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20 mai 2020
Cour d’appel de Paris
RG n°
17/08622
Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 9
ARRET DU 20 MAI 2020
(n° , pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 17/08622 – N° Portalis 35L7-V-B7B-B3TEP
Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Juin 2017 -Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de PARIS – RG n° F13/17340
APPELANTE
SAS COMPTOIR DES COTONNIERS
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Romain ZANNOU, avocat au barreau de PARIS, toque : A0113
INTIMÉE
Madame [S] [E]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Slim JEMLI, avocat au barreau de PARIS, toque : R131
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 Février 2020, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Sévrine TECHER, vice-présidente placée, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Mme Françoise SALOMON, présidente de chambre
Mme Graziella HAUDUIN, présidente de chambre
Mme Séverine TECHER, vice-présidente placée
Greffier : Mme Anouk ESTAVIANNE, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
– signé par Madame Françoise SALOMON, présidente et par Madame Anouk ESTAVIANNE, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Mme [S] [E] a été engagée par la SAS Comptoir des cotonniers suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 3 novembre 2009, en qualité de vendeuse.
Elle est par la suite devenue responsable de boutique.
Après avoir été convoquée le 26 avril 2013 à un entretien préalable devant se tenir le 14 mai suivant, Mme [E] a été licenciée pour cause réelle et sérieuse par lettre du 17 mai 2013.
L’entreprise employait habituellement au moins onze salariés lors de la rupture de la relation contractuelle.
Contestant le bien-fondé de son licenciement, Mme [E] a saisi, le 3 décembre 2013, le conseil de prud’hommes de Paris qui, par jugement rendu le 2 juin 2017, auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a :
– condamné l’employeur à payer à la salariée les sommes de 32 400 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, avec intérêts au taux légal,
– fait application de l’article L. 1235-4 du code du travail, à hauteur de six mois,
– ordonné l’exécution provisoire,
– rejeté le surplus des demandes de la salariée,
– et condamné l’employeur aux dépens.
Le 20 juin 2017, la société Comptoir des cotonniers a interjeté appel du jugement.
Par conclusions transmises le 20 septembre 2017 par voie électronique, auxquelles il est expressément fait référence, la société Comptoir des cotonniers sollicite la confirmation du jugement en son rejet des demandes de nullité du licenciement et de dommages-intérêts pour préjudice moral, son infirmation pour le surplus et la condamnation de l’intimée à lui payer la somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance du 16 janvier 2019, le conseiller de la mise en état a déclaré les conclusions de l’intimée transmises le 17 décembre 2017 irrecevables.
La clôture de l’instruction est intervenue le 28 janvier 2020 et l’affaire a été plaidée le 11 février 2020.
MOTIFS
Sur la rupture du contrat de travail
La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, énonce les faits suivants :
‘(…) nous avons décidé de vous licencier pour le motif suivant : votre attitude désinvolte et désobligeante vis-à-vis de la clientèle et de votre équipe, le non-respect des procédures internes et vos retards perturbent le bon fonctionnement de la boutique à laquelle vous êtes affectée, et ne nous permet pas d’envisager votre maintien dans nos effectifs.
* En premier lieu, nous déplorons le fait que vous ne respectiez pas les procédures internes applicables dans l’entreprise.
En effet, il a été constaté que la procédure d’embauche d’un salarié de votre équipe, [R] [X], n’a pas été respectée.
Ce salarié a commencé à travailler dès le 11 mars 2013. Ce n’est que le 20 mars 2013, soit 10 jours après l’arrivée du salarié sur votre point de vente, que la gestionnaire de paie a reçu le dossier de ce salarié.
Contrairement à la procédure en vigueur, vous n’avez jamais informé la gestionnaire de paie de cette embauche afin qu’elle établisse le contrat de travail du salarié en vue de sa signature le premier jour de travail du salarié concerné.
Outre cet élément, vous n’avez pas adressé tous les éléments nécessaires à la création d’un nouveau dossier de salarié : il manquait notamment la fiche de demande de validation de l’embauche.
Le 21 mars 2013, vous étiez à nouveau relancée par la gestionnaire de paie puisque vous ne lui avez pas non plus adressé le justificatif de transport à jour du salarié concerné ainsi que les documents relatifs à la mutuelle obligatoire de l’entreprise.
En votre qualité de Responsable de Boutique, vous êtes garante de l’embauche des membres de votre équipe. Dans ce cadre, vous ne pouvez ignorer que la procédure d’embauche est absolument indispensable pour le bon fonctionnement de l’entreprise. Le non-respect de cette procédure peut engendrer des conséquences juridiques particulièrement importantes pour l’entreprise.
Ce manquement est d’autant plus grave que ce n’est pas la première fois que nous vous demandons d’avertir la gestionnaire de paie en amont afin qu’elle puisse établir les contrats préalablement à l’arrivée des salariés dans votre boutique.
* Au surplus, vous faites preuve d’une attitude désinvolte et désobligeante tant vis-à-vis de notre clientèle que vis-à-vis de votre équipe.
En effet, au cours de ces dernières semaines, il a été constaté que vous vous êtes adressée aux clientes de la boutique dont vous êtes responsable dans des termes totalement inappropriés.
À titre d’illustration, lorsqu’une cliente d’un certain âge vous a fait part de son ressenti sur la collection en étant clairement déçue, trouvant la collection trop jeune, vous lui avez indiqué : ‘en même temps Madame, ce n’est pas moi qui crée la collection’, ce qui a causé le départ de la cliente.
Dans d’autres cas, vous avez utilisé les termes suivants :
– ‘Je ne suis pas créatrice de la marque’
– ‘Si ça ne vous plaît pas, ça plaît à d’autres’.
Votre absence de respect vis-à-vis de la clientèle a un impact particulièrement important sur le trafic depuis votre arrivée sur ce point de vente.
En effet, nous déplorons le fait que quelques mois après votre arrivée, le trafic au sein de la boutique dans laquelle vous travaillez a baissé de 22,5 % sur la saison Printemps/Été 2012 par rapport à l’année précédente à la même période. En outre, à fin février 2013, le trafic était de -24,6 % sur la saison Automne/Hiver 2012, sur le semestre écoulé, par rapport à l’année précédente.
Au-delà de ces manquements, nous regrettons votre comportement vis-à-vis de votre équipe.
En effet, nous avons appris que le samedi 20 avril 2013, journée importante en matière de chiffre d’affaires, vous êtes restée bras croisés contre la caisse en vous contentant de saluer les clientes en leur disant ‘bonjour’, sans apporter la moindre aide à votre équipe qui s’occupait activement des nombreuses clientes présentes dans votre boutique.
Vous leur avez simplement indiqué ‘aujourd’hui ce n’est pas mon jour, je vous laisse faire’.
Nous ne pouvons tolérer ce comportement qui porte atteinte au bon fonctionnement du point de vente dans lequel vous travaillez.
* Par ailleurs, nous déplorons des retards dans l’exercice de vos fonctions.
À titre d’illustration, le samedi 6 avril 2013, jour des ventes privées, vous vous êtes présentée à votre poste de travail à 12h15 alors que vous étiez planifiée à 11h30, et ce sans apporter la moindre justification.
Vous ne pouvez ignorer qu’un tel retard un jour de ventes privées cause un préjudice important à la Société notamment en termes de résultats.
Vos retards sont d’autant moins acceptables que vous les dissimulez en ne les faisant pas figurer sur les plannings et en ne prévenant pas votre supérieure hiérarchique, ce qui n’est pas admissible.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, il apparaît que vos manquements perturbent le bon fonctionnement du point de vente dans lequel vous travaillez, et nous ne pouvons l’accepter.
L’ensemble de ces faits sont autant des faits fautifs qui rendent impossible votre maintien dans nos effectifs’.
Selon l’article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.
Ainsi l’administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, l’employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.
Le conseil de prud’hommes a jugé :
– que la salariée n’avait pas commis de faute à l’occasion de l’embauche de M. [R] [X], en retenant que, par courriel du 21 mars 2013, elle avait indiqué à la gestionnaire de paie avoir envoyé le dossier d’embauche par voie postale et joint à nouveau l’accord de sa supérieure hiérarchique, la déclaration préalable à l’embauche et la demande d’embauche, que l’employeur n’avait pas contredit ces indications ni l’affirmation selon laquelle il n’appartenait pas au responsable de boutique d’élaborer un contrat de travail à durée indéterminée,
– que le deuxième grief n’était pas établi, en considérant que la seule attestation produite était insuffisante à le démontrer lorsqu’elle était mise en perspective avec les appréciations antérieures de la hiérarchie sur le travail de la salariée, qu’aucun élément n’était fourni sur un lien entre le comportement de cette dernière et la baisse de fréquentation de la boutique et que la salariée justifiait de bons résultats sur la période du 1er septembre 2012 au 28 février 2013,
– que le retard précisément visé dans la lettre de licenciement n’était que de 30 à 45 minutes et qu’il devait être mis en balance, nonobstant l’avertissement notifié le 26 février 2013, avec le fait que la salariée était restée tard la veille, ayant travaillé jusqu’à 20h30, avec l’ancienneté de la salariée et avec les appréciations professionnelles qui avaient été les siennes jusqu’alors.
L’appelante considère que les griefs sont établis et justifiaient la rupture du contrat de travail.
En l’espèce, les fiches de procédure destinées aux responsables de boutiques pour les nouvelles embauches font ressortir que, parmi les formalités à accomplir, ces responsables doivent, après avoir rempli la demande d’embauche pour validation par le responsable régional, envoyer ladite demande validée au gestionnaire de paie, ce, avant de procéder à la déclaration préalable sur internet et d’envoyer l’ensemble des documents obligatoires.
Or, il résulte d’un échange de courriels :
– que, le 20 mars 2013, la gestionnaire de paie a accusé réception du dossier d’un salarié embauché depuis le 11 mars par Mme [E] et s’est plaint de ne pas en avoir été informée avant,
– que, le lendemain, Mme [E] a reconnu avoir omis d’adresser un courriel à la gestionnaire de paie et joint d’ailleurs, à cette occasion, l’accord de sa responsable régionale qu’elle n’avait pas encore envoyé avec la demande d’embauche déjà adressée, elle, par courrier.
Il est donc établi que la salariée n’a pas respecté la procédure interne relative à l’embauche d’un salarié dans le magasin dont elle était responsable.
Il apparaît que, en janvier 2013, Mme [E] en avait fait de même puisque la gestionnaire de paie s’est plaint, le 15 janvier 2013, de ce qu’elle ne demandait le contrat relatif à une nouvelle salariée qu’à cette date alors que cette dernière avait commencé son travail depuis le 9 janvier 2013.
Par ailleurs, il ressort de l’attestation de Mme [W] [V], vendeuse, en date du 29 avril 2013, que :
– le 6 avril 2013, jour de ventes privées, Mme [E] est arrivée sur son lieu de travail à 12h15 alors qu’elle était planifiée pour 11h30, cette planification étant confirmée par l’emploi du temps produit et la salariée ayant elle-même admis en première instance un retard (arrivée à 12h), et que ce n’était pas la première fois que cela arrivait,
– le 20 avril 2013, alors qu’elle et son collègue s’occupaient activement de plusieurs clientes, Mme [E] est restée bras croisés contre la caisse en se contentant de dire bonjour au motif que ce n’était pas son jour,
– que Mme [E] s’est à plusieurs reprises montrée désagréable envers des clientes à l’instar d’une dame d’un certain âge qui se plaignait de ce que la collection était trop jeune et à qui elle a répondu que ce n’était pas elle qui créait les collections, ou encore d’autres à qui elle a fait remarquer qu’elle n’était pas créatrice de la marque ou que si cela ne leur plaisait pas cela plaisait à d’autres.
Cette attestation, bien qu’unique, n’est pas objectivement contredite, ni contrebalancée, d’une part, par la circonstance que la salariée aurait fini à 20h30 la veille, ce qui n’est pas démontré, d’autre part, par les évaluations de la salariée, non produites devant la cour et sur lesquelles les premiers juges n’ont pas apporté suffisamment de précisions pour que leurs constatations soient retenues utilement.
Au regard de l’ensemble de ces éléments d’appréciation, et indépendamment des développements relatifs à la baisse de fréquentation du magasin, la pièce versée au débat sur ce point, difficilement lisible, ne démontrant pas l’imputabilité de la variation du trafic au seul comportement de l’intéressée comme l’ont relevé à juste titre les premiers juges, il y a lieu de considérer que Mme [E] a commis des manquements qui, aux responsabilités qui étaient les siennes, justifiaient la rupture de son contrat de travail, d’autant que, pour partie, ils ont été réitérés peu de temps après l’avertissement qui lui a été notifié le 15 février 2013 pour des faits d’insubordination et un retard.
Le jugement déféré est donc infirmé en ses dispositions relatives à l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et à l’application de l’article L. 1235-4 du code du travail.
Sur les autres demandes
Mme [E] succombant principalement à l’instance, il est justifié de la condamner aux dépens de première instance et d’appel et à payer à la société Comptoir des cotonniers la somme de 750 euros au titre des frais de procédure non compris dans les dépens dont il serait inéquitable de lui laisser la charge, la demande prononcée en première instance sur ce fondement étant infirmée.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement déféré sauf en ses dispositions de rejet ;
Statuant à nouveau sur les dispositions infirmées et ajoutant,
Déboute Mme [E] de sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Dit n’y avoir lieu à l’application de l’article L. 1235-4 du code du travail ;
Condamne Mme [E] aux dépens de première instance et d’appel et à payer à la SAS Comptoir des cotonniers la somme de 750 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute Mme [E] de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE