25 mai 2023
Cour d’appel de Dijon
RG n°
21/00573
RUL/CH
S.A.S. ETS ROLOT ET LEMASSON agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité au siège social
C/
[I] [E]
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 25 MAI 2023
MINUTE N°
N° RG 21/00573 – N° Portalis DBVF-V-B7F-FYEZ
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DIJON, section Encadrement, décision attaquée en date du 28 Juin 2021, enregistrée sous le n° 20/00059
APPELANTE :
S.A.S. ETS ROLOT ET LEMASSON agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité au siège social
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Florent SOULARD de la SCP SOULARD-RAIMBAULT, avocat au barreau de DIJON, et Me Véronique COTTET EMARD de la SELAS FIDAL DIRECTION PARIS, avocat au barreau de JURA
INTIMÉ :
[I] [E]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Loïc DUCHANOY de la SCP LDH AVOCATS, avocat au barreau de DIJON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 Avril 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller chargé d’instruire l’affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :
Olivier MANSION, Président de chambre,
Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,
Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Frédérique FLORENTIN,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
M. [I] [E] a été embauché par la société Dalloz Joaillerie Rolot & Lemasson (ci-après l’employeur) le 11 février 1985 par un contrat de travail à durée déterminée en qualité de technicien en bijouterie.
Ce contrat de travail s’est transformé en un contrat de travail à durée indéterminée.
Le 1er avril 2002, il a été promu cadre.
Par avenant du 11 février 2018, il a bénéficié d’une clause de garantie d’emploi pour un délai de 24 mois sauf faute grave, lourde ou cas de force majeur ainsi que d’une clause de forfait en jours.
Au dernier état de la relation de travail, il occupait le poste de responsable maintenance, travaux neuf et sécurité, niveau 6, échelon 3 de la classification de la convention collective de la bijouterie-joaillerie-orfèvrerie.
Le 14 janvier 2020, il a été convoqué à un entretien préalable fixé au 24 suivant assorti d’une mise à pied conservatoire.
Le 30 janvier 2020, il a été licencié pour faute grave.
Par requête du 7 février 2020, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Dijon afin de faire juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse, ou à tout le moins qu’il ne repose pas sur une faute grave, et faire condamner l’employeur aux conséquences indemnitaires afférentes, juger irrégulière la clause de forfait en jours et obtenir un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires réalisées, outre les repos compensateurs et des dommages-intérêts pour travail dissimulé.
Par jugement du 28 juin 2021, le conseil de prud’hommes de Dijon a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné l’employeur au paiement de diverses sommes à titre d’indemnité de préavis, d’indemnité de licenciement, de dommages-intérêts, de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire et les congés payés afférents. Il a en outre jugé « irrégulière et nulle » la clause de forfait en jours et débouté le salarié de ses demandes au titre des heures supplémentaires, du repos compensateur et pour travail dissimulé.
Par déclaration formée le 28 juillet 2021, l’employeur a relevé appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières écritures du 26 avril 2022, l’appelant demande de :
– réformer le jugement déféré en ce qu’il :
* a jugé sans cause réelle et sérieuse le licenciement,
* l’a condamnée à verser à M. [E] les sommes suivantes :
– 15 999 euros à titre d’indemnité de préavis, outre 1 599,00 euros au titre des congés payés afférents,
– 59 940 euros à titre d’indemnité de licenciement,
– 83 000 euros à titre de dommages et intérêts,
– 2 700 euros au titre des salaires correspondants à la mise à pied conservatoire et des congés payés afférents,
– 20 000 euros à titre de dommages-intérêts spécifiques,
* a jugé irrégulière la clause de forfait jours,
* a prononcé la nullité de la clause de forfait jours,
* l’a condamnée à verser à M. [E] 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
* a précisé que conformément aux dispositions des articles L. 1231-6 et L. 1231-7 du Code Civil, les condamnations prononcées emporteront intérêts au taux légal à compter de la réception de la requête par l’employeur pour toutes les créances de nature salariale, soit le 12 février 2020, à compter du prononcé du jugement pour toutes les autres sommes,
* l’a condamnée aux entiers dépens,
– le confirmer « dans toutes ses dispositions en ce qu’il a » débouté M. [E] de sa demande au titre des heures supplémentaires et congés payés afférents, de ses demandes au titre du repos compensateur de remplacement et de sa demande au titre du travail dissimulé,
– juger que le licenciement repose sur une faute grave,
– débouter M. [E] de ses demandes :
* en rappel de salaire au titre de la mise à pied à titre conservatoire et congés payés afférents,
* à titre d’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents,
* à titre d’indemnité légale de licenciement,
* de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* de dommages-intérêts complémentaires distincts en lien avec le licenciement,
– juger n’y avoir lieu à prononcer la nullité de la convention de forfait en jours,
– débouter M. [E] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
– le condamner à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel ainsi qu’aux entiers dépens d’appel,
à titre subsidiaire si la qualification de faute grave n’est pas retenue,
– juger que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,
– le débouter de ses demandes :
* de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* de dommages-intérêts complémentaires distincts en lien avec le licenciement,
– statuer ce que de droit sur le rappel de salaire au titre de la mise à pied à titre conservatoire et congés payés afférents, et confirmer à ce titre la somme de 2 700 euros allouée par le conseil de prud’hommes,
– statuer ce que de droit sur l’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents et fixer celles-ci conformément au jugement rendu par le conseil de prud’hommes aux sommes respectives de 15 999 euros bruts et 1 599 euros bruts,
– statuer ce que de droit sur l’indemnité de licenciement et conformément au jugement rendu par le conseil de prud’hommes, fixer l’indemnité de licenciement à la somme de 59 940 euros.
à titre subsidiaire en cas de nullité de la convention de forfait annuel en jours,
– statuer sur la demande reconventionnelle qu’il a formé sur laquelle le conseil de prud’hommes a omis de statuer,
– juger que M. [E] doit lui restituer les sommes issues du paiement des jours de repos dont il a bénéficié au titre des années 2018 et 2019,
– le condamner à lui restituer les sommes respectives de 1 911,83 euros au titre de 2018 et 5 231 euros au titre de 2019, soit un total de 7 142,83 euros,
– le débouter de toutes autres demandes, fins et conclusions,
à titre infiniment subsidiaire, en cas d’absence de cause réelle et sérieuse de la rupture,
– juger que M. [E] ne justifie pas du préjudice revendiqué au titre de l’absence de cause réelle et sérieuse de licenciement,
– infirmer le jugement déféré lui ayant alloué la somme de 83 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– le débouter de son appel incident et reconventionnel,
– juger que l’indemnisation doit s’inscrire dans le barème de plafonnement des indemnités prud’homales prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail,
– statuer ce que de droit sur le quantum des dommages-intérêts en application des dispositions de l’article L 1235-3 du code du travail,
– limiter l’indemnité allouée à hauteur de l’équivalent de trois mois de salaires bruts calculés sur la moyenne des rémunérations de l’année 2019, soit la somme de 16 599 euros bruts,
– le débouter du surplus de sa demande,
– infirmer le jugement déféré ayant attribué à M. [E] la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts spécifiques,
– juger et en tout état de cause que la demande de M. [E] en dommages-intérêts pour préjudice distinct fait double emploi avec sa demande indemnitaire pour licenciement sans cause et réelle et sérieuse,
– le débouter purement et simplement de sa demande indemnitaire complémentaire distincte en lien avec le licenciement,
– le débouter de toutes autres demandes, fins et conclusions.
Aux termes de ses dernières écritures du 26 janvier 2022, M. [E] demande de :
– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a :
* jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* condamné l’employeur à lui payer les sommes suivantes :
– 15 999 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 1 599 euros bruts au titre des congés payés afférents,
– 59 940 euros nets à titre d’indemnité de licenciement,
– 20 000 euros nets à titre de dommages-intérêts spécifiques,
– 2 700 euros bruts au titre du rappel de salaire afférent à la période de mise à pied conservatoire, outre 270 euros bruts au titre des congés payés afférents,
* jugé irrégulière et prononcé la nullité de la clause de forfait en jours,
à titre incident et reconventionnel,
– le réformer en ce qu’il lui a alloué 83 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’a débouté de ses demandes au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents, des repos compensateurs et des dommages et intérêts pour travail dissimulé,
– condamner l’employeur à lui payer les sommes suivantes :
* 150 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 67 977 euros bruts au titre des heures supplémentaires, outre 6 797 euros bruts au titre des congés payés afférents,
* 17 516 euros bruts au titre du repos compensateur,
* 34 458 euros nets au titre du travail dissimulé,
* 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Pour l’exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I – Sur la nullité ou l’absence d’effet de la convention de forfait en jours :
Aux termes de ses écritures, M. [E] sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu’il a jugé nulle la clause de forfait en jours au motif qu’aucun entretien annuel sur le temps de travail n’a jamais eu lieu et que l’employeur ne lui a jamais demandé s’il était en mesure de concilier sa vie personnelle et professionnelle, ni comment il procédait alors qu’il était d’astreinte en permanence et s’il pouvait déconnecter le week-end et durant ses congés.
L’employeur rappelle que le contrat de travail, tel que modifié par avenant du 11 février 2018, prévoit que « compte tenu de la nature des fonctions de Monsieur [I] [E] qui l’empêchent de suivre l’horaire collectif applicable au sein de son service, celui-ci dispose d’une autonomie dans l’organisation de son emploi du temps. Il a donc été décidé de convenir d’une convention de forfait annuel en jours sur l’année, conformément aux dispositions de l’accord de branche en vigueur dans la BJOP (à ce jour article 72 de la convention collective applicable).
Le nombre de jours à travailler est fixé par l’accord susvisé à 213 jours par année complète d’activité et en tenant compte du nombre maximum de jours de congés payés et de la mise en place de la journée de solidarité.
Sans remettre en cause l’autonomie dont dispose Monsieur [I] [E] dans la gestion de son emploi du temps, il est expressément rappelé qu’il devra impérativement veiller à organiser son activité dans le cadre de ce forfait annuel, en respectant les prescriptions prévues par la Loi et l’accord susvisé notamment :
– une durée minimale de repos quotidien de 11 heures consécutives et de repos hebdomadaire de 35 heures consécutives (24 h + 11 h),
– l’interdiction d’utiliser des moyens de communication informatique professionnels à sa disposition éventuelle pendant ses temps de repos impératifs,
– une amplitude de chaque journée travaillée raisonnable et inférieure à 13 heures,
– une pause d’au moins 20 mn consécutives pour toute journée de travail d’au moins 6 heures.
Il est précisé que le forfait jours ne doit pas se traduire par des amplitudes journalières et hebdomadaires de travail incompatibles avec une durée raisonnable de travail, même si la répartition des journées de travail et de repos sur la semaine peut varier en fonction de la charge de travail.
Monsieur [I] [E] devra remplir un document de contrôle tel que défini par l’accord de branche, de prévisions et de comptabilisation des journées ou demi-journées travaillées ainsi que des journées ou demi-journées de repos […] » (pièce n° 3).
et soutient que cette clause est régulière car prévue par l’accord de branche de la bijouterie-joaillerie-orfèvrerie (article 72 – pièce n° 9), que l’accord des parties est formalisé par un contrat de travail (pièce n° 3) et qu’en contrepartie le salarié a perçu un salaire fixé à 4 875,80 euros bruts, hors avantages en nature et primes diverses, soit une majoration de 30 % par rapport au salaire minima conventionnel du coefficient fixé à 3 730 euros en février 2018 alors que l’article 72 de la convention collective prévoit une majoration de 15 % (pièce n° 9).
Néanmoins, l’employeur ne peut ignorer que l’article 72 de la convention collective dont il se prévaut lui-même prévoit que le forfait en jours s’accompagne d’un contrôle du nombre de jours travaillés non seulement au moyen d’un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées travaillées ainsi que la qualification des jours non travaillés, mais aussi « dans le cadre de l’entretien annuel prévu par la législation [au cours duquel] seront évoquées et analysées l’organisation et la charge de travail de chaque titulaire d’une convention de forfait en jours, l’amplitude de ses journées de travail, le respect des différents seuils quantitatifs de durée du travail ou de repos, l’articulation entre vie professionnelle et familiale ainsi que la rémunération. Une fiche sera établie, elle fera état des conclusions de cet entretien et des éventuelles mesures à mettre en ‘uvre pour l’année à venir ».
Dès lors, l’employeur échouant à démontrer la tenue du moindre entretien annuel d’activité sur l’ensemble de la période considérée d’une durée supérieure à un an (1er février 2018-30 janvier 2020), il résulte de ce constat qu’il n’a pas mis en place les moyens conventionnels pour garantir que l’amplitude et la charge de travail du salarié restent raisonnables et assurer une bonne répartition dans le temps du travail de l’intéressé, et donc s’assurer de la protection de sa sécurité et de sa santé. Il s’en déduit que la convention de forfait en jours figurant au contrat de travail de M. [E] est privée d’effet et le salarié fondé à obtenir le paiement de ses heures de travail sur la base du droit commun, le jugement déféré étant partiellement infirmé sur ce point.
II – Sur les demandes afférentes à l’absence d’effet de la convention de forfait en jours :
Aux termes de l’article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l’article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l’employeur tient à la disposition de l’inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.
Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
En l’espèce, M. [E] indique qu’il avait des habitudes de travail auxquelles il ne dérogeait jamais « sauf à titre exceptionnel », prenant son poste le matin entre 7h et 7h30 au plus tard, et repartait le soir entre 18h30 et 19h sauf le vendredi où il partait généralement vers 18h, et chaque jour il prenait une heure de pause pour déjeuner.
S’estimant exonéré d’avoir à fournir une copie d’agenda ou un décompte journalier ou hebdomadaire de son temps de travail du fait que ses horaires étaient toujours les mêmes, il produit, au titre des éléments qu’il lui incombe d’apporter, les pièces suivantes :
– une attestation de Mme [N], salariée de la société (pièce n° 14),
– une attestation de son épouse (pièce n° 15),
– une attestation de M. [Y], ancien cadre salarié de la société (pièce n° 16),
– une attestation de M. [M], prestataire externe (pièce n° 17),
– une attestation de Mme [M] [F], gérante de la société [F] (pièce n° 18),
– une lettre de la société GAITEY du 18 juin 2020 (pièce n° 19),
– une attestation de M. [R] (pièce n°20),
Néanmoins, nonobstant le fait qu’une lecture attentive des attestations produites met en évidence que les témoins se contredisent entre eux ou contredisent les horaires allégués par le salarié quant aux horaires auxquels il prétend avoir travaillé, voire ne l’évoque pas autrement qu’en évoquant leur propres horaires de travail, ce qui n’a aucune pertinence, la cour relève que M. [E] ne produit aucun décompte des heures de travail auxquelles il prétend, se bornant à renvoyer à une fourchette horaire à laquelle il admet lui-même avoir parfois dérogé « à titre exceptionnel » pour fixer, dans le corps de ses écritures, à 52 heures par semaine son temps de travail effectif, soit 17 heures supplémentaires hebdomadaires pendant 2 ans, ce sans tenir compte de ses congés ou absences ni même du fait que la clause de forfait en jours n’a été effective que pendant un an et 11 mois (11 février 2018-30 janvier 2020).
La cour estime en conséquence, peu important que l’employeur refuse de produire les données de son badge d’accès, que ces éléments ne sont pas suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Dans ces conditions, la demande du salarié à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires sera rejetée, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.
Il en sera de même de ses demandes incidentes au titre des repos compensateurs et à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé, sans qu’il soit nécessaire pour cette dernière de statuer sur la fin de non recevoir alléguée (demande nouvelle).
III – Sur la demande reconventionnelle en remboursement des jours de repos indûment payés :
Au visa de l’article 1302-1 du code civil, et à titre subsidiaire si la cour confirme le jugement déféré sur la validité de la clause de forfait en jours, l’employeur sollicite la condamnation de M. [E] à lui rembourser 22,5 jours de repos dont il a bénéficié (6 jours en 2018, 16,5 jours en 2019) considérant qu’il en a reçu le paiement par erreur, soit la somme de 1 911,83 euros pour 2018 et 5 231 euros pour 2019.
Cette demande n’est pas discutée par le salarié.
Lorsque la convention de forfait à laquelle le salarié était soumis est privée d’effet, pour la durée de la période de suspension de la convention individuelle de forfait en jours, le paiement des jours de réduction du temps de travail accordés en exécution de la convention devient indu.
En l’espèce, nonobstant le fait que la convention de forfait en jours soit dépourvue d’effet à l’égard de M. [E], l’employeur produit un décompte contresigné par le salarié des jours octroyés à l’année (10 jours en 2018, 13 jours en 2019 – pièce n° 11) mais aucunement des jours effectivement pris.
En conséquence, en l’absence d’élément établissant la créance alléguée, la demande sera rejetée.
IV – Sur le bien fondé du licenciement :
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
Il appartient à l’employeur de rapporter la preuve de la faute grave commise par le salarié.
Il est constant que lorsque les juges considèrent que les faits invoqués par l’employeur ne caractérisent pas une faute grave, ils doivent rechercher si ces faits n’en constituent pas moins une cause réelle et sérieuse de licenciement.
En l’espèce, aux termes de la lettre de licenciement du 30 janvier 2020, il est fait reproche à M. [E] un début d’incendie survenu le 30 décembre 2019 qui, selon l’employeur, « atteste de vos défaillances et carences dans l’exercice de vos fonctions de Responsable Maintenance Travaux Neufs et Sécurité ».
Il ressort du récit de l’incident tel que rapporté dans la lettre de licenciement que le 30 décembre 2019 vers 7h30, l’alarme incendie du site s’est déclenchée à la suite d’un départ de feu visible sur les caméras de surveillance à partir de 7h19, heure à laquelle des étincelles générées par une résistance chauffante dans la tréfilerie sont apparues.
Elle ajoute que « ce sinistre […] a mis en évidence l’absence des procédures et actions ci-avant décrites et pourtant spécifiquement attachées à vos fonctions et atteste que le site de la société Rolot & Lesmasson, fermé en raison de la période de congés payés, n’a, en l’absence de toute procédure établie et mise en oeuvre par vos soin, pas été arrêtée comme elle aurait dû l’être.
Pourtant votre responsable hiérarchique direct, M. [V], vous a à plusieurs reprises demandé et relancé afin que vous mettiez en oeuvre les actions, élaboriez et rédigiez les procédures qui constituent un outil clé, déterminant et essentiel dans le cadre d’une gestion de la maintenance du site structuré et bien établie.
[….] vous avez fait preuve d’une inertie fautive.
[…] mais de surcroît, plutôt que d’admettre et reconnaître les défauts de maintenance et l’absence de procédure et d’action mises en place, vous vous êtes engagé dans un processus de critiques et de dénigrements de l’entreprise, de vos collègues du comité de Direction et notamment de Monsieur [H] [V].
Alors qu’en votre qualité de Cadre, au surplus membre du comité de Direction, il vous incombe de constituer un exemple auprès du personnel, d’instaurer un climat de confiance parmi celui-ci, en veillant à maintenir des conditions de travail sereines et favorables à l’exercice de l’activité, vous avez par les propos et critiques que vous avez publiquement manifestés à l’encontre de l’entreprise et de sa Direction, outre qu’ils ont choqué vos collègues qui s’en sont émus, porté atteinte à la crédibilité et la légitimité de la Direction, abusant à ce titre de votre liberté d’expression et jetant, par vos comportements, un trouble caractérisé au sein de l’entreprise […] » (pièce n° 6).
Au titre de la charge de la preuve qui lui incombe, l’employeur ne produit aucun élément autre que la lettre de licenciement.
M. [E] oppose que :
– le 5 septembre 2019, lors d’un entretien informel, il s’est vu proposer une rupture conventionnelle, sans réelle explication ni motif, qu’il a refusée, ce que l’employeur aurait très mal vécu, de sorte que l’incendie du 30 septembre 2019 serait un prétexte pour le licencier pour faute grave de manière à ne pas payer l’indemnité de licenciement importante à laquelle il était en droit de prétendre compte tenu de son ancienneté,
– le début d’incendie a été maîtrisé et n’a engendré que des dégâts mineurs,
et conteste toute faute susceptible de lui être imputée, que ce soit dans la survenance du sinistre ou dans sa gestion, l’employeur échouant selon lui à rapporter la preuve qui lui incombe.
Ainsi que l’ont relevé les premiers juges, les circonstances du début d’incendie du 30 septembre 2019 ne sont pas contestées par les parties (étincelles générées par la résistance chauffante du bain de décrochage dans la tréfilerie alors que l’entreprise était fermée).
Néanmoins, nonobstant le rappel des obligations du salarié en sa qualité de responsable maintenance, travaux neufs et sécurité telles que définies par l’avenant du 11 février 2018, l’employeur ne justifie d’aucun élément de nature à établir que cet incident, aux conséquences limitées, est imputable à un manquement du salarié dans la création et la mise à jour des procédures de mises sous tension, fermeture de vannes, isolement de zones/outillages à risque aux différentes fréquences d’inactivité (journalière, hebdomadaire et congés avec fermetures du site) ou la vérification physique de la fermeture du site dans des conditions de sécurité/sûreté adéquates, au sens de la lettre de licenciement.
Il n’est d’ailleurs produit aucun rapport interne ou des pompiers identifiant les éventuelles défaillances à l’origine du sinistre.
En outre, la cour relève que si le contrat de travail (avenant du 11 février 2018) prévoit que le salarié est responsable de la sécurité des biens et des valeurs, incluant explicitement de notamment « décliner la stratégie de sécurité des biens et des valeurs de l’entreprise, proposer les évolutions pour limiter les risques d’intrusion et les risques de démarques, définir, formaliser et mettre en oeuvre les procédures de gestions des alarmes et incidents », il n’est produit aucune fiche de poste établissant qu’il lui appartenait de procéder ou faire procéder à « la vérification physique de la fermeture du site dans des conditions de sécurité/sûreté adéquates », au sens de la lettre de licenciement.
L’employeur procède également par voie d’affirmation, sans aucune offre de preuve, s’agissant :
– des prétendues demandes et relances de son responsable hiérarchique, M. [V], visant à mettre en oeuvre les actions, élaborer et rédiger les procédures et outils d’une gestion de la maintenance du site,
– des critiques et dénigrements de l’entreprise, de ses collègues du comité de direction et notamment de M. [V],
et renverse la charge de la preuve lorsqu’il soutient dans ses écritures que M. [E] ne démontre ni n’établit l’existence des procédures de mise sous tension de fermeture des vannes et d’isolement des zones à risque dont l’établissement lui incombait, ni qu’il s’est assuré lors de la fermeture du site que les conditions de sécurité et sûreté étaient satisfaites ou encore la conformité sécuritaire de l’appareillage notamment électrique des différents équipements.
Dès lors, peu important qu’il ait refusé une rupture conventionnelle proposée quelques semaines auparavant dès lors que ce refus n’est pas ce qui lui est reproché dans la lettre de licenciement, il se déduit des développements qui précèdent que l’employeur échoue à démontrer la réalité des griefs reprochés au salarié au titre de la faute grave alléguée ou même qu’ils sont de nature à caractériser une cause réelle et sérieuse, de sorte que le licenciement doit être considéré comme sans cause réelle et sérieuse, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.
Au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [E] sollicite les sommes suivantes :
– 15 999 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 1 599 euros au titre des congés payés afférents,
– 59 940 euros à titre d’indemnité de licenciement,
– 150 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice lié à la retraite surcomplémentaire
– 2 700,36 euros à titre de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire, outre 270 euros au titre des congés payés afférents.
L’employeur conclut à titre principal au rejet des demandes formulées considérant que le licenciement est fondé sur une faute grave, ou à tout le moins sur une cause réelle et sérieuse.
A titre subsidiaire :
– s’agissant des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, il sollicite que la somme soit limitée à 3 mois de salaires bruts conformément à l’article L 1235-3 du code du travail,
– s’agissant de la demande au titre de la perte du versement de la retraite surcomplémentaire, il soutient qu’elle fait double emploi avec les dommages et intérêts sollicités au titre d’une absence de cause réelle et sérieuse du licenciement,
– s’agissant de l’indemnité légale de licenciement, de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, et du rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire, il sollicite la confirmation du jugement déféré.
Compte tenu des circonstances du licenciement et de la situation du salarié, lequel justifie d’une ancienneté de 35 années complètes, durée du préavis incluse, et d’un salaire moyen de référence de 5 533 euros bruts, il lui sera alloué les sommes suivantes :
– 15 999 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 1 599 euros au titre des congés payés afférents,
– 59 940 euros à titre d’indemnité de licenciement,
– 2 700,36 euros à titre de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire, outre 270 euros au titre des congés payés afférents,
le jugement déféré étant confirmé sur ces points.
– 65 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
le jugement déféré étant infirmé sur ce point.
S’agissant de la demande de dommages-intérêts pour préjudice lié à la retraite surcomplémentaire, M. [E] soutient que du fait de son licenciement il perd un versement annuel de l’ordre 5 200 euros soit, à 4 ans de sa retraite, une somme de 20 800 euros dont il demande l’indemnisation à hauteur de 20 000 euros par confirmation du jugement déféré (pièce n° 7).
Néanmoins, dès lors qu’il est alloué au salarié des dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, ceux-ci réparent à la fois le préjudice né de la perte de son emploi mais aussi de la perte du versement annuel allégué auquel il aurait eu droit si son contrat de travail n’avait pas été rompu.
Il s’en déduit, par infirmation du jugement déféré, que le salarié n’est pas fondé à demander deux fois l’indemnisation d’un même préjudice, la demande à ce titre devant être rejetée.
V – Sur les demandes accessoires :
– Sur les intérêts au taux légal :
L’employeur sollicite l’infirmation du jugement déféré en ce qu’il a jugé que les condamnations prononcées emporteront intérêts au taux légal à compter de la réception de la requête par l’employeur pour toutes les créances de nature salariale, soit le 12 février 2020, à compter du prononcé du jugement pour toutes les autres sommes.
M. [E] ne formule aucune demande à cet égard, que ce soit expressément ou par voie d’infirmation ou confirmation du jugement déféré.
Le jugement déféré sera donc infirmé sur ce point.
– Sur les frais irrépétibles et les dépens :
Le jugement déféré sera confirmé sur ces points.
Sur les demandes formulées à hauteur d’appel,
L’employeur sera condamné à payer à M. [E] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La demande de l’employeur au titre de l’article 700 du code de procédure civile sera rejetée.
L’employeur succombant au principal, il supportera les dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
CONFIRME le jugement rendu le 28 juin 2021 par le conseil de prud’hommes de DIJON sauf en ce qu’il a :
– prononcé la nullité de la convention de forfait en jours figurant au contrat de travail de M. [I] [E],
– alloué à M. [I] [E] les sommes suivantes :
* 83 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice lié à la retraite surcomplémentaire,
– jugé que les condamnations prononcées emporteront intérêts au taux légal à compter de la réception de la requête par l’employeur pour toutes les créances de nature salariale, soit le 12 février 2020, à compter du prononcé du jugement pour toutes les autres sommes,
Statuant à nouveau, et y ajoutant,
DIT que la convention de forfait en jours figurant au contrat de travail de M. [I] [E] est privée d’effet,
CONDAMNE la société Dalloz Joaillerie Rolot & Lemasson à payer à M. [I] [E] les sommes suivantes :
* 65 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel,
REJETTE la demande de M. [I] [E] à titre de dommages-intérêts pour préjudice lié à la retraite surcomplémentaire,
REJETTE la demande reconventionnelle de la société Dalloz Joaillerie Rolot & Lemasson en remboursement des jours de repos indûment payés,
REJETTE la demande de la société Dalloz Joaillerie Rolot & Lemasson au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel,
CONDAMNE la société Dalloz Joaillerie Rolot & Lemasson aux dépens d’appel.
Le greffier Le président
Frédérique FLORENTIN Olivier MANSION