Cession de droits : 20 octobre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/00257

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Cession de droits : 20 octobre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/00257
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20 octobre 2022
Cour d’appel de Paris
RG n°
20/00257

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 5

ARRET DU 20 OCTOBRE 2022

(n° 195 , 16 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/00257 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBGTX

Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Novembre 2019 -Tribunal de Commerce de Paris – RG n° 18/013389

APPELANTES

SA GENERALI IARD agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant, domicilié en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 552 062 663

[Adresse 4]

[Localité 9]

SA AXA CORPORATE SOLUTIONS ASSURANCE agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant, domicilié en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 399 227 354

[Adresse 8]

[Localité 10]

SOCIETE CNA INSURANCE COMPANY LIMITED agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant, domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 5]

[Localité 13] – ROYAUME UNI

Représentées par Me Nadia BOUZIDI-FABRE, avocat au barreau de PARIS, toque B0515, avocat postulant

Assistées de Me Charlotte PEIGNON, de la SCP VILLENEAU ROHART SIMON ‘ ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque P0160, avocat plaidant

INTIMEE

SASU GREENMODAL TRANSPORT agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant, domicilié en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de MARSEILLE sous le numéro 439 995 390

[Adresse 7]

[Localité 2]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque C2477, avocat postulant

Assistée de Me Marc BERNIE, de la SELARL BERNIE MONTAGNIER, avocats associés BMC AVOCATS, avocat au barreau de chambre MARSEILLE, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 mai 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie-Annick PRIGENT, présidente de chambre et Madame Christine SOUDRY, Conseillère, chargée du rapport

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Marie-Annick PRIGENT, Présidente de la chambre 5.5

Madame Nathalie RENARD, Présidente de chambre

Madame Christine SOUDRY, Conseillère

qui en ont délibéré,

Greffière, lors des débats : Madame Yulia TREFILOVA-PIETREMONT

ARRÊT :

– Contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Marie-Annick PRIGENT, Présidente de chambre et par Claudia CHRISTOPHE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*******

FAITS ET PROCÉDURE

La société Kossoria est spécialisée dans les transports fluviaux de fret. Elle était propriétaire d’un automoteur ” Nirvana “. Son gérant, M. [W] [B], était également commandant du bateau ” Nirvana “.

La société Greenmodal Transport (ci-après société Greenmodal) a pour activité toute opération de transport. Elle est une filiale du groupe CMA/CGM.

Dans le cadre d’un contrat de transport du 27 janvier 2008, la société Greenmodal affrétait régulièrement l’automoteur ” Nirvana ” pour acheminer des conteneurs sur le Rhône.

L’acquisition du bateau ” Nirvana ” par la société Kossoria faisait l’objet d’un crédit auprès de la société CMA/CGM.

Constatant que la demande de transport sur le Rhône avait durablement baissé, la société Greenmodal, la société Kossoria et Mme [V], en tant que présidente de la société Transport exclusif en formation, ont conclu un protocole d’accord le 25 janvier 2016 intitulé : ” Protocole transactionnel de résiliation d’un contrat de transport avec engagement synallagmatique de reconduction sous une autre forme “. Cet accord prévoyait la fin du contrat liant les sociétés Greenmodal et Kossoria, le transfert de la barge ” Nirvana ” depuis [Localité 11] jusqu’au [Localité 12] en vue de son exploitation sur la Seine, la conclusion d’un nouveau contrat de transport entre la société Greenmodal et une société en formation, la société Transport Exclusif, qui ferait l’acquisition du bateau ” Nirvana “, et l’engagement de la présidente de cette société en formation de confier le commandement du bateau ” Nirvana ” à M. [B].

Par contrat de charte-partie Heavycon 2007 du 7 décembre 2015 conclu avec la société Spliethoff Transport, le navire semi-submersible ” Super Servant 4 ” a été affrété pour transporter l’automoteur ” Nirvana ” depuis le port de [Localité 11] jusqu’au port du [Localité 12].

L’automoteur Nirvana a été pris en charge sur le navire SS4 le 30 janvier 2016 à [Localité 11] et est arrivé le 17 février 2016 au [Localité 12].

Ce transport a été assuré auprès des sociétés Generali Iard, AXA Corporate Solutions Assurance et CNA Insurance Company.

A son déchargement, l’automoteur ” Nirvana ” a présenté une avarie électrique générale et M. [B] a établi un rapport d’avarie.

Une expertise a été confiée au Cabinet [H], [F] Marine Surveys.

M. [H] a établi un rapport préliminaire le 4 août 2016.

M. [H] étant décédé au cours des opérations d’expertise, il a été remplacé par M. [F] qui a établi un rapport définitif le 15 septembre 2017.

La société Greenmodal Transport a supporté les charges de réparation du navire ” Nirvana ” et a demandé la garantie des assureurs.

Imputant l’avarie à un vice propre de l’automoteur, les assureurs ont refusé de prendre en charge le sinistre par courriel du 22 novembre 2017.

Par acte du 16 février 2018, la société Greenmodal Transport a fait assigner les sociétés Generali IARD, AXA Corporate Solutions Assurance et CNA Insurance Company Limited devant le tribunal de commerce de Paris afin de les voir condamner solidairement au paiement de la somme de 114.704 euros correspondant au coût des réparations supportées, d’une somme de 5.000 euros de dommages et intérêts au titre de la résistance abusive, d’une somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens.

