Non-respect des procédures internes : 15 septembre 2022 Cour d’appel de Chambéry RG n° 21/00913
Non-respect des procédures internes : 15 septembre 2022 Cour d’appel de Chambéry RG n° 21/00913
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15 septembre 2022
Cour d’appel de Chambéry
RG n°
21/00913

COUR D’APPEL DE CHAMBÉRY

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 15 SEPTEMBRE 2022

N° RG 21/00913 – N° Portalis DBVY-V-B7F-GWAL

[M] [G] épouse [E]

C/ S.A.S. BURTON représentée par son Président en exercice, la société BURTON CAPITAL

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ANNECY en date du 11 Mars 2021, RG F 19/00143

APPELANTE :

Madame [M] [G] épouse [E]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Sylvie BARRUCAND, avocat au barreau D’ANNECY

INTIMEE :

S.A.S. BURTON OF LONDON

dont le siège social est sis [Adresse 2]

[Adresse 2]

prise en la personne de son représentant légal

Représentée par la SAS MERMET & ASSOCIES, avocat postulant au barreau de THONON-LES-BAINS et la SELARL ACTANCE, avocat plaidant au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue en audience publique le 16 Juin 2022, devant Monsieur Frédéric PARIS, Président désigné par ordonnance de Madame la Première Présidente, qui s’est chargé du rapport, les parties ne s’y étant pas opposées, avec l’assistance de Madame Sylvie LAVAL, Greffier lors des débats, et lors du délibéré :

Monsieur Frédéric PARIS, Président,

Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller,

Madame Elsa LAVERGNE, Conseiller,

********

Faits et procédure

Mme [V] [E] a été engagée par la société Burton SAS sous contrat à durée déterminée du 30 octobre 2018 au 18 novembre 2018 en qualité de vendeuse débutante, statut employée niveau 1, moyennant un salaire mensuel brut de 1498,50 €, puis sous contrat à durée indéterminée à compter du 27 novembre 2018.

L’effectif de la société est de plus de 50 salariés.

La convention collective de vente au détail d’habillement est applicable.

La salariée a subi des agissements de harcèlement moral commis par une collègue de travail qui a été licenciée pour des comportements inadaptés en janvier 2019.

Elle a subi un accident de trajet le 17 janvier 2019 et s’est fracturée le coude.

Le 15 février 2019 le médecin du travail indiquait qu’une reprise pourrait être envisageable le 23 février 2019 ‘à condition qu’il n’y ait aucune manutention’.

Lors de la visite de reprise elle est déclarée apte par le médecin du travail avec reprise progressive des efforts pendant un mois. Le médecin notait : A revoir par le médecin au plus tard le 26 février 2021.

Elle a adressé à nouveau des courriers à l’employeur courant avril 2019 se plaignant des agissements de harcèlement moral de son supérieur hiérarchique.

La salariée a été licenciée par lettre du 24 mai 2019 pour cause réelle et sérieuse (comportement irrespectueux et désinvolte, non respect des procédures internes relatif à l’encaissement et à l’accueil client).

Contestant son licenciement elle a saisi le 20 juin 2019 le conseil des prud’hommes d’Annecy.

Par jugement du 11 mars 2021, le conseil des prud’hommes l’a débouté de ses demandes et l’a condamné aux dépens.

Mme [E] a interjeté appel par déclaration du 28 avril 2021 au réseau privé virtuel des avocats.

Par conclusions notifiées le 26 juillet 2021 auxquelles la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens Mme [E] demande à la cour de :

– infirmer le jugement,

statuant à nouveau,

– dire que le licenciement est nul ou sans cause réelle et sérieuse,

– condamner la société Burton SAS à lui payer les sommes suivantes :

* 18 504 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse,

* 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

* ‘mémoire euros’ au titre de rappels de salaire pour licenciement nul du 24 mai 2019 au jour où la cour rendra son arrêt, soit 1505 x = mémoire euros

avec intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du conseil des prud’hommes,

– condamner la société Burton SAS à lui remettre les documents légaux, notamment le certificat de travail, l’attestation pôle emploi avec mention licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, les bulletins de salaire rectifiés sous astreinte de 100 € par jour de retard,

– condamner la société Burton SAS à lui payer la somme de 2000 € en première instance et 2000 € en cause d’appel au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

– la condamner aux dépens et frais d’exécution forcée.

