Cession de droits : 30 mai 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 21/03208

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Cession de droits : 30 mai 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 21/03208
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30 mai 2023
Cour d’appel de Rennes
RG n°
21/03208

1ère Chambre

ARRÊT N°153/2023

N° RG 21/03208 – N° Portalis DBVL-V-B7F-RVHB

M. [O] [E]

Mme [C] [E]

Mme [Y] [E]

Mme [V] [F] veuve [E]

C/

M. [O] [L]

M. [R] [W]

E.A.R.L. DE L EQUILIBRE

Association CER FRANCE LOIRE ATLANTIQUE

Me [X] [B]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 30 MAI 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre entendu en son rapport,

Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 28 février 2023

ARRÊT :

réputé contradictoire, prononcé publiquement le 30 mai 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANTS :

Monsieur [O] [E]

né le [Date naissance 1] 1980 à [Localité 10] (44)

[Adresse 8]

[Localité 15]

Représenté par Me Anne DAUGAN de la SELARL MARLOT, DAUGAN, LE QUERE, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représenté par Me Jean-Charles LOISEAU, Plaidant, avocat au barreau d’ANGERS

Madame [C] [E]

née le [Date naissance 2] 1973 à [Localité 10] (44)

[Adresse 23]

[Localité 13]

Représentée par Me Anne DAUGAN de la SELARL MARLOT, DAUGAN, LE QUERE, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Jean-Charles LOISEAU, Plaidant, avocat au barreau d’ANGERS

Madame [Y] [E]

née le [Date naissance 6] 1974 à [Localité 10] (44)

[Adresse 16]

[Localité 14]

Représentée par Me Anne DAUGAN de la SELARL MARLOT, DAUGAN, LE QUERE, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Jean-Charles LOISEAU, Plaidant, avocat au barreau d’ANGERS

Madame [V] [F] veuve [E]

née le [Date naissance 7] 1952 à [Localité 22] (44)

[Localité 19]

[Localité 14]

Représentée par Me Anne DAUGAN de la SELARL MARLOT, DAUGAN, LE QUERE, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Jean-Charles LOISEAU, Plaidant, avocat au barreau d’ANGERS

INTIMÉS :

Monsieur [O] [L]

né le [Date naissance 4] 1970 à [Localité 9] (44)

‘[Adresse 21]’

[Localité 11]

Représenté par Me Cyril DUBREIL de la SCP OUEST AVOCATS CONSEILS, avocat au barreau de NANTES

Monsieur [R] [W]

né le [Date naissance 5] 1971 à [Localité 9] (44)

[Adresse 3]

[Localité 10]

Représenté par Me Cyril DUBREIL de la SCP OUEST AVOCATS CONSEILS, avocat au barreau de NANTES

L’E.A.R.L. DE L EQUILIBRE, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nantes sous le n°399.902.717, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 20]

[Localité 14]

Représentée par Me Cyril DUBREIL de la SCP OUEST AVOCATS CONSEILS, avocat au barreau de NANTES

L’association de Gestion et de Comptabilité CERFRANCE LOIRE ATLANTIQUE, association loi 1904, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 17]

[Adresse 17]

[Localité 12]

Représentée par Me Jean-René KERLOC’H de l’ASSOCIATION JEAN-RENE KERLOC’H- SYLVIE POTIER-KERLOC’H, avocat au barreau de NANTES

PARTIE ASSIGNÉE EN INTERVENTION FORCÉE :

Maître [X] [B], es qualité de commissaire à l’exécution du plan de l’EARL DE L’EQUILIBRE

[Adresse 18]

[Adresse 18]

[Localité 9]

Régulièrement assigné par acte d’huissier délivré le 23 mars 2022 à personne habilitée, n’a pas constitué

EXPOSÉ DU LITIGE’:

En 2009, M. [U] [E], agriculteur à [Localité 14], lieu-dit [Localité 19], à la tête d’une exploitation céréalière et bovine de 160 hectares dont environ 70 en propriété, atteint d’une grave maladie, a pris sa retraite par anticipation. Son épouse, Mme [V] [E] née [F], jusqu’alors conjointe collaboratrice, est devenue, le 1er avril 2009, chef d’exploitation (autorisation d’exploiter du 23 juillet 2009). Parallèlement, les époux [E] ont cherché des repreneurs.

Le 2 juin 2009, M. [E] a signé avec MM. [O] [L], [R] [W] et [Z] [G] un accord de principe sur la reprise de l’exploitation familiale.

Par arrêté du 1er décembre 2009, la direction départementale du territoire et de la mer de Loire Atlantique a entériné l’avis de la commission départementale d’orientation agricole (CDAO), autorisant le GAEC de l’Équilibre (ci-après le GAEC) ayant pour associés MM. [W] et [L] à exploiter les 165,17’hectares mis en valeur par Mme [E]. L’autorisation était conditionnée à l’entrée et au maintien de cette dernière en tant qu’associée exploitante à titre exclusif et participant aux travaux de l’exploitation pendant trois ans à compter de la décision et à l’installation effective de M. [G], agriculteur en formation, dans un délai d’un an à compter de la décision.

Par un premier acte sous seing privé du 5 mars 2010 auquel est intervenu M. [E] qui devait décéder, le 15 mai 2010, soit quelques semaines plus tard, Mme [E] a cédé au GAEC des éléments mobiliers pour une valeur de 189’385’euros payable :

– à hauteur de la somme de 131’985 euros par un prêt bancaire souscrit par le GAEC,

– à hauteur de la somme de 49’500 euros au moyen du prêt jeune agriculteur de M. [G] à la date de son installation au sein du GAEC prévue en juin 2010 et au plus tard le 15 juillet 2010,

– à hauteur de la somme de 7’900 euros par compensation avec une créance détenue par le GAEC sur les époux [E].

L’acte prévoyait une condition particulière en vertu de laquelle le surcoût des cotisations MSA 2010-2011 relatif au montant des cotisations sociales estimées de Mme [E] en 2012 au regard de la quote-part de résultat affectée et des prévisions de résultat, serait compensé par une baisse du prix de vente de 28’850 euros répercutée sur la valeur du cheptel.

Par un second acte sous seing privé du 5 mars 2010 auquel est intervenu M. [E], Mme'[E] a conclu avec le GAEC une convention de mise à disposition de 54ha 21a 47ca de terres situées à [Localité 14] et Anetz moyennant une redevance annuelle de 10’000 euros, cette mise à disposition étant renouvelable tacitement. Il était prévu que le GAEC ne pourrait invoquer le statut du fermage et que le propriétaire participerait effectivement au sein de la société à l’exploitation des terres.