Par jugement du 28 novembre 2019, le tribunal de commerce de Paris a :

-Dit recevable et mal fondée l’exception d’incompétence soulevée par les sociétés Generali IARD, AXA Corporate Solutions Assurance et CNA Insurance Company Limited ;

-S’est déclaré compétent ;

-Condamné solidairement les sociétés Generali IARD, AXA Corporate Solutions Assurance et CNA Insurance Company Limited à payer à la SA Greenmodal Transport agissant tant pour son compte qu’en qualité de subrogée et/ou cessionnaire des droits de la SARL Kossoria la somme de 114.704 euros ;

-Condamné solidairement les sociétés Generali IARD, AXA Corporate Solutions Assurance et CNA Insurance Company Limited à payer à la SA Greenmodal Transport agissant tant pour son compte qu’en qualité de subrogée et/ou cessionnaire des droits de la SARL Kossoria une indemnité de 8.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

-Ordonné l’exécution provisoire ;

-Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

-Condamné la SA Generali IARD aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 122,31 euros dont 20,17 euros de TVA.

Par déclaration du 18 décembre 2019, les sociétés Generali IARD, AXA Corporate Solutions Assurance et CNA Insurance Company Limited ont interjeté appel de cette décision.

PRÉTENTIONS ET MOYEN DES PARTIES

Dans leurs dernières conclusions signifiées par RPVA du 30 mars 2022, les sociétés Generali IARD, AXA Corporate Solutions Assurance et CNA Insurance Company Limited demandent à la cour de :

-Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 28 novembre 2019 ;

Juger à nouveau :

In limine litis, sur la compétence

Vu le certificat d’assurance,

Vu les Institute Cargo Clauses (A),

Vu les articles L. 111-1 et -16, L. 112-4 et -6 et L. 181-1 du code des assurances,

Vu le Règlement n° 1215/2012 (Brussels 1 bis) concernant la compètence judiciaire en matière civile et commerciale,

Vu l’article 7.2 du Règlement Rome 1,

-Constater que le certificat d’assurance versé aux débats par le demandeur renvoie aux Institute Cargo Clauses (A) qui prévoient la compétence des juridictions anglaises ;

-Dire et juger que ces stipulations contractuelles sont applicables et opposables au demandeur qui prétend agir dans les droits de l’assuré ;

-Se déclarer incompétent au profit des juridictions anglaises et renvoyer les parties à mieux se pourvoir ;

-Constater que les Institute Cargo Clauses (A) prévoient l’application du droit anglais ;

-Dire et juger que ces stipulations contractuelles sont applicables et opposables au demandeur et faire application dés lors du droit anglais au présent litige ;

Sur le fond

vu les articles 954 et 910-4, al. 1er du code de procédure civile,

Sur l’irrecevabilité des conclusions d’appel des concluantes,

-Débouter Greemodal de son argument d’irrecevabilité contre les conclusions d’appel des concluantes ;

Sur l’irrecevabilité de la demande,

Vu les Institute Cargo Clauses (A),

Subsidiairement, vu la Police Française d’Assurance Maritime sur Facultés (Tous Risques), l’article L. 174-4 et L. 171-3 du code des assurances,

-Constater que Greemodal n’est ni l’assuré ni le bénéficiaire de la police souscrite et qu’elle n’a donc pas intérét à agir ;

-Constater que selon le protocole d’accord du 25 janvier 2016 versé aux débats par Greenmodal, l’objet assuré a été vendu le 12 février au plus tard soit avant que le dommage ne survienne ;

-Dire et juger que Greemodal ne démontre pas venir aux droits de l’ancien propriétaire Kossoria;

-Dire et juger que Greemodal dispose d’aucun intérêt assurable propre ;

-Dire et juger que Kossoria ne disposait pas d’un intérêt assurable au moment du sinistre;

-Dire et juger que les conditions de validité de la subrogation conventionnelle et de la cession de droit prétendue de Kossoria au bénéfice de Greemodal ne sont pas remplies;

-Dire et juger que les actes subrogatoires et les cessions de droit émises par Kossoria au bénéfice de Greemodal sont postérieures à la cession du bateau à Transport Exclusif;

-Dire et juger dans ces conditions que l’action de Greemodal est totalement irrecevable;

-Débouter Greemodal de l’intégralité de ses demandes ;

Si par impossible la cour devait juger que la demande de Greenmodal, était recevable alors il est demandé de :

A titre subsidiaire sur le mal-fondé,

Vu les Institute Cargo Clauses (A) et l’article 55 (2) (b) du ” Marine Insurance Act 1906 “, Subsidiairement, vu les articles L. 171-1, L. 172-11 et L. 172-18 du code des assurances

-Constater que le dommage subi par le ” NIRVANA ” n’est pas la conséquence de la réalisation d’un risque maritime, d’une fortune de mer ou d’un péril de la mer et que les conditions de transport n’en sont pas la cause ;

-Dire et juger que le demandeur ne rapporte pas la preuve de la survenance d’une tempête ou du rôle causal qu’elle aurait pu avoir dans la réalisation du sinistre ;

-Constater que le dommage se serait produit quand bien méme le bateau n’avait pas été transporté ;

-Dire et juger que le demandeur ne rapporte pas la preuve d’un retard et encore moins la preuve d’un retard anormal ou déraisonnable dans l’acheminement de l’objet assuré;

-Dire et juger que le prétendu retard de 7 jours n’a eu aucun rôle causal dans la survenance de l’événement dés lors que même si l’objet assuré était arrivé plus tôt, les équipements électriques auraient été irrémédiablement endommagés ;

-Dire et juger que ce retard n’est de toute façon pas la conséquence d’un événement garanti et qu’il constitue en toute hypothèse une cause d’exclusion légale et conventionnelle de garantie ;

-Débouter Greemodal de l’intégralité de ses demandes ;

Vu les Institute Cargo Clauses (A),

Subsidiairement, vu la Police Française d’Assurance Maritime sur Facultés (Tous Risques) et l’article L. 172-18 du code des assurances,

-Dire et juger que l’impossibilité pour les batteries de tenir leur charge constitue un phénoméne prévisible, inéluctable et donc non accidentel ;

-Dire et juger que le dommage subi par les batteries de l’objet assuré résulte des caractéristiques intrinsèques de celles-ci et donc du vice propre de l’objet assuré qui était inapte à surmonter les incidents normaux du voyage ;

-Dire et juger en tout état de cause que le vice propre de l’objet assuré constitue une cause d’exclusion légale et conventionnelle de garantie ;

-Dire et juger que l’ensemble des exceptions susvisées opposables à l’assuré sont également opposables à Greemodal qui tente de se prévaloir de la police d’assurance ;

-Débouter Greemodal de l’intégralité de ses demandes ;

Sur le manque de soin raisonnable de l’assuré,

Vu l’Institute Cargo Clauses (A),

Subsidiairement, vu la Police Française d’Assurance Maritime sur Facultés (Tous Risques) et les articles L. 172-19, 2° et L. 172-13 du code des assurances,

-Dire et juger que l’absence de préparation des batteries du bateau avant le transport constitue un manquement de l’assuré à son obligation de soins raisonnables pour mettre l’objet assuré à l’abri des risques survenus ;

-Constater au vu des rapports d’expertise que préparer les batteries du ” NIRVANA ” constituait une diligence simple, raisonnable et tout à fait classique et que l’assurée était informée de la nécessité de procéder à cette préparation des batteries ;

-Dire et juger que ce manquement de l’assurée constitue une exclusion de garantie dont sont en droit de se prévaloir les concluantes ;

Vu l’Institute Cargo Clauses (A),

Subsidiairement, vu la Police Française d’Assurance Maritime sur Facultés (Tous Risques), l’article L.172-13 alinéa 2 du code des assurances et L 113-8 du code de commerce,

-Dire et juger que c’est en parfaite connaissance des dommages qui pouvaient en résulter que l’assurée a pris le risque de faire transporter le bateau sans faire intervenir préalablement un électricien ” marine ” et sans préparer les batteries ;

-Dire et juger que par son comportement Kossoria a supprimé totalement l’aléa du contrat d’assurance puisque l’absence de protection des circuits électriques rendait le dommage inévitable ;

-Dire et juger que Kossoria ne pouvait pas ne pas avoir conscience du danger et du dommage qui résulteraient de l’absence de préparation des batteries du bateau du fait de sa qualité de professionnelle et des recommandations qu’elle avait reçues ;

-Dire et juger que ce manquement de l’assurée est constitutif d’une faute intentionnelle puisqu’elle avait été informée des risques ;

-Dire et juger que l’ensemble des exceptions susvisées opposables à l’assurée sont également opposables à Greenmodal qui tente de se prévaloir de la police d’assurance ;

En tout état de cause,

Condamner Greemodal à régler aux concluantes les sommes de 4.000 euros de dommages-intéréts pour procédure abusive sur le fondement de l’article 1240 du code civil et 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de l’instance.

Dans ses dernières conclusions signifiées par RPVA du 24 janvier 2022, la société Greenmodal Transport demande à la cour de :

Vu le certificat d’assurances ;

Vu l’article 1353 du code civil ;

Vu les articles 910-4 et 954 du code de procédure civile ;

-Constater qu’aux termes des premières conclusions des sociétés Generali IARD, AXA Corporate Solutions, et CNA Insurance Company, la Cour n’était saisie d’aucune prétention hormis une demande d’infirmation et une demande de condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

-Déclarer irrecevables les prétentions nouvelles formées par les sociétés Generali IARD, AXA Corporate Solutions, et CNA Insurance Company aux termes de leurs conclusions n° 2, notifiées le 16 septembre 2020 ;

-Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 28 novembre 2019, en ce qu’il s’est déclaré compétent ;

-Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 28 novembre 2019, en ce qu’il a condamné solidairement Generali IARD, AXA Corporate Solutions, et CNA Insurance Company à payer à Greenmodal Transport agissant tant en son propre compte qu’en qualité de subrogée et/ou cessionnaire des droits de la SARL Kossaria la somme de 114.704 euros ;

-Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 28 novembre 2019, en ce qu’il a condamné solidairement Generali IARD, AXA Corporate Solutions, et CNA Insurance Company à payer à Greenmodal Transport agissant tant en son propre compte qu’en qualité de subrogée et/ou cessionnaire des droits de la SARL Kossaria une indemnité de 8.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

-Condamner solidairement Generali IARD, AXA Corporate Solutions, et CNA Insurance Company à payer à Greenmodal Transport la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 code de procédure civile ainsi qu’au plus entiers dépens de l’instance.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

La clôture de l’instruction est intervenue le 14 avril 2022.

MOTIFS

Sur la recevabilité des prétentions des appelantes

La société Greenmodal soutient que les prétentions formées par les assureurs, dans leurs conclusions du 16 septembre 2020, sont irrecevables en application de l’article 910-4 du code de procédure civile comme étant nouvelles. Elle fait tout d’abord observer que la fin de non-recevoir qu’elle invoque n’est pas soumise aux dispositions du même article qui ne vise que les prétentions sur le fond. Ensuite elle souligne que les premières conclusions des appelantes déposées le 17 mars 2020 ne contenaient aucune prétention au fond ni demande de rejet mais exclusivement des demandes de ” dire et juger ” ou de ” constater ” qui ne constituent pas des prétentions au sens de l’article 954 du code de procédure civile. Elle en déduit que toutes les prétentions formées dans les conclusions ultérieures sont irrecevables comme étant nouvelles.

Les sociétés d’assurance invoquent l’irrecevabilité de la fin de non-recevoir soulevée par la société Greenmodal en application de l’article 910-4 du code de procédure civile. Par ailleurs, elles prétendent que l’article 954 du code de procédure civile ne prévoit pas de sanction en cas de non-respect de ses dispositions. Elle fait encore observer que ses premières écritures contenaient une demande d’infirmation du jugement en toutes ses dispositions et par voie de conséquence, une demande de rejet des prétentions adverses.

Selon l’article 910-4 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond. L’irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.

