2 octobre 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/19726
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 13
RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 02 Octobre 2023
(n° , 4 pages)
N°de répertoire général : N° RG 21/19726 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEVBQ
Décision contradictoire en premier ressort ;
Nous, Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, à la cour d’appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Victoria RENARD, Greffière, lors des débats et de, Florence GREGORI, Greffière lors de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :
Statuant sur la requête déposée le 01 Octobre 2021 par M. [U] [B] né le [Date naissance 1] 1988 à [Localité 3] (BELGIQUE), élisant domicile chez Me [O] [N] – [Adresse 2] ;
Non comparant et représenté par Me Raphaël KEMPF, avocat au barreau de PARIS
Vu les pièces jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l’Agent Judiciaire de l’Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l’audience fixée au 04 Septembre 2023 ;
Entendu Me Raphaël KEMPF, avocat au barreau de PARIS représentant M. [U] [B],
Entendu Me Renaud LE GUNEHEC substitué par Me Hadrien MONMONT, avocat au barreau de PARIS représentant l’Agent Judiciaire de l’Etat,
Entendue Madame Laure DE CHOISEL, Magistrate Honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, représentant le Procureur Général,
Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;
* * *
M. [U] [B], de nationalités française et belge, déféré en comparution immédiate pour des faits de participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destructions ou de dégradations de biens, a été incarcéré au centre pénitentiaire de [4] selon jugement en date du 2 mai jusqu’au 31 mai 2019, date à laquelle la cour d’appel de Paris a ordonné sa libération.
Le 2 avril 2021, il a été relaxé par le tribunal correctionnel de Paris. La décision est devenue définitive à son égard comme en atteste le certificat de non appel du 26 mai 2021.
Le 1er octobre 2021, M. [B] a adressé une requête au premier président de la cour d’appel de Paris en vue d’être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l’article 149 du code de procédure pénale.
Il sollicite dans celle-ci, soutenue oralement,
– que sa requête soit déclarée recevable,
– le paiement des sommes suivantes :
* 4 900 euros en réparation de son préjudice matériel,
* 9 000 euros en réparation de son préjudice moral,
* 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières écritures, notifiées par RPVA et déposées le 1er juin 2023, développées oralement, l’agent judiciaire de l’Etat demande au premier président de ramener à de plus justes proportions les demandes formulées au titre du préjudice matériel, laquelle ne saurait excéder la somme de 2 100 euros, du préjudice moral, qui ne saurait excéder la somme de 6 000 euros, et de l’article 700 du code de procédure civile.
Le procureur général, reprenant oralement à l’audience les termes de ses conclusions déposées le 11 juillet 2023, conclut à la recevabilité de la requête pour une détention d’une durée de 30 jours, à l’indemnisation des préjudices moral et matériel au titre des frais de défense pénale mais au rejet de la demande au titre de la perte de chance de trouver un emploi.
Le requérant a eu la parole en dernier.
SUR CE
Sur la recevabilité
Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.
Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d’appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d’un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d’appel. Cette requête doit contenir l’exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l’article R.26 du même code.
Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1,149-2 et 149-3 du code précité.
M. [B] a présenté sa requête aux fins d’indemnisation le 1er octobre 2021 dans le délai de six mois suivant le jour où la décision de relaxe est devenue définitive ; cette requête est signée par son avocat et la décision de relaxe n’est pas fondée sur un des cas d’exclusion visé à l’article 149 du code de procédure pénale.
La demande de M. [B] est donc recevable au titre d’une détention provisoire indemnisable du 2 mai au 31 mai 2019, d’une durée de 30 jours.
Sur l’indemnisation
– Le préjudice moral
M. [B] invoque un choc psychologique aggravé par le fait qu’il s’agissait d’une première incarcération, qu’il est atteint du syndrome d’autisme Asperger, engendrant des difficultés particulières pour s’adapter au milieu carcéral, qu’il a été séparé de sa famille domiciliée dans les Ardennes, en particulier de son père souffrant qui avait besoin de son aide, qu’il n’a pu exercer son droit de vote lors des élections européennes, se rendre à l’enterrement de vie de garçon de l’un de ses amis et assister à une conférence sur ‘L’accompagnement des personnes autistes dans leurs choix professionnels’. Il indique enfin avoir souffert des conditions de détention au centre pénitentiaire de [Localité 5].
L’agent judiciaire de l’Etat et le ministère public ne contestent pas l’existence d’un préjudice moral lié au choc carcéral mais le premier observe que la preuve de l’absence de l’exercice du droit de vote n’est pas rapportée et que M. [B] ne démontre pas avoir personnellement souffert de conditions de détention particulièrement difficiles.
A la date de son incarcération, M. [B] était âgé de 30 ans, célibataire et sans enfant.
Il a subi un préjudice moral certain en raison du choc carcéral, lequel n’a pas été amoindri par une précédente incarcération. Ce choc a été aggravé d’une part par le syndrome d’Asperger dont il souffre depuis sa naissance comme en attestent les pièces versées aux débats, lequel a nécessairement rendu ses conditions de détention plus difficiles au regard des difficultés d’adaptation que connaissent les personnes atteintes de cette maladie, et d’autre part par l’isolement d’avec sa famille, domiciliée dans les Ardennes, avec laquelle il vivait, assistant son père âgé et malade.
Il justifie en outre avoir été privé de la possibilité d’assister, le 3 mai 2019, à la conférence de M. [V] [E] intitulée ‘Autisme et emploi’.
Enfin, il produit un rapport de l’Observatoire international des prisons d’octobre 2018 ainsi qu’un rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté de novembre 2019 sur les conditions indignes d’hébergement à la prison de [Localité 5], lesquelles constituent également un facteur d’aggravation.
En revanche, aucun élément n’est produit par les parties s’agissant de l’organisation ou non d’un scrutin en milieu carcéral lors des élections européennes de mai 2019.
Il lui sera alloué une somme de 9 000 euros en réparation de son préjudice moral.
– Le préjudice matériel
M. [B] réclame une somme de 4 900 euros en réparation de son préjudice matériel, soit 3 900 euros au titre des frais d’avocat exposés à l’occasion de sa détention et 1 000 euros au titre d’une perte de chance de trouver un emploi, exposant avoir été empêché durant sa détention de candidater à des offres d’emploi ainsi qu’à une offre de formation.
Le ministère public ne conteste pas au regard de la facture produite, la somme réclamée au titre des honoraires d’avocat, alors que l’agent judiciaire de l’Etat fait valoir que le coût des visites en détention doit être exclu. Ils concluent en revanche à l’absence d’une perte de chance sérieuse de trouver un emploi, soulignant que les offres d’emploi transmises par Pôle emploi au requérant ne sont pas personnalisées et ne correspondaient ni à sa formation ni à ses souhaits professionnels.
M. [B] produit une note d’honoraires de son conseil, datée du 3 juin 2019, qui est détaillée et qui vise des diligences en lien exclusif avec la détention, les dates des visites en détention précédant les demandes de mise en liberté de quelques jours, ainsi qu’un permis de communiquer en date du 3 mai 2019, de sorte qu’il convient de faire droit à la demande à ce titre.
Concernant la perte de chance de trouver un emploi, M. [B] produit les annonces d’offres d’emploi transmises par Pôle Emploi durant sa détention ainsi qu’une offre de formation auxquelles il n’a pas pu candidater.
Ces offre d’emploi, qui ne sont non pas personnalisées, font état de propositions dans des domaines tels que la restauration, la bijouterie ou des plateformes téléphoniques, qui ne correspondent ni à la formation de M. [B] (BTS électronique) ni au souhait exprimé par ce dernier lors de l’enquête rapide de travailler dans le ‘champ du social’, en sorte que la chance perdue de se porter candidat à ces offres n’est qu’hypothétique.
Enfin, s’agissant de la formation, l’offre transmise était une invitation à une réunion d’information en date du 5 juin 2019, soit postérieure à la levée d’écrou.
La demande à ce titre ne peut donc qu’être rejetée.
PAR CES MOTIFS
Déclarons la requête de M. [U] [B] recevable ;
Allouons à M. [B] les sommes suivantes :
– 9 000 euros en réparation de son préjudice moral,
– 3 900 euros en réparation de son préjudice matériel,
– 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Laissons les dépens à la charge de l’Etat.
Décision rendue le 02 Octobre 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LA MAGISTRATE DÉLÉGUÉE