Sur APPEL d’une décision rendue le 25 mars 2021 par le Tribunal de commerce de CLERMONT-FERRAND (RG n° 2019 009555)
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre
Monsieur Christophe VIVET, Président de chambre
Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller
En présence de : Mme Christine VIAL, Greffier, lors de l’appel des causes et du prononcé
ENTRE :
Mme [Z] [C]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : la SELARL TOURNAIRE – MEUNIER, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND
APPELANTE
ET :
La société MARCEL ROBBEZ-MASSON
SAS immatriculée au RCS de Mende sous le n° 316 769 082 00025
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentants : Me Sophie LACQUIT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
(postulant) et Me Romain BOURGADE et Me Guillaume VELARD de l’AARPI BODARI, avocats au barreau de PARIS (plaidant)
INTIMÉE
DÉBATS :
Après avoir entendu en application des dispositions de l’article 786 du code de procédure civile, à l’audience publique du 08 Décembre 2022, sans opposition de leur part, les avocats des parties, Madame DUBLED-VACHERON, magistrat chargé du rapport, en a rendu compte à la Cour dans son délibéré initialement fixé au 01 Février 2023 puis prorogé au 15 Février 2023.
ARRET :
Prononcé publiquement le 15 Février 2023 par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Christine VIAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La SAS Marcel Robez-Masson a pour objet social la fabrication et la commercialisation d’articles de bijouterie.
Le 26 septembre 2015, elle a conclu avec la société Ponge and Co un contrat de dépositaire affilié aux termes duquel elle autorise cette dernière à utiliser l’enseigne « So or » et à commercialiser, en qualité de dépositaire-vendeur indépendant, tous les articles issus de son catalogue.
Afin de garantir le complet paiement des sommes dues au titre de ce contrat et notamment du stock transféré, la société Ponge and Co s’est engagée à remettre à la SAS Marcel Robez-Masson « au plus tard le jour de la mise en place du premier stock de produits dans le point de vente, une caution personnelle (‘) d’un montant égal à 100.000€ ».
En date du 26 septembre 2015, Mme [Z] [C], gérante et associée minoritaire de la société Ponge and Co, s’est portée caution solidaire de cette société au bénéfice de la SAS Marcel Robez-Masson, dans la limite de 10 années et de 100.000 euros incluant le principal, les intérêts, commissions et accessoires.
Par jugement du 5 avril 2018, le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société Ponge and Co convertie en liquidation judiciaire le 7 mars 2019.
Par courrier recommandé en date du 13 juin 2019, la SAS Marcel Robez-Masson a mis en demeure Mme [Z] [C], au titre de son engagement de caution, de lui régler la somme globale de 45.660,82 euros, avant de l’attraire devant le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand en paiement de sa créance.
Par jugement en date du 25 mars 2021, le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand a :
-condamné Mme [Z] [C] à payer et porter à la SAS Marcel Robbez-Masson la somme de 45.660,82 euros TTC en principal, outre une pénalité de 40 euros pour frais de recouvrement,
-condamné Mme [Z] [C] à payer à la SAS Marcel Robbez-Masson la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
-condamné Mme [Z] [C] aux dépens de l’instance,
-ordonné l’exécution provisoire de la décision.
Le tribunal a considéré que l’engagement de caution de Mme [Z] [C] n’était pas disproportionné à ses biens et revenus au moment de son engagement de caution.
Par déclaration en date du 21 juin 2021, enregistrée le 22 juin 2021, Mme [Z] [C] a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses conclusions notifiées le 23 juillet 2021, elle demande à la cour :
d’infirmer le jugement rendu le 25 mars 2021 ;
de juger que son engagement était lors de sa signature disproportionné à ses biens et revenus ;
de dire que la société Robbez-Masson ne peut se prévaloir de son engagement de caution ;
de juger que cette société a manqué à son devoir de conseil et doit être déchue de son droits à intérêts et pénalités ;
de débouter la SAS Marcel Robbez-Masson de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
de constater que cette société a brutalement et abusivement rompu les relations commerciales et de la condamner en conséquence à lui payer la somme de 45.660,82 euros au titre de son préjudice ;
en cas de besoin, d’ordonner la compensation des créances réciproques ;
-en tout état de cause, de condamner la SAS Marcel Robbez-Masson à lui payer la somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’à supporter les dépens de l’instance.
La SAS Marcel Robbez-Masson, par conclusions notifiées le 19 octobre 2021, demande à la cour de :
-déclarer irrecevable sur le fondement des articles 564 et suivants du code de procédure civile, la prétention nouvelle de l’appelante consistant à obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 45.660,82 euros au titre de son prétendu préjudice ;
-confirmer dans toutes ses dispositions le jugement du 25 mars 2021 ;
-condamner Mme [Z] [C] à lui payer la somme de 15.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens ;
-rejeter l’intégralité des demandes contraires formées par Mme [Z] [C].
Il sera renvoyé aux conclusions des parties pour l’exposé complet de leurs demandes et moyens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 27 octobre 2022.
Motivation :
I-Sur la recevabilité de la demande de dommages et intérêts :
Selon les dispositions de l’article 564 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.