Les statuts du GAEC étaient modifiés simultanément pour intégrer Mme [E] à laquelle 1’100 parts sociales étaient attribuées en contrepartie de biens en nature, d’une valeur de 16’500’euros. Un nouveau règlement intérieur était adopté lequel prévoyait que, lors de la sortie de Mme [E] prévue en 2013, le GAEC rachèterait ses parts sur la base d’une valeur vénale unitaire de 15 euros. Ce règlement prévoyait également que Mme [E] serait rémunérée à hauteur de la somme de 1’000 euros par mois en plus d’une quote-part de résultat de 61’euros par mois et l’équivalent de ses cotisations sociales annuelles.

Ces trois actes ont été préparés par l’Association de gestion et de comptabilité CER France Loire Atlantique (ci-après CER 44) en sa qualité d’expert comptable et centre de gestion tant du GAEC que de la famille [E].

L’intégralité du prix de cession n’ayant pas été réglée, Mme [E] a saisi, par exploit du 16 mars 2011, le juge des référés du tribunal de grande instance de Nantes d’une demande en payement de diverses provisions (83’476’euros, 10’000’euros pour la mise à disposition des terres, 3’195’euros pour sa rémunération et 20’781’euros au titre de ses cotisations sociales). En réponse à cette demande, le GAEC a saisi le tribunal de grande instance de Nantes qui l’a placé, par jugement du 3 mai 2011, sous procédure de sauvegarde. Le 30 mai 2011, Mme [E] et l’indivision [E] ont déclaré une créance de 225’476 euros auprès de Me [B], désigné mandataire.

Le GAEC, assisté de l’association CER France Loire Atlantique, a présenté le 23’juillet 2012 un plan d’apurement de son passif en quinze annuités que le tribunal a arrêté par jugement du 9’octobre 2012.

Cependant, par jugement du 18 mars 2014, le tribunal a prononcé la résolution du plan de sauvegarde et ouvert une procédure de redressement judiciaire. Par jugement du 28 juillet 2015, il a arrêté le plan de redressement par continuation sur quinze ans que lui a soumis le débiteur, désignant Me [B] en qualité de commissaire à l’exécution du plan.

—————–

Entre temps et sur saisine de Mme [V] [F] veuve [E], de M. [O] [E], de Mme [C] [E] et de Mme [Y] [E] (les consorts [E]), le juge des référés du tribunal de grande instance de Nantes avait, par ordonnance du 13’octobre 2011, ordonné une expertise au contradictoire de MM. [W] et [L], du GAEC de l’Équilibre, de Me [B] et de l’association CER 44, et désigné M.'[K], avec la mission de décrire avec précision le mécanisme d’intégration dans le GAEC de Mme [E], en répondant notamment aux questions suivantes’:

– se renseigner sur la connaissance du CER 44 des éléments de comptabilité du GAEC,

– estimer si sur le plan économique la reprise de l’exploitation [E] par le GAEC était possible compte tenu de sa capacité économique,

– fournir tous éléments permettant au tribunal d’apprécier si Mme [E] et son époux avaient tous les éléments suffisants pour contracter en toute connaissance de cause,

– chiffrer enfin, dans l’hypothèse où le consentement de Mme [E] aurait été vicié, les préjudices subis par celle-ci et l’indivision [E] au titre des terres objet de la mise à disposition.

L’expert a déposé son rapport le 8’mars 2013.

Au vu de ce rapport, les consorts [E] ont saisi, en octobre 2013, le tribunal de grande instance de Nantes qui, par jugement du 20 mars 2014, a notamment :

– autorisé le retrait de Mme [E] du GAEC de l’Équilibre à compter du 31 mars 2014,

– dit que le GAEC de l’Équilibre lui remboursera à compter du 31 mars 2014 la somme de 16’500 euros au titre de ses parts sociales,

– rejeté les demandes du GAEC de l’Équilibre et de MM. [W] et [L] au titre de la provision et de la gestion d’affaires,

– sursis à statuer sur les demandes de Mme [E] au titre des terres mises à disposition du GAEC et de la mise en cause de CER 44 dans l’attente de la décision du tribunal paritaire des baux ruraux de Nantes sur la demande du GAEC tendant à voir requalifier la convention de mise à disposition des terres en bail rural.

Par jugement du 23 mai 2016, le tribunal paritaire des baux ruraux de Nantes a rejeté la demande de qualification de la mise à disposition des terres en bail rural. Cependant, par arrêt du 1er mars 2018, la cour d’appel de Rennes a infirmé ce jugement et, statuant à nouveau, a dit qu’il existe un bail rural entre le GAEC de l’Équilibre et les consorts [E] ayant commencé à courir le 5 mars 2010 portant sur une surface totale de 54ha 21a et 47ca sur les communes de [Localité 14] et Anetz.

Après reprise d’instance, le tribunal judiciaire de Nantes, par jugement du 8 avril 2021 assorti de l’exécution provisoire, a :

– débouté les consorts [E] de leurs demandes à l’encontre de l’association de gestion et de comptabilité CER France Loire Atlantique,

– fixé au passif du GAEC de l’Équilibre, de M. [L], et M. [W] la somme de 49’500’euros au titre de la cession des biens immobiliers agricoles,

– dit que, compte tenu du jugement ayant arrêté le plan de sauvegarde, le GAEC devra régler, sur ces sommes versées, 6/15e des sommes à Mme [E],

– débouté les consorts [E] du surplus de leurs demandes,

– débouté les parties de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné les consorts [E] aux dépens.

Par déclaration du 25 mai 2021, les consorts [E] ont interjeté appel de cette décision.

Aux termes de leurs dernières conclusions (3 février 2023, Mme [V] [F] veuve [E], M. [O] [E], Mme [C] [E] et Mme [Y] [E] demandent à la cour de’:

– infirmer et reformer le jugement du tribunal judiciaire de Nantes en date du 8 avril 2021 en ce qu’il :

– les a déboutés de leurs demandes à l’encontre de l’association de gestion et de comptabilité CER France Loire Atlantique,

– a fixé au passif du GAEC de l’Équilibre, de M. [O] [L] et M. [R] [W] la somme de 49’500’euros au titre de la cession des biens immobiliers agricoles,

– a dit que, compte tenu du jugement, ayant arrêté le plan de sauvegarde, le GAEC de l’Équilibre devra régler, sur ces sommes versées, 6/15e des sommes à Mme'[V] [E],

– les a déboutés du surplus de leurs demandes et débouté les parties de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– les a condamnés avec autorisation donnée à la SCP Ouest avocats conseils et à Me'[A] [I] de recouvrer directement ceux des dépens dont ils auront fait l’avance conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile

en conséquence, à titre principal :