Néanmoins, et sans préjudice de l’alinéa 2 de l’article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l’intervention d’un tiers ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

Il sera, à titre liminaire, rappelé que cet article, qui impose aux parties de concentrer l’ensemble de leurs prétentions en appel dans leur premier jeu d’écritures ne vise que les prétentions sur le fond et non les prétentions tendant à voir déclarer une demande irrecevable. Ainsi la demande de la société Greenmodal tendant à voir déclarer irrecevables les prétentions nouvelles formées par les sociétés d’assurances sera déclarée recevable.

En vertu de l’article 954 du code de procédure civile, les conclusions d’appel contiennent, en en-tête, les indications prévues à l’article 961. Elles doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé.

Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte.

La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.

Les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées.

La partie qui conclut à l’infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu’elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance.

La partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s’en approprier les motifs.

Il résulte de ces dispositions que si l’appelant se borne, dans le dispositif de ses conclusions, à conclure à l’infirmation d’un jugement, sans formuler de prétention sur les demandes tranchées dans ce jugement, la cour n’est pas saisie de prétention relative à ces demandes.

En l’espèce, il sera relevé que dans le dispositif de leurs premières conclusions du 17 mars 2020, les compagnies d’assurance demandaient à la cour de :

” INFIRMER en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 28 novembre 2019 ;

Statuer à nouveau :

IN LIMINE LITIS, SUR LA COMPÉTENCE

(‘)

SE DECLARER incompétent au profit des juridictions anglaises et renvoyer les parties à mieux se pourvoir ;

(‘)

SUR LE FOND

Sur l’irrecevabilité de la demande,

(‘)

Si par impossible la Cour devait juger la demande de GREENMODAL était recevable alors il est demandé de : A titre subsidiaire, sur le mal-fondé (‘) “.

Il ressort du dispositif de ces conclusions que les compagnies d’assurances demandaient à la cour de statuer à nouveau au fond, après avoir infirmé le jugement de première instance, et, de se déclarer incompétente pour connaître du fond du litige, et, à défaut, à titre principal, de déclarer irrecevable la demande de garantie, et, à titre subsidiaire, de dire mal-fondée la demande de garantie de la société Greenmodal.

Ainsi, nonobstant ce que soutient la société Greenmodal, la cour était saisie, dès les premières conclusions, de prétentions de la part des appelantes tendant au rejet de la demande de garantie de la société Greenmodal.

Dans leurs dernières conclusions du 30 mars 2022, les compagnies d’assurances ont précisé, au dispositif, qu’elles demandaient à la cour de ” Débouter Greenmodal de l’ensemble de ses demandes “.

Il échet en conséquence de constater que cette prétention, qui vise au rejet de la demande en garantie de la société Greenmodal, n’est pas nouvelle et doit dès lors être déclarée recevable.

Sur la compétence des juridictions françaises

Les sociétés Generali IARD, AXA Corporate Solutions, et CNA Insurance Company affirment que les juridictions françaises sont incompétentes pour connaître du litige. Elles invoquent le certificat d’assurance émis le 30 janvier 2016 à l’attention de la société Kossoria qui fait référence aux Institutes Cargo Clauses (ICC) ainsi que la police d’assurance produite par la société Greenmodal qui fait référence aux ICC. Or elles affirment que l’article 19 des ICC donne compétence aux tribunaux anglais pour tout litige qui pourrait survenir entre l’assuré et l’assureur.

La société Greenmodal réplique que le certificat d’assurance a été émis unilatéralement par le courtier, la société Siaci Saint Honoré, et ne saurait en conséquence traduire une volonté commune des parties au contrat d’assurance de soumettre le litige à la compétence des juridictions anglaises. Par ailleurs, elle souligne que l’article 1-2-1 de la police d’assurance souscrite ne fait qu’offrir à l’assuré la faculté d’opter pour l’application des ICC. En outre, elle relève que l’article 19 des ICC ne contient aucune indication sur la juridiction compétente mais a trait à la loi ayant vocation à régir la police d’assurance. Enfin elle prétend que le certificat d’assurance ainsi que les conditions générales de la police souscrite à Paris donnent compétence au tribunal de commerce de Paris.

L’attestation d’assurance délivrée par la société Siaci Saint Honoré, qui n’est qu’un intermédiaire au contrat d’assurance, ne saurait se substituer au contrat d’assurance ni même exprimer de la part de l’assuré le choix d’opter pour l’application des Institutes Cargo Clauses.

Il convient de relever que le certificat d’assurance établi le 30 janvier 2016 par la société Siaci Saint Honoré au profit de la société Kossoria concernant le transport de la barge ” Nirvana ” par le navire ” Super Servant 4 ” entre [Localité 11] et le [Localité 12] renvoie à une police d’assurance n°131780. Or la société Greenmodal produit les conditions particulières de ladite police d’assurance souscrite par le groupe CMA/CGM. L’article 1-1 de ces conditions particulières précise que : ” Le présent contrat est régi par la loi française et en particulier par les dispositions impératives du Code des Assurances, qu’elles soient ou non rappelées dans la police ainsi que par les conditions particulières qui suivent et qui priment les conditions générales chaque fois qu’elles y dérogent :

– Police Française d’Assurance Maritime sur Facultés – Dispositions Spéciales aux Polices d’Abonnement (Imprimé du 1ER juillet 2009),

– Police Française d’Assurance Maritime sur Facultés ” TOUS RISQUES ” (Imprimé du 15 juillet 2009),

– Police Française d’assurance des Marchandises transportées par voie terrestre, imprimé du 1er Juillet 2009,

– Police Française d’assurance des Marchandises transportées par voie aérienne, imprimé du 1er Juillet 2009,

– Police Française d’assurance des Marchandises transportées par voie fluviale, imprimé du 1er Juillet 2009,

– Police Française d’assurance pour le Transport de valeurs, imprimé du 25 octobre 1990,

– Institute Cargo Clause de [Localité 13] (A) du 01.01.82

– Institute Cargo Clause de [Localité 13] (C) du 01.01.82

– Institute War Clauses CL 385 du 01.01.2009

– Institute Strikes Clauses CL386 du 01.01.2009

– Conventions Spéciales pour l’assurance des MARCHANDISES transportées CONTRE les risques de guerre, de terrorisme et de grève – garantie Etendue du 1er octobre 2008 modifié le 1er juillet 2009

– GARANTIE DES FRAIS EXPOSES EN CAS D’INTERRUPTION OU DE RUPTURE DU VOYAGE CLAUSE ADDITIONNELLE aux Conventions Spéciales CONTRE l’assurance des MARCHANDISES transportées pour les risques de guerre, de terrorisme et de grève

– garantie Etendue du 1er octobre 2008

– Clause d’exclusion des risques de contamination radioactive, et des risques chimiques,

biologiques, biochimiques, et électromagnétiques (15 décembre 2003)

– Clause Sanctions “.

Contrairement à ce que prétendent les sociétés d’assurance, l’Institute Cargo Clause de [Localité 13] (A) du 1er janvier 1982 indique seulement au paragraphe 19 que : ” This insurance is subject to English law and practice “, ce qui se traduit par : ” Cette police d’assurance est régie par la loi et les usages anglais. ” Il n’y est donc pas fait référence à la juridiction compétente pour examiner les litiges résultant de l’application du contrat d’assurance.

En revanche, la Police Française d’Assurance Maritime sur Facultés garantie ” TOUS RISQUES “, telle qu’elle ressort de l’imprimé du 15 juillet 2009, précise à son article 33 que : ” L’assureur ne peut être assigné que devant le Tribunal de Commerce du lieu où la police a été souscrite. ”

Or, ainsi que l’ont justement souligné les premiers juges, le contrat d’assurance a été conclu à [Localité 14], lieu du siège social de la société Siaci Saint Honoré, courtier ayant servi d’intermédiaire pour sa conclusion.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a reconnu la compétence du tribunal de commerce de Paris pour connaître du litige.

Sur le droit applicable

Les conditions particulières de la police d’assurance n°131780 indiquent à titre liminaire que :

” Le présent contrat souscrit auprès de la société GENERALI agissant en qualité d’Assureur, par l’intermédiaire de SIACI SAINT HONORE, [Adresse 3], et qui porte la référence N° 131780, est régi uniquement par :

– Les dispositions d’ordre public du Codes des Assurances,

– Les conditions générales,

– Les présentes conditions particulières étant précisées que :

* Les conditions particulières qui suivent modifient et/ou complètent en tant que besoin, les conditions générales ci-annexées,

* En cas de contradiction, les présentes conditions particulières prévalent et feront la loi des parties. ”

Par ailleurs, l’article 1-1 des mêmes conditions particulières indique que :

” Le présent contrat est régi par la loi française et en particulier par les dispositions impératives du Code des Assurances, qu’elles soient ou non rappelées dans la police ainsi que par les conditions particulières qui suivent et qui priment les conditions générales chaque fois qu’elles y dérogent :

(‘)

– Institute Cargo Clause de [Localité 13] (A) du 01.01.82 “.

Il résulte de ces dispositions claires que les parties au contrat d’assurance litigieux ont entendu voir régir leurs rapports contractuels par la loi française. Le renvoi des conditions particulières à l’ICC de [Localité 13] du 1er janvier 1982, qui contient parmi d’autres clauses un renvoi au droit anglais en son paragraphe 19, ne saurait déroger à la volonté claire exprimée par les parties de voir régir leur contrat par le droit français.

Le jugement entrepris sera également confirmé de ce chef.

Sur la recevabilité de l’action de la société Greenmodal

*Sur la qualité à agir

Les sociétés Generali IARD, AXA Corporate Solutions, et CNA Insurance Company font valoir que la société Greenmodal n’a pas qualité à agir dès lors qu’elle n’est pas l’assurée. Elles expliquent que c’est la société Kossoria qui a cette qualité et qui a fait transporter le navire ” Nirvana ” en concluant le contrat d’affrètement. Elles ajoutent que la société Greenmodal ne s’est pas vue confier l’objet assuré pour le transport et ne peut donc pas être bénéficiaire de la police d’assurance.

La société Greenmodal réplique qu’elle a la qualité d’assurée de la police d’assurance qui a été souscrite pour le compte de qui il appartiendra en vertu des articles L.112-1 et L.171-4 du code des assurances. Elle explique que l’objet de la police d’assurance est d’assurer les biens confiés à l’assuré indépendamment du fait que l’assuré en détienne la propriété ou non. Elle fait ainsi valoir que la société Kossoria lui a confié la barge pour en assurer le transport jusqu’au [Localité 12] et qu’à ce titre, elle a signé le contrat de charte-partie et déclaré la société Kossoria à l’assureur pour la faire bénéficier du contrat d’assurance au cours du transport de la barge.

Les conditions particulières de la police d’assurance n°131780 précisent que :

” Aux conditions générales imprimées jointes, à celles particulières qui suivent, la compagnie soussignée GENERALI, par l’intermédiaire de SIACI SAINT HONORE, [Adresse 3], assure au souscripteur :

CMA CGM France SAS

[Adresse 6]

[Localité 1]

Par la dénomination de l’assuré, utilisé dans le présent contrat, il faut entendre le souscripteur et toutes filiales, agences ou succursales, agissant tant pour son compte que pour le compte de qui il appartiendra. ”

Et que le contrat porte :

” sur (les) facultés de toute nature confiées à l’assuré “.

Il ressort de ces dispositions que la police souscrite est une assurance de choses, couvrant les marchandises confiées à l’assuré, et que les assurés sont à la fois le souscripteur de l’assurance, la société CMA CGM France, ses filiales, et toute personne désignée par elles.

Il est démontré que la société Greenmodal était une filiale de la société CMA CGM France et était donc couverte par le contrat d’assurance en qualité d’assurée.

Par ailleurs, il est établi qu’en vertu du protocole d’accord transactionnel du 25 janvier 2016 la société Greenmodal a pris l’engagement de transférer le bateau depuis le port de [Localité 11] jusqu’au port du [Localité 12] où il devait être exploité dans le cadre d’un nouveau contrat de transport. Le protocole prévoit ainsi que : ” Le transfert du bateau Nirvana est opéré selon les instructions fixées par la société Greenmodal qui en supportera l’intégralité des coûts “. Ainsi, et contrairement à ce que prétendent les assureurs, la société Kossoria, dans le cadre de l’exécution du protocole du 25 janvier 2016, a nécessairement confié à la société Greenmodal son navire afin qu’elle en organise le transfert jusqu’au port du [Localité 12]. C’est dans ces conditions que la société Greenmodal a signé le contrat de charte partie du 7 décembre 2015 en vue d’affréter le navire ” Super Servant 4 ” pour transporter la barge ” Nirvana ” le 30 janvier 2016 entre les ports de [Localité 11] et [Localité 12]. Il sera relevé que ce contrat, qui désigne comme affréteur la société Kossoria, comporte toutefois la signature et le cachet de la société Greemodal dans l’encart prévu pour l’affréteur. Le fait que le reçu d’embarquement ne mentionne que la société Kossoria est indifférent puisque le contrat de charte partie a été signé par la société Greenmodal.

Par ailleurs, en qualité de filiale de la société CMA CGM France et assurée au titre du contrat d’assurance, la société Greenmodal a déclaré ce voyage à l’assureur pour que la société Kossoria, propriétaire du navire, puisse en bénéficier dans le cadre d’une assurance pour compte.

La qualité à agir de la société Greenmodal en qualité d’assurée est donc démontrée.

*Sur l’intérêt à agir

Les sociétés d’assurance soutiennent que la société Greenmodal n’a pas intérêt à agir puisqu’elle ne disposait pas d’un intérêt assurable au moment de la survenance du sinistre. Elles font en effet valoir qu’elle n’était ni propriétaire, ni exploitant du bateau. Par ailleurs, elles soutiennent que la société Greenmodal ne peut pas davantage soutenir venir aux droits de la société Kossoria alors que cette dernière n’était plus propriétaire du ” Nirvana ” lorsque le dommage est survenu. Elles considèrent que les conditions de la subrogation ne sont pas réunies et que la société Greenmodal ne peut pas agir en qualité de cessionnaire des droits de Kossoria.

La société Greenmodal réplique que le seul fait d’être désignée comme l’assuré suffit à établir son intérêt à agir en exécution de la garantie souscrite. Elle prétend que cet intérêt à agir est indépendant du fait que l’assuré détienne la propriété ou non du bien assuré. Elle fait en tout état de cause valoir la subrogation et/ou la cession de droits de la société Kossoria.

Il ressort de ce qui précède que la société Greenmodal, en qualité de filiale du souscripteur du contrat d’assurance, avait la qualité d’assurée. Elle justifie, à ce seul titre, d’un intérêt à agir à l’encontre de l’assureur qui dénie sa garantie.

En tout état de cause, il est établi que la société Greenmodal devait exploiter la barge ” Nirvana ” dans le cadre d’un nouveau contrat de transport, qu’elle était chargée d’en assurer le transfert au [Localité 12] (par ses instructions et en supportant les coûts), que sa responsabilité était dès lors susceptible d’être engagée à l’égard du propriétaire du navire en cas de dommage et que c’est dans ces conditions qu’elle a déclaré ce voyage à l’assureur. La société Greenmodal avait donc un intérêt assurable au moment de la survenance du sinistre.

L’intérêt à agir de la société Greenmodal en vue d’obtenir la garantie souscrite au titre du contrat d’assurance est donc justifié.

En conséquence, la société Greenmodal est recevable à agir.

Sur la demande de garantie de la société Greenmodal

Les sociétés Generali IARD, AXA Corporate Solutions, et CNA Insurance Company affirment que l’action de la société Greenmodal doit être rejetée dès lors que le sinistre ne relève pas d’un risque maritime ayant eu un quelconque rôle causal. Elles estiment ainsi que le sinistre aurait eu lieu indépendamment du transport. Elles ajoutent que le retard ne constitue pas un évènement garanti. Elles invoquent l’existence d’un vice propre du bien assuré qui constitue une cause d’exclusion de garantie. Elles considèrent encore que l’assuré n’a pas apporté les soins raisonnables à la marchandise, ce qui constitue également une cause d’exclusion de garantie. Elles font en outre valoir que l’assuré a, par son comportement, commis une faute intentionnelle et supprimé totalement l’aléa du contrat d’assurance. Elles expliquent que l’avarie subie résulte d’une absence de conditionnement des batteries de la barge ” Nirvana ” pour supporter le transport maritime jusqu’au [Localité 12].

La société Greenmodal réplique que l’avarie électrique subie par la barge ” Nirvana ” entre dans le champ de la garantie d’assurance puisqu’il s’agit d’un évènement ayant affecté la marchandise transportée et survenu durant le transport. Elle soutient qu’il appartient à l’assureur de démontrer l’existence d’une cause d’exclusion contractuelle ou légale. Elle fait ainsi valoir que les assureurs ne démontrent pas l’existence du vice propre qu’ils invoquent. Elle ajoute qu’aucun défaut de soins à l’objet assuré n’est établi par les assureurs.

L’article 1-2-1 des conditions particulières de la police d’assurance n°131780 prévoit que:

” Les expéditions venant en application de la présente police sont assurées aux pleines conditions Tous Risques suivant les dispositions prévues aux conditions générales des imprimés français d’assurance ci-joints, selon le mode de transport. ”

La Police Française d’Assurance Maritime sur Facultés garantie ” TOUS RISQUES “, telle qu’elle ressort de l’imprimé du 15 juillet 2009, précise que :

” article premier :

La présente assurance s’applique, dans les limites du voyage assuré, aux facultés ci-après désignées et transportées ou prises en charge par des professionnels, transporteurs ou auxiliaires du transport, conformément aux usages reconnus du commerce.

(‘)

Article 5 :

Sont garantis les dommages et pertes matériels ainsi que les pertes de poids ou de quantités subis par les facultés assurées, y compris lorsque ces dommages et pertes résultent du chargement ou du déchargement effectué par l’assuré ou le bénéficiaire de l’assurance. ”

Contrairement à ce qu’affirment les assureurs, le contrat d’assurance couvrait tous les risques auxquels la marchandise était exposée durant le transport maritime. Ainsi dès lors que la perte subie par la marchandise assurée s’est produite pendant le transport maritime et pour autant qu’aucune faute de l’assuré n’ait été établie, la garantie est due.

En l’espèce, il est constant que la barge ” Nirvana ” a fait l’objet d’un transport maritime effectué par la société Spliethoff qui a été assuré par les sociétés intimées selon certificat d’assurance émis le 30 janvier 2016. Il résulte de l’absence de réserves émises par le transporteur lors de la prise en charge de la barge le 30 janvier 2016 que celle-ci ne présentait alors aucune avarie.

Or il ressort d’un rapport d’avarie établi le 17 février 2016 par le commandant de la barge ” Nirvana ” ainsi que d’un courriel du 17 février 2016 adressé par M. [B] à la société Greenmodal et à la société Spliethoff que la barge a subi une avarie électrique générale à son déchargement du navire ” Super Servant 4 “.

Les rapports d’expertise provisoire et définitif établis par MM. [H] et [F] indiquent ainsi que :

” Le NIRVANA a été remis à flot vers 14H50. Vers 17H10, les groupes électrogènes du bateau ont été démarrés mais n’ont pas pu être couplés sur les barres du tableau électrique et le moteur principal n’a pas pu être lancé.

Le NIRVANA est finalement sorti du radier du SS4 vers 17H30 sans propulsion principale pour s’accoster à un quai disponible.

Lors du redémarrage des diverses installations électriques et appareils de navigation, un court circuit général est apparu sur les équipements alimentés en 24 volts par les batteries du bateau.

(‘)

Nous sommes retournés les 2, 4 et 8 Mars 2016 à bord du bateau aux fins de suivre l’évolution des travaux et rencontrer les techniciens chargés du remplacement des équipements électriques et électroniques défectueux dont la liste est la suivante :

– batteries Traxi battery

– chargeurs (2)

– DM & AM cumarine

– sondes de ballast (11)

– écho sondeur

– système de surveillance par caméras

– radar

– Gyrocompas & pilote auto

– convertisseur 22/220 v “.

Les dommages matériels subis par la barge ” Nirvana ” au cours du transport maritime effectué par la société Spliethoff entre le 30 janvier 2016 et le 17 février 2016 sont donc démontrés et la garantie au titre du contrat d’assurance est due sauf aux assureurs à rapporter la preuve d’une cause d’exclusion de garantie.

L’article 7 de la Police Française d’Assurance Maritime sur Facultés garantie ” TOUS RISQUES ” telle qu’elle ressort de l’imprimé du 15 juillet 2009, prévoit que :

” Sont exclus les dommages et pertes matériels, les pertes de poids ou de quantités subis par les facultés assurés et résultant de: (‘)

2° fautes intentionnelles ou inexcusables de l’assuré et de tous autres bénéficiaires de l’assurance, de leurs préposés, représentants ou ayants-droit ;

3° vice propre des facultés assurées ; vers et vermines sauf s’il s’agit d’une contamination survenue pendant le voyage assuré ; influence de la température atmosphérique ; freinte de route en usage ;

(‘) ”

Sur les causes du sinistre, les rapports d’expertise provisoire et définitif établis par MM. [H] et [F] indiquent ainsi que :

” Comme nous l’avons indiqué, le SS4 impose un bateau ” éteint ” sans aucune alimentation électrique alors que ce navire pourrait délivrer de l’énergie et alimenter le bateau par le mode ” courant terre “.

C’est une pratique commune pour éviter au navire transporteur d’engager sa responsabilité.

La tension en sortie des chargeurs peut varier de 24 à 28 volts. Sur le même circuit, on trouve un onduleur 230v/2500 w dont le contacteur appelle au déclenchement entre 16 et 18 volts comme ceux des chargeurs par ailleurs.

Ces contacteurs ne sont pas conçus pour battre à l’ouverture ou à la fermeture en permanence.

Les multiples déclenchements provoqués en mode transitoire de décharge des batteries alors que la tension oscillait entre 16 et 18 volts a irrémédiablement endommagé ces équipements.

Au redémarrage de l’installation, un fort appel de courant s’est produit notamment au redémarrage du radar de navigation qui requiert une forte puissance et qui est branché en parallèle avec les autres équipements qui ont été également soumis au même phénomène de surtension.

Les batteries sont capables de tenir généralement environ une semaine, voire jusqu’à dix jours quand elles sont en capacité nominale.

Comme fréquemment pour les équipements électriques de cette nature qui sont dotés de circuits électroniques, même une fois stoppés, les courants de veille continuent à alimenter certains circuits avec une faible intensité mais suffisamment importante pour qu’au bout de 7 à 10 jours les batteries se trouvent déchargées depuis une tension nominale de 24/26 volts jusqu’à une valeur proche de zéro.

Avec un transit ayant duré 17 jours, les batteries du NIRVANA ne pouvaient conserver leur charge.

La période pendant laquelle la charge des batteries était devenue proche du seuil de déclenchement des contacteurs des chargeurs (16/18 volts) a irrémédiablement endommagé ces équipements qui n’étaient plus fonctionnels au redémarrage de l’installation, ce qui a provoqué par répercussion l’ensemble des dommages constatés sur les lignes d’alimentation communes à tous ces appareils.

Ce type de transport impose de prendre toutes précautions utiles pour préserver les équipements alimentés par le circuit 24 volts.

Il aurait été nécessaire préalablement à l’appareillage du SS4 d’ouvrir tous les contacteurs des circuits des lignes individuelles d’alimentation, en ôter les fusibles de protection et au final procéder à la déconnexion des cosses des batteries

Cette intervention électrique simple et de courte durée devrait en toute rigueur être effectuée par un électricien ” marine ” qui dispose des outils de contrôle permettant de s’assurer de la déconnexion totale des circuits.

Monsieur [I] [E] nous a indiqué oralement qu’il aurait alerté les parties intéressées du risque encouru par un tel transport dans ces conditions. ”

Pour dénier leur garantie, les assureurs se prévalent tout d’abord d’un vice propre de la marchandise qui aurait été inapte à supporter le voyage. Ils font valoir les conclusions du rapport d’expertise selon lesquelles la détérioration des batteries serait liée à leur déchargement total au cours du transport ainsi qu’à l’absence de préparation du bateau avant son transport.

Le vice propre peut se définir comme la détérioration d’une marchandise pour une cause qui lui est uniquement interne.

Or il résulte des constats opérés par les experts que la détérioration des batteries ne résulte pas d’un défaut interne mais uniquement de leur décharge totale au cours du transport et que cette décharge totale aurait pu être évitée en alimentant la barge sur le navire avec l’énergie du navire ” Super Servant 4 ” ou encore en s’assurant de la déconnexion totale de l’ensemble du circuit électrique de la barge avant son transport maritime.

Il s’en déduit qu’aucun vice propre de la barge ni de ses batteries n’est caractérisé.

Les assureurs se prévalent encore d’un manque de soins raisonnables et même d’une faute intentionnelle de l’assurée.

Selon l’article L. 172-13 du code des assurances, les risques assurés demeurent couverts, même en cas de faute de l’assuré ou de ses préposés terrestres, à moins que l’assureur n’établisse que le dommage est dû à un manque de soins raisonnables de la part de l’assuré pour mettre les objets à l’abri des risques survenus.

L’assureur ne répond pas des fautes intentionnelles ou inexcusables de l’assuré.

Contrairement à ce qu’affirment les assureurs, il n’est aucunement démontré que la société Greenmodal ou encore la société Kossoria auraient été avisées de la nécessité de déconnecter totalement le système électrique de la barge avant son transport maritime ni même des risques de détérioration susceptibles d’intervenir en cas de décharge complète des batteries. Il sera à cet égard relevé que le rapport d’expertise, qui indique : ” Monsieur [I] [E] nous a indiqué oralement qu’il aurait alerté les parties intéressées du risque encouru par un tel transport dans ces conditions. “, ne précise pas la fonction de M. [I] [E] ni l’identité des “parties” auxquelles il aurait fait part oralement de ses recommandations. En outre, il y a lieu d’observer que la société Greenmodal, qui n’est pas spécialiste du transport d’automoteur par navire, n’était pas censée connaître ces précautions.

Dans ces conditions, il n’est a fortiori pas prouvé que la société Greenmodal ait volontairement écarté de telles précaution en ayant conscience des conséquences dommageables encourues.

Aucune faute intentionnelle ni même de défaut de soins de l’assuré ne sont donc caractérisés.

Dès lors, les sociétés appelantes doivent garantir le sinistre.

Selon l’article L. 171-3 du code des assurances, tout intérêt légitime, y compris le profit espéré, peut faire l’objet d’une assurance.

Nul ne peut réclamer le bénéfice d’une assurance s’il n’a pas éprouvé un préjudice.

En l’espèce, la société Greenmodal justifie avoir subi un préjudice du fait de l’avarie électrique présentée par la marchandise assurée puisqu’elle a supporté le coût des réparations qui s’est élevé à un montant total de 114.704 euros.

Dans ces conditions, l’indemnité d’assurance à ce titre lui est acquise et les sociétés d’assurance seront condamnées à lui payer une somme de 114.704 euros en exécution du contrat d’assurance souscrit. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

Il résulte de ce qui précède qu’aucune procédure abusive n’est caractérisée à l’encontre de la société Greenmodal. La demande de dommages et intérêts de ce chef sera écartée.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Les appelantes succombent à l’instance d’appel. Les dispositions du jugement relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile seront confirmées. Les sociétés Generali IARD, AXA Corporate Solutions, et CNA Insurance Company seront condamnées à supporter les dépens d’appel ainsi qu’à payer à la société Greenmodal une somme supplémentaire de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel. La demande qu’elles ont formée de ce chef sera rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire,

Déclare recevables les prétentions formées par les sociétés Generali IARD, AXA Corporate Solutions, et CNA Insurance Company dans leurs dernières conclusions ;

Déclare recevable l’action de la société Greenmodal ;

Confirme le jugement ;

Y ajoutant,

Rejette la demande de dommages et intérêts des sociétés Generali IARD, AXA Corporate Solutions, et CNA Insurance Company pour procédure abusive ;

Condamne les sociétés Generali IARD, AXA Corporate Solutions, et CNA Insurance Company à payer à la société Greenmodal Transport une somme supplémentaire de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Rejette la demande des sociétés Generali IARD, AXA Corporate Solutions, et CNA Insurance Company au titre des frais irrépétibles exposés en appel ;

Condamne les sociétés Generali IARD, AXA Corporate Solutions, et CNA Insurance Company aux dépens d’appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

 


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