Mme [C] sollicite pour la première fois devant la cour la condamnation de la SAS Marcel Robbez-Masson à lui payer la somme de 45.660,82 euros au titre de son préjudice.
Cette demande sera déclarée irrecevable.
II-Sur la disproportion de l’engagement de caution :
Mme [C] soutient que son engagement de caution est manifestement disproportionné.
Elle rappelle qu’étant mariée sous le régime de la séparation de biens, les revenus de son époux ne peuvent être pris en compte ; qu’elle ne détient que 49 % en usufruit du patrimoine de la SCI Patrimoine et ne peut donc disposer à sa guise des biens immobiliers.
En 2015, le déficit entre ses biens, ses revenus d’une part et ses dettes d’autre part s’élevait à 808 000 euros et la créancière lui a fait signer le même jour un second engagement de caution à hauteur de 90.000 euros.
La SAS Marcel Robbez-Masson répond que Mme [C] disposait au jour de son engagement de revenus mensuels estimés à 10.038,33 euros, d’une épargne estimée à 46.730,92 euros et d’un patrimoine immobilier d’un million d’euros ; qu’elle a donné à ses enfants la nue-propriété de 49% des parts qu’elle détenait dans une SCI propriétaire de deux immeubles entiers et d’un appartement.
Elle ajoute que Mme [C] a déclaré :
rembourser des mensualités d’un montant total de 14.266,61 euros au titre de 7 prêts souscrits avec son époux afin de financer son patrimoine ;
avoir souscrit trois engagements de caution à concurrence de 291.50 euros auxquels s’ajoutent l’ engagement de caution souscrit à son profit à concurrence de 100.000 euros. Elle précise que le second engagement de caution de 90.000 euros a été annulé par jugement du tribunal de commerce de Clermont-Ferrand du 25 mars 2021 ;
que la balance entre l’actif et le passif de l’appelante fait apparaître en sa faveur un actif de 651.002,64 euros qui exclut toute disproportion.
Il sera fait application des dispositions de l’article L 341-4 du code de la consommation, en vigueur du 5 août 2003 au 1er juillet 2016 aux termes desquelles : « un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. »
Il résulte de ces dispositions que la disproportion doit être manifeste, c’est-à-dire flagrante ou évidente pour un professionnel raisonnablement diligent.
Les dispositions précitées n’imposent pas au créancier professionnel de vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement, laquelle supporte lorsqu’elle l’invoque, la charge de la preuve de démontrer que son engagement de caution était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus.
Par ailleurs, la disproportion s’apprécie lors de la conclusion du contrat de cautionnement au regard du montant de l’engagement ainsi souscrit et des biens et revenus de chaque caution. Elle s’apprécie également en prenant en considération l’endettement global de la caution, y compris celui résultant d’engagement de cautionnement (Cass. Com. 22 mai 2013, n°11-24.812).
A-sur la situation de la caution au moment de son engagement :
La fiche de renseignement remplie par Mme [C] au moment de son engagement mentionne qu’elle est mariée sous le régime de la séparation de bien et mère de deux enfants. Les revenus de son époux ( 50 361 euros plus 57 341 euros au titre du BIC) permettent à ce dernier de participer à l’éducation des enfants et aux charge du ménage. L’actif et le passif de Mme [C] se définissent comme suit :
1- A l’actif :
-salaires annuels de 25.300 euros,
-revenus immobiliers locatifs de 36.600 euros,
-revenus mobiliers de 3.060 euros
La fiche de renseignements fait également état pour Mme [C] et non pour son époux d’un BIC de 57.300 euros. Il n’appartenait pas à la société Marcel-Robbez Masson de vérifier ces déclarations, contredites par l’avis d’imposition produit qui indique que cette somme est perçue par l’époux de Mme [C].
soit un total annuel de 122.260 euros.
L’ épargne déclarée s’élève à la somme de 46 730 euros.
Mme [C] est seule propriétaire de sa résidence principale estimée à 750.000 euros et d’un terrain constructible d’une valeur de 280.000 euros. Elle détient 49% des parts en usufruit de la SCI Patrim’one. Cette SCI possède deux immeubles entiers et un appartement.
Si Mme [C] ne peut disposer librement des biens, ceux-ci peuvent néanmoins être vendus avec l’accord des nu-propriétaires des parts qu’elle détient. Le prix sera réparti suivant les dispositions de l’article 621 du code civil, l’usufruit ayant une valeur qui n’est pas précisée par Mme [C]. Elle peut également vendre son droit (article 595 du code civil).
2-Au passif :
Dans la fiche de renseignements, Mme [C] a fait état du passif suivant :
-Crédits en cours :
*au titre de la résidence principale
-un prêt immobilier BPMC dont le remboursement a débuté le 11 février 2008 pour une durée de 240 mois d’un montant de 299 500 euros ;
-un prêt relais BPMC dont le remboursement a débuté le 22 janvier 2010 pour une durée de 24 mois d’un montant de 102 000 euros.
Il restait dû au moment de son engagement la somme de 316 318 euros.
*au titre de l’achat d’un terrain :
-un prêt relais BPMC dont le remboursement a débuté le 18 décembre 2014 de 200 000 euros ;
*au titre de l’achat d’une voiture : d’un prêt remboursable en 36 mensualités dont le remboursement a débuté le 12 juin 2013: 4.434,80 euros.
Mme [C] a signalé que son époux était co-emprunteur pour l’ensemble de ces dettes.
-Engagements de caution :
Mme [C] s’est portée caution des engagements de la société Ponge and Co à concurrence de 100.000 euros le 26 septembre 2015. Le même jour elle s’est également portée caution des engagements de sa société à concurrence de 90.000 euros. Le fait que cet engagement de caution ait été déclaré postérieurement nul et non avenu par jugement du tribunal de commerce de Clermont Ferrand du 25 mars 2021 est sans incidence sur le fait que cet engagement devait être pris en compte, pour apprécier si l’engagement de caution discuté était ou non manifestement disproportionné à ses biens et revenus.
La fiche de renseignements fournie mentionne plusieurs autres engagements de caution :
En garantie des engagements pris par la SCI :
-prêt Libertimmo de 828.000 euros : caution solidaire de 178.000 euros ;
-prêt Banque Populaire de 90.000 euros : caution solidaire de 13.500 euros ;
-Financement CACF de 840.000 euros : caution solidaire dans la limite de 100.000 euros.
Son époux est caution solidaire pour les mêmes montants.
Les montants déclarés appellent les observations suivantes au regard des pièces produites :
-Le remboursement du prêt Libertimmo est garanti par une caution solidaire de Mme [C] et celle de son époux à hauteur de 828.000 euros chacun majoré de 30%.
La somme de 178.000 euros correspond au montant de l’hypothèque conventionnelle complémentaire consentie sur le bien par la SCI. Mme [C] n’a donc pas déclaré l’ensemble de ses engagements de caution en remplissant la fiche de renseignements.
Au regard des éléments susvisés, la société Marcel-Robbez Masson disposait donc des éléments d’appréciation suivants :
ACTIF
PASSIF
Revenus: 122.260 euros
Crédits immobiliers résidence principale:
316.318 euros
Epargne: 46.730 euros
Crédit terrain: 200.000 euros
Actif immobilier: un immeuble de 750K€ et un terrain de 280.000 K€
Prêt voiture: 4.434,80 euros
Parts de SCI en usufruit (49%):non valorisé
Engagements de caution déclarés: 391.500 euros
Engagements de caution auprès de la société Marcel Robbez-Masson: 190.000 euros
Total: actif total de 1 076 730 euros auquel s’ajoute la valeur des parts en usufruits non précisée et les revenus mensuels qui permettent de faire face à des mensualités cumulées de 3 632,61 euros au remboursement desquelles l’époux de Mme [C] participe.
Soit un total de 912.252,80 euros avant engagement auprès de la société Marcel Robbez-Masson et de 1 102 252,80 euros après engagement de caution auprès de cette société.
Mme [C] ne peut aujourd’hui se prévaloir d’engagements supérieurs à ceux qu’elle a déclarés ou de ressources inférieures à celles mentionnées à son nom sur la fiche de renseignements.
Par ailleurs, les éléments susvisés permettent de considérer qu’au moment où elle s’est engagée aucune disproportion manifeste n’apparaissait entre ses ressources et ses dettes.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné Mme [C] à verser à la société Marcel Robert Masson la somme de 45 660,82 euros TTC en principal outre une pénalité de 40 euros pour frais de recouvrement.
III- Sur le devoir d’information :
Le tribunal a constaté que la société Marcel Robbez- Masson ne contestait pas avoir manqué à son devoir d’information et fait application des dispositions de l’article 47 de la loi du 11 février 1994 disposant que lorsque le cautionnement est consenti par une personne physique pour garantir une dette professionnelle d’un entrepreneur individuel ou d’une entreprise constituée sous forme de société, le créancier informe la caution de la défaillance du débiteur principal dès le premier incident de paiement non régularisé dans le mois de l’exigibilité de ce paiement. À défaut, la caution ne saurait être tenue au paiement des pénalités ou intérêts de retard échus entre la date de ce premier incident et celle à laquelle elle en a été informée.
En conséquence, la demande de Mme [C] est sans objet le tribunal ayant fait droit à sa demande.
IV- sur les autres demandes :
Mme [C] succombant en ses demandes sera condamnée aux dépens.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Marcel Robbez-Masson les frais exposés pour sa défense. Mme [C] sera condamnée à lui verser la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs:
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, mis à la disposition des parties au greffe de la juridiction ;
Vu l’article 564 du code de procédure civile,
Déclare irrecevable la demande de Mme [Z] [C] tendant à voir condamner la SAS Marcel Robbez-Masson à lui payer la somme de 45.660,82 euros au titre de son préjudice ;
Confirme le jugement du tribunal de commerce en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne Mme [Z] [C] à verser à la SAS Marcel Robbez Masson la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [Z] [C] aux dépens d’appel.
Le greffier, La présidente,