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19 mai 2021
Cour de cassation
Pourvoi n°
18-25.191
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 19 mai 2021
Cassation partielle
Mme BATUT, président
Arrêt n° 375 F-D
Pourvoi n° D 18-25.191
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 19 MAI 2021
La société Films sans frontières, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° D 18-25.191 contre l’arrêt rendu le 13 avril 2018 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 2), dans le litige l’opposant :
1°/ à Mme [G] [Z], domiciliée [Adresse 2],
2°/ à M. [C] [B], domicilié [Adresse 3] (Italie),
3°/ à M. [S] [P], domicilié [Adresse 3] (Italie),
4°/ à M. [C] [P][P], domicilié [Adresse 3] (Italie),
5°/ à M. [J] [P], domicilié [Adresse 3] (Italie),
pris tous quatre en qualité d’héritiers de [C] [L] Baldi,
6°/ à la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique (SACEM), dont le siège est [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
Mme [Z] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l’appui de son recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l’appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Girardet, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Films sans frontières, de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat de Mme [Z], et l’avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l’audience publique du 23 mars 2021 où étaient présents Mme Batut, président, M. Girardet, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Randouin, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 13 avril 2018), [N] [Z] est l’auteur et le réalisateur du long métrage intitulé “Quatre nuits d’un rêveur”, tourné en 1970 et diffusé en salles en 1971. Par contrat du 25 avril 1970 publié le 18 août suivant au registre public de la cinématographie et de l’audiovisuel (RPCA), il a cédé ses droits d’auteur, à titre exclusif et pour les territoires du monde entier, pour une durée de quinze ans, à compter de la première représentation du film ou au plus tard du 1er janvier 1971, à la société Idi Cinematografica dirigée par [C] [L] Baldi. Cette société les a cédés à la société Film dell’Orso, par contrat du 27 avril 1970 inscrit au RPCA le 18 août suivant, laquelle les a cédés à son tour à la société Victoria filmsVictoria films, par contrat du 4 juillet 1970, inscrit au RPCA également le 18 août 1970.
2. La société Films sans frontières, se prévalant d’une cession des mêmes droits consentis par [N] [Z] le 30 juin 1970, pour une durée de cinquante ans, à la société Idi Cinematografica, inscrite au RCP le 3 octobre 2003, a sollicité de Mme [Z], ayant droit de [N] [Z], l’autorisation d’exploiter le film en France et dans les pays francophones.
3. Ayant constaté qu’en dépit de son refus, la diffusion du film était programmée en janvier et février 2013, par la société Ciné+ Classic qui soutenait détenir les droits de la société FilmsFilms sans frontières d’un contrat conclu le 17 septembre 2012 avec [C] [L] Baldi, Mme [Z] a assigné cette société et ce dernier, décédé au cours de la procédure, pour faire reconnaître l’atteinte portée à ses droits patrimoniaux et moraux. La procédure a été dénoncée à la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
4. La société Films sans frontières fait grief à l’arrêt de dire dépourvu de valeur juridique le contrat du 30 juin 1970 conclu entre [N] [Z] et la société Idi Cinématografica et, en conséquence, de déclarer Mme [Z] recevable à agir, de dire que la société Films sans frontières et M. [C] [P], en procédant à l’exploitation du film « Quatre Nuits d’Un Rêveur » sans l’autorisation de Mme [Z], ont commis des actes de contrefaçon de droits d’auteur, et de, notamment, la condamner au paiement de dommages-intérêts, alors :
« 1°/ que le juge ne peut pas méconnaître la loi des parties ; que le contrat du 25 avril 1970 stipulait que la cession des droits de [N] [Z] était repoussée « à compter de la première représentation publique du film et, au plus tard, à compter du 1er janvier 1971 » ; que les parties s’accordant sur le fait que la première représentation publique du film n’était intervenue qu’en 1972, il en résultait que la cession des droits de [N] [Z] n’était pas encore effective à la date du 30 juin 1970 ; qu’en jugeant pourtant qu’à cette dernière date, [N] [Z] n’était plus titulaire des droits sur l’oeuvre, qui étaient détenus par un tiers, de sorte que le contrat allégué en date du 30 juin 1970 n’avait pas pu produire d’effet quant à une éventuelle cession de droit d’auteur, la cour d’appel a violé l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 ;
2°/ que si la cession de la chose d’autrui est nulle, seul l’acheteur a qualité pour invoquer une telle nullité ; que la cour d’appel a énoncé que [N] [Z] n’était plus titulaire des droits sur l’oeuvre à la date du 30 juin 1970, lesquels étaient détenus par un tiers, de sorte que le contrat allégué en date du 30 juin 1970 n’avait pas pu produire d’effet quant à une éventuelle cession de droit d’auteur ; qu’en statuant par de tels motifs, impropres à justifier la solution adoptée, dès lors que la nullité du contrat du 30 juin 1970 n’avait pas été demandée par l’acquéreur des droits, à savoir la société Idi Cinématografica, la cour d’appel a violé l’article 1599 du code civil ;