– dire et juger que le Cerfrance 44 a engagé sa responsabilité civile contractuelle dans la mise en place des actes de cession de Mme [E] au bénéfice de MM. [L] et [W] et du GAEC de l’Équilibre,

– condamner le Cerfrance 44 à indemniser les préjudices subis par Mme [E] et, en conséquence ,condamner le Cerfrance 44 à verser à Mme [E] les sommes suivantes :

– 49’500 euros au titre du solde de la cession,

– 10’000 euros au titre du fermage impayé,

– 56’144 euros au titre des cotisations MSA versées par Mme [E],

– 38’196 euros au titre des rémunérations,

– 12’000 euros au titre des animaux omis dans l’acte de cession,

– 10’000 euros au titre des frais de procédure engagée pour la requalification de la convention,

– 31’156,08 euros au titre de l’impact sur la retraite de Mme [E],

– pour mémoire au titre de la perte de valeur vénale des parcelles,

– assortir la somme totale de 165’840 euros des intérêts au taux légal à compter du 16 mars 2011 avec capitalisation des intérêts,

– assortir la somme de 41’156,08 euros des intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir,

– fixer au passif du GAEC de l’Équilibre, de MM. [L] et [W], les sommes suivantes :

– au titre de la cession des biens immobiliers agricoles suite à l’intégration de Mme'[E] : 49’500 euros,

– au titre des rémunérations dues à Mme [E] non versées : 3 ans x 1 000 euros/mois = 36’000 euros et 3 ans x 61 euros/mois = 2’196 euros,

– au titre des cotisations sociales MSA versées par Mme [E] : 56’144’euros,

– au titre des dommages et intérêts pour exécution fautive, contrat d’association : 20’000’euros,

– condamner, compte tenu du jugement ayant arrêté le plan de sauvegarde, l’EARL de l’Équilibre à verser à Mme [E] :

– immédiatement 6/15e des sommes fixées au passif,

– chaque année à la date anniversaire du 28 juillet et ce à compter de 2022, à verser 1/15e des sommes fixées au passif et ce jusqu’à règlement intégral,

– le tout sous réserve de modification de la durée du plan,

– dire que le Cerfrance 44 sera subrogé à Mme [E] dans le cadre des échéances de plan qui seront réglées par l’EARL de l’Équilibre sur des préjudices pour lesquels le Cerfrance aura été condamné si ces sommes font l’objet d’une fixation au passif de l’EARL, par le biais d’une cession de créance,

à titre subsidiaire :

– condamner le Cerfrance à régler à Mme [E] les intérêts au taux légal avec capitalisation des intérêts jusqu’au règlement définitif de :

– la créance de fermage déclarée au passif par l’EARL de l’Équilibre à hauteur de 10’000’euros,

– la créance correspondant au solde des biens immobiliers agricoles suite à l’intégration de Mme [E] à hauteur de 49’500 euros,

– la créance due au titre des rémunérations dues à Mme [E] non versées à hauteur de 38’196 euros,

– la créance des cotisations sociales de la mutualité sociale agricole versées par Mme'[E] à hauteur de 56’144 euros,

en toute hypothèse :

– dire que l’arrêt à intervenir sera opposable à Me [B] es qualité de commissaire l’exécution du plan de l’EARL de l’Équilibre,

– débouter l’EARL de l’Équilibre, MM. [L] et [W] et le Cerfrance de l’intégralité de leurs demandes,

– statuer ce que de droit quant aux rapports entre coobligés,

– condamner en toute hypothèse tout succombant à leur verser la somme de 20’000’euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Les consorts [E] sollicitent la confirmation du jugement en ce qu’il a retenu que l’association CER44, intervenue à la limite du conflit d’intérêt, avait commis une faute caractérisée par un manquement aux devoirs de conseil, d’information et de mise en garde qui lui incombait, faute d’avoir insuffisamment accompagné Mme'[E] dans le cadre de l’opération de cession, privilégiant les intérêts du GAEC. Selon eux, dès le rapprochement entre cette structure et Mme'[E], toutes les parties impliquées avaient connaissance du fait que cette dernière ne participerait pas à l’exploitation agricole. Ils précisent que son intégration permettait seulement de réaliser la mise en ‘uvre de l’opération, ce dont le CER44 était informé malgré les indications contraires dans les statuts, ce afin de satisfaire les exigences de la réglementation et de l’administration. Ils estiment que l’association CER44 a manqué à ses obligations en mettant en place des actes juridiques correspondant exclusivement aux intérêts du GAEC sans informer Mme'[E] des conséquences du montage et des risques qu’elle prenait. Ils affirment encore qu’elle a commis une faute en ne l’informant pas non plus de la situation économique fragile du GAEC dont elle avait pourtant connaissance.

Ils font valoir que ces manquements sont la cause directe du préjudice caractérisé par la perte de chance pour eux, s’ils avaient eu connaissance des risques du montage et de la situation financière du GAEC, de procéder à d’autres opérations plus rentables comme faire appel à une entreprise de travaux agricoles ou un salarié agricole, ou encore une association dans une société agricole dont les conditions auraient été clairement déterminées.

Ils détaillent les préjudices de Mme [E] dont ils demandent réparation à l’association CER 44 au titre de la perte de chance.

Ils contestent également le refus de fixation, à l’égard du GAEC, devenu EARL de l’Équilibre, notamment de la somme demandée au titre des rémunérations dues à Mme [E], refus motivé par son défaut de participation à l’exploitation. Or, ils font valoir que ce défaut de participation était prévu par les parties et expressément voulu par les associés du GAEC, et que la décision de se maintenir sous cette forme, qui emportait l’impossibilité pour Mme [E] d’exercer une activité professionnelle, justifiait la demande.

Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées le 12 janvier 2022, l’Association de Gestion et de Comptabilité CerFrance de Loire Atlantique – CER France demande à la cour de :

à titre principal, confirmant le jugement en ce qu’il a débouté les consorts [E] de leurs demandes à son encontre :

– constater l’absence de tout manquement par la concluante à son devoir de conseil,

– constater en tout état de cause l’absence de tout lien de causalité entre la faute reprochée et le préjudice allégué,

– dire et juger que le préjudice invoqué est inconsistant, pour n’être ni certain ni actuel,

– déclarer la demande nouvelle présentée pour la première fois en cause d’appel et comme telle irrecevable, tendant à « l’incidence sur la retraite de Mme [E] » irrecevable,

– débouter par conséquent les consorts [E] de l’ensemble de leurs demandes et réclamations,

subsidiairement :

– les réduire de manière drastique,

en tout état de cause :

– analyser l’éventuelle responsabilité de l’expert-comptable sous l’angle de la perte de chance,

– allouer à Me Jean-René Kerloc’h le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

L’association de Gestion et de Comptabilité de Loire Atlantique (ci-après CerFrance 44 / Cer 44) soutient que la cession de l’exploitation sans perte de possibilité pour Mme [E] de céder ses droits à primes au maintien de troupeau de vaches allaitantes (PMTVA) n’était possible qu’à la condition d’être faite à un exploitant agricole souhaitant acquérir l’intégralité de son exploitation, ce que seul le GAEC de l’Équilibre avait proposé. Selon elle, si un montage différent avait été réalisé, les PMTVA auraient été perdues et le prix total aurait été inférieur. Elle estime ainsi avoir respecté son devoir de conseil, qui doit être apprécié au regard du but poursuivi et des exigences des parties, en réalisant un montage conforme aux réglementations et aux attentes de ces dernières, et qui a été le seul retenu par l’Administration.

S’agissant de la situation financière du GAEC, elle fait valoir que Mme [E] a été informée, au plus tard, le 1er décembre 2009, du retrait de l’un des associés initiaux, et que les autres causes des difficultés étaient extrinsèques donc non prévisibles au moment de la rédaction des actes.

Elle ajoute que les consorts [E] ne démontrent aucune perte de chance de réaliser une opération plus avantageuse avec un autre acquéreur, ni de lien de causalité entre les préjudices allégués et les prétendues fautes. Elle fait, en tout état de cause, valoir que la réparation d’une perte de chance ne peut être équivalente à la totalité de la chance perdue, comme le demandent les consorts [E].

Par ordonnance du 15 mars 2022, le conseiller de la mise en état a constaté l’irrecevabilité des conclusions déposées le 25 novembre 2021 par M. [R] [W], M. [O] [L] et l’EARL de l’Équilibre.

Me [B], commissaire à l’exécution du plan de continuation du GAEC L’Équilibre, assigné en intervention forcée par acte délivré à personne morale le 23 mars 2022, n’a pas constitué avocat ni a fortiori conclu.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 21 février 2022.

SUR CE, LA COUR’:

Sur les fautes reprochées à l’association Cer 44′:

Bien que les parties n’aient pas jugé utile de verser aux débats la totalité des lettres de mission de l’association Cer 44, il n’est pas contesté que cette dernière était, depuis plusieurs années, le centre de gestion et le conseiller juridique tant de M.'[E] (dont elle a préparé le dossier de départ en retraite ainsi que les actes de transfert de l’exploitation à Mme [E] y compris la demande de cession de droits à primes (PMTVA) signée le 15 avril 2009, cf. rapport [K] pages 13 et 22) que du GAEC de l’Équilibre.

Elle a notamment assisté (cf. la lettre de mission intitulée «’plan de développement d’exploitation’» en date du 8’septembre 2009 comportant trois modules’: «’module économique’», «’module PDE’», «’module juridique’») le GAEC lors de l’instruction par l’administration, dans le cadre du contrôle des structures, de la demande de reprise de l’exploitation [E] puis a été la rédactrice de l’ensemble des actes du 5 mars 2010 concrétisant cette reprise (acte de cession des éléments mobiliers de l’exploitation des époux [E] au GAEC, convention de mise à la disposition du GAEC des terres appartenant aux époux [E], modification des statuts du groupement et rédaction d’un nouveau règlement intérieur, convention de mise à disposition de 54ha 21a 47ca moyennant le prix de 10’000 euros par an).

L’association a parallèlement conseillé Mme [E] dans le cadre de cette reprise ainsi qu’il résulte des factures de prestation de services (intitulées «’intervention’» et «’conseil juridique’») en date des 3 février et 9 mars 2010 (pièces 38-1 et 38-4 des appelants).

Il en résulte que l’association Cer 44 est intervenue aux côtés des époux [E] aussi bien lors de la transmission de l’exploitation à l’épouse que lors de sa reprise par le GAEC avec l’intégration de Mme [E] au sein de la structure.

Il sera précisé que l’expert comptable (ce qu’est l’association Cer 44) est tenu, conformément au droit commun de la responsabilité civile (en l’espèce les articles 1134 et 1147 anciens du code civil, en considération de la date de son intervention dans ce dossier), à l’égard de ses clients d’un devoir d’information et de conseil. Etant le conseil des deux parties, il doit être d’autant plus vigilant et prudent quant à l’exercice de ce devoir.

En outre, lorsqu’il accepte, dans l’exercice de ses activités juridiques accessoires, d’établir un acte, l’expert comptable est tenu, en sa qualité de rédacteur, non seulement d’informer et d’éclairer de manière complète les parties sur les effets et la portée de l’opération projetée, mais encore d’en assurer l’efficacité.

En l’espèce, il convient de rappeler que dès le début de l’année 2009, avant même de prendre sa retraite mais compte tenu de l’aggravation de son état de santé, M. [E] a cherché à céder son exploitation à un jeune agriculteur, M. [T] [S] (cf. rapport d’expertise page 13) mais toutefois sans que les négociations entreprises n’aient pu aboutir.

La transmission de l’exploitation familiale à l’épouse s’est faite dans l’urgence, courant avril 2009, alors que M. [E] était contraint, du fait de la détérioration de son état, de prendre, par anticipation, sa retraite. Cette transmission a donné lieu, le 15 avril, à une demande, validée par l’administration en juillet 2009, de transfert des droits à primes (PMTVA ‘ cf supra) à Mme'[E], nouvelle chef d’exploitation, mais dont l’expert note dans son rapport qu’elle lui a «’paru très éloignée des considérations techniques, économiques, financières et juridiques des entreprises’» et qu’il n’a jamais eu la moindre précision sur son cursus si ce n’est avoir été déclarée en tant que conjointe collaboratrice de son mari.

La seule justification de cette transmission est liée à la volonté de maintenir provisoirement l’exploitation dans la seule perspective de sa cession. Il apparaît évident qu’à ce stade, les époux [E] n’ont sans doute pas mesuré, manifestement faute d’avoir été correctement informés par l’association CER 44 qui les a accompagnés dans cette démarche, de l’obligation qu’impliquait le transfert des droits à primes (engagement d’exploiter personnellement pendant trois ans).

