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25 mai 2022
Cour d’appel de Montpellier
RG n°
17/01354
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
1re chambre sociale
ARRET DU 25 MAI 2022
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 17/01354 – N° Portalis DBVK-V-B7B-NM2M
Arrêt n° :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 26 OCTOBRE 2017 du CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE BEZIERS
N° RG F15/00403
APPELANT :
Monsieur [O] [P]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représenté par Me Bernard BORIES et Me CAUSSE de la SCP MAGNA BORIES CAUSSE CHABBERT CAMBON AQUILA BARRAL, avocat au barreau de BEZIERS
INTIMEE :
S.A.S. NEOPARTS FIA LITTORAL représentée par son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Gilles ARGELLIES de la SCP GILLES ARGELLIES, EMILY APOLLIS – AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER (postulant) substituant la Selas FIDAL, agissant par Me Nicolas FRANCOIS, avocat au barreau de Marseille (plaidant)
Ordonnance de clôture du 16 Mars 2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 AVRIL 2022,en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Georges LEROUX, Président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Georges LEROUX, Président de chambre
Madame Caroline CHICLET, Conseiller
M. Pascal MATHIS, Conseiller
Greffier, lors des débats : Mme Marie BRUNEL
ARRET :
– contradictoire
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par Monsieur Georges LEROUX, Président de chambre, et par Mme Marie BRUNEL, Greffière.
*
**
EXPOSE DU LITIGE
Le 1er juin 1990, M. [O] [P] a été embauché en qualité de représentant, par la SAS Neoparts, société spécialisée dans le commerce de gros d’équipement automobile.
Par un avenant du 31 décembre 2013 au contrat de travail, M. [P] est devenu responsable de magasin au niveau VI échelon 2 à compter du 2 janvier 2014, pour une rémunération de 2500 € brut par mois pour 169 heures de travail hebdomadaires.
Par courrier du 29 mai 2015, M. [P] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, entretien devant se dérouler le 9 juin 2015.
Par courrier du 12 juin 2015, il a été licencié pour faute grave pour « détournement d’espèce sans autorisation dans la caisse de l’entreprise ».
M. [P] a saisi le 16 juillet 2015 le conseil de prud’hommes de Béziers notamment en contestation de ce licenciement et en paiement de diverses sommes.
Par jugement du tribunal correctionnel de Montpellier du 10 octobre 2016, M. [P] a été relaxé du chef d’abus de confiance. Le ministère public et la SAS Neoparts ont interjeté appel de ce jugement.
Par jugement du 26 octobre 2017, le conseil de prud’hommes de Béziers a débouté M. [P] de ses demandes et débouté la SAS Neoparts Fia Littoral de sa demande reconventionnelle fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
M. [P] a interjeté appel de ce jugement le 24 novembre 2017.
Dans ses conclusions déposées au RPVA le 13 février 2018, M. [P] demande à la cour d’infirmer le jugement en ce qu’il a considéré que la faute grave invoquée dans la lettre de licenciement était constituée, de dire que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse, de condamner la société NEOPARTS au paiement des sommes de :
– 5.000 € au titre du préavis augmenté de la somme de 500 € de congés payés afférents,
– 17.500 € à titre d’indemnité de licenciement,
– 90.000 € de dommages et intérêts.
A titre subsidiaire, il demande à la cour de condamner la société aux sommes de 5.000 € au titre du préavis augmenté de la somme de 500 € de congés payés afférents, et de 17.500 € à titre d’indemnité de licenciement, dans la mesure où les agissements ne pourraient être qualifiés que d’une éventuelle insuffisance professionnelle non visée dans la lettre de licenciement.
Il sollicite la condamnation de la société Neoparts au paiement de la somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions déposées au RPVA le 9 mai 2018, la SAS Neoparts Fia Littoral demande à la cour de confirmer le jugement, de débouter M. [P] de ses demandes et de le condamner au paiement de la somme de 2.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 10 septembre 2021.
Par arrêt du 1er décembre 2021, la cour a :
– ordonné la révocation de l’ordonnance de clôture,
– ordonné la production par l’appelant de l’arrêt ayant statué sur l’appel interjeté à l’encontre du jugement du tribunal correctionnel de Béziers du 10 octobre 2016,
– invité les parties à s’expliquer sur les conséquences de cet arrêt et renvoyé le dossier de la procédure devant le conseiller de la mise en état.
Aux termes de ses conclusions déposées au RPVA le 4 janvier 2022, M. [P] se prévaut de l’arrêt rendu par la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Montpellier du 17 décembre 2018 qui a confirmé la relaxe prononcée par le tribunal correctionnel le 10 octobre 2016 et invoque l’autorité de la chose jugée au pénal. Il en déduit que l’employeur ne pouvait utiliser les mêmes faits pour fonder son licenciement en sorte que celui-ci est sans cause réelle et sérieuse.
La SAS Neoparts Fia Littoral pour sa part, dans ses conclusions notifiées par RPVA le 17 janvier 2022, considère que l’autorité de la chose jugée ne peut lui être opposée. Elle fait valoir que dès lors que la lettre de licenciement ne mentionne pas la qualification pénale des faits reprochés au salarié, ce qui est le cas en l’espèce, l’autorité de la chose jugée ne s’impose pas au juge civil et celui-ci n’est pas lié par la décision de relaxe. Elle ajoute que même si la décision de relaxe est fondée sur l’absence de l’élément intentionnel, le juge civil peut toujours statuer sur la réalité des faits et leur imputabilité au salarié.
Une nouvelle ordonnance de clôture est intervenue le 16 mars 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le licenciement et l’autorité de la chose jugée au pénal
Il est constant que les décisions de la juridiction pénale ont au civil l’autorité de la chose jugée à l’égard de tous et qu’il n’est pas permis au juge civil de méconnaître ce qui a été jugé par le tribunal répressif.
L’autorité de la chose jugée au pénal s’impose au juge civil relativement aux faits constatés qui constituent le soutien nécessaire de la condamnation pénale.
S’agissant particulièrement de la juridiction prud’homale et de la lettre de licenciement, qui fixe l’objet du litige, il est nécessaire de distinguer les cas où la lettre de licenciement vise une infraction pénale des cas où elle vise des faits sans préciser qu’ils constituent une infraction pénale. Ainsi, si la faute pénale est invoquée, la relaxe s’impose au juge civil même si les faits sont établis. Mais si les faits fautifs sont seuls invoqués, la relaxe ne s’impose au juge civil que si la juridiction pénale considère que les faits ne sont pas établis. Dans cette dernière hypothèse, le juge civil n’est pas privé du pouvoir d’apprécier les faits qui lui sont soumis, étant observé qu’il apprécie souverainement si les faits reprochés dans le cadre du licenciement sont identiques à ceux ayant fait l’objet d’une poursuite pénale.
Dans le cas présent, la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Montpellier, par arrêt définitif du 17 décembre 2018, a relaxé M. [P] du chef d’abus de confiance en ces termes :
« La matérialité de l’écart de caisse dont Monsieur [P] était responsable en qualité de responsable de magasin est établie par :
– l’attestation de Monsieur [X], comptable salarié de la partie civile, qui témoigne de ce qu’il a constaté un écart de caisse de 2.460,09 € le 28 mai 2015, que Monsieur [P] a avoué avoir détourné 3.000 €, et que par la suite une somme de 1.834,38 € s’est avérée manquante dans la caisse après vérification auprès des clients ayant payés en espèces,
– le détail de la caisse du magasin au 28 mai 2015 mentionnant un écart de 2.460,09 € signé par Monsieur [P].
L’attestation du commissaire au compte de la société, datée du 25 septembre 2018, qui certifie une ligne comptable de 4.292,47 € inscrite par la SAS NEOPARTS en charges exceptionnelles tend à établir une perte de la société.
Les autres pièces versées aux débats par la partie civile, à savoir les courriers relatifs au licenciement du prévenu, les directives quant au fond de caisse et un décompte de paiement par ses clients, sont autant de documents constitués par elle-même.
Ainsi l’écart de caisse ne saurait en droit pénal être assimilé à un détournement constitutif d’un abus de confiance, sans preuve d’une part d’un détournement opéré par le prévenu, et d’autre part d’un élément intentionnel.
Or rien ne démontre que les sommes n’ont pas été employées certes ”en contradiction avec les règles internes et les procédures de caisse” selon les termes du courrier signé par Monsieur [P], mais dans l’intérêt de la société, sans intention de Monsieur [P] de se les approprier, cette intention ne résulte que du courrier du 29 mai 2015, lequel, selon les précédents éléments, ne peut valoir preuve sans être étayé par des éléments extrinsèques.
Les éléments apportés par la partie civile n’ont pas en conséquence une force probante suffisante pour démontrer, au-delà d’un écart de caisse, les éléments constitutifs d’un abus de confiance. »
La lettre de licenciement est, pour sa part, ainsi rédigée :
« Suite à votre entretien du mardi 09 juin 2015, avec Monsieur [I] [W], Directeur Général de la société, nous avons le regret de vous signifier par la présente votre licenciement pour faute grave au motif suivant : ” Détournement d’espèce sans autorisation dans la caisse de l’entreprise “, qui se sont manifestées, notamment, par le fait suivant :
En date du 29 mai 2015 au matin, suite à un contrôle de la caisse du magasin de [Localité 1] effectué par [Y] [X], Aide-Comptable de la société NEOPARTS, il a été constaté un écart dans votre caisse d’un montant de 2.460,09 €.
En qualité de Responsable de Magasin, vous avez en charge la gestion de la caisse, de la transmission quotidienne de la caisse (Chèques, factures, bordereau de détail de monnaie) au service comptabilité et des dépôts en banque. A ce titre, nous vous avons demandé des explications.
Vous avez alors reconnu avoir pris dans la caisse du magasin la somme 3.000 € pour des besoins personnels et ce en contradiction avec les règles internes des procédures de caisse de la société.
Vous avez masqué votre détournement de fond de la caisse en falsifiant le bordereau de détail de monnaie que vous devez transmettre tous les jours à Mr [X].
Vous n’avez pas nié les faits.
Les explications que vous nous avez fournies au cours de l’entretien ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation de ces faits qui constituent de graves manquements dans l’exécution de vos obligations professionnelles.
La gravité des faits qui vous sont reprochés et leur caractère délibéré ne peuvent que nous conduire à procéder à votre licenciement pour faute grave.
Cette rupture prendra effet à la date de notification de la présente. […] »
Si certes la faute pénale d’abus de confiance n’est pas visée par la lettre de licenciement, il en résulte de manière non équivoque que l’employeur a sanctionné le salarié pour le ” Détournement d’espèce sans autorisation dans la caisse de l’entreprise “.
Or, il ne peut qu’être constaté que la chambre correctionnelle de la cour d’appel a écarté, faute de preuve, « le détournement opéré par le prévenu ». Elle a en effet retenu qu’il n’était pas établi que les sommes résultant de l’écart de caisse étaient à destination de l’usage personnel de M. [P], et ce « en contradiction avec les règles internes et les procédures de caisse » et qu’il ne pouvait être exclu qu’elles aient été utilisées dans l’intérêt de la société. Elle a également rejeté tout élément intentionnel de la part du salarié.
La juridiction civile est liée par cette appréciation de la juridiction répressive. Ainsi, le grief du détournement d’espèces visé par la lettre de licenciement se heurte à l’autorité de la chose jugée au pénal.
De la même manière, au regard de l’argumentation de la juridiction correctionnelle, le juge civil ne peut ni apprécier l’affectation de la somme disparue ni examiner le non-respect des procédures internes dans le cadre du licenciement.
Compte tenu de ces différents éléments et dès lors qu’il ne ressort pas de la lecture de la lettre de licenciement que l’employeur entendait sanctionner le seul écart de caisse constaté, la cour considère ainsi que le licenciement est fondé exclusivement sur les faits que la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Montpellier a retenus comme n’étant pas établis et pour lesquels M. [P] a été relaxé.
Dans ces conditions, eu égard l’autorité de la chose jugée au pénal, il convient de dire que le licenciement de M. [P] est sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement sera donc infirmé de ce chef.
Sur les conséquences financières du licenciement
La perte injustifiée de son emploi, qui cause préjudice à M. [P], justifie l’octroi de diverses indemnités.
M. [P], né le 10 octobre 1958, avait une ancienneté de 25 ans dans une entreprise d’au moins11 salariés. Il percevait une rémunération mensuelle de 2.500 € brute. Il justifie avoir été inscrit à Pôle emploi et bénéficier d’allocations chômage du 1er novembre 2015 au 1er février 2018.
Au regard de ces éléments, il sera accordé à M. [P] les sommes suivantes :
– 5.000 € au titre de l’indemnité de préavis augmentée de la somme de 500 € de congés payés afférents,
– 17.500 € à titre d’indemnité de licenciement, non utilement contesté par l’employeur,
– 30.000 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les autres demandes
S’agissant d’un salarié de plus de deux ans d’ancienneté et d’une entreprise employant au moins 11 salariés, il y a lieu de faire application de l’article L. 1235-4 du code du travail dans les conditions fixées au dispositif.
L’équité et la situation des parties commandent qu’il soit fait droit à la demande de M. [P] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur de 1.500 €.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire, mis à disposition :
Infirme le jugement déféré sauf dans ses dispositions relatives à la demande reconventionnelle de la SAS Neoparts Fia Littoral ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés :
Dit que le licenciement de M. [O] [P] est sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la SAS Neoparts Fia Littoral à payer à M. [O] [P] les sommes suivantes :
– 5.000 € au titre de l’indemnité de préavis augmentée de la somme de 500 € de congés payés afférents,
– 17.500 € à titre d’indemnité de licenciement,
– 30.000 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 1.500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Ordonne le remboursement la SAS Neoparts Fia Littoral à Pôle emploi des indemnités de chômage payées à M. [O] [P] du jour de son licenciement dans la limite de six mois d’indemnités et dit que conformément à l’article R.1235-2 du code du travail, une copie certifiée conforme de l’arrêt sera transmise par le Greffe au Pôle-Emploi correspondant au domicile du salarié ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires;
Condamne la SAS Neoparts Fia Littoral aux dépens.
Le greffier Le président