9 mars 2023
Cour d’appel de Poitiers
RG n°
20/03117
VC/PR
ARRET N° 112
N° RG 20/03117
N° Portalis DBV5-V-B7E-GE5X
[F]
C/
S.A.S. SOCIETE VINCENT
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE POITIERS
Chambre Sociale
ARRÊT DU 09 MARS 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 décembre 2020 rendu par le Conseil de Prud’hommes de La Rochelle
APPELANTE :
Madame [M] [F]
née le 29 janvier 1993 à [Localité 5] (54)
[Adresse 3]
[Localité 1]
Ayant pour avocat Me Olivia MAITRE-FAURIE de la SELARL OMF AVOCAT, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT
INTIMÉE :
S.A.S SOCIÉTÉ VINCENT
N° SIRET : 413 292 996
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Ayant pour avocat Me Emmanuelle MONTERAGIONI-LAMBERT de la SCP ELIGE LA ROCHELLE-ROCHEFORT, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de Procédure Civile, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés, l’affaire a été débattue le 11 janvier 2023, en audience publique, devant :
Madame Valérie COLLET, Conseiller
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président
Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente
Madame Valérie COLLET, Conseiller
GREFFIER, lors des débats : Madame Patricia RIVIERE
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Madame Patricia RIVIÈRE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
La société Vincent est spécialisée dans la fabrication de bijoux et de pièces de joaillerie.
Elle a embauché Mme [M] [F], d’abord dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée à temps plein à effet du 4 juillet 2016 en qualité d’ouvrier sertisseur puis, à compter du 1er juillet 2017, dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée, en cette même qualité.
Le 3 septembre 2018, Mme [M] [F] a été placée en arrêt de travail et a sollicité la prise en charge de cet arrêt au titre de la législation professionnelle le 24 septembre suivant.
Le 14 janvier 2019, la CPAM de Charente-Maritime a notifié à Mme [M] [F] son ‘refus de prise en charge d’une maladie professionnelle pour un motif d’ordre administratif’.
Le 1er avril 2019, à la suite d’une visite de reprise, la médecine du travail a déclaré Mme [M] [F] inapte à son poste de travail.
La société Vincent a convoqué Mme [M] [F] à un entretien préalable à son éventuel licenciement, entretien auquel celle-ci ne s’est pas présentée.
Le 16 mai 2019, la société Vincent a notifié à Mme [M] [F] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de procéder à son reclassement.
Le 25 juillet 2019, Mme [M] [F] a saisi le conseil de prud’hommes de La Rochelle aux fins, sous le bénéfice de l’exécution provisoire du jugement à intervenir et en l’état de ses dernières prétentions, de voir :
– condamner la société Vincent à lui payer les sommes suivantes :
– 3 380 euros à titre de rappel de complément d’indemnités journalières (sauf à parfaire) ;
– 9 124 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct ;
– 3 000 euros à titre d’indemnité pour violation de l’obligation de reclassement ;
– 1 520,74 euros à titre de rappel de salaire sur le fondement de l’article L. 1226-4 du Code du travail outre 152,07 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;
– 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
– dire que ces sommes produiront intérêts au taux légal en application des articles 1146 et 1153 du Code civil à compter de l’introduction de la demande et que ces intérêts seront capitalisés par application de l’article 1154 du Code civil ;
– condamner la société Vincent aux entiers dépens.
Par jugement en date du 16 décembre 2020, le conseil de prud’hommes de La Rochelle a :
– débouté Mme [M] [F] ‘de sa demande de requalification de licenciement sans cause réelle et sérieuse’ ;
– condamné la société Vincent à payer à Mme [M] [F] les sommes suivantes :
– 860,24 euros bruts à titre de rappel de salaire outre 86,02 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;
– débouté Mme [M] [F] de ses plus amples demandes ;
– débouté la société Vincent et Mme [M] [F] de leurs demandes sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– laissé à chaque partie la charge de ses dépens.
Le 28 décembre 2020, Mme [M] [F] a relevé appel de ce jugement en ce qu’il :
– l’avait déboutée de ses demandes suivantes :
– 3 380 euros bruts à titre de rappel de complément d’indemnités journalières ;
– 9 124 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct ;
– 3 000 euros à titre d’indemnité pour violation de l’obligation de reclassement ;
– 1 520,74 euros à titre de rappel de salaire sur le fondement de l’article L. 1226-4 du Code du travail outre 152,07 euros bruts au titre des congés payés y afférents.
Par conclusions, dites d’appelant responsives et récapitulatives 3, reçues au greffe le 6 octobre 2021, Mme [M] [F] demande à la cour :
– d’infirmer le jugement entrepris ;
– et, statuant à nouveau :
– de condamner la société Vincent à lui payer les sommes suivantes :
– 3 380 euros à titre de rappel de complément d’indemnités journalières (sauf à parfaire) ;
– 9 124 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct ;
– 3 000 euros à titre d’indemnité pour violation de l’obligation de reclassement ;
– 1 520,74 euros à titre de rappel de salaire sur le fondement de l’article L. 1226-4 du Code du travail outre 152,07 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;
– 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– de dire que ces sommes produiront intérêts au taux légal en application ‘des articles 1146 et 1153 du Code civil’ à compter de l’introduction de la demande et que ces sommes produiront intérêts conformément à ‘l’article 1154 du Code civil’ ;
– de condamner la société Vincent aux entiers dépens.
Par conclusions reçues au greffe le 18 juin 2021, la société Vincent demande à la cour :
– de confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu’il l’a déboutée de sa demande sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– en conséquence de limiter à la somme de 860,24 euros bruts et 86,02 euros bruts au titre des congés payés afférents le rappel de salaire dû à Mme [M] [F] ;
– de débouter Mme [M] [F] de ses autres demandes ;
– de condamner Mme [M] [F] à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens ;
– subsidiairement de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
La clôture de l’instruction de l’affaire a été prononcée le 14 décembre 2022 et l’affaire a été renvoyée à l’audience du 11 janvier 2023 à 14 heures pour y être plaidée.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions et de l’argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties.
MOTIFS DE LA DECISION :
– Sur la demande de complément d’indemnités journalières formée par Mme [M] [F] :
Au soutien de son appel, Mme [M] [F] expose en substance :
– que la convention collective de la bijouterie, joaillerie et activités qui s’y rattachent est applicable en l’espèce et que son article 41 prévoit que le salarié malade continue de percevoir ses appointements et que le salaire de référence ‘à prendre en compte pour les appointements à 75% est le salaire net à payer’ ;
– qu’elle a interrogé la Direccte au sujet de la base de calcul du complément d’indemnités journalières que la société Vincent devait lui verser et que cette administration lui a communiqué un arrêt de la Cour de cassation du 19 mai 2009 et un texte de doctrine dont il ressort que ce complément d’indemnités journalières doit être calculé en intégrant la part variable de sa rémunération ;
– qu’elle peut donc prétendre à un complément d’indemnités journalières calculé sur la base de son salaire moyen des 3 ou 12 derniers mois travaillés, au plus favorable pour elle, en ce compris la part variable de sa rémunération.
En réponse, la société Vincent objecte pour l’essentiel :
– que Mme [M] [F] se livre à une interprétation erronée des dispositions de la convention collective ;
– que cette convention collective ne prévoit nullement qu’il faille retenir la moyenne des 12 derniers mois de salaire pour calculer le complément d’indemnités journalières ;
– qu’encore si la convention collective prévoit bien que le salaire de référence à prendre en considération dans le cas des appointements à 75 % est le salaire net à payer, elle ne prévoit pas d’y intégrer une prime de productivité ;
– qu’à cet égard elle ne pouvait tenir compte d’une prime de productivité durant une période pendant laquelle la salariée était absente ;
– qu’en outre la convention collective pose pour principe que le salarié absent pour maladie ne peut percevoir un salaire net supérieur à celui qu’il aurait perçu s’il avait continué de travailler.
L’article 41 de la convention collective nationale de la bijouterie, joaillerie, orfèvrerie et activités qui s’y rattachent, applicable en l’espèce, stipule :
‘A. Les absences résultant de maladies ou d’accidents du travail doivent être signalées à l’entreprise…
A condition d’être pris en charge par la sécurité sociale et de s’être soigné en France… le mensuel malade ou accidenté dans les conditions de l’alinéa précédent continue à recevoir tout ou partie de ses appointements dans les limites ci-après :
a/ Après 1 an de présence continue dans l’établissement :
– 1 mois d’appointement à plein tarif
– 1 mois d’appointement à 75 % ;
b/ Après 2 ans de présence continue dans l’établissement :
– 1 mois et demi d’appointement à plein tarif
– 1 mois et demi d’appointement à 75 % ;
…
Le salaire de référence à prendre en compte pour les appointements à 75 % est le salaire net à payer.
…
C. Le mensuel malade ou accidenté ne reçoit son plein traitement ou son traitement partiel (75 %) que sous déduction :
– des indemnités journalières versées par la sécurité sociale pendant toute une période d’indemnisation ;
– des indemnités versées par les caisses de prévoyance…
En aucun cas le salarié ne pourra percevoir un salaire net supérieur à celui qu’il aurait perçu s’il avait continué à travailler…’.
Il est de principe que, sauf exclusion prévue par la convention collective, le salaire net de référence à prendre en considération pour déterminer le montant du complément d’indemnités journalières dû par l’employeur au salarié placé en arrêt de travail pour maladie s’entend comme incluant les éléments variables de la rémunération de ce dernier, la seule limite à cette règle résidant en l’espèce dans la stipulation de la convention collective déjà citée selon laquelle en aucun cas le salarié ne pourra percevoir un salaire net supérieur à celui qu’il aurait perçu s’il avait continué de travailler.
En l’espèce, la convention collective applicable à l’entreprise ne contenant, pour la détermination du montant du complément d’indemnités journalières dû au salarié malade, aucune exclusion des éléments variables de la rémunération, c’est à bon droit que Mme [M] [F] réclame à ce titre la prise en compte de l’ensemble des éléments fixes et variables (prime de productivité) de sa rémunération.
La cour constate que la société Vincent qui conteste les bases de calcul retenues par la salariée pour chiffrer sa demande de ce chef ne produit aucun décompte alternatif et ne soutient pas davantage que les indemnités journalières servies à Mme [M] [F], majorées du complément que celle-ci revendique, aurait pour effet de porter son salaire net à un niveau supérieur à celui qu’elle aurait perçu si elle avait continué de travailler durant la période pendant laquelle elle a été placée en arrêt de travail pour maladie.
En conséquence, la cour condamne la société Vincent à payer à Mme [M] [F] la somme de 3 380 euros à titre de complément d’indemnités journalières.
– Sur les demandes formées par Mme [M] [F] au titre de la rupture de son contrat de travail :
Au soutien de son appel, Mme [M] [F] expose en substance :
– que l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité à l’égard de ses salariés et doit tenir compte des préconisations de la médecine du travail sous peine de manquer à cette obligation ;
– que son inaptitude a résulté de ses conditions de travail dans l’entreprise à savoir des postures de travail très contraignantes et un rythme de réalisation des pièces impossible à respecter ;
– que le médecin du travail qui a analysé les postes de l’entreprise a relevé que son poste de travail était très sollicitant au niveau des postures de travail et particulièrement au niveau des épaules, précisant qu’à cela s’ajoutait des objectifs de rentabilité et de qualité et qu’il existait un risque fort de TMS ;
– que la médecine du travail avait notamment communiqué à la société Vincent un dossier sur la prévention des TMS qui préconisait de prévoir des temps de pause suffisants pour limiter à la fois la fatigue visuelle et les contraintes physiques et psychologiques ;
– que l’employeur n’a pas tenu compte des préconisations de la médecine du travail ;
– qu’elle produit un courrier du docteur [D], chirurgien spécialiste de la main et du membre supérieur, qui rend compte de ce que sa pathologie était liée à son activité professionnelle et notamment à sa position de travail qui générait des contractures musculaires ;
– qu’elle communique également une attestation d’une ancienne collègue, Mme [G], qui confirme ses explications sur les conditions de travail dans l’entreprise ;
– que les attestations versées aux débats par la société Vincent ont été établies par des salariés de l’entreprise qui sont placés à son égard dans un lien de subordination ;
– que c’est uniquement parce-qu’elle avait mal codifié sa maladie professionnelle que la CPAM a refusé de la prendre en charge au titre de la législation professionnelle et qu’elle a introduit un recours à l’encontre de la décision de cette caisse devant le pôle social du tribunal judiciaire de La Rochelle ;
– que son licenciement pour inaptitude ayant été causé par le manquement de la société Vincent à ses obligations en matière de sécurité au travail, il doit être requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– qu’outre une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, elle peut prétendre à des dommages et intérêts pour préjudice distinct puisque le comportement fautif de la société Vincent a été à l’origine de la détérioration de son état de santé comme l’ont relevé le docteur [D] et la médecine du travail ;
– qu’enfin la société Vincent a manqué à ses obligations à son égard en matière de reclassement ;
– qu’en effet la société Vincent n’a émis aucune proposition de reclassement alors qu’elle disposait de multiples compétences ;
– qu’en outre les sociétés du groupe auquel la société Vincent appartient ont procédé à des recrutements postérieurement à son licenciement et que la société Vincent elle même a publié des annonces pour recruter notamment des polisseurs, ce qui démontre qu’elle pouvait lui proposer des postes de reclassement.
En réponse, la société Vincent objecte pour l’essentiel :
– que l’inaptitude de Mme [M] [F] constatée par la médecine du travail n’a strictement aucun lien avec ses conditions de travail dans l’entreprise ;
– que la CPAM a refusé de prendre en charge au titre de la législation professionnelle la pathologie déclarée par Mme [M] [F] ;
– que les certificats médicaux établis par le médecin traitant de Mme [M] [F] et par son chirurgien, pas plus que les lettres du médecin du travail, ne permettent d’établir la responsabilité de l’entreprise dans la survenance de la pathologie à l’origine de son inaptitude ;
– que le médecin du travail n’indique pas l’avoir alertée sur un risque concernant précisément Mme [M] [F] mais précise que le risque est inhérent au métier et non à l’organisation du travail dans l’entreprise ;
– que pour sa part elle produit plusieurs attestations de salariés de l’entreprise qui rendent compte de ce qu’elle est extrêmement soucieuse des conditions de travail de ses salariés ;
– que Mme [M] [F] doit donc être déboutée de sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice distinct ;
– qu’enfin elle a rempli ses obligations en matière de reclassement vis-à-vis de Mme [M] [F], étant précisé qu’elle n’était pas tenue de lui assurer le bénéfice d’une reconversion professionnelle ;
– qu’en effet elle a répertorié l’ensemble des postes disponibles au sein de l’entreprise à savoir ceux de sertisseur et de responsable d’atelier et que le poste de sertisseur ne pouvait être proposé à Mme [M] [F] puisque le médecin du travail l’avait déclarée inapte à ce poste ;
– qu’en outre et alors qu’elle n’y était pas contrainte, elle a interrogé les autres sociétés du groupe auquel elle appartient lesquelles lui ont indiqué qu’aucun poste correspondant aux préconisations du médecin du travail n’était disponible ;
– que les annonces de recherche d’emploi dont fait état Mme [M] [F] ont été publiées près d’un an après le licenciement de cette dernière et que Mme [M] [F] n’avait pas les compétences pour exercer des fonctions administratives ou de polisseur, étant précisé que celles de polisseur imposent les mêmes gestes que celle de sertisseur.
L’article L. 4121-1 du code du travail énonce :
‘L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
– Des actions de préventions des risques professionnels et de la pénibilité du travail, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1 ;
– Des actions d’information et de formation :
– La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes’.
L’article L. 4121-2 du même code dispose :
‘ L’employeur met en oeuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
– 1° Eviter les risques ;
– 2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
– 3° Combattre les risques à la source ;
– 4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
– 5° Tenir compte de l’évolution de la technique ;
– 6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
– 7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l’article L. 1142-2-1 ;
– 8° Prendre les mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
– 9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs’.
Aussi, l’employeur est-il tenu d’une obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés.
Par ailleurs, il est de principe qu’est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu’il est démontré que l’inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l’employeur qui l’a provoquée.
En l’espèce, dans le but de rapporter la preuve de ce que la société Vincent a manqué à ses obligations en matière de sécurité au travail à son égard, Mme [M] [F] verse aux débats :
– sa pièce n°11 : il s’agit d’un certificat médical établi par le docteur [I] [D], chirurgien orthopédique, qui y déclare : ‘Je soussigné… La consultation a été réalisée le 24 septembre 2018. L’examen clinique, ainsi que les différents examens complémentaires, ont mis en évidence une tendinopathie aiguë de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite avec mise en évidence d’une bursite sous-acromiale sur l’examen IRM. Cette pathologie peut-être en rapport avec l’activité professionnelle de Mme [M] [F]. Celle-ci a fait l’objet d’une déclaration de maladie professionnelle…’.
La cour observe que ce médecin ne met en lien la pathologie constatée chez Mme [M] [F] et l’activité professionnelle de celle-ci que sur un mode hypothétique, étant ajouté que, faute de constatations personnelles des conditions exactes de travail par ce praticien, il ne peut s’agir à cet égard que de considérations tirées des déclarations de Mme [M] [F].
– sa pièce n° 14 : il s’agit de l’avis d’inaptitude rendu par le médecin du travail le 1er avril 2019 rédigé en ces termes : ‘Mme [M] [F] pourrait avoir un emploi, manuel ou de type administratif, n’exposant pas aux postures de travail, avec les membres supérieurs au-dessus de la ligne horizontale des épaules, de manière régulière et répétée ou prolongée. Elle pourrait faire une formation en vue de reconversion professionnelle’.
– sa pièce n° 20 : il s’agit d’un courrier en date du 26 février 2019 rédigé par le médecin du travail comme suit : ‘J’ai vu Mme [M] [F]… Elle souhaite ne plus travailler dans son entreprise compte-tenu de ses douleurs et de son impotence de l’épaule droite. Nous avons évoqué l’inaptitude et les conséquences de celle-ci… Devant les différents éléments médicaux, l’inaptitude est licite, le poste de travail est très sollicitant au niveau des postures de travail et particulièrement des épaules. Se rajoute à cela des objectifs de rentabilité et de qualité. Les aménagements sont très difficiles à envisager…’.
– sa pièce n° 21 : il s’agit d’un second courrier établi par le médecin du travail qui y indique : ‘J’ai vu Mme [M] [F] et évoqué sa reprise qui pourrait se faire en effet à l’essai à mi-temps thérapeutique, mais je l’ai bien prévenue que l’aménagement serait compliqué dans cette entreprise compte-tenu de son organisation (primes en fonction du nombre de pièces faites, développant les facteurs biomécaniques des tms et postures contraignantes du rachis cervical et des membres supérieurs au poste de travail)…’.
La cour observe qu’aucune de ces pièces ne met en exergue un manquement de l’employeur à son obligation en matière de sécurité au travail ni a fortiori qu’un tel manquement serait en lien avec l’inaptitude de la salariée ni même que les conditions de travail de Mme [M] [F] auraient engendré une dégradation de son état de santé mais seulement que, cet état de santé (douleurs et impotence de l’épaule droite) était devenu incompatible avec les caractéristiques du poste de travail occupé et les modalités d’organisation du travail dans l’entreprise que le rédacteur de ces pièces ne remet pas en cause.
– sa pièce n° 22 : il s’agit d’un document daté du 14 décembre 2018 et rédigé par le médecin du travail qui contient notamment une partie intitulée ‘Avis sur le risque d’exposition dans l’entreprise’ rédigé comme suit : ‘Postures liées au métier, contraignantes au niveau des membres supérieurs, avec bras en position surélevée et activités en force de préhension et de pronosupination lors du sertissage car il pousse le métal sur la pierre avec une échope. Les postures sont très sollicitantes au niveau du dos et des épaules. Ils sont payés et primés au nombre de pierres posées, ont des contraintes de temps +++. J’ai déjà alerté par courrier M. Vincent du risque fort de TMS. J’ai adressé à M. Vincent des éléments pour prévenir les TMS.
La cour observe que le rédacteur de ce document met en exergue les contraintes de postures liées au métier qu’exerçait Mme [M] [F] mais sans relever de manquement de l’employeur à son obligation de sécurité à l’égard de cette dernière. S’il souligne l’existence de contraintes de temps importantes liées au mode de rémunération des salariés de l’entreprise fonction de leur productivité, et le ‘risque fort’ de TMS dans l’entreprise, il ne fait aucunement le lien entre les conditions effectives de travail de Mme [M] [F] et la dégradation de son état de santé ni a fortiori avec son inaptitude. Enfin rien n’indique que les éléments que le médecin du travail expose avoir adressés à M. Vincent pour prévenir les TMS étaient en lien avec les conditions de travail de Mme [M] [F] ni qu’ils n’ont pas été respectés par l’employeur.
– sa pièce n° 23 : il s’agit d’un document non daté, intitulé ‘6/ Conclusion’ que rien ne permet de rattacher aux éléments de la présente affaire.
– sa pièce n° 24 : il s’agit d’un courrier du médecin du travail adressé à la salariée et auquel se trouve annexé la copie du dossier médical de cette dernière. La cour observe que cette pièce qui contient des éléments de description précis et objectifs relatifs aux conditions de travail de la salariée ne révèle pas de manquement de l’employeur à ses obligations en matière de sécurité au travail vis-à-vis de Mme [M] [F].
– sa pièce n° 25 : il s’agit d’un second courrier rédigé par le docteur [I] [D], chirurgien orthopédiste qui, après un rappel de la pathologie présentée par Mme [M] [F] qu’il qualifie de ‘tendinopathie non-rompue du supra-épineux avec probablement une composante névralgique’, y écrit : ‘Tout cela semble lié à l’activité professionnelle de Mme [M] [F] notamment sa position de travail qui entraîne des contractures musculaires…’.
De nouveau la cour observe que le rédacteur de ce courrier ne retient pas comme certain un lien de cause à effet entre les conditions de travail de Mme [M] [F] et sa pathologie et ne fait pas état, même indirectement, à un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ni a fortiori à un manquement de cette nature à l’origine de l’inaptitude de Mme [M] [F].
– ses pièces n° 36 et 41 : il s’agit d’une seule et même attestation établie sur deux supports différents par Mme [H] [G], sertisseuse et ancienne collègue de la salariée dans l’entreprise, qui y déclare notamment : ‘… J’ai travaillé avec Mme [M] [F]… A cette époque, la prévention pour soulager coudes, épaules et poignets n’existait pas. Il n’y avait aucune précaution particulière vis-à-vis des commandes afin d’éviter une répétition intensive d’un mouvement ou de la force réclamée. Mme [M] [F] était très sollicitée pour effectuer des grosses commandes parce-qu’elle avait une rapidité d’exécution plus rapide que les autres. Les commandes urgentes lui revenaient aussi très régulièrement pour cette raison avec des délais très courts…’.