Des négociations ont aussitôt (dès le mois de mai 2009) été entreprises avec le GAEC de l’Équilibre, dont le siège est situé dans la même commune, lesquelles ont donné lieu dès le 2 juin suivant à la signature par M. [E], d’une part, et les associés (et futur associé pour l’un d’entre eux) du GAEC, d’autre part, d’un document qui ne prévoyait nullement l’intégration de Mme [E] au sein de cette structure. Ce document intitulé «’Reprise de l’exploitation des [Localité 19]’» (exploitation de M. [E]) comporte les propositions du cédant, celles des repreneurs ainsi qu’un calendrier de mise en ‘uvre. Élaboré directement par les parties hors la présence du centre de gestion, il a servi de cadre à ce dernier.

Il n’est pas inutile de rappeler, à ce stade, que la proposition de M. [E] était la suivante’: arrêt d’activité (son épouse était alors exploitante) au plus tard le 1er novembre 2009, prix du cheptel’: 157’000 euros, bâtiments libres, vidés, sans animaux à compter du 1er mai 2010, prix du matériel’: 86’000 euros, foncier à [U] (fermage)’: 140 euros/ha, foin à faire à moitié.

La nécessité de l’intégration de Mme [E] au sein du GAEC (pour permettre le transfert des droits à primes) n’a manifestement été appréhendée par les parties qu’ultérieurement lors de la finalisation du dossier, par l’association Cer 44, afin de le soumettre, en septembre 2009, à la Commission départementale d’orientation agricole.

Cette commission a été saisie le 3 septembre 2009 par le GAEC et a rendu, après réunion de conciliation menée par l’ODASEA (chambre d’agriculture) qui a constaté que les autres demandes de reprise n’étaient que très partielles et ne tendait qu’à conforter des exploitations existantes, un avis favorable au dossier présenté part le GAEC, qui intégrait un jeune agriculteur, le 24 novembre suivant.

Un arrêté préfectoral signé le 1er décembre 2009 a autorisé le GAEC à exploiter les 165,17’ha de terres précédemment mises en valeur par Mme [E], mais a conditionné cette autorisation aux deux conditions suivantes :

– l’entrée et le maintien de Mme [E] en tant qu’associée exploitante à titre exclusif et participant quotidiennement aux travaux de l’exploitation pendant trois ans à compter de l’arrêté,

– l’installation effective avec les aides nationales de M. [Z] [G] dans un délai d’un an à compter de l’arrêté.

Il ressort du rapport de M. [K], expert judiciaire désigné en référé, que’:

– l’exploitation des époux [E] était une exploitation d’élevage extensif (vaches allaitantes / broutards) parfaitement saine avec des résultats économiques et financiers très favorables (malgré un léger fléchissement des résultats financiers en 2008/2009 sans doute en lien avec la maladie de M. [E]) et un endettement faible,

– le GAEC présentait, malgré un fléchissement de la production vendue, de relativement bons résultats économiques, mais avec une structure de bilan révélant un déficit important de capitaux propres et un fonds de roulement très insuffisant au regard du besoin de fonds de roulement. Le départ, en août 2008, de l’un des associés du GAEC, M. [D] [N] (avec ses terres et ses droits à produire), a fragilisé encore davantage le groupement dont l’exploitation s’est alors trouvée déficitaire et l’endettement supérieur aux normes communément admises,

– l’association Cer 44, qui connaissait parfaitement la situation économique de ses deux clients ainsi que les contraintes administratives liées au transfert des droits, a fait preuve à l’égard de l’expert judiciaire d’une rétention manifeste d’information, refusant de communiquer les documents énoncés dans la lettre de mission du 8 septembre 2009 à savoir l’analyse globale du projet, la pré-étude économique, l’analyse de faisabilité et l’analyse des risques.

Force est de constater que ces documents (qui n’ont pas été remis aux cédants) n’ont pas davantage été communiqués lors de la procédure devant le tribunal et ne le sont toujours pas devant la cour ce qui permet de s’interroger légitimement sur l’effectivité du devoir de conseil de l’association à l’égard des époux [E] (l’expert note, en pages 22 et 23 de son rapport’: «’il se pourrait que les difficultés financières du GAEC et les risques de l’opération n’aient pas été évoqués volontairement ou non, au cours des entretiens préalables éventuels aux actes, si Mme [E] n’a pas posé de questions à ce sujet’»), ce malgré la prestation qui leur a été facturée mais qui n’a curieusement donné lieu à aucun document ni compte rendu…

L’expert estime qu’il existait un risque potentiel réel (page 20 de son rapport) et qu’à la date du 5 mars 2010, les difficultés du GAEC devaient être connues ou du moins présumées depuis plusieurs mois compte tenu de la situation arrêtée au 31 mars 2009.

M. [K] relève également que, compte tenu des contraintes administratives propres aux transferts de droits à primes (ou à produire), le projet initial de cession pure et simple a dû être transformé en une association dans le GAEC pour une période transitoire de trois ans.

Il précise que «’le CER 44, maître d”uvre des opérations a réalisé toutes les démarches et formalités en faisant signer les intéressés sans que ces derniers ne comprennent tous les éléments, nuances ou difficultés de l’opération. Il s’avère que le montage effectué par le CER permettait de satisfaire aux exigences de l’administration et globalement aux accords initiaux entre les parties’».

Il note que deux difficultés ont compliqué la situation, d’une part, le report d’obtention des délais du prêt bancaire au jeune agriculteur du fait de l’obtention plus tardive de son diplôme alors que ce prêt devait financer le solde du prix d’acquisition du matériel (49’500 euros) et, d’autre part, «’le manque de communication, la rétention d’information de part et d’autre et surtout le manque d’explication et de pédagogie du CER 44 à qui il incombait d’expliciter les actes et démarches entreprises pour le compte de ses clients’». L’expert observe, à cet égard, qu’il est très surprenant que les actes de cession des biens mobiliers confectionnés par le CER 44 prévoyant des payements à terme dépendants de prêts aléatoires ne comportaient pas de clauses de sûretés réelles au profit du cédant telle que clause de réserve de propriété ou warrants agricoles, ce d’autant qu’il s’agit de garanties efficaces et gratuites.

En l’état de ces éléments, c’est à juste titre que le tribunal a considéré par des motifs pertinents que l’association CER 44, expert comptable, avait commis à l’égard de ses clients, les époux [E], une faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle en s’étant abstenue de les informer précisément sur la situation économique et financière réelle du GAEC et les risques encourus, situation et risques qu’elle connaissait parfaitement en l’état des études qu’elle avait effectuées, et plus particulièrement celle sur l’analyse des risques, études qu’elle a refusé de communiquer.

