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18 mars 2020
Cour de cassation
Pourvoi n°
18-26.349
SOC.
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 mars 2020
Rejet non spécialement motivé
Mme FARTHOUAT-DANON, conseiller doyen
faisant fonction de président
Décision n° 10309 F
Pourvoi n° N 18-26.349
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 18 MARS 2020
La société N…, société par actions simplifiée, dont le siège est […] , a formé le pourvoi n° N 18-26.349 contre l’arrêt rendu le 24 octobre 2018 par la cour d’appel d’Amiens (5e chambre sociale prud’hommes), dans le litige l’opposant :
1°/ à M. M… F…, domicilié […] ,
2°/ à Pôle emploi Bretagne, dont le siège est […] ,
défendeurs à la cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Gilibert, conseiller, les observations écrites de la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de la société N…, de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de M. F…, après débats en l’audience publique du 11 février 2020 où étaient présents Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Gilibert, conseiller rapporteur, M. Ricour, conseiller, M. Liffran, avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu la présente décision.
1. Le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l’encontre de la décision attaquée, n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
2. En application de l’article 1014, alinéa 1er, du code de procédure civile, il n’y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce pourvoi.
EN CONSÉQUENCE, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société N… aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société N… et la condamne à payer à M. F… la somme de 3 000 euros ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mars deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE à la présente décision
Moyen produit par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la société N….
IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt infirmatif attaqué d’AVOIR dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement de M. F…, d’AVOIR condamné la société N… à lui verser les sommes de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement illégitime et 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile pour l’ensemble de la procédure, d’AVOIR condamné à verser à l’organisme concerné le montant des indemnités chômage versées à M. F… depuis son licenciement dans la limite de 3 mois de prestations, et d’AVOIR condamné la société N… aux entiers dépens d’appel
AUX MOTIFS QUE « Sur le bien fondé du licenciement : pour satisfaire à l’exigence de motivation posée par l’article L.1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement doit comporter l’énoncé de faits précis et contrôlables ; qu’aux termes de l’article L.1332-4 du code du travail aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales. Il résulte de l’article L.1235-1 du code du travail que la charge de la preuve de la cause réelle et sérieuse de licenciement n’incombe spécialement à aucune des parties. Toutefois, le doute devant bénéficier au salarié avec pour conséquence de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse, l’employeur supporte, sinon la charge, du moins le risque de la preuve. La lettre de licenciement fixe définitivement les termes du litige et lie les parties et le juge, en sorte que ce dernier ne saurait retenir à l’appui de décision des motifs non exprimés dans la lettre de notification de la rupture. Les faits invoqués comme constitutifs d’une cause réelle et sérieuse de licenciement doivent non seulement être objectivement établis mais encore imputables au salarié, à titre personnel et à raison des fonctions qui lui sont confiées par son contrat individuel de travail. En l’espèce, aux termes de la lettre de licenciement telle que reproduite ci-dessus, l’employeur reproche au salarié cinq griefs ; Sur le comportement inadapté du salarié et ses conséquences sur les membres de son équipe : au soutien du grief énoncé, l’employeur verse aux débats les attestations de Mme H… et de M. P… qui évoquent à la fois le comportement autoritaire et non professionnel de M. F… à leur égard et leur intention de démissionner. L’employeur produit également le témoignage de Mme E… et celui de M. C… qui évoque qu’à l’occasion d’une réunion organisée le 22 novembre 2013, Mme H…, Mme E… et M. P… ont fait part de leurs difficultés à travailler avec M. F…. Ces attestations sont cependant utilement contredites par les pièces produites par le salarié. M. F… observe à juste titre que l’ensemble des attestations a été établi à la même date, le 16 juillet 2014 et qu’aucun des témoins ne mentionne de faits précis, ne relate d’incident particulier. Il verse aux débats la copie de mails échangés avec Mme E… le 2 juin 2015 dont il ressort que cette dernière le remercie pour l’opportunité professionnelle offerte et les conditions de travail et précise qu’elle s’est sentie contrainte d’attester en faveur de son employeur pour conserver son emploi. Il résulte des attestations versées aux débats par M. F… qu’aucune difficulté antérieure à la période de licenciement n’a été constatée concernant ses capacités de management. Il ressort des éléments produits que M. P… a fait l’objet d’un licenciement en novembre 2014, que Mme H… a été mutée à cette même période, que le contrat de travail de M. C… a été rompu en janvier 2015 et que Mme E… a démissionné en janvier 2015. Il apparaît en outre que la filiale BioEnergia gérée par M. F… au Brésil a cessé toute activité en novembre 2014. L’ensemble de ces éléments ne permettent pas de retenir les faits reprochés au salarié