Cession de droits : 12 septembre 2023 Cour d’appel d’Angers RG n° 22/00947

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Cession de droits : 12 septembre 2023 Cour d’appel d’Angers RG n° 22/00947
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12 septembre 2023
Cour d’appel d’Angers
RG n°
22/00947

COUR D’APPEL

D’ANGERS

CHAMBRE A – CIVILE

LE/CL

ARRET N°:

AFFAIRE N° RG 22/00947 – N° Portalis DBVP-V-B7G-FAGI

Ordonnance du 24 Mai 2022

Juge de la mise en état du MANS

n° d’inscription au RG de première instance 20/01785

ARRET DU 12 SEPTEMBRE 2023

APPELANTE :

S.A.S. […]

[Adresse 7]

[Localité 10]

Représentée par Me Emilie BOURDON de la SELARL LACROIX JOUSSE BOURDON, avocat postulant au barreau du MANS – N° du dossier 2020261 et Me Massimo ARGAN, avocat plaidant au barreau de PARIS

INTIMES :

Maître [T] [M]

né le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 9] (63)

[Adresse 2]

[Localité 9]

S.E.L.A.R.L. CABINET D’AVOCATS CESI

[Adresse 2]

[Localité 8]

Représentés par Me Céline LEROUGE de la SELARL ABLC AVOCATS ASSOCIES, avocat postulant au barreau d’ANGERS – N° du dossier 2022065 et Me Eric JEANTET substiuant Me Maïté ROCHE, avocat plaidant au barreau de Lyon

Maître [Z] [H]

né le [Date naissance 5] 1953 à [Localité 9] (63)

[Adresse 2]

[Localité 9]

Représenté par Me Audrey PAPIN substituant Me Philippe LANGLOIS de la SCP ACR AVOCATS, avocat postulant au barreau d’ANGERS – N° du dossier 71220153 et Me HARDOUIN substituant Me Guillaume REGNAULT, avocat plaidant au barreau de PARIS

S.C.P. D’AVOCATS [H] – DE ROQUIGNY – CHANTELOT – BRODIEZ – GOURDON & ASSOCIES Agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette quailté audit siège

[Adresse 2]

[Localité 9]

S.A.S. SOCIETE DE […], agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette quailté audit siège

[Adresse 6]

[Localité 3]

S.A. MMA IARD agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette quailté audit siège

[Adresse 4]

[Localité 11]

S.A. MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette quailté audit siège

[Adresse 4]

[Localité 11]

Représentées par Me Audrey PAPIN substituant Me Philippe LANGLOIS de la SCP ACR AVOCATS, avocat postulant au barreau d’ANGERS – N° du dossier 71220153 et Me HARDOUIN substituant Me Guillaume REGNAULT, avocat plaidant au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue publiquement à l’audience du 03 Avril 2023 à 14H00, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme ELYAHYIOUI, vice-présidente placée qui a été préalablement entendue en son rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame MULLER, Conseillère faisant fonction de Présidente

M. WOLFF, Conseiller

Mme ELYAHYIOUI, vice-présidente placée

Greffière lors des débats : Mme TAILLEBOIS

Greffière lors du prononcé : Mme LEVEUF

ARRET : contradictoire

Prononcé publiquement le 12 septembre 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l’article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Leïla ELYAHYIOUI, vice-présidente placée, en remplacement de la présidente empêchée et par Christine LEVEUF, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

~~~~

FAITS ET PROCÉDURE

La SAS […], dont le gérant est M. [U] [K], s’est rapprochée au cours de l’été 2007 de M. et Mme [F] en vue du rachat de leurs parts sociales dans la SARL […]. A cette fin, M. [K] et les consorts [F] ont signé un acte de ‘négociation d’une cession de droits sociaux’ rédigé par Me Alain Zaninetti, avocat de M. [K].

A la suite de cette négociation, les consorts [F] ont, suivant acte notarié du 25 février 2008, cédé à la société […] la totalité de leurs actions composant le capital social de la société […], désormais société par actions simplifiée.

Au sein de cet acte, il était précisé que la société […] exploitait son activité dans des locaux pris à bail auprès de la société SCAP.

Par acte d’huissier du 22 mai 2008, le bailleur a signifié à la société […] un congé avec refus de renouvellement du bail.

Estimant que les consorts [F] lui avaient dissimulé le fait que le bail n’allait pas être renouvelé, élément pourtant essentiel, la société […], assistée de Me [Z] [H], a fait assigner M. et Mme [F] devant le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand pour obtenir réparation de leur préjudice.

Par jugement du 31 octobre 2013, cette juridiction l’a déboutée de sa demande, décision confirmée par la cour d’appel de Riom, le 20 mai 2015. La Cour de cassation, par arrêt du 20 avril 2017, a pour sa part rejeté le pourvoi formé par la société […].

Dans ces conditions et par exploits des 28 et 29 juillet 2020, la société […], recherchant la responsabilité de ses précédents conseils pour ne pas l’avoir informée du risque de non renouvellement du bail pour l’un et pour l’autre ne pas lui avoir conseillé d’agir en responsabilité contre l’avocat rédacteur d’acte, a fait assigner devant le tribunal judiciaire du Mans Me [M], la SELARL […], Me [H], la SCP [H] De Roquigny Chantelot Brodriez Gourdou, la société de […], la SA MMA IARD et la société MMA IARD Assurances Mutuelles devant le tribunal judiciaire du Mans.

Suivant ordonnance du 24 mai 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire du Mans a :

– déclaré irrecevable comme prescrite l’action de la SAS […] à l’encontre de Me [M] et de la SELARL […],

– déclaré irrecevable comme prescrite l’action de la SAS […] à l’encontre de Me [H], de la SCP [H] De Roquigny Chantelot Brodriez Gourdou et Associés, la société de […], de la SA MMA IARD et de la société MMA IARD Assurances Mutuelles,

– condamné la SAS […] aux dépens,

– condamné la SAS […] à payer à Me [H] et la SCP [H] De Roquigny Chantelot Brodriez Gourdou et Associés la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

Par déclaration déposée au greffe de la cour le 31 mai 2022, la SAS […] a interjeté appel de cette décision en son entier dispositif intimant dans ce cadre M. [M], la SELARL […], M. [H], la SCP [H] De Roquigny Chantelot Brodriez Gourdou, la SAS de […], la SA MMA IARD et la société MMA IARD Assurances Mutuelles (RG 22/947).

Suivant déclaration d’appel du 3 juin 2022, la même société a de nouveau formé appel de cette ordonnance en son entier dispositif, intimant les mêmes parties.

Ces deux procédures ont été jointes le 15 juin 2022.

L’ordonnance de clôture a été prononcée, après report, le 28 mars 2023 et l’audience de plaidoiries fixée au 3 avril de la même année, conformément aux prévisions d’un avis du 4 janvier 2023.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières écritures déposées le 20 mars 2023, la SAS […] demande à la présente juridiction de :

– déclarer recevable et fondé son appel interjeté pour la réforme de l’ordonnance rendue le 24 mai 2022 (RG 20/01785) par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire du Mans

– déclarer recevables ses demandes formées par assignations signifiées les 27, 28 et 29 juillet 2020, à l’encontre des intimés, car non prescrites,

– infirmer, ce faisant, l’ordonnance rendue le 24 mai 2022 [par le] juge de la mise en état du tribunal judiciaire du Mans (RG 20/01785) en ce qu’elle a statué qu’étaient irrecevables comme prescrites ses demandes formées contre les intimés, par assignations signifiées les 27, 28 et 29 juillet 2020,