Elle soutient en substance qu’elle a dénoncé des faits de harcèlement moral sans que l’employeur ne réagisse, aucune enquête n’a été effectuée.

Elle avait dénoncé une première fois un harcèlement de la part de Mme [T], ce qui a été reconnu par l’employeur qui a licencié cette dernière.

Elle a dénoncé ensuite le harcèlement de M. [J] son supérieur par une lettre adressée à celui-ci et communiquée à la directrice régionale.

Elle faisait état de griefs infondés dans la gestion de ses ventes, de ses encaissements, de l’agressivité de son supérieur et du changement de son jour de repos sans l’avertir.

La seule réaction a été de lui notifier un licenciement.

Ce licenciement trouve son origine dans le fait qu’elle ne s’est pas laissé faire, qu’elle a dénoncé des faits de harcèlement et qu’elle a refusé la modification de son contrat de travail sur le jour de repos.

Si la nullité n’est pas retenue, elle dément les griefs qui lui sont faits, elle fait sommation à l’employeur d’apporter la preuve des griefs.

Toute l’équipe d’Annecy a subi un turn over important, elle fait sommation à l’employeur de produire le registre du personnel.

Les deux témoignages fournis par l’employeur seront écartés.

Par conclusions notifiées le 21 octobre 2021 auxquelles la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens, la société Burton SAS demande à la cour de :

A titre principal,

– confirmer le jugement,

– débouter Mme [E] de toutes ses demandes

A titre subsidiaire,

– limiter le quantum des dommages et intérêts à un mois de salaire soit la somme de 1498,50 €

En tout état de cause,

– condamner Mme [E] à lui payer la somme de 2000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

– la condamner aux dépens.

Elle fait valoir que la salariée a été irrespectueuse le 2 avril 2019 à l’égard d’une cliente en deuil et d’une collègue de travail.

Elle n’a pas voulu réceptionner une livraison le 23 avril 2019 en adoptant une attitude incorrecte.

Elle fait preuve de mauvaise volonté et contribue à créer au magasin une ambiance délétère, elle refuse d’exécuter les consignes données par le responsable du magasin ; elle n’a pas respecté les procédures de caisse et de comptabilité.

Les comportements adoptés par la salariée sont contraires au règlement intérieur.

Elle produit deux attestations établissant les faits.

La salariée n’apporte aucun élément permettant de contester les griefs.

Sur le harcèlement moral, la salariée ne fournit pas d’éléments permettant de démontrer ses accusations.

Contrairement à ce qu’elle prétend elle a effectué une enquête à la suite de la première dénonciation ; la salariée concernée a été licenciée. Ces faits remontent à plus de six mois par rapport au licenciement.

Les seuls éléments qu’apportent la salariée sont ses propres écrits qui sont insuffisants, nul ne pouvant se constituer une preuve à soi même.

Elle ne démontre pas une dégradation de son état de santé qui pourrait être liée à ses conditions de travail.

La salariée ne verse aucun certificat médical, le médecin du travail lors de la visite de reprise n’a pas relevé de faits pouvant s’apparenter à du harcèlement moral.

La demande de dommages et intérêts au titre du licenciement est excessive, la salariée n’ayant qu’une ancienneté de sept mois. Au regard du barème de l’article L 1235-1 du code du travail, elle ne peut que réclamer maximum un mois de salaire.

Elle ne verse aucun élément sur le préjudice qu’elle aurait subi.

Elle n’établit pas son préjudice au titre du harcèlement moral.

Enfin la demande de rappel de salaire ne repose sur aucun fondement juridique.

L’instruction de l’affaire a été clôturée le 4 mars 2022.

Motifs de la décision

La salariée mettant en cause l’employeur pour des faits de harcèlement moral, qui serait à l’origine du licenciement, il convient de rechercher si des agissements de harcèlement moral sont établis et s’ils sont liés au licenciement.

L’article L 1152-1 du code du travail dispose : ‘Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.’.

L’employeur doit veiller à ce que ses salariés n’adoptent pas des agissements de harcèlement moral et prendre toutes dispositions pour prévenir ou faire cesser ce type de comportement.

En application de l’article L 1154-1 du code du travail cas de litige, il appartient d’abord au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement ; que l’employeur doit ensuite prouver que ces faits ne sont pas constitutifs d’un harcèlement moral et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étranger à tout harcèlement.

Le juge doit considérer les faits pris dans leur ensemble pour apprécier s’ils permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral.

L’article L 1152-3 dispose que ‘toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L 1152-1 et L 1152-2 L 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire L 1152-2 est nul.’.

En l’espèce la salariée a subi des agissements de harcèlement moral dont s’est rendue responsable l’une de ses collègues courant novembre et décembre 2018, ces faits ne sont pas contestés par l’employeur.

Elle avait adressé au directeur un mail en décembre 2018 où était reproduit une attestation qu’elle avait rédigé, où elle dénonçait la collègue de travail harcelante et déjà son supérieur hiérarchique.

La salariée produit aux débats une lettre du 11 avril 2019 adressée à son supérieur hiérarchique direct M. [J] où elle expose que ‘en présence de mes collègues de travail et parfois au détriment des clients, une des difficultés majeures…est de systématiquement me faire des griefs dans la gestion de mes ventes dans l’enregistrement de mes encaissements, ou de définir au gré de votre humeur des points contradictoires pour appuyer votre agressivité à mon encontre, un comportement qui manque de courtoisie.’. Elle dénonçait aussi le fait que sa journée de repos du lundi ait été sans en discuter modifié et mis sur un autre jour et que cela soit imposé.

Elle a adressé une lettre du 25 avril 2019 à son supérieur hiérarchique, en lui exposant qu’elle n’a reçu aucune réponse suite à sa lettre du 11 avril 2019.

L’employeur a répondu à la salariée par lettre du 6 mai 2019 en écrivant ‘Nous déplorons les événements relatés dans vos courriers du 11 et 25 avril 2019.

L’employeur ajoutait toutefois que les échanges avec les membres de l’équipe ont révélé un comportement inapproprié de votre part impactant le climat social du magasin. Vous auriez du mal à accepter les remarques et les axes d’améliorations proposées pour vous aider à progresser.

La salariée verse aux débats l’attestation de M. [K] [E], son époux qui a confirmé que la salariée a subi un harcèlement moral d’une collègue de travail à son arrivée. Il ajoute avoir croisé en compagnie de son épouse le responsable du magasin en ville, il lui a dit que [U] était stressée par l’atmosphère régnant au magasin, elle doit quitter l’entreprise qui ne la retient pas. M. [E] précise qu’il a été choqué de ces propos alors que son épouse avait signé un contrat à durée indéterminée quelques jours auparavant. Il relate que l’accident survenu en trottinette alors que son épouse était en pause, est dû à son anxiété, le responsable l’avait menacé juste avant d’un licenciement.

Le témoin ajoute encore que :

– après l’accident, son épouse ne parvenait à obtenir les documents nécessaires pour être indemnisée et cela a été régularisé juste avant son licenciement,

– elle est dans une panique permanente car elle pense qu’elle va être licenciée, pas une personne y compris son responsable n’a téléphoné,

– elle a repris le travail avec la recommandation du médecin du travail de ne pas soulever des objets lourds, son responsable n’en a pas tenu compte ; elle porte des cartons, travaille dans la réserve et rentre à la maison avec des douleurs physiques,

– elle lui fait part du harcèlement qu’elle vit au quotidien. La responsable régionale lui a dit oralement que ‘Burton est conscient qu’il y a des problèmes de management, en particulier avec le responsable de [U]’.

– chaque jour le sujet principal est Burton, le matin, le soir, la nuit car elle devient insomniaque, ‘[U] finira licenciée et comprendra qu’au niveau régional ils avaient l’intention de se séparer de tout le monde pour réformer la boutique d'[Localité 3]’.

Il ressort de ces éléments pris dans leur ensemble que la salariée présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.

Si l’employeur a effectué une enquête sur les premiers faits mettant en cause une collègue de la salariée qui la harcelait, et qu’il l’a licenciée pour cause réelle et sérieuse le 21 janvier 2019, ce qui constitue un fait objectif, il reste que l’employeur dans sa lettre du 6 mai 2019 n’a pas contesté l’attitude harcelante du supérieure hiérarchique de la salariée et le changement imposé de jour de congé, l’employeur se contentant d’expliquer qu’il regrettait les événements relatés dans les courriers de la salariée.

Il ne verse aucun élément objectif justifiant sa décision de ne pas réagir à la dénonciation de la salariée.

Au contraire, il lui reproche dans le même courrier du 6 mai 2019 un comportement inapproprié de sa part impactant le climat social du magasin alors même que la salariée a dénoncé elle même des agissements d’harcèlement moral de son supérieur hiérarchique direct.

L’employeur ne justifie pas plus que la modification du jour de congé reposait sur des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

Le harcèlement moral dans ces conditions est établi.

En la licenciant par lettre du 24 mai 2019, l’employeur a reproché à la salariée des attitudes irrespectueuses et un comportement désinvolte et lui a fait grief de contribuer à la dégradation du climat social du magasin ; s’il apparaît que les griefs de comportement désinvolte et irrespectueux apparaissent établis au vu des pièces versées aux débats, il reste que la salariée était affectée lors des faits reprochés par des agissements d’harcèlement moral de son supérieur hiérarchique de sorte qu’elle pouvait difficilement à son travail adopter un comportement stable et serein. L’employeur est dès lors mal fondé à se prévaloir d’une attitude difficile de la salariée trouvant au moins en partie son origine dans le harcèlement moral subi et l’inaction de l’employeur par rapport à la dénonciation faite par la salariée par lettre du 11 avril 2019.

Il en résulte que le licenciement est directement lié au harcèlement moral subi.

Un tel licenciement est nul.

Le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions.

En cas de nullité, la salariée peut demander en vertu de l’article L 1235-3-1 du code du travail soit sa réintégration soit des dommages et intérêts réparant la perte d’emploi.

La salariée n’a pas demandé sa réintégration et sa demande en paiement de salaires depuis son licenciement est dès lors infondée et sera rejetée.

La salariée a droit au minimum à six mois de salaire à titre de dommages et intérêts.

Elle avait une ancienneté de moins d’une année et percevait un salaire mensuel de 1547 €.

Elle justifie qu’elle a effectué des recherches d’emploi en produisant des candidatures qui ont été rejetées, et qu’en novembre 2021, elle n’avait pas retrouvé d’emploi.

Elle a perçu des allocations de retour à l’emploi d’un montant moyen de 847 € par mois pendant une année, ces allocations ont diminué et elle a perçu à ce titre la somme de 345,67 € en novembre 2021.

La salariée même si elle avait une ancienneté peu importante subit donc un préjudice de perte d’emploi conséquent.

Il lui sera alloué au vu de ces éléments des dommages et intérêts de 11 000 € correspondant à un peu plus de sept mois de salaires.

La salariée a été fragilisée psychologiquement par le harcèlement moral et subit donc un préjudice moral. Il lui sera alloué de ce chef la somme de 5000 € à titre de dommages et intérêts.

Par ces motifs,

La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Infirme en toutes ses dispositions le jugement du 11 mars 2021 rendu par le conseil des prud’hommes d’Annecy ;

Statuant à nouveau,

Dit que le licenciement de Mme [E] résulte au moins partiellement du harcèlement subi par celle-ci et est nul ;

en conséquence,

Condamne la société Burton of London, Burton Annecy à payer à Mme [U] [E] les sommes suivantes :

– 11 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

– 5000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

Déboute Mme [E] de sa demande de paiement des salaires depuis le licenciement ;

Déboute Mme [E] du surplus de ses demandes à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et pour harcèlement moral ;

Condamne la société Burton of London, Burton Annecy aux dépens de première instance et d’appel ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Burton of London, Burton Annecy à payer à Mme [U] [E] la somme de 3500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Ainsi prononcé publiquement le 15 Septembre 2022 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Frédéric PARIS, Président, et Madame Delphine AVERLANT, faisant fonction de Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 


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