Non-respect des procédures internes : 15 juin 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/05463
Non-respect des procédures internes : 15 juin 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/05463
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15 juin 2022
Cour d’appel de Paris
RG n°
19/05463

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 3

ARRÊT DU 15 Juin 2022

(n° , pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 19/05463 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B73W6

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 21 février 2019 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS Section commerce RG n° 17/09667

APPELANT

Monsieur [E] [O]

[Adresse 3]

[Localité 2]

né le 15 septembre 1981 à ORAN (ALGERIE)

représenté par Me Judith GUEDJ, avocat au barreau de PARIS, toque : B0555

INTIMEE

SAS BURTON

[Adresse 1]

[Localité 4]

N° SIRET : 318 14 8 4 67

représentée par Me Loïc TOURANCHET, avocat au barreau de PARIS, toque : K0168 substitué par Me Olivia TESSEMA, avocat au barreau de PARIS,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 avril 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Véronique MARMORAT, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Véronique MARMORAT, Présidente de chambre

Madame Fabienne ROUGE, Présidente de chambre

Madame Anne MENARD, Présidente de chambre

Greffier : Mme Juliette JARRY, lors des débats

ARRET :

– Contradictoire

– par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– Signé par Madame Véronique MARMORAT, présidente de chambre et par Juliette JARRY, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Exposé du litige

Engagé selon un contrat à durée indéterminée avec effet le 13 juillet 2007 par la société Burton en tant que vendeur, promu responsable de magasin le 22 octobre 2009, monsieur [O] a été licencié le 24 juillet 2017 alors qu’il était responsable du magasin Burton de Trouville pour faute simple.

Le salarié saisi le 27 novembre 2017 le Conseil des prud’hommes de Paris en reconnaissance de son statut de cadre, en contestation de son licenciement, en indemnisations de celui-ci, y compris des conditions brutales et vexatoires de sa survenance et en rappel de salaire pour la prime d’ancienneté.

Par jugement du 21 février 2019, le Conseil des prud’hommes de Paris a

Décidé que monsieur [O] relève de la catégorie cadre A1

Condamné la société Burton aux dépens et à payer à monsieur [O] la somme de 347,58 euros à titre de rappel de prime d’ancienneté de novembre 2014 à juillet 2017 et celle de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

Enjoint à la société Burton de régulariser auprès des organismes sociaux les cotisations de retraites cadre non versées depuis le mois de novembre 2014 et de remettre à monsieur [O] les bulletins de paie rectifiés conformes

Débouté monsieur [O] de ses autres demandes et la société Burton de sa demande reconventionnelle.

Monsieur [O] a interjeté appel de cette décision le 21 avril 2019.

Par conclusions, signifiées par voie électronique le 13 juin 2019, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, monsieur [O] demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris sauf en ce qu’il lui a reconnu le statut de cadre, et condamné la société Burton à lui verser la somme de 347,58 euros à titre de rappel de prime d’ancienneté de novembre 2014 à juillet 2017 et celle de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et a enjoint à la société Burton de régulariser auprès des organismes sociaux les cotisations de retraites cadre non versées depuis le mois de novembre 2014 et de remettre à monsieur [O] les bulletins de paie rectifiés conformes, et, statuant de nouveau, de

Fixer son salaire mensuel brut à la somme de 4 235,40 euros

Juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse et brusques et vexatoires les circonstances du prononcé de son licenciement

Condamner l’employeur à lui verser

titre

montant en euros

indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

76 237,20

indemnité pour licenciement brusque et vexatoires

12 706,20

indemnité de préjudice de carrière

25 412,40

rappel d’indemnité compensatrice de préavis

4 235,40

article 700 du code de procédure civile

3000,00

Assortir l’injonction prononcée par le Conseil des prud’hommes d’une astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir.

Par conclusions, signifiées par voie électronique le,12 septembre 2019 auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, la société Burton of London demande à la cour de confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu’il reconnu que le salarié relevait de la catégorie cadre A1 et l’a condamné à verser à monsieur [O] la somme de 347,58 euros à titre de rappel de prime d’ancienneté de novembre 2014 à juillet 2017 et celle de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de

A titre principal,

Débouter monsieur [O] de toutes ses demandes

A titre subsidiaire,

Minorer le montant des dommages et intérêts à titre de licenciement sans cause réelle et sérieuse à de plus justes proportions à la somme de 25 412,40 euros bruts et à titre de préjudice de carrière

Enjoindre à la société Burton d’établir un seul bulletin de salaire rectificatif conformément aux nouvelles normes de déclaration sociale nominative

Réduire le montant de l’astreinte au titre du retard dans la remise des bulletins de salaire rectifiés à de plus justes proportions

Débouter monsieur [O] de l’ensemble de ses autres demandes

En tout état de cause

Condamner monsieur [O] aux dépens et à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

MOTIFS

Sur le licenciement

Principe de droit applicable :

Aux termes des dispositions de l’article L 1232-1 du Code du travail, tout licenciement motivé dans les conditions prévues par ce code doit être justifié par une cause réelle et sérieuse ; en vertu des dispositions de l’article L 1235-1 du même code, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Par application des dispositions de l’article L 1232-6 du Code du travail, la lettre de licenciement, notifiée par lettre recommandée avec avis de réception, comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur ; la motivation de cette lettre, précisée le cas échéant dans les conditions prévues par l’article L 1235-2 du même code, fixe les limites du litige.

Application du droit à l’espèce

En l’espèce, la lettre de licenciement est motivée de la manière suivante :

« Vous exercez au sein de notre entreprise les fonctions de Responsable de magasin. Vous êtes en charge de manager les équipes placées sous votre responsabilité. Ainsi, au regard de votre fonction d’encadrement, il vous appartient d’adopter une posture exemplaire, conforme aux valeurs de l’entreprise et exempt de toute violence, dans la gestion des relations de travail.

Pour autant, vous avez adopté à l’égard de certains collaborateurs placés sous votre responsabilité un comportement inadapté et inacceptable pour un cadre de votre niveau.

Vous avez tenu, à plusieurs reprises, des propos dévalorisants à l’égard de plusieurs de vos vendeurs, en présence de collègues ou de la clientèle. De tels faits ont été portés à notre connaissance à partir du mois de juin, de manière circonstanciée.

Vous êtes allé jusqu’à qualifier ouvertement de « boulet » l’un des membres de votre équipe.

Vous vous êtes permis d’adresser des remarques inappropriées à certains de vos collaborateurs sur leur âge, leur situation maritale, leur sexe, voire leurs caractéristiques physiques ou encore à leur statut dans l’entreprise. De telles remarques sont inacceptables non seulement dans le cadre de relations professionnelles, mais de surcroît pour un cadre de votre niveau, censé motiver et animer ses équipes dans un souci constant d’exemplarité et de promotion des valeurs de l’entreprise.

De plus, le comportement passif que vous avez pu manifester lors de conflits de personnes survenus au sein de l’équipe n’est pas celui attendu d’un Directeur de magasin, censé être le moteur d’une cohésion d’équipe.

Enfin, nous avons été informés que vous aviez abusé de votre position en demandant expressément à deux de vos collaboratrices d’assumer seules la responsabilité du non-respect des procédures internes afin que votre responsabilité personnelle de Directeur de magasin ne soit pas mise en cause. Un tel comportement est inacceptable.

La particulière gravité de ces fautes ne permet pas la poursuite de votre relation salariale. Nous vous notifions donc par la présente votre licenciement pour faute ».

Sur la régularité de la procédure de licenciement

Monsieur [O] estime que l’entretien préalable a été organisé par un simple souci de formalisme et qu’il n’a pas eu véritablement la possibilité de se défendre et qu’ainsi, l’employeur s’est refusé à révéler toute information relative aux griefs reprochés concernant leur date, leur matérialité et le nom des plaignants.

L’employeur prétend que selon le compte-rendu du délégué du personnel les griefs ont été clairement exposés par madame [G], directrice régionale ainsi que le confirme l’attestation de madame [W] ayant assistée la directrice régionale.

L’article L 1232-3 du code du travail prévoit qu’au cours de l’entretien préalable, l’employeur indique les motifs de la décision envisagée et recueille les explications du salarié sans qu’il ne soit exigé de l’employeur de produire les pièces justifiant ses allégations à ce stade de la procédure.

Il résulte des pièces de la procédure et en particulier du compte-rendu rédigé par madame [S], déléguée du personnel et de l’attestation de madame [W] qu’au cours de l’entretien du 13 juillet 2017 ont été abordés les points suivants : la thèse du salarié sur la vengeance de madame [L], stagiaire, les faits qui seraient remontés à la direction par plusieurs salariés du magasin, plus précisément des propos humiliants à connotation sexuelle (attestation de madame [W]), des relations de travail difficiles, un management avec mise sous pression de l’équipe par mise en concurrence, le fait de traiter l’une des vendeuses de stagiaire, de demander aux vendeuses de porter des robes le week-end et d’avoir des propos déplacés et le fait d’avoir mis la pression sur madame [L] pour qu’elle prenne la responsabilité du non respect des procédures internes pour protéger l’équipe lorsque monsieur [U] [A], directeur de zone a découvert des étiquettes dans la caisse (compte rendu de madame [S]).

Ainsi, les griefs retenus dans la lettre de licenciement reproduite ci-dessus ont bien été abordés lors de cet entretien préalable.

Il convient en conséquence d’écarter ce moyen.

Sur la faute

Le salarié fait valoir que les griefs ne sont pas matériellement démontrés, impute son licenciement à une vengeance de madame [L], accueillie en stage dans son magasin dans le cadre de sa formation au BTS et reprend chacune des attestations produites par l’employeur pour les critiquer et produit ses propres attestations mettent en avant son professionnalisme et son comportement apprécié par tous.

La société Burton expose qu’à partir du mois de juin 2017, il a été porté à la connaissance de la société le fait que monsieur [O] a tenu à plusieurs reprises des propos dévalorisants tels que “boulet” à l’égard de plusieurs vendeurs, en présence de collègues ou de la clientèle ainsi que des remarques inappropriées sur leur âge, leur situation maritale, leur sexe voir leurs caractéristiques physiques ou encore leur statut dans l’entreprise. L’employeur lui reproche également une attitude passive lors de conflits de personnes survenus au sein de l’équipe et qu’il aurait abusé de sa position en demandant expressément à deux de ses collaboratrices d’assumer seules la responsabilité de son non-respect des procédures internes.

La lettre de licenciement circonscrit la faute reprochée à monsieur [O] à des propos dévalorisants, des remarques inappropriés, une attitude passive lors de conflit entre salariés et un abus de position.

La cour observe en premier lieu que les attestations produites par le salarié émanent soit de clients peu à même de connaître le mode de management de monsieur [O] soit d’anciens collègues ou collaborateurs de monsieur [O] qui ne précisent pas le temps de cette collaboration et énoncent toutes les mêmes points insistants sur un comportement respectueux et une aide donnée par monsieur [O] à son équipe pour développer ses compétences.

En second lieu, les attestations versées à la procédure par la société Burton sont précises et circonstanciées.

Ainsi, dans son attestation, madame [L] indique avoir été victime de pression, chantage et d’humiliation de la part d'[E] [O], responsable de magasin et atteste la véracité des propos suivants tenus par le salarié : « si seulement on pouvait mettre des claques aux salariés », « tu es un boulet », « tu n’es pas mieux que mon petit frère qui a quinze ans » “tu n’es qu’une pourrie gâtée ».

Dans la sienne, madame [M] atteste avoir entendu monsieur [O] lui dire ” marie, quand je vous vois, j’ai envie de me pendre” d’avoir été victime de ” sarcasme régulier en se faisant traiter de boulet par le responsable “, d’avoir à plusieurs reprises, ” pu assister à des insultes entre vendeurs sur la surface de vente devant la clientèle “, entendre le responsable tenir des ” propos désobligeants sur une collègue qui allait partir à la retraite en disant d’elle « la vieille » et d’avoir “pu constater aussi les crises de larmes en réserve de [R] (madame [L]) qui ne supportait plus les critiques permanentes à son égard.”

Madame [H] dans son attestation indique ” Une pression quotidienne est mise par le responsable [E] [O] pour « faire du chiffre ». Si on ne transformait pas assez d’entrées-clients en tickets de caisse cela nous était fortement reprochés le soir même ou le lendemain la pression était doublée. – « t’as pas été bonne, rattrape ça ». Elle relate avoir entendu à son endroit les propos suivants “tu devrais mettre des robes, t’as l’air d’avoir de jolies jambes, tes yeux sont magnifiques, t’es pas célibataire, dommage ” et précise que ” [E] et [I] [Y] ne faisaient jamais le ménage « ce n’est pas notre rôle d’hommes »”.

Concernant le grief d’abus de pouvoir dont la direction a été tardivement informée, madame [H] relate ” le 15 janvier au soir, suite à une visite de [U] et [X] dans la journée, [E] m’a appelé chez moi aux alentours de 20h45 pour m’expliquer qu’ils avaient découvert ses étiquettes dans la caisse. Il m’a demandé de venir au magasin le lendemain à 9h au lieu de 10h (heure non déclarée et non payée). Durant cette heure, il m’a fait réétiqueter des vêtements qu’il avait chez lui pour les remettre en rayon. Il m’a expliqué que c’est [R] qui prendrait l’unique responsabilité, qui lui risquait « trop gros » et qu’elle pouvait bien faire ça en guise de rattrapage pour « toutes ces boulettes » “.

Le salarié produit d’ailleurs la fausse attestation que madame [L] a été contrainte de rédiger et qui lui a valu une sanction injustifiée.

Ces éléments pris dans leur ensemble caractérise une faute énoncée dans la lettre de licenciement justifiant celui-ci, d’autant que contrairement à ce qu’affirme monsieur [O], ses carences en management avaient déjà été relevées lors de son dernier entretien d’évaluation dans lequel il est fait état de son manque de contrôle et de cadre vis à vis de l’équipe et de la nécessité d’être plus réactif sur les conflits et de ne pas les laisser traîner.

Il s’ensuit que le licenciement est justifié par une cause réelle et sérieuse. Le jugement du Conseil de prud’hommes sera donc confirmé sur ce point.

Sur les autres demandes

Sur le caractère brusque et vexatoire du licenciement

La demande de monsieur [O] est essentiellement fondée sur l’argument d’une absence de cause réelle et sérieuse qui a été rejeté ci-dessus. Le fait d’avoir mis à pied le salarié au moment de la convocation à l’entretien préalable, sachant que dans son compte-rendu madame [S] indique que monsieur [O] était en arrêt de travail à compter du 4 juillet 2017 en raison de faits concernant sa vie personnelle, est justifié, l’employeur étant tenu à une obligation de sécurité aux termes de l’article L 4121-1 du code du travail et ne pouvait laisser les salariés de ce magasin continuer à subir ce mode de management contraire au code de conduite signé par monsieur [O] le 24 octobre 2009.

En conséquence, il convient de confirmer la décision de rejet de cette demande prise par le Conseil des prud’hommes.

Sur le préjudice de carrière de monsieur [O]

Dans ses conclusions d’appel, monsieur [O] ne formule aucun moyen pour justifier ses demandes relatives à son préjudice de carrière ou sur la confirmation des décisions prises par le Conseil des prud’hommes à l’égard sa reconnaissance de son statut de cadre A1 et de rappel de prime d’ancienneté, se contentant d’évoquer les manquements de la société Burton sans les développer. En conséquence, il convient de rejeter ces demandes et d’infirmer la décision du Conseil des prud’hommes sur ces deux points.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a reconnu que le salarié relevait de la catégorie cadre A1 et l’a condamné à verser à monsieur [O] la somme de 347,58 euros à titre de rappel de prime d’ancienneté de novembre 2014 à juillet 2017

Statuant de nouveau

Déboute monsieur [O] de toutes ses demandes

Vu l’article 700 du code de procédure civile

Condamne monsieur [O] payer à la société Burton en cause d’appel la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties du surplus des demandes

Laisse les dépens à la charge de monsieur [O]

La Greffière La Présidente

 


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