– dire que, en conséquence, l’instance doit se poursuivre devant le premier juge tribunal judiciaire du Mans (RG 20/01785) (sic),

Et, en tant que de besoin :

– débouter la SELARL […] et Me [T] [M] ainsi que la SCP d’Avocats [H] De Roquigny Chantelot Brodriez Gourdou & Associés, Me [Z] [H], la SA MMA IARD et la MMA IARD Assurances Mutuelles de l’incident soulevé et de leur exception (sic) d’irrecevabilité pour prescription de l’action,

– condamner les intimés au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Aux termes de leurs dernières écritures déposées le 30 septembre 2022, la SELARL [Y] et Me [M] demandent à la présente juridiction de :

– confirmer l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire du Mans du 24 mai 2022 en toutes ses dispositions,

– juger irrecevable car prescrite l’action intentée par la Société […] à leur encontre,

– débouter en conséquence la Société […] de ses demandes, fins et prétentions,

– condamner la société […] au paiement d’une somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel, sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,

– condamner la société […] aux entiers dépens de première instance et d’appel, en application des dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

Aux termes de leurs dernières écritures déposées le 6 mars 2023, la SCP d’Avocats [H] De Roquigny Chantelot Brodriez Gourdou & Associés, Me [Z] [H], la SA MMA IARD, la MMA IARD Assurances Mutuelles ainsi que la Société de […] demandent à la présente juridiction de :

– confirmer l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire du Mans du 24 mai 2022

– juger irrecevable par acquisition de la prescription quinquennale l’action engagée par la société […],

– débouter la société […] de toutes ses demandes comme étant irrecevables,

Reconventionnellement :

– condamner la société […] aux entiers dépens de l’instance en application des dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile,

– condamner la société […] au paiement d’une somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 494 du Code de procédure civile, aux dernières écritures, ci-dessus mentionnées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes formées à l’encontre de l’avocat rédacteur d’acte :

En droit, l’article 2224 du Code civil dispose que : ‘Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer’.

Le premier juge rappelant que le délai de prescription de l’action en responsabilité contre l’avocat rédacteur d’acte dépendait des dispositions de l’article 2224 du Code civil a souligné que, s’il était invoqué à titre de manquement un défaut d’information du non renouvellement du bail, voire un défaut de vérification à ce titre, la connaissance de ce non renouvellement était acquise par le courrier du bailleur du 18 mars 2008, confirmé par l’acte extra-judiciaire du 22 mai de la même année. S’agissant du fait que les lieux étaient un élément essentiel de l’activité ayant contraint la demanderesse à acquérir les locaux via une SCI, élément non pris en compte dans le cadre de la négociation du prix de la cession des parts sociales, il a été souligné que cette société civile a été constituée le 26 mars 2012, de sorte que le dommage était connu. Dans ces conditions, il a été considéré qu’en agissant par exploit du 29 juillet 2020, la demanderesse était tardive.

Aux termes de ses dernières écritures, l’appelante indique que ‘le juge de la mise en état (…) a commis une erreur de base en confondant la date à laquelle est survenu l’événement préjudiciable (en l’espèce, notamment, le non-renouvellement du bail commercial) avec la date à laquelle [elle] a appris que la responsabilité du préjudice conséquent à l’événement en question est imputable aux professionnels desquels elle s’était entourée’. Ainsi elle soutient que ‘le délai de prescription ne peut courir qu’à compter de la date à laquelle [elle] a eu connaissance des fautes commises par les professionnels dont elle s’est entourée’. Ainsi, elle soutient que le point de départ du délai de prescription de la présente action ne peut être antérieur à l’arrêt de la cour d’appel de Riom, rejetant ses demandes et ‘[évoquant], pour la première fois, la responsabilité de’ son conseil. De plus, elle précise que ses demandes à l’encontre des intimés, visent ‘à faire sanctionner