Aussi, l’analyse des éléments produits par Mme [M] [F] ne permet pas de retenir que la société Vincent a manqué aux principes généraux de prévention relatifs aux risques professionnels prévus par l’article L. 4121-2 du code du travail ou plus généralement a manqué à ses obligations en matière de santé et de sécurité au travail vis-à-vis de Mme [M] [F], ni a fortiori de retenir que l’inaptitude de celle-ci a été causée par un quelconque manquement de l’employeur à ces obligations.
S’agissant d’un manquement de la société Vincent à ses obligations en matière de reclassement vis-à-vis de Mme [M] [F], il est de principe qu’une fois le salarié déclaré inapte, en application de l’article L. 4624-4, à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités, le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. Cette proposition prend en compte, après avis du comité social et économique, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise. L’emploi proposé est aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.
En l’espèce, l’avis d’inaptitude rendu le 1er avril 2019 par le médecin du travail est le suivant : ‘Mme [M] [F] pourrait avoir un emploi, manuel ou de type administratif, n’exposant pas aux postures de travail, avec les membres supérieurs au-dessus de la ligne horizontale des épaules, de manière régulière et répétée ou prolongée. Elle pourrait faire une formation en vue de reconversion professionnelle’.
Dans un courrier en date du 15 avril 2019, la société Vincent indiquait à Mme [M] [F] , au sujet de sa recherche de reclassement, que les postes dans l’entreprise étaient les suivants : ‘Sertissage’ et ‘Gestion des flux’.
La cour observe que Mme [M] [F] ne conteste pas ce point.
Dans ce même courrier, la société Vincent, rappelait à Mme [M] [F] que le médecin du travail l’avait déclarée inapte au poste de sertisseur puis indiquait à Mme [M] [F] que ‘tous les autres postes’ étaient alors pourvus, ce que Mme [M] [F] ne conteste pas davantage, ajoutant que la salariée ne disposait ‘pas des compétences pour exercer des fonctions administratives’.
En outre, la société Vincent verse aux débats, sous sa pièce n° 31, trois courriers qui lui ont été adressés par les sociétés Léa, 1B2L et le groupe Léaparo en réponse à la demande de recherche de reclassement au profit de Mme [M] [F] qu’elle leur avait adressée.
Dans ces trois courriers, ces sociétés et ce groupe concluaient comme suit : ‘Nous ne disposons d’aucun poste disponible correspondant aux préconisations du médecin du travail’.
S’agissant des deux recrutements dont fait état Mme [M] [F], le premier, réalisé par la société Vincent le 2 septembre 2019, est relatif à un emploi de sertisseur, emploi pour lequel Mme [M] [F] avait été déclarée inapte par le médecin du travail, et le second a été réalisé par une entreprise tierce et de surcroît plusieurs mois après la rupture de la relation de travail.
Les pièces n° 27 à 29 versées aux débats par Mme [M] [F] concernent des offres d’emploi et non des embauches, ensuite la pièce n° 27 ne contient aucune mention permettant de retenir un rapport quelconque avec la société Vincent, la pièce n° 28 correspond à une offre d’emploi de sertisseur/sertisseuse dont il a déjà été relevé qu’il n’était pas compatible avec l’avis d’inaptitude rendu par le médecin du travail et dont en outre la publication est datée de février 2020 et la pièce n° 29 correspond à des offres d’emplois publiées en janvier 2020 soit environ 8 mois après la date de rupture de la relation de travail.
Ces éléments ne permettent pas à la cour de considérer que la société Vincent a manqué à ses obligations en matière de reclassement vis-à-vis de Mme [M] [F].
En conséquence de quoi, la cour déboute Mme [M] [F] de ses demandes au titre du licenciement dont celle formée en réparation d’un préjudice distinct.
– Sur la demande formée par Mme [M] [F] au titre de la reprise des salaires :
Au soutien de son appel, Mme [M] [F] expose en substance :
– qu’en cas d’inaptitude, à défaut de reclassement ou de licenciement à l’issue du délai d’un mois à compter de la date de la visite de reprise, l’employeur doit reprendre le versement du salaire ;
– qu’elle a été déclarée inapte le 1er avril 2019 mais n’a été licenciée que le 16 mai suivant, ce dont il se déduit que la société Vincent aurait dû reprendre le versement de son salaire au titre de la période du 1er au 16 mai 2019 et ainsi lui verser la somme de 1 520,74 euros bruts outre les congés payés afférents.
En réponse, la société Vincent objecte pour l’essentiel :
– que c’est à tort qu’elle n’a pas repris le versement du salaire de Mme [M] [F] à compter du 1er mai 2019 jusqu’au 16 mai suivant mais que le rappel de salaire auquel celle-ci peut prétendre compte tenu de ses temps de travail ne peut excéder 860,24 euros bruts outre les congés payés afférents.
Certes, comme le fait valoir Mme [M] [F], l’article L. 1226-4 alinéa 1er du code du travail énonce :
‘Lorsque, à l’issue d’un délai d’un mois à compter de la date de l’examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n’est pas reclassé dans l’entreprise ou s’il n’est pas licencié, l’employeur lui verse, à l’expiration de ce délai le salaire correspondant à l’emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail’.
Cependant, la salariée ne justifie d’aucune manière le montant de 1 520,74 euros bruts, majoré des congés payés, qu’elle réclame sur le fondement de ces dispositions légales, étant observé que ce montant correspond, à quelques euros près, au salaire qui lui était dû pour un mois de travail complet quand elle ne peut prétendre à un rappel de salaire qu’au titre de la période du 1er au 16 mai 2019.
Aussi, la cour confirme le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société Vincent à payer à Mme [M] [F] la somme de 860,24 euros bruts à titre de rappel de salaire outre 86,02 euros bruts au titre des congés payés y afférents.
– Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Les prétentions de Mme [M] [F] étant pour partie fondées, la société Vincent sera condamnée aux entiers dépens tant de première instance que d’appel.
En outre, il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme [M] [F] l’intégralité des frais par elle exposés et non compris dans les dépens. Aussi, mais en tenant compte de ce que les prétentions de Mme [M] [F] ne sont qu’en partie fondées, la société Vincent sera condamnée à lui verser la somme de 1 200 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d’appel, la cour infirmant par ailleurs le jugement déféré en ce qu’il a débouté Mme [M] [F] de sa demande sur ce même fondement au titre des frais irrépétibles de première instance et condamnant la société Vincent à lui verser à ce titre la somme de 1 200 euros.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a :
– débouté Mme [M] [F] de sa demande de rappel de complément d’indemnités journalières ;
– débouté Mme [M] [F] de sa demande sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance ;
– laissé à la charge de Mme [M] [F] ses propres dépens ;
Et, statuant à nouveau sur ces points :
– condamne la société Vincent à payer à Mme [M] [F] la somme de 3 380 euros à titre de complément d’indemnités journalières ;
– condamne la société Vincent à verser à Mme [M] [F] la somme de 1 200 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance ainsi qu’aux entiers dépens de de première instance ;
Et, y ajoutant :
– dit que les condamnations prononcées à l’encontre de la société Vincent produiront intérêts au taux légal en application de l’article 1231-6 du Code civil à compter de l’introduction de la demande et que ces intérêts seront capitalisés par application et dans les conditions de l’article 1343-2 du Code civil ;
– condamne la société Vincent à verser à Mme [M] [F] la somme de 1 200 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de l’appel ainsi qu’aux entiers dépens d’appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,