Les consorts [E] reprochent également à l’expert comptable le montage juridique qu’il a mis en place pour que la cession de l’exploitation puisse être validée par l’administration sans perte des droits à produire. Il sera rappelé qu’à l’origine, il n’était question que d’une cession pure et simple des cheptels mort et vif et d’une location au GAEC (ou à ses associés ‘) du foncier des époux [E] au prix ‘ sur lequel les parties s’étaient accordées ‘ de 140 euros/ha. Or, cette cession n’avait de sens pour le GAEC que s’il récupérait les droits à primes de Mme [E] (en l’espèce la PMTVA aux fins de conversion ultérieure en quotas laitiers, ce qui est devenu effectif par décision du 14 décembre 2011 attribuant au GAEC un quota de 485’525’litres de lait en échange de 112,5 droits vaches allaitantes, pièces n° 35, 36 et 55 des appelants) laquelle avait, de son côté, pris, pour les conserver, l’engagement, sans à l’évidence en mesurer toute la portée, d’exploiter personnellement pendant trois ans. L’association CER 44 rappelle que la seule façon de concilier ces impératifs était de prévoir que Mme [E], chef d’exploitation, intègre le GAEC en qualité d’associée bien qu’il n’ait jamais été question, pour les uns comme pour les autres, qu’elle y travaille, ce qui est totalement antinomique avec cette forme de structure.

Si ce montage est donc, dans son principe, critiquable au regard des intentions des parties quant à l’investissement de Mme [E], il s’agissait, comme le rappelle l’association CER 44, de permettre le transfert des droits à primes (qui n’étaient pas négociables) ce sur quoi celles-ci étaient d’accord, alors au surplus que Mme'[E] devait également y trouver un avantage ‘ non envisagé en juin 2009 ‘ en percevant un revenu et en bénéficiant d’une prise en charge de cotisations sociales (et les avantages qui devaient en résulter notamment quant au montant de sa retraite).

En prêtant, ainsi et en connaissance de cause, son concours à un montage qui tend en fait à contourner les dispositions applicables, a fortiori sans mettre suffisamment en garde ses clients, l’intimé a également commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

Sur le préjudice et le lien de causalité’:

La demande indemnitaire des consorts [E] est fondée sur la perte de chance. Ils soutiennent, à titre principal, que mieux conseillés, ils auraient pu trouver une autre solution que l’intégration de l’exploitation familiale au sein du GAEC de l’Équilibre.

S’ils évoquent notamment le recours à une entreprise de travaux agricoles, à l’emploi d’un salarié ou encore à une association au sein d’une société agricole, les éléments du dossier, rappelés ci-dessus, démontrent qu’il ne s’agit nullement d’hypothèses concrètes et sérieuses, leur intention ayant été de céder leur exploitation au plus vite et dans les meilleures conditions possibles en raison de la situation déjà exposée.

La seule justification de la transmission à l’épouse, cohérente avec cet objectif, est liée à la volonté de maintenir provisoirement l’exploitation dans la seule perspective de sa cession. S’il apparaît évident qu’à ce stade, les époux [E] n’avaient pas pris conscience, faute d’avoir été correctement informés par le CER 44 qui les a accompagnés dans la démarche, de l’obligation qu’impliquait le transfert des droits à la PMTVA (engagement d’exploiter personnellement pendant trois ans), les appelants n’apportent strictement aucun élément de nature à justifier qu’une autre solution, a fortiori plus favorable pour eux, était rapidement envisageable, aucun autre repreneur de leur exploitation dans sa globalité ne s’étant manifesté et le projet de transmission à M. [S], initialement envisagé, ayant échoué.

Il n’est donc pas établi que le montage proposé par l’association Cer 44 ait fait perdre aux époux [E] une chance réelle et sérieuse de céder globalement leur exploitation dans de meilleures conditions.

Il sera, au surplus, observé que les consorts [E] ne chiffrent pas le préjudice qui aurait pu résulter de ce fait, Mme [E], bien que se fondant sur la perte de chance, ne sollicitant, en fait, que les sommes que reste lui devoir, selon elle, le GAEC dans le cadre de l’exécution de la cession de son exploitation.

Il convient donc d’examiner chacune de ces sommes au regard de la faute reprochée à l’association CER 44, tirée du défaut d’information sur la situation économique et financière réelle du repreneur puisque c’est cette situation qui pourrait être à l’origine du défaut de payement.

Sur la créance de 49’500 euros’:

Cette somme représente le solde du prix de cession des biens mobiliers agricoles. Ce solde devait être réglé le 15 juillet 2010 au plus tard grâce à un prêt que devait souscrire [Z] [G] lors de son intégration au sein du GAEC après l’obtention de son diplôme. Il est constant que cette intégration, prévue en juin 2010 ‘ qui devait lui permettre de souscrire le prêt nécessaire avant l’échéance convenue ‘ n’a pas eu lieu et ne semble d’ailleurs pas avoir eu lieu ultérieurement lorsque l’intéressé a obtenu son diplôme. Le prêt qu’il devait souscrire ne l’a donc pas été. Connaissant parfaitement la situation financière dans laquelle se trouvait le GAEC de l’Équilibre et l’impossibilité dans laquelle il se trouverait de régler ce montant en l’absence d’un concours bancaire, l’association CER 44 devait attirer l’attention de Mme [E] sur ce point et lui conseiller ‘ comme le relève l’expert ‘ de prévoir une garantie réelle ce qui lui aurait permis de récupérer le matériel correspondant et de le céder à un tiers. La perte de chance est, à cet égard, réelle et sérieuse et la chance perdue doit être estimée à 90 %. S’y ajouteront les intérêts puisque Mme [E] a recherché la responsabilité de l’association dès le mois d’octobre 2013, sollicitant sa condamnation, après l’avoir assignée en référé au mois d’octobre 2011.

Si l’intimée fait valoir que la créance de Mme [E] a été fixée au passif et qu’un plan (suspendu pendant la crise sanitaire) est en cours, il n’en demeure pas mois que la somme stipulée aurait dû être versée en intégralité depuis treize ans. Aucune des parties (pas même le commissaire à l’exécution du plan, pourtant assigné en intervention forcée à cette fin) n’a jugé utile d’indiquer à la cour si le GAEC avait, dans le cadre du plan, honoré une partie de cette dette fixée au passif par le jugement critiqué.

L’association Cer 44 sera de ce chef condamnée à verser à Mme [E] la somme de (49’500 *90/100 à laquelle doit être ajoutée 90 % des intérêts échus arrêtés suivant décompte des appelants au 20 août 2021 à la somme de 12 848,35 euros, soit 11 563,51 euros) 56’113,51’euros outre intérêts sur la partie en capital à compter du 21 août 2021, dont à déduire la fraction du principal correspondant aux échéances du plan qui auraient pu être perçues du GAEC en exécution du jugement critiqué.