le fait que ces derniers ont omis d’informer leur client (…) du non-renouvellement du bail (dont ils étaient au courant ainsi que cela a été appris par la suite) et, subsidiairement, le fait qu’ils ont, tout au moins, omis d’interroger le bailleur sur la poursuite de ce même bail’. A ce titre, l’appelante souligne que ses contradicteurs avaient assisté M. [F] au cours de l’année 2000, lors du précédent renouvellement du bail commercial et avaient, dans ce cadre, été avisés qu’au terme de cette convention il n’y aurait pas de nouveau renouvellement. Elle affirme donc que cette information essentielle aurait dû être portée à sa connaissance. En tout état de cause, elle précise que, quand bien même l’avocat n’aurait pas détenu cette information, il se devait de vérifier, avant la cession, si la location pourrait se poursuivre. Ainsi, l’appelante souligne que son action n’est aucunement fondée sur le défaut de renouvellement du bail. Enfin, elle souligne d’une part que le délai de prescription a été prolongé jusqu’au 24 août 2020 en raison des difficultés liées à l’urgence sanitaire et d’autre part que par attestation du 26 février 2015, son contradicteur a soutenu que la responsabilité du préjudice qu’elle subissait incombait aux vendeurs.

Aux termes de leurs dernières écritures l’avocat rédacteur d’acte et sa société d’exercice rappellent que l’acte de vente régularisé le 25 février 2008, précisait tant le fait que le ‘bail se termine le 31 décembre 2008″, ‘qu’aucun acte de renouvellement de bail [n’avait] été régularisé entre [le preneur] et le bailleur’. Ils soutiennent donc qu’à cette date les acquéreurs ont renoncé au bénéfice de la convention régularisée courant 2007, laquelle prévoyait ‘les vendeurs devront présenter au plus tard le jour de la réalisation définitive de la cession, un bail en bon et due forme pour la période en cours’ (sic), de sorte que sa contradictrice était avisée de cette situation dès la cession (à laquelle elle aurait pu renoncer). De plus, ils soulignent que dès mars 2008, l’acquéreur a été avisé de l’absence de renouvellement du bail. Ainsi, au regard de ces éléments et de sa nécessaire connaissance de l’intervention d’un conseil au cours des négociations, la société appelante disposait de tous les éléments lui permettant d’agir au plus tard le 22 mai 2008 (acte d’huissier). Concernant la dissimulation d’information, les intimés rappellent que dès 2013, le tribunal de commerce avait écarté ces arguments, la cour d’appel n’ayant que confirmé la décision de première instance. Ils en déduisent que l’appelant a eu connaissance des éléments lui permettant d’agir à leur encontre dès 2008 voire au plus tard courant 2012 (date de l’engagement de la procédure pour dol). De plus et quand bien même les intimés observent que la jurisprudence ne reconnaît pas cette date comme le point de départ du délai de prescription de l’action en réparation, ils soulignent que la réalisation du dommage est intervenue courant 2012, période à partir de laquelle le loyer commercial supporté par l’appelante a augmenté du fait de la régularisation d’une nouvelle convention. Enfin, ils contestent la reconnaissance de responsabilité invoquée, dès lors qu’elle n’émanerait pas d’eux-mêmes mais du second avocat intimé et correspond uniquement à une déclaration de sinistre. En conséquence, ils concluent à la confirmation de la décision de première instance.

Sur ce :

En l’espèce, l’appelante soutient en substance engager la responsabilité de ses contradicteurs en raison d’un défaut d’information quant à la volonté du bailleur de ne pas renouveler le bail commercial voire pour ne pas avoir recherché de confirmation auprès de cette dernière société quant au devenir de cette convention.

Or, il doit être souligné que dès l’année 2008, l’appelante a été avisée que le bailleur ne renouvellerait pas la convention les liant.

Il en résulte que dès l’année 2008, l’appelante pouvait se convaincre du second manquement qu’elle invoque à l’encontre de l’avocat l’ayant assistée au cours des négociations de vente, dès lors qu’à cette date elle avait, sans contestation possible connaissance du positionnement du propriétaire immobilier.

Par ailleurs, s’agissant de la connaissance préalable de l’avocat du fait que le bail ne serait pas renouvelé, il doit être observé que ce dernier ne conteste aucunement avoir assisté la preneuse à bail dans le cadre du dernier renouvellement de cette convention.

Cependant la date à laquelle elle aurait été avisée de cette ‘connaissance préalable’ du positionnement de la société bailleresse, l’appelante se borne à mentionner : ‘cela a été appris par la suite’ ou ‘cela a été appris par la concluante postérieurement’.

Or il ne peut aucunement être considéré que cette information ait été révélée par la décision de la cour d’appel de Riom qui se borne à rappeler que l’acquéreur du fonds de commerce pouvait d’autant plus se montrer précautionneux qu’il était informé de l’absence de diligence aux fins de renouvellement du bail commercial dont le régime ne pouvait être ignoré et qu’il était assisté lors de ces opérations d’un conseil.

De plus, il doit être souligné qu’aux termes de la reprise des prétentions des parties, le tribunal de commerce expose, dans son jugement, que l’appelante ‘évoque un courrier du 17 février 2000 ressorti des archives de la société […], selon lequel M. [V] [[F]] déclarait avoir rencontré le bailleur en 2000 et que ce dernier aurait déclaré ne pas avoir de projet de construction avant 8 à 10 ans’.

Or force est de constater que ce ‘courrier’ (non signé et sans entête de quelque société que ce soit) est produit à la présente procédure (pièce 10 du bordereau de l’appelante). Il y est mentionné, sous la plume supposée de M. [W] [F], ‘je l’ai rencontré [le propriétaire] ; il ressort qu’il n’aurait pas de projet de construction sur le terrain avant 8 à 10 ans…… par contre il souhaite porter le loyer finalement à 80.000 F par an (au lieu de 96.000F initialement) et rédige un nouveau bail dont je vous joins une copie. (…) Je souhaite votre conseil dès que possible sur ce dossier’.

De plus ce ‘courrier’ mentionne comme destinataire ‘C.E.S. Maître [M]’.

Il résulte de ce qui précède, qu’à supposer les affirmations de l’appelante établies, elle connaissait au plus tard au jour de la clôture des débats devant la juridiction consulaire, le 5 septembre 2013, l’ensemble des éléments lui permettant d’agir en responsabilité contre son conseil, puisqu’elle déposait aux débats ce qu’elle considère désormais être la justification de la connaissance par son ancien conseil de l’imminence de la fin du bail.

Dans ces conditions en agissant par exploits du mois de juillet 2020, alors qu’elle disposait pour sa demande :

– principale d’un délai quinquennal ayant commencé à courir au plus tard le 5 septembre 2013,

– subsidiaire d’un délai identique ayant commencé à courir au jour du congé litigieux,

l’appelante ne peut qu’être considérée comme étant tardive en ses demandes et partant la décision de première instance doit être confirmée en ce qu’elle a déclaré son action irrecevable comme étant prescrite.

Sur les demandes formées à l’encontre de l’avocat plaidant :

En droit par dérogation aux dispositions de l’article 2224 du Code civil, l’article 2225 de ce même code prévoit que : ‘L’action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice, y compris à raison de la perte ou de la destruction des pièces qui leur ont été confiées, se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission’.

Le premier juge soulignant qu’il était fait grief à cet avocat de ne pas avoir conseillé à sa cliente d’entreprendre une action à l’encontre de son confrère rédacteur d’acte, a retenu que le délai de prescription applicable dépendait également des dispositions de l’article 2224 du Code civil. Il a été observé que ce second conseil avait été consulté au cours du premier semestre 2012, or à cette date, les éléments permettant d’agir contre le premier avocat étaient déjà connus de la demanderesse, de sorte que le délai de prescription de l’action en responsabilité à l’encontre du second a commencé à courir à compter de 2012, ainsi en agissant le 27 juillet 2020, la SAS est tardive, dès lors qu’un courrier adressé par l’avocat à son bâtonnier ne constitue pas une reconnaissance de responsabilité de nature à interrompre la prescription.

