17 mai 2023
Cour d’appel de Pau
RG n°
21/02709
ME/DD
Numéro 23/1694
COUR D’APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 17/05/2023
Dossier : N° RG 21/02709 – N��Portalis DBVV-V-B7F-H6TT
Nature affaire :
Contestation du motif économique de la rupture du contrat de travail
Affaire :
[G] [B] épouse [T]
C/
S.A.S. MAUBOUSSIN
Grosse délivrée le
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 17 Mai 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l’audience publique tenue le 01 Mars 2023, devant :
Madame CAUTRES , Présidente
Madame PACTEAU, Conseiller
Madame ESARTE, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
assistées de Madame LAUBIE, Greffière.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
dans l’affaire opposant :
APPELANTE :
Madame [G] [B] épouse [T]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Maître MARTIN CHEVALLIER de la SARL TAFALL MARTIN CHEVALLIER, avocat au barreau de BAYONNE
INTIMÉE :
S.A.S. MAUBOUSSIN
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Maître CREPIN de la SELARL LEXAVOUE PAU-TOULOUSE, avocat au barreau de PAU, et Maître BLANDINO, avocat au barreau de PARIS
sur appel de la décision
en date du 09 JUILLET 2021
rendue par le CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE BAYONNE
RG numéro : F 21/00076
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [G] [B], épouse [T], a été embauchée le 1er mai 2013 par la sas Mauboussin en qualité de responsable de boutique, statut cadre, suivant contrat à durée indéterminée à temps partiel régi par la convention collective nationale de la bijouterie, joaillerie, orfèvrerie et activités qui s’y rattachent.
Le 28 novembre 2016, trois postes de reclassement lui ont été proposés.
Le 30 décembre 2016, elle a été convoquée à un entretien préalable fixé le 5 janvier 2017.
Le 9 janvier 2017, elle a été licenciée pour motif économique.
Le 16 mars 2018, elle a saisi la juridiction prud’homale.
Par jugement du 9 juillet 2021, le Conseil de Prud’hommes de Bayonne a notamment :
– constaté que l’action de Mme [G] [T] est prescrite,
– dit que les demandes de Mme [G] [T], sont irrecevables,
– dit que le licenciement de Mme [G] [T] est régulier,
– débouté Mme [G] [T] du surplus de ses demandes,
– condamné Mme [G] [T] à verser à la sas Mauboussin la somme de 100 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné Mme [G] [T] aux entiers dépens de l’instance.
Le 12 août 2021, Mme [G] [T] a interjeté appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 12 novembre 2021, auxquelles il y a lieu de se référer pour l’exposé des faits et des moyens, Mme [G] [T] demande à la cour de :
– réformer la décision entreprise en toutes ses dispositions et en conséquence :
– déclarer ses demandes recevables,
– condamner la sas Mauboussin à lui payer la somme de 16 218 € nets à titre d’indemnité pour licenciement abusif,
– subsidiairement condamner la sas Mauboussin à lui payer la somme de 1 329,83 € nets à titre d’indemnité pour licenciement irrégulier,
– en tout état de cause :
– condamner la sas Mauboussin à lui payer les sommes de :
* 660,73 € nets au titre des salaires du mois d’avril 2019,
* 16 000 € nets à titre de dommages et intérêts pour perte de chance de pouvoir bénéficier de la convention de sécurisation professionnelle,
* 20 000 € nets à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
* 5 000 € au titre de l’article 700 du code procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 11 février 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l’exposé des faits et des moyens, la sas Mauboussin demande à la cour de :
– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
– ce faisant,
– constater que l’action de Mme [G] [T] est prescrite,
– dire que les demandes de Mme [G] [T] sont irrecevables,
– dire que le licenciement de Mme [G] [T] est régulier,
– débouter Mme [G] [T] du surplus de ses demandes,
– condamner Mme [G] [T] à lui verser la somme de 100 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Mme [G] [T] aux entiers dépens de l’instance,
– subsidiairement,
– débouter Mme [G] [T] de l’ensemble de ses demandes,
– confirmer pour le surplus le jugement entrepris,
– infiniment subsidiairement,
– ramener à 10 812 € le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse susceptible d’être allouée à Mme [G] [T],
– ramener à de plus justes proportions le montant des dommages et intérêts susceptibles d’être alloués à Mme [G] [T] au titre de ses diverses demandes,
– en toute hypothèse,
– condamner Mme [G] [T] à lui verser la somme de 5 000 € au titre des frais irrépétibles d’appel, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Mme [G] [T] aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 2 février 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la prescription :
Mme [T] a été licenciée pour motif économique le 9 janvier 2017.
A cette date, l’article L1235-7 du code du travail dans sa rédaction applicable à l’espèce disposait effectivement comme l’a indiqué le Conseil de prud’hommes que : « toute contestation portant sur la régularité ou la validité du licenciement se prescrit par douze mois à compter de la dernière réunion du comité d’entreprise ou, dans le cadre de l’exercice par le salarié de son droit individuel à contester la régularité ou la validité du licenciement, à compter de la notification de celui-ci. Ce délai n’est opposable au salarié que s’il en a été fait mention dans la lettre de licenciement. »
Toutefois, ce délai d’un an n’était applicable qu’aux contestations susceptibles d’entraîner la nullité de la procédure de licenciement collectif pour motif économique.
Dans le cas d’un licenciement économique individuel comme celui de Mme [T] c’était le délai biennal qui trouvait à s’appliquer, cela en exécution des dispositions de l’article L-1471-1 du même code dans sa rédaction issue de la loi du juin 2013 qui disposait dans son premier alinéa : « Toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit. »
Il s’ensuit qu’en saisissant le Conseil de prud’hommes pour contester l’exécution et la rupture du contrat de travail, le 16 mars 2018, soit dans le délai biennal, Mme [T] n’encourt pas le grief de prescription retenu par le premier juge.
Ce chef de jugement sera donc infirmé et la cour dira recevables les demandes de Mme [T].
Sur le licenciement pour motif économique :
Mme [T] a été rendue destinataire d’une lettre de licenciement pour motif économique le 9 janvier 2017 ainsi libellée : « Chère madame, afin de poursuivre la procédure engagée le 28 novembre 2016 nous vous avons, après votre refus de nos propositions de reclassement, convoquée à un entretien préalable à licenciement pour le jeudi 05 janvier 2017.
Au cours de cet entretien, nous vous aurions d’une part, informé des motifs qui nous conduisent à envisager cette mesure, et d’autre part nous aurions recueilli vos explications conformément aux dispositions de l’article L1232-2 du code du travail.
Du fait de votre absence nous n’avons pu vous remettre le Contrat de Sécurisation Professionnelle, ce qui nous conduit à vous l’adresser ce jour en vous précisant que le délai de réflexion de 21 jours prendra effet à la réception de l’avis de recommandé qui accompagne ce courrier.
Nous vous confirmons notre décision de vous licencier pour motif économique.
Votre contrat s’arrêtera donc à l’issue de votre préavis, que nous vous dispensons d’effectuer, soit le 11 février 2017. »
Cette lettre de licenciement ne contient aucun motif justifiant la rupture du contrat de travail. L’absence de la salariée à l’entretien préalable ne dispensait en aucune façon l’employeur de fournir les motifs qui le poussaient à licencier l’intéressée. L’employeur n’a pas au surplus dans un courrier postérieur fournit plus amples explications comme il en avait la possibilité.
Faute d’avoir informé Mme [T] des motifs économiques conduisant à la rupture du contrat, l’employeur a privé ce licenciement de cause réelle et sérieuse cela sans qu’il soit besoin d’examiner les explications fournies ultérieurement aux débats.
Par suite la cour dira le licenciement de Mme [T] dépourvu de cause réelle et sérieuse et infirmera le chef de jugement qui a dit, nonobstant la prescription qu’il avait retenue, le licenciement régulier.
Sur les indemnités de licenciement :
S’agissant d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse prononcé avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 22 septembre 2017, l’appréciation du préjudice n’est pas soumise à barèmes.
Mme [T] percevait une rémunération mensuelle de 1802 euros brut et travaillait dans l’entreprise depuis quatre ans ; elle ne fournit à la cour aucun autre élément sur sa situation personnelle et professionnelle en sorte qu’elle sera indemnisée par la somme de 10 812 € brut soit six mois de salaire.
Sur le non-paiement des salaires du mois d’avril 2017 :
Une erreur de plume dans le dispositif des écritures de Mme [T] fait mention d’avril 2019 mais il est constant que le licenciement est bien intervenu en janvier 2017 de sorte que le débat porte sur le paiement du salaire d’avril 2017 comme indiqué dans le corps des conclusions.
Mme [T] soutient que son préavis devait s’achever fin avril 2017 et non pas le 11 avril 2007.
Mme [T] avait la qualité de cadre dans l’entreprise.
Par suite, et ce point n’est pas contesté, elle devait conformément à la convention collective de la bijouterie orfèvrerie qui régit le contrat de travail, bénéficier d’un préavis de trois mois.
En outre, toujours en sa qualité de cadre, Mme [T] devait également bénéficier des dispositions de l’article L1233-15 du code du travail, dans sa rédaction applicable à l’espèce, selon laquelle « Lorsque l’employeur décide de licencier un salarié pour motif économique, qu’il s’agisse d’un licenciement individuel ou inclus dans un licenciement collectif de moins de dix salariés dans une même période de trente jours, il lui notifie le licenciement par lettre recommandée avec avis de réception.
Cette lettre ne peut être expédiée moins de sept jours ouvrables à compter de la date prévue de l’entretien préalable de licenciement auquel le salarié a été convoqué.
Ce délai est de quinze jours ouvrables pour le licenciement individuel d’un membre du personnel d’encadrement mentionné au 2° de l’article L. 1441-3. »
Le 28 novembre 2016, Mme [T] a été avisée de l’engagement de la procédure de licenciement pour motif économique et invitée à faire connaitre sa position sur les postes de reclassement avant le 31 décembre 2016.
Le 30 décembre 2016, alors que le délai imparti n’était pas expiré et que l’envoi de la lettre de convocation à entretien préalable ne pouvait intervenir qu’à partir du 2 janvier 2017 (délai de cinq jours suivant la loi applicable à l’espèce) elle a été convoquée à un entretien préalable fixé le 5 janvier 2017 puis licenciée le 9 janvier 2017 sans que le délai de quinze jours ci-dessus rappelé ait été respecté.
Il s’ensuit que le préavis de licenciement de Mme [T], cadre, pour motif économique ne pouvait s’achever qu’à la fin du mois d’avril 2017 et non pas le 11 avril comme soutenu par l’employeur.
En conséquence, compte tenu des sommes d’ores et déjà versées au titre du mois d’avril 2017, Mme [T] est le droit d’obtenir 600,67 euros outre l’indemnité de congés payés y afférente soit la somme de 60,067 arrondie à 60,07 euros.
Sur l’absence de remise de la convention de sécurisation professionnelle
Dans l’état de la lettre de licenciement rappelée plus haut, il apparait que l’employeur a décidé immédiatement du licenciement sans aucunement faire produire effet à la proposition de contrat de sécurisation professionnelle qu’il prétend avoir joint à la lettre de licenciement sans en justifier autrement que par affirmation.
En effet, c’est l’adhésion du salarié au dit contrat de sécurisation qui aurait emporté rupture du contrat de travail.
En privant, de fait, sa salariée de la possibilité d’adhérer à ce contrat, la société Mauboussin a fait perdre à Mme [T] une chance de bénéficier du dispositif énoncé à l’article L1233-65 du code du travail.
La cour est en mesure d’estimer cette perte de chance à la somme de 3604 euros de dommages intérêts soit deux mois de salaire.
Sur l’exécution déloyale du contrat de travail :
Mme [T] soutient d’abord qu’elle a été contrainte de travailler tous les jours y compris le dimanche et sans pause déjeuner ; elle s’appuie sur un mail d’une directrice de la société Mauboussin en date du 17 juillet 2014 selon lequel cette personne écrit à Mme [T] : « [G] j’ai eu un échange avec [H] concernant vos plannings de la semaine passée et les modifications ne sont à ce jour toujours par faites !! je vous rappelle que je souhaite que la boutique soit ouverte en continue et sans interruption de pause déjeuner7/7 ( y compris le dimanche ) je vous remercie de faire le nécessaire pour couvrir ces besoins . »
Toutefois aucune pièce produite aux débats ne vient objectiver le fait que Mme [T], elle-même travaillait effectivement 7 jours sur 7 et sans pause déjeuner.
Enfin, Mme [T] soutient que les documents de rupture ne lui ont pas été remis et que le solde de tout compte n’a pas été réglé. L’employeur justifie qu’il a remis les documents de fin de contrat et réglé les sommes dues.
En conséquence Mme [T] sera déboutée de ce chef de demande.
Sur l’indemnité de procédure et les dépens :
L’équité commande l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au seul profit de Mme [T] pour le montant indiqué au dispositif du présent arrêt et la société Mauboussin sera déboutée de sa demande tendant aux mêmes fins.
Chaque partie conservera la charge de ses dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement contradictoirement et en dernier ressort ;
Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant ;
Dit les demandes de Mme [T] recevables ;
Dit que le licenciement de Mme [T] est sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne la société Mauboussin à payer à [G] [B] épouse [T] les sommes suivantes :
-600,67 euros au titre de rappel de salaire,
-60,07 euros au titre de l’indemnité de congés payés y afférente,
-10 812 € au titre de l’indemnité de licenciement,
-3604 euros de dommages-intérêts pour perte de chance d’adhérer au contrat de sécurisation professionnelle,
-3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute Mme [T] du surplus de ses demandes,
Déboute la société Mauboussin de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Laisse à chaque partie la charge de ses dépens de première instance et d’appel.
Arrêt signé par Madame CAUTRES, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,