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22 février 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
20/00997
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 9
ARRÊT DU 22 FÉVRIER 2023
(n° , 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/00997 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBMJC
Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Novembre 2019 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MELUN – Section Encadrement – RG n° F18/00554
APPELANT
Monsieur [H] [V]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Sébastien WEDRYCHOWSKI, avocat au barreau de PARIS, toque : G0134
INTIMÉE
ASSOCIATION NOS PETITS FRÈRES ET SOEURS
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Grégoire BRAVAIS, avocat au barreau de PARIS, toque : P43
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Fabrice MORILLO, conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Monsieur Philippe MICHEL, président de chambre
Mme Valérie BLANCHET, conseillère
M. Fabrice MORILLO, conseiller
Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
– signé par Monsieur Philippe MICHEL, président et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 17 mai 2016, M. [V] a été engagé par l’association Nos Petits Frères et Soeurs en qualité de délégué général adjoint, statut cadre, l’intéressé exerçant en dernier lieu les fonctions de délégué général.
M. [V] a été licencié pour faute grave suivant courrier recommandé du 12 juin 2018.
Contestant le bien-fondé de son licenciement et s’estimant insuffisamment rempli de ses droits, M. [V] a saisi la juridiction prud’homale le 12 octobre 2018.
Par jugement du 26 novembre 2019, le conseil de prud’hommes de Melun a :
– débouté M. [V] de l’intégralité de ses demandes,
– condamné M. [V] aux entiers dépens,
– débouté l’association Nos Petits Frères et Soeurs de ses demandes reconventionnelles,
– rejeté les demandes plus amples et contraires.
Par déclaration du 4 février 2020, M. [V] a interjeté appel du jugement lui ayant été notifié le 13 janvier 2020.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 24 mars 2020, M. [V] demande à la cour de :
– infirmer le jugement,
– dire que le licenciement pour faute grave n’est pas justifié,
– fixer son salaire mensuel à la somme de 5 416,66 euros brut,
– condamner en conséquence l’association Nos Petits Frères et Soeurs à lui payer les sommes suivantes :
– 16 249,98 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 1 624,99 euros à titre d’indemnité de congés payés sur préavis,
– 3 141,66 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,
– 18 956 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif,
– 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonner la remise sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document de l’attestation destinée au Pôle Emploi, du certificat de travail et du bulletin de salaire conforme au jugement,
– condamner l’association Nos Petits Frères et Soeurs aux entiers dépens qui comprendront les frais d’exécution.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 10 novembre 2020, l’association Nos Petits Frères et Soeurs demande à la cour de :
– dire que le licenciement repose sur une faute grave,
– confirmer en conséquence le jugement en ce qu’il a débouté M. [V] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– condamner M. [V] au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
L’instruction a été clôturée le 4 octobre 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du 7 novembre 2022.
MOTIFS
Sur la rupture du contrat de travail
L’appelant fait valoir qu’en application de l’article 10 alinéa 4 des statuts de l’association, il appartenait au conseil d’administration d’autoriser au préalable le licenciement et que la violation de cette règle, insusceptible de régularisation, rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il précise qu’alors que l’intimée a été alertée des faits le 6 mars 2018, la convocation à un entretien préalable est datée du 4 mai 2018 et la notification du licenciement pour faute grave n’a été effectuée que le 12 juin 2018, ledit licenciement pour faute grave n’étant ainsi pas intervenu dans un délai restreint. Il souligne par ailleurs que faute pour l’employeur de justifier de la convocation à un entretien préalable dans le délai de deux mois énoncé à l’article L. 1332-4 du code du travail, les griefs invoqués à l’appui du licenciement sont prescrits, lesdits griefs ne pouvant en toute hypothèse justifier un licenciement pour faute grave ni même un licenciement pour faute simple.
L’intimée réplique que la lettre de licenciement vise 4 griefs qui, même pris individuellement, justifient pleinement le licenciement pour faute grave, soit la falsification de chèques de donateurs, de graves dérapages budgétaires outre le non-respect des procédures internes de l’association, l’envoi aux parrains et donateurs d’un courrier utilisant la signature du président sans même que celui-ci en ait été informé, caractérisant sur ce point la réitération d’un fait fautif, ainsi qu’un comportement inadmissible (mensonges) vis-à-vis notamment d’une grande donatrice. Elle précise que les faits fautifs ne sont pas prescrits en ce que la procédure de licenciement a été engagée avant l’expiration du délai de 2 mois prévu à l’article L.1332-4 du code du travail. Elle indique enfin que le pouvoir d’embaucher et de licencier n’appartient pas exclusivement au conseil d’administration et qu’il s’agit d’une compétence partagée avec le président de l’association, l’intimée soulignant en toute hypothèse que l’appelant a été entendu par le conseil d’administration le 3 mai 2018, séance au cours de laquelle les malversations litigieuses ont été évoquées.
Selon l’article L. 1235-1 du code du travail, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instructions qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié constituant une violation des obligations du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, le salarié licencié pour faute grave n’ayant pas droit aux indemnités de préavis et de licenciement.
L’employeur qui invoque la faute grave doit en rapporter la preuve.
En l’espèce, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est rédigée de la manière suivante :
« [‘] Nous faisons suite à l’entretien préalable de licenciement en date du 6 juin 2018, au coursduquel vous n’étiez pas accompagné.
Votre conduite au cours des derniers mois et semaines a été constitutive de plusieurs fautes graves.
A la suite d’une procédure d’alerte interne, nous avons été avertis que vous aviez falsifié au moins une vingtaine de chèques pour les déposer sur le compte de l’association, et ce malgré les mises en gardes répétées de nos bénévoles. Vous nous avez confirmé les faits au cours de l’audit diligenté par nos soins, ainsi qu’au cours de l’entretien préalable, et encore aujourd’hui je m’étonne que vous ne vouliez pas prendre conscience du caractère extrêmement grave de votre attitude et du risque que vous avez délibérément fait courir à notre association, tant au plan légal et pénal qu’au plan de sa réputation.
Comme si cela ne suffisait pas, nous avons ensuite découvert au cours de la clôture des comptes que vous avez engagé notre association dans des dépenses sans contrôle, au delà du budget approuvé par le conseil d’administration, à tel point que, malgré des revenus supérieurs de plus de 230.000€ à ceux escomptés, notre association présente un déficit de plus de 180.000€ à la fin de l’exercice clos au 31 décembre 2017. Ces pertes viennent réduire nos réserves, déjà assez faibles, de près de moitié, mettant gravement en danger le fond de roulement de notre association.
Bien que ce soit votre deuxième exercice et que vous connaissiez le calendrier des travaux de clôture des comptes, vous n’avez pas fourni à nos commissaires aux comptes un certain nombre d’éléments nécessaires à leurs travaux de revue, en particulier en vue d’obtenir le rapport de nos auditeurs en [D].
Il en résulte que nos commissaires aux comptes ont émis une réserve dans la certification des comptes de notre association, leur rapport refusant de se prononcer sur la bonne utilisation desfonds que nous avons transférés en [D]. Cette réserve est de nature à entacher gravement la confiance de nos donateurs dans l’utilisation des fonds qu’ils nous confient, et risque d’impacter leur soutien financier dans l’avenir.
J’ai découvert également que vous aviez fait adresser à nos parrains et donateurs, en l’absence de tout accord de ma part, une lettre utilisant la copie de ma signature et dans laquelle vous mettez sous ma plume le témoignage d’un déplacement en [D] qui est matériellement faux. Cette attitude est particulièrement condamnable de votre part alors que vous aviez déjà fait preuve d’une légèreté similaire au mois de mars 2017 avec, à l’époque, un projet de lettre à la signature du Père [J], qui dirige nos activités en [D], et contenant des éléments matériellement faux. Le Père s’en était ému et avait déclenché une procédure d’audit interne à l’encontre de notre association.
Sans même parler d’éthique, cette désinvolture avec les faits par ailleurs aisément vérifiables à l’heure des réseaux sociaux est de nature à semer le doute sur la réalité de notre action pour les enfants d'[D] et à jeter le discrédit sur la réputation de notre association.
Le 12 mai dernier, enfin, je reçois un courriel d’une grande donatrice de notre association, Madame [I], qui vient se plaindre de vous en des termes extrêmement spécifiques. Vous lui avez indiqué que notre association était labellisée par ‘Le Don en Confiance’.
Votre attitude à son égard ayant généré un doute (notre documentation n’en fait pas mention, vous lui avez indiqué que c’était normal car nous avions obtenu très récemment ce label), notre donatrice a effectué la vérification auprès du Don en Confiance, qui leur a confirmé que nous ne faisions pas partie de leur label. J’ai moi même échangé par téléphone avec cette donatrice, très remontée, qui met en cause soit votre compétence, soit votre honnêteté. Il m’a fallu une heure pour la calmer, et lui adresser toute notre documentation financière.
Sans parler de la perte de votre crédit auprès des bénévoles et des salariés que vous avez la mission d’animer, ces faits ont gravement mis en cause la bonne marche de notre association. Le seul véritable actif d’une association comme la nôtre est la confiance que nous accordent nos donateurs, les autorités et le public en général, et ces faits sont de nature à l’entamer durement et durablement.
C’est pourquoi, compte tenu de leur gravité et malgré vos explications lors de notre entretien préalable, nous sommes au regret de devoir procéder à votre licenciement pour faute grave.
Pour ces mêmes raisons, votre maintien dans l’entreprise s’avère impossible, y compris durant la période de préavis. Votre licenciement prend donc effet à compter de la première présentation de cette lettre, sans indemnité de licenciement ni de préavis. […] »
Selon l’article L. 1232-6 du code du travail, dans sa version applicable au litige, lorsque l’employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception. Cette lettre comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur. Elle ne peut être expédiée moins de deux jours ouvrables après la date prévue de l’entretien préalable au licenciement auquel le salarié a été convoqué.
En application de ces dispositions, il est établi que le licenciement doit être notifié au salarié par l’employeur et que la lettre de licenciement doit être signée, le licenciement, qui ne peut aucunement être notifié par une personne extérieure à l’entreprise, pouvant cependant également l’être par un salarié de l’entreprise mandaté pour ce faire ou dont les fonctions l’y autorise.
Il résulte des statuts de l’association intimée et notamment de son article 10 (pouvoirs du conseil d’administration) que le conseil d’administration « peut notamment décider de recruter ou licencier tous employés, fixer leur rémunération, acheter ou prendre à bail les locaux nécessaires aux besoins de l’association et statuer sur l’admission ou l’exclusion des membres adhérents, bienfaiteurs ou honoraires », l’article 12 (pouvoirs du président) prévoyant que ce dernier « signe tous actes, tous contrats, toutes mesures ou tous extraits des délibérations intéressant l’association. »
Etant rappelé qu’en l’absence de disposition statutaire contraire attribuant cette compétence à un autre organe, il est constant qu’il entre dans les attributions du président de l’association de mettre en oeuvre la procédure de licenciement d’un salarié, la cour relève en l’espèce qu’il résulte de l’application combinée des articles 10 et 12 des statuts de l’association que le pouvoir de licencier un salarié n’appartient pas exclusivement au conseil d’administration (ainsi que cela résulte de l’emploi des termes « peut notamment ») mais qu’il s’agit d’une compétence partagée avec le président de l’association (qui « signe tous actes, tous contrats et toutes mesures ») et qu’il entrait dès lors dans les attributions de ce dernier, qui avait signé le contrat de travail, de mettre en oeuvre la procédure de licenciement de l’appelant et de signer la lettre de licenciement.
Il sera en toute hypothèse observé à la lecture du procès-verbal de séance du conseil d’administration de l’association du 3 mai 2018, que les faits litigieux, la procédure d’alerte et le rapport d’enquête interne y ont été évoqués et que l’appelant a été entendu en ses explications, le procès-verbal mentionnant que « Les membres du conseil constatent que, même en l’absence de préjudice financier passé, NPFS ne saurait prendre le moindre risque notamment de réputation vis-à-vis des donateurs qui lui font confiance, et envisagent de mettre immédiatement en place des correctifs. Ils évoquent les mesures qui pourraient être prises dans le cadre de cette procédure d’alerte et suite au rapport d’enquête. »
Il en résulte qu’aucune absence de cause réelle et sérieuse du licenciement ne peut être retenue de ce chef.
S’agissant de la prescription, il résulte de l’article L. 1332-4 du code du travail qu’aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales, étant rappelé qu’en application de ces dispositions, le point de départ du délai de prescription est constitué par le jour où l’employeur a une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés au salarié et que l’engagement de poursuites disciplinaires s’entend de la convocation à l’entretien préalable lorsque celui-ci est obligatoire.
Par ailleurs, selon l’article L. 1232-2 du code du travail, l’employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable. La convocation est effectuée par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge. Cette lettre indique l’objet de la convocation. L’entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation.
En l’espèce, au vu des différentes pièces versées aux débats et notamment du rapport d’enquête interne du cabinet Solwos Avocats en date du 30 avril 2018 dont il résulte que des investigations ont été décidées par la direction de l’association à la suite de mails d’alerte de Mme [E] (gestionnaire administrative) en date des 6 et 16 mars 2018 l’ayant informée de l’existence d’anomalies graves dans la gestion des chèques de dons, la cour retient que c’est effectivement à la suite de ces courriels d’alerte qu’une enquête interne a été mise en oeuvre par l’association, enquête dans le cadre de laquelle différents témoignages de salariés (dont celui de l’appelant) et de bénévoles de l’association ont notamment été recueillis le 27 mars 2018.
Il apparaît ainsi que la direction de l’association n’a pu avoir accès à l’intégralité des éléments concernant l’activité professionnelle du salarié et ainsi bénéficier d’une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés à ce dernier, qu’à l’issue de cette enquête ayant notamment donné lieu à la rédaction d’un rapport d’enquête le 30 avril 2018, ledit rapport ayant été adressé à l’association suivant mail du 2 mai 2018.
Si l’appelant conteste avoir été rendu destinataire de la convocation à un entretien préalable du 4 mai 2018, il résulte cependant des pièces versées aux débats par l’employeur que celui-ci produit ledit courrier recommandé du 4 mai 2018 convoquant le salarié à un entretien préalable fixé au 6 juin 2018