Aux termes de ses dernières écritures, l’appelante soutient que ‘le délai de prescription ne peut courir qu’à compter de la fin de la mission ad litem confiée à la SCP (…) et à Me (…)’. Ainsi, elle conteste l’affirmation de ses contradicteurs selon laquelle aucune mission judiciaire visant à engager la responsabilité d’un avocat leur ait été confiée. En effet, elle indique s’être adressée à ce cabinet ‘afin d’engager une procédure judiciaire visant à sauvegarder ses intérêts, dans le cadre de ce litige et faire assigner les consorts [F] qui lui avaient tus un élément décisif’ période où elle ignorait que son précédent conseil avait engagé sa propre responsabilité. De plus, elle souligne que ses contradicteurs indiquent qu’elle aurait pu agir dès 2008 et qu’une action aurait dû être engagée en 2012 et soutient donc qu’ils ‘ont sciemment omis de [la] conseiller’ en ce sens. Elle en déduit donc que l’article 2225 du Code civil doit recevoir application en l’espèce dès lors que ses contradicteurs étaient exclusivement en charge d’un mandat ad litem.

Sur le fond de l’appréciation du délai, elle précise que son assignation à l’encontre des vendeurs visait notamment à obtenir réparation de son préjudice en suite des ‘manoeuvres abusives de ces derniers’. Elle souligne qu’à cette date il ne lui a pas été conseillé d’agir contre le rédacteur, information qui ne lui a pas plus été transmise en suite de la décision de la cour d’appel de Riom remettant en cause le rôle de ce dernier. Elle en déduit donc que même à supposer que l’article 2224 du Code civil trouvait à s’appliquer, le délai de prescription ne peut avoir commencé à courir avant l’arrêt d’appel de 2015. De plus l’appelante soutient que ses contradicteurs ont reconnu leur ‘défaillance’, aux termes d’un courrier adressé à leur barreau le 21 décembre 2017.

Aux termes de leurs dernières écritures les intimés concluent à l’application des dispositions de l’article 2224 du Code civil, dès lors qu’ils n’ont pas été mandatés aux fins d’intenter une action à l’encontre de l’avocat rédacteur, mais aux fins d’action visant à sanctionner des vendeurs auteurs de manoeuvres dolosives (rétention d’information). Au surplus, ils soulignent que leur mandat portait d’autant moins sur une action en réparation à l’égard d’un conseil que leur contradictrice affirme dans le cadre de la présente procédure, qu’au jour où elle a entamé la précédente procédure judiciaire, elle ignorait les éléments lui permettant désormais de considérer que l’avocat rédacteur avait commis des fautes.

S’agissant du point de départ du délai de prescription, ils indiquent que dès la fin 2008, l’appelante disposait des éléments lui permettant d’apprécier les conditions d’engagement de la responsabilité de l’avocat rédacteur (connaissance aussi bien du non-renouvellement du bail que de la rétention d’information tant quant au positionnement du bailleur que de l’existence d’un tel risque). Dans ces conditions, les éléments permettant à l’appelante d’engager leur responsabilité étaient connus d’elle depuis 2012, date de leur saisine.

Subsidiairement, ils soutiennent que le délai de prescription ne peut avoir commencé à courir après 2013. Ainsi, ils indiquent que dès lors que la prescription de l’action à l’encontre de l’avocat précédent est intervenue courant 2013, un manquement à leur devoir de conseil ne peut leur être reproché postérieurement. En outre, ils soulignent que le délai de prescription pourrait également avoir commencé à courir à compter de la décision du tribunal de commerce de 2013, dès lors qu’il était déjà détecté un manquement à une obligation d’information et que le juge consulaire avait considéré que l’acquisition avait été faite en connaissance de cause.

En tout état de cause, les intimés soulignent que le point de départ du délai de prescription ne peut être l’arrêt d’appel de la cour de Riom, qui n’était aucunement sollicitée quant à la responsabilité des conseils intervenus au cours de la vente de sorte que la juridiction pouvait ne pas présenter la mention litigieuse, dans une telle situation et à suivre le raisonnement de leur contradictrice, le délai de prescription de la présente action n’aurait pas couru. Enfin, ils contestent avoir reconnu leur responsabilité précisant que la missive invoquée ne visait qu’à déclarer, à titre préventif, un sinistre.

Sur ce :

En l’espèce, il doit être rappelé qu’il appartient à celui qui prétend à l’existence d’une obligation de la prouver.

Ainsi l’appelante soutient avoir mandaté les intimés non pas pour agir contre les vendeurs mais, en substance, pour rechercher judiciairement tous les moyens lui permettant d’obtenir réparation du préjudice qu’elle affirme subir.

Cependant cette mission n’est pas confirmée par ses contradicteurs et elle ne produit aucune pièce établissant la réalité de ses assertions, dès lors que les factures des intimés, qu’elle produit mentionnent uniquement ‘[…] / [F]’.