Sur la valeur de huit veaux qui auraient été omis dans la détermination du prix de cession du cheptel’:

Mme [E] fait état de huit animaux (veaux) qui auraient été omis. L’association Cer 44 rappelle à bon droit que le cheptel a été expertisé à la demande des époux [E] avant la cession par M. [H], expert, qui a procédé à l’évaluation du troupeau en faisant application des règles d’usage qui consistent à ne pas évaluer séparément la mère et sa suite.

Si aucune des parties n’a jugé utile de produire aux débats cette évaluation (ce que la cour déplore), elle semble avoir servi de base au chiffre retenu par les parties lors de la cession. En l’état de l’absence de tout élément sérieux versé aux débats (si ce n’est une pièce manuscrite, pièce n° 47 de la requérante, dans laquelle les vaches et leur veaux sont évaluées ensemble, à un montant au demeurant supérieur à celui de la vache vide et à celui de la vache présumée pleine), cette demande ne peut qu’être rejetée.

Sur la rémunération et les cotisations MSA’:

Mme [E] ayant intégré le GAEC et étant supposée y travailler, un nouveau règlement intérieur du groupement a été arrêté aux termes duquel cette dernière a été chargée du suivi cheptel allaitant et de la gestion administrative en contrepartie d’une rémunération fixée à 1’000 euros par mois. L’article 8 dispose en outre’: «’il convient d’ajouter à cette rémunération, la quote-part de résultat de [V], correspondant à 4,5 % de la rémunération annuelle de sa participation au capital social soit 61 euros par mois ainsi que l’équivalent du montant de ses cotisations sociales annuelles’».

La demande en ce qu’elle porte sur la rémunération qui est la contrepartie d’un travail, en l’espèce inexistant (cf. compte rendu des rencontres du 18 septembre et du 3 octobre 2011, pièce n°’51 des appelants et l’arrêt de la cour d’appel de Rennes du 1er mars 2018 qui a requalifié la mise à disposition des terres en bail rural en raison de l’absence de tout travail de Mme [E] au sein de la structure), ne peut qu’être rejetée. Il en va de même du règlement des cotisations sociales, étant à cet égard précisé que le centre de gestion ne peut être garant de la bonne exécution par le contractant de son obligation.

Enfin et s’agissant de la rémunération du capital, il n’existe aucun lien de causalité avec la faute de l’expert comptable.

Les demandes de ce chef seront donc rejetées.

Sur l’incidence sur la retraite’:

Mme [E] fait valoir que si elle n’avait pas intégré le GAEC, elle aurait pu prendre sa retraite du régime général (1’298,17 euros) deux ans plus tôt, soit le 1er janvier 2011, ce qui lui a fait perdre une somme de 31’156,08 euros.

En premier lieu, cette demande qui est l’accessoire de la demande indemnitaire présentée en première instance, est recevable en application des dispositions de l’article 566 du code de procédure civile.

En second lieu, lors du départ précipité en retraite de M. [E] en raison de la dégradation de son état de santé, les époux [E] auraient alors pu décider de liquider leur exploitation en optant pour un démantèlement de celle-ci et la vente de gré à gré ou aux enchères de leurs biens mobiliers. Ils ont fait un autre choix qui a été celui de poursuivre l’exploitation familiale dans la perspective d’une cession globale, l’épouse devenant chef d’exploitation et sollicitant le transfert à son profit des droits à prime (avril 2009 / décision administrative du mois de juillet 2009 mentionnée dans le rapport d’expertise, mais non produite aux débats…) ce qui l’engageait pour trois ans (jusqu’en avril ou juillet 2012”) avant de pouvoir les transférer à nouveau ainsi que le rappelle l’expert dans son rapport.

Son intégration au sein du GAEC, validé par l’arrêté préfectoral du 1er décembre 2009, a reporté l’échéance de quelques mois puisque l’autorisation administrative a été conditionnée à l’entrée et au maintien de Mme [E] en tant qu’associée exploitant à titre exclusif et participant aux travaux de l’exploitation pendant trois ans à compter de la décision.

Il s’ensuit que la possibilité, de ce fait différée, pour Mme [E] de prendre sa retraite dès le mois de janvier 2011 résulte bien davantage de la décision prise en urgence et dans un contexte particulièrement difficile par les deux époux au mois d’avril 2009 que de son intégration au sein du GAEC qui n’en est que la conséquence indirecte, faute d’une autre option (les autres offres recueillies, sur lesquelles peu de renseignements sont fournis mais qui ont été analysées par la CDOA, ne portant en fait que sur l’attribution de terres pour conforter des exploitations existantes sans permettre l’installation d’un jeune agriculteur).

Dès lors le lien de causalité entre la faute reprochée à l’association Cer 44, portant sur une rétention d’information quant à la solvabilité du GAEC de l’Équilibre, et ce préjudice n’est pas établi.

Cette demande sera donc également rejetée.

Sur la perte de valeur vénale des parcelles’:

Cette demande ne peut qu’être rejetée étant rappelé que les époux [E] n’ont jamais envisagé de vendre leurs terres libres de toute occupation, qu’au contraire, ils ont recherché dès le mois de janvier un repreneur pour l’ensemble de leur exploitation (ce qui supposait la mise en location des terres leur appartenant), que dès le mois de juin 2009, M. [E] prévoyait de louer ses terres au GAEC de l’Équilibre ou à ses associés, moyennant un fermage de 140 euros / hectare, soit, pour les 54ha 21a 47ca de terres mis à la disposition de cette structure, une somme de 7’590,06 euros.

Il sera rappelé que dans le cadre de la mise à disposition requalifiée par la cour en bail rural (au profit du GAEC), le prix fixé s’élève à la somme de 10’000 euros par an. Il n’existe donc aucun préjudice financier de ce chef, étant observé que les terres appartenant aux époux [E] qui n’ont pas été mises à la disposition du GAEC (ceux -ci étant propriétaires en tout de plus de 70 hectares) ont été louées (EARL Poly’: 11ha 26a, EARL Les Écuries du Val de Loire / Rabu’: 12ha 37a) ainsi qu’il ressort des pièces 57 et 58 des appelants, ce qui démontre leur volonté de ne pas vendre leurs terres, mais bien de les mettre en location.

Aussi cette demande ne peut-elle qu’être rejetée.

Sur le défaut de règlement d’un fermage’:

Le défaut de payement d’une indemnité de mise à disposition requalifiée ultérieurement en fermage résulte notamment de l’ouverture de la procédure de sauvegarde faisant suite à l’assignation devant le juge des référés en payement d’une somme de plus de 107’000’euros (mise à disposition mais également solde du prix de cession du matériel, rémunérations, cotisations sociales,…) délivrée en mars 2011 par Mme [E].

Le lien de causalité entre ce défaut de payement n’est pas la conséquence de la faute reprochée à l’expert comptable mais celle du conflit qui opposait alors les parties quant à la place et à l’activité de Mme [E] au sein du groupement exacerbé par la décision de celle-ci de recouvrer judiciairement les sommes qui lui étaient dues.

Cette demande sera donc également rejetée.

Sur la fixation des créances de Mme [E] au passif de l’EARL de L’Équilibre’:

Le premier juge a fixé les créances de Mme [E] au passif de l’EARL L’Équilibre à la somme de 49’500’euros correspondant au solde du prix de cession du matériel. La décision ne fait l’objet d’aucune critique de ce chef (les conclusions de l’EARL et de MM. [L] et [W] ayant été déclarées irrecevables et ces derniers étant réputés s’approprier les motifs du jugement dont appel ainsi qu’en dispose l’article 954 dernier alinéa du code de procédure civile).

Mme [E] sollicite que soit également fixé au passif du GAEC, d’une part, le montant de sa rémunération impayée et, d’autre part, des cotisations sociales qu’elle a réglées.

Le règlement intérieur du GAEC stipulait au profit de Mme [E], d’une part, une rémunération de son travail à hauteur de 1’000’euros par mois, mais également une rémunération annuelle de sa participation au capital social (16’500 euros) correspondant à 4,5 %, soit 61 euros par mois.

À juste titre, le premier juge a tiré les conséquences du fait que Mme [E] n’ayant, comme elle l’a admis et contrairement à son obligation statutaire, pas travaillé au sein du GAEC, elle ne pouvait prétendre à une quelconque rémunération à ce titre.

En revanche, rien ne justifiait le rejet de la demande en ce qu’elle concernait la rémunération, conformément aux statuts, du capital souscrit dès lors qu’il ne s’agit pas d’une rémunération du travail mais du capital. Une somme de 2’196’euros, correspondant à trois années de rémunération telle que convenue sera donc fixée au passif, le jugement étant infirmé de ce chef.

S’agissant des cotisations sociales, il avait été convenu qu’elles seraient prises en charge par le GAEC. En contrepartie, il avait été stipulé, comme le rappelle, à juste titre Mme [E] dans l’acte de cession des biens mobiliers au GAEC que’: «’il est ici précisé que le surcoût MSA 2010-2011 relatif aux cotisations sociales estimées de Mme [E] [V] en 2012, au vu de la quote-part de résultat affectée et des prévisions de résultat, est compensée par une baisse du prix de la cession de 28’850’euros, cette diminution étant répercutée sur la valeur du cheptel défini à l’article 2 du présent acte’», ce qui signifie que la prise en charge de ses cotisations par le GAEC avait été préfinancée par Mme [E] par une remise consentie sur le prix de cession de ses biens.

Or, le GAEC ne peut à la fois refuser de régler les cotisations de son membre en arguant de l’absence de travail ‘ ce qui est légitime ‘ et conserver le montant de la remise sur le prix de vente qui avait été consentie dont l’objet était précisément de régler par compensation partie des cotisations litigieuses ‘ ce qui, en revanche, ne l’est pas.

De ce chef, une somme de 28’850 euros correspondant à la quote part des cotisations préfinancées par Mme [E] doit donc être fixée au passif du GAEC.

Mme [E] réclame enfin la fixation d’une somme de 20’000’euros à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat, cette somme incluant le montant du fermage de la première année (10 000 euros). Le premier juge a considéré que cette demande qui n’était étayée par aucune démonstration, ne pouvait qu’être rejetée. En appel, les consorts [E] précisent que cette somme comprend à hauteur 10’000’euros l’indemnité de mise à disposition, devenue fermage. Pour le surplus de cette prétention aucune explication n’est donnée. Une somme de 10’000’euros sera fixée au passif de ce chef, le surplus étant rejeté.

La somme portée au passif du GAEC de l’Équilibre sera portée à 90’546’euros.

Le GAEC de l’Equilibre devra verser à Mme [E] en conséquence de cette décision la quote-part de cette somme correspondant aux échéances échues et le surplus au fur et à mesure des échéances du plan de redressement, sauf subrogation de l’association CER 44 concernant le solde du prix de vente du matériel.

La décision de première instance sera donc infirmée en toutes ses dispositions.

Sur les dépens et les frais irrépétibles’:

Partie succombante, l’Association de Gestion et de comptabilité CerFrance Loire Atlantique supportera la charge des dépens de première instance et d’appel.

Elle devra, en outre, verser aux consorts [E] unis d’intérêts une somme de 5’000’euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS’:

Statuant par arrêt rendu publiquement et réputé contradictoire’:

Vu l’article 566 du code de procédure civile,

Déclare recevable la demande de Mme [V] [E] relative à l’incidence sur la retraite.

Infirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nantes le 8 avril 2021 en toutes ses dispositions.

Dit que l’Association de Gestion et de comptabilité CerFrance Loire Atlantique a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

Condamne l’Association de Gestion et de comptabilité CerFrance Loire Atlantique à verser à Mme'[V] [E] à titre de dommages et intérêts la somme de 56’113,51’euros outre intérêts à compter du 21 août 2021 sur la partie due en capital (44’550’euros), sous déduction de la fraction du capital correspondant aux échéances du plan qui auraient pu être perçues du GAEC en exécution du jugement critiqué.

Ordonne la capitalisation des intérêts par périodes annuelles à compter du présent arrêt.

Rejette le surplus des demandes.

Fixe au passif du GAEC de L’Équilibre la créance de Mme [E] à la somme de 90’546’euros.

Rejette le surplus des demandes.

Dit que le GAEC de l’Équilibre devra verser à Mme [E] la quote-part de cette somme correspondant aux échéances échues et le surplus au fur et à mesure des échéances à venir du plan de redressement, sauf subrogation de l’association CER 44 concernant le solde du prix de vente du matériel.

Déclare le présent arrêt opposable à Me [X] [B], commissaire à l’exécution du plan de redressement du GAEC de l’Equilibre.

Condamne l’Association de Gestion et de comptabilité CerFrance Loire Atlantique aux dépens de première instance et d’appel.

Autorise les avocats qui en ont fait la demande à recouvrer directement contre elle ceux des dépens dont ils auraient pu faire l’avance sans avoir reçu provision.

Condamne l’Association de Gestion et de comptabilité CerFrance Loire Atlantique à verser aux consorts [V], [C] et [Y] et [O] [E] une somme de 5’000’euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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