3°/ que le défaut d’inscription d’un contrat de cession de droit d’auteur au registre public du cinéma et de l’audiovisuel n’a aucune incidence sur la validité de l’acte et sur son opposabilité entre les parties ; que la cour d’appel a déduit du fait que le contrat du 30 juin 1970 n’ait été inscrit au registre public du cinéma et de l’audiovisuel que trente trois ans après sa signature qu’il n’avait pas pu produire d’effet quant à une éventuelle cession de droit d’auteur ; qu’en statuant ainsi, quand Mme [Z], héritière de [N] [Z], partie à l’acte du 30 juin 1970, n’avait pas la qualité de tiers à ce contrat de sorte que celui-ci lui était opposable quelle que soit la date de son inscription, la cour d’appel a violé l’article 33 du code de l’industrie cinématographique, devenu l’article L. 123-1 du code du cinéma et de l’image animée ;
4°/ qu’un contrat de cession de droit d’auteur est opposable aux tiers dès son inscription au registre public du cinéma et de l’audiovisuel ; que la cour d’appel a déduit du fait que le contrat du 30 juin 1970 n’ait été inscrit au registre public du cinéma et de l’audiovisuel que trente-trois ans après sa signature qu’il n’avait pas pu produire d’effet quant à une éventuelle cession de droit d’auteur ; qu’en statuant ainsi, quand le contrat était opposable à tous à compter de son inscription en 2003, soit neuf ans avant les actes de contrefaçon allégués, la cour d’appel a violé l’article 33 du code de l’industrie cinématographique, devenu l’article L. 123-1 du code du cinéma et de l’image animée ;
5°/ que la copie fiable a la même force probante que l’original ; qu’en se bornant à relever, par motifs éventuellement adoptés, que l’original du contrat du 30 juin 1970 n’était pas produit, sans caractériser le caractère non fiable de la copie produite aux débats, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1348, devenu l’article 1379, du code civil ;
6°/ que l’acte sous seing privé fait foi jusqu’à preuve contraire ; que la cour d’appel s’est bornée à faire état, par motifs éventuellement adoptés, de l’inscription tardive du contrat au registre public du cinéma et de l’audiovisuel, de l’existence de stipulations contradictoires entre l’acte du 25 avril 1970 et celui du 30 juin 1970, et d’une durée de cession inhabituelle ; qu’en statuant ainsi, sans conclure positivement à la fausseté du contrat du 30 juin 1970, laquelle ne pouvait être prouvée que par une vérification d’écriture et de signature ou par des éléments de conviction suffisants et présentés comme tels, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1322, 1323 et 1324, devenus les articles 1372 et suivants, du code civil ;
7°/ que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; qu’en jugeant que le contrat du 30 juin 1970, serait-il régulier, n’intéressait que la société Idi Cinématografica et non son gérant, M. [P], qui n’avait aucun droit pour consentir lui-même à la société FilmsFilms sans frontières l’autorisation d’exploiter le film litigieux par contrat du 30 avril 2012, sans répondre au moyen de la demanderesse qui soutenait, pièces à l’appui, que la société Idi Cinématografica avait transmis ses droits à M. [P] entre 2003 et 2009, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civil. »
Réponse de la Cour
5. L’arrêt retient que, par le contrat du 25 avril 1970, dont la validité n’est pas contestée, [N] [Z] a cédé, à cette date, ses droits patrimoniaux sur l’oeuvre pour une durée de quinze ans à la société Idi Cinematografica, qui sur le fondement de cette cession ayant fait l’objet d’une publicité au RPCA, les a, deux jours plus tard, rétrocédés à la société Il Film Dell’Orso les ayant elle-même rétrocédés à la société Victoria filmsVictoria films et qu’en conséquence, à la date du 30 juin 1970, [N] [Z] n’était plus titulaire des droits patrimoniaux sur l’oeuvre qui étaient à cette date détenus par la société Il Film Dell’Orso. Il ajoute que le contrat allégué et daté du 30 juin 1970 n’a été inscrit au RPCA que trente-trois ans plus tard.
6. La cour d’appel qui n’a pas prononcé la nullité du contrat du 30 juin 1970 et n’a pas fondé sa décision sur l’absence de production de l’original de ce contrat, en a déduit, à bon droit, sans être tenue de recourir à une vérification d’écriture, dès lors qu’elle trouvait dans la cause des éléments de conviction suffisants, ni de répondre à un moyen que ses constatations rendaient inopérant, que ce contrat n’avait pu produire d’effet quant à une éventuelle cession de droits d’auteurs et que [N] [Z] était redevenu le 31 décembre 1985, titulaire des droits qu’il avait cédés pour quinze ans, de sorte que Mme [Z] avait qualité à agir au titre des droits d’auteur de celui-ci.
7. Le moyen qui, en ses troisième et quatrième branches, critique des motifs surabondants relatifs à la date d’inscription au RPCA du contrat du 30 juin 1970, n’est pas fondé pour le surplus.
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
8. La société Films sans frontières fait grief à l’arrêt de dire qu’en procédant à l’exploitation du film sans l’autorisation de Mme [Z], elle a commis des actes de contrefaçon de droits d’auteur, alors « que le contrat de cession de droit d’auteur inscrit au registre public du cinéma et de l’audiovisuel est opposable aux tiers tant qu’il n’a pas été anéanti ; que les juges du fond ont relevé que le contrat du 30 avril 2012, qui avait attribué les droits d’exploitation du film litigieux à la société Films sans frontières, avait été inscrit au registre le 22 mai 2012, c’est-à-dire avant les actes de contrefaçon allégués ; que les juges du fond ayant, par ailleurs, refusé d’annuler ce contrat, celui-ci était opposable à Mme [Z] dès son inscription au registre, la société Films sans frontières se serait-elle fait céder les droits sur le film par une personne qui n’en était pas titulaire ; qu’en jugeant pourtant que la société Films sans frontières ne pouvait pas se prévaloir du contrat du 30 avril 2012 pour échapper à la condamnation pour contrefaçon, la cour d’appel a violé l’article L. 123-1 du code du cinéma et de l’image animée. »