Dans ces conditions, il ne peut aucunement être considéré que les intimés étaient mandatés pour rechercher toute responsabilité possible devant les juridictions judiciaires.

Ainsi les dispositions de l’article 2225 ne peuvent trouver à s’appliquer faute de justification d’un mandat de représentation judiciaire, de sorte que l’action en responsabilité engagée par l’appelante est soumise aux prévisions de l’article 2224 du Code civil.

A ce titre, elle fait grief aux intimés de ne pas lui avoir utilement conseillé d’agir en réparation contre l’avocat l’ayant assistée lors des négociations de cession.

Or, il a d’ores et déjà été mentionné ci-dessus que les éléments permettant d’engager une telle procédure étaient connus de la cessionnaire, au plus tard au jour du congé (absence de recherche du positionnement du bailleur quant à la poursuite des relations contractuelles) ou au cours de la procédure consulaire (‘préconnaissance’ par l’avocat de la volonté du bailleur de ne pas renouveler le bail). Dans ces conditions, l’appelant pouvait se convaincre de l’absence de conseil quant à une plus ample recherche de responsabilité aux fins de réparation de ses préjudices dès 2012 (date du début de l’intervention de l’avocat plaidant) pour le premier manquement invoqué à l’encontre de l’avocat rédacteur, voire 2013 pour le second grief formé.

Par ailleurs, et s’agissant du courrier adressé le 21 décembre 2017 par l’avocat plaidant à son ordre, l’intimé y mentionne uniquement : ‘Nous faisons en tant que de besoin une déclaration, consécutivement à la mise en cause de la responsabilité de notre cabinet, pour ne pas avoir mis en oeuvre la responsabilité de notre confrère (…), suite à l’arrêt négatif rendu par la Cour de cassation dans un litige opposant les consorts [F] à la société […]’, avant de reprendre brièvement les faits et la procédure suivie dans ce cadre et de conclure comme suit : ‘compte tenu des dispositions de l’arrêt du 20 mai 2015, mettant implicitement en cause l’avocat qui avait assisté M. [K] pendant toutes ses négociations, ce dernier considère que nous aurions dû dès cette date mettre en oeuvre une procédure en responsabilité. A défaut de l’engager nous-même, ce que nous n’aurions pu faire en raison des liens qui unissent la société […] à notre cabinet, recommander à l’intéressé d’exercer un tel recours par l’intermédiaire d’un autre conseil’. Il ne résulte aucunement de cette formulation que l’avocat déclarant ‘au besoin’ un sinistre auprès de son bâtonnier, reconnaisse dans ce cadre sa responsabilité voire même quelque manquement que ce soit de sa part. Ainsi, il ne peut aucunement être considéré que ce courrier emporte interruption du délai de prescription de la présente action, dès lors qu’il ne porte aucunement, au sens des dispositions de l’article 2240 du Code civil, reconnaissance par l’intimé du droit invoqué par l’appelante.

Dans ces conditions et à l’image de ce qui a été mentionné ci-avant l’action en responsabilité à l’encontre de l’avocat plaidant le dossier commercial ne peut qu’être déclarée prescrite de sorte que la décision de première instance doit être confirmée à ce titre également.

Sur les demandes accessoires :

L’appelante qui succombe doit être condamnée aux dépens.

En outre l’équité commande de la condamner, par application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, au paiement de la somme de 2.000 euros à :

– l’avocat rédacteur et sa société d’exercice,

– l’avocat plaidant, sa société d’exercice ainsi que ses assureurs.

Enfin, compte tenu de l’issue de la présente procédure, les dispositions à ce titre de la décision de première instance doivent être confirmées.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire du Mans du 24 mai 2022 ;

Y ajoutant :

CONDAMNE SAS […] au paiement à M. [T] [M], la SELARL […], de la somme totale de 2.000 euros (deux mille euros) par application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile

CONDAMNE SAS […] au paiement à M. [Z] [H], la SCP [H] De Roquigny Chantelot Brodriez Gourdou,la SA MMA IARD, la société MMA IARD Assurances Mutuelles et la société de […] de la somme totale de 2.000 euros (deux mille euros) par application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNE SAS […] aux dépens ;

ACCORDE aux conseils des parties intimées le bénéfice de l’article 699 du Code de procédure civile.

LA GREFFIERE P/LA PRESIDENTE EMPECHEE

C. LEVEUF L. ELYAHYIOUI

 


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