comme établis avec certitude, en sorte que le doute devant lui profiter, il y a lieu de considérer ce grief comme non établi. Sur l’insubordination alléguée : Aux termes de la lettre de rupture, l’employeur reproche au salarié une insubordination consistant en un refus d’exécuter les instructions relatives à la nomination de M. C… en qualité de cogérant. Il ressort des éléments du dossier que M. C… a été recruté en janvier 2013, que sa nomination à la fonction de co gérance de la société Bio Energia au Brésil a été actée lors de la réunion des actionnaires du 1er mars 2013. Au soutien du grief allégué, l’employeur verse aux débats l’attestation de M. C… du 16 juillet 2014 qui indique que M. F… a refusé de signer et de modifier les statuts de la société afin de permettre sa désignation en qualité de co gérant. Cette attestation n’est pas corroborée par d’autres pièces. M. F… produit pour sa part divers éléments aux fins d’établir qu’il a initié la procédure d’intégration de M. C… en qualité de co gérant. Il résulte de ces éléments et plus spécifiquement des courriels échangés entre M. F… et M. T… que le salarié a, dès le mois de mars 2013, sollicité la société […] aux fins de modifier les statuts de la filiale BioEnergia aux fins de nommer M. C… co gérant, qu’il a exposé dès avril 2013 les différentes alternatives proposées par le cabinet et que M. C…, qui a été invité à valider l’organisation retenue a indiqué en septembre 2013 qu’il se positionnerait aussi rapidement que possible. Il ressort de ces éléments que le délai de mise en oeuvre de la co gérance n’est pas imputable à M. F… qui a procédé aux démarches nécessaires. Au vu de ces éléments, il y a lieu de considérer ce grief comme non établi. Sur les résultats insuffisants : L’employeur reproche au salarié un résultat insuffisant de la filiale BioEnergia pour l’année 2013. M. F… conteste cet élément, invoque une absence de défaillance de sa part et un manque de moyen mis à sa disposition par l’employeur pour atteindre les objectifs assignés. Il ressort des éléments produits que l’activité de la filiale BioEnergia au Brésil n’a débuté qu’à compter du mois de mai 2012, que l’employeur reconnaît que les résultats de l’année 2012 ne sont pas en cause mais considère que ceux de l’année 2013 sont insuffisants. L’insuffisance de résultats ne constitue pas en elle-même une cause réelle et sérieuse de licenciement. Ce n’est que dans l’hypothèse où cette insuffisance résulte d’une faute imputable au salarié ou d’une insuffisance professionnelle qu’une cause réelle et sérieuse peut être établie. En l’espèce, la lettre de licenciement n’invoque pas l’existence d’une insuffisance professionnelle ou d’un comportement fautif du salarié. En outre, l’insuffisance de résultats n’est pas établie en ce que d’une part les objectifs fixés par la société N… ne sont pas spécifiquement communiqués et que d’autre part, il ressort des pièces produites par le salarié qu’en juin 2013 il était félicité par son supérieur hiérarchique pour sa contribution positive au succès de l’activité séchage. Le salarié affirme sans être spécifiquement contredit que le 17 mai 2013 il a signé un projet avec l’Uruguay qui représentait 92% de l’objectif commercial 2013, que cette commande a été enregistrée par la filiale allemande du groupe N…, celle-ci n’ayant cependant pas honoré ultérieurement le règlement d’une commande de service interne consécutive à la signature du projet. Au vu de ces éléments, il y a lieu de considérer que ce manquement n’est pas établi. Sur les manquements dans la gestion financière des notes de frais : l’employeur reproche au salarié un manque de rigueur dans la transmission de ses notes de frais ainsi qu’un non-respect des procédures internes relatives aux frais professionnels. Le salarié invoque l’absence de moyens nécessaires mis à sa disposition pour le traitement des notes de frais et considère que l’employeur ne pouvait lui reprocher l’existence d’une demande de remboursement de frais en date des 20 et 21 décembre 2013, ces faits étant postérieurs à l’entretien préalable. Il appartient au juge d’examiner tous les griefs contenus dans la lettre de licenciement. La circonstance qu’un grief énoncé dans la lettre de licenciement n’a pas été indiqué au salarié lors de l’entretien préalable caractérise une irrégularité de forme qui n’empêche pas le juge de décider que ce grief peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement. Il n’est pas contesté en l’espèce qu’il existait au sein de l’entreprise une procédure en matière de transmission de notes de frais et que M. F… avait connaissance de cette procédure. Il ressort notamment de cette procédure que le salarié devait établir ses notes de frais au plus tard dans le mois qui suivait l’engagement des frais. Il n’est pas contesté que la transmission des notes de frais personnels de M. F… relevait de sa responsabilité. L’employeur établit avoir sollicité la communication des notes de frais de M. F… pour l’année 2012 dès le mois de janvier 2013, le salarié s’étant engagé à effectuer la démarche dans le mois, ce qu’il n’a pas fait. Il est établi que M. F… a sollicité un arriéré de note de frais au titre des années 2011, 2012 et 2013 pour un montant de plus de 33 000 euros en décembre 2013, ce qui contrevient aux règles de fonctionnement de la société. Il ne résulte pas des éléments produits que les retards dans la transmission des notes de frais, l’absence de rigueur du salarié dans ces transmissions soient en lien avec une insuffisance de personnel en ce qu’il résulte des éléments produits qu’à compter de janvier 2013, la filiale avait procédé à l’embauche de salariés et disposait d’une secrétaire à mi-temps. Au vu des éléments produits, il y a lieu de considérer ce grief comme matériellement établi et imputable à M. F…. Sur l’absence de justification de la somme de 8 500 euros : Il ressort de la lecture de la lettre de licenciement telle que reproduite ci-dessus que l’employeur reproche au salarié de ne pas avoir justifié de l’utilisation de la somme de 8 500 euros versée sur son compte professionnel pour le démarrage de la filiale BioEnergia. Il n’est pas reproché au salarié un détournement de cette somme mais une absence de justification des dépenses engagées. Il ressort des éléments du dossier que M. F… n’a pas produit de justificatifs d’engagement des dépenses effectuées. En conséquence, il y a lieu de considérer ce grief comme matériellement établi et imputable à M. F…. Il ressort de l’ensemble de ces éléments que seuls deux griefs sont matériellement établis et imputables au salarié. Bien qu’établis, ces faits invoqués dans la lettre de notification de la rupture n’ont cependant pas revêtu un caractère de gravité suffisant pour justifier une sanction aussi sévère qu’un licenciement à l’égard d’un salarié présent à l’effectif depuis plus de cinq années, n’ayant jamais démérité auparavant, n’ayant jamais été préalablement sanctionné en raison de son comportement au travail et s’étant particulièrement investi dans la création de la filière de la société au Brésil. En conséquence, par infirmation du jugement entrepris, le licenciement de M. F… sera jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le licenciement étant injustifié, M. F… peut par conséquent prétendre, non seulement aux indemnités de rupture mais également à des dommages et intérêts à raison de l’absence de cause réelle et sérieuse de licenciement. Justifiant d’une ancienneté supérieure à deux ans dans une entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, le salarié peut prétendre à l’indemnisation de l’absence de cause réelle et sérieuse sur le fondement de l’article L.1235-3 du code du travail. En considération de sa situation particulière et eu égard notamment à son âge, à l’ancienneté de ses services, à sa formation et à ses capacités à retrouver un nouvel emploi, la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer la réparation qui lui est due à la somme qui sera indiquée au dispositif de l’arrêt. Le salarié ayant plus de deux ans d’ancienneté et l’entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, il convient de faire application des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail et d’ordonner à l’employeur de rembourser à l’antenne Pôle Emploi concernée les indemnités de chômage versées à l’intéressé depuis son licenciement dans la limite de trois mois de prestations » ;
1. ALORS QUE l’insuffisance de résultats est une cause réelle et sérieuse de licenciement lorsqu’elle est imputable au salarié ; qu’en l’espèce, afin d’établir l’insuffisance de résultats et la défaillance de M. F… dans l’exercice de ses fonctions, l’employeur soulignait qu’il résultait d’un courriel de M. T… du 13 novembre 2013 que le budget établi pour 2014 par M. F… n’était pas satisfaisant, notamment les lignes de coût budgétaire et le chiffre d’affaires manquant pour 2014, du fait d’une liste de projets réduite, et qu’il ressortait de sa réponse du 14 novembre 2013 que M. F… considérait la société N… Bioenergia comme un centre de coûts et qu’il ne s’était pas inquiété de trouver un équilibre budgétaire entre les coûts et les produits de la société Bioenergia ce qui avait conduit cette société à une situation financière déficitaire (conclusions d’appel de la société N…, p. 11-12 ; +prod. 5) ; qu’en s’abstenant de s’expliquer sur ce point, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1235-1 du code du travail ;
2. ALORS QUE l’employeur peut invoquer devant le juge toutes les circonstances de fait permettant d’établir que l’insuffisance de résultats visée dans la lettre de licenciement est imputable au salarié ; qu’en retenant à l’appui de sa décision que la lettre de licenciement, visant une insuffisance de résultats, n’invoquait pas l’existence d’une insuffisance professionnelle ou d’un comportement fautif, la cour d’appel a statué par un motif inopérant et privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1232-6 et L. 1235-1 du code du travail ;
3. ALORS en tout état de cause QUE constitue une faute justifiant le licenciement le fait, pour un cadre dirigeant d’une filiale, de ne pas justifier des dépenses qu’il a engagées pour le compte de l’employeur, en violation des règles internes à l’entreprise ; qu’en l’espèce, il résulte de l’arrêt que le salarié, directeur de la filiale brésilienne de la société N…, avait tardé près d’un an, malgré les demandes répétées de l’employeur, à communiquer ses notes de frais pour 2012 et sollicité un arriéré de note de frais au titre des années 2011, 2012 et 2013 pour un montant de plus de 33 000 euros en décembre 2013 en violation des règles de fonctionnement de la société, et qu’il n’avait enfin pas davantage produit de justificatifs d’engagement des dépenses effectuées avec la somme de 8 500 euros versée sur son compte professionnel pour le démarrage de la filiale ; qu’en jugeant que ces faits n’avaient pas un caractère de gravité suffisant pour justifier un licenciement au prétexte inopérant que le salarié était présent à l’effectif depuis plus de cinq années, n’avait jamais démérité auparavant et jamais été sanctionné en raison de son comportement au travail et s’était particulièrement investi dans la création de la filière de la société au Brésil, la cour d’appel a violé l’article L. 1235-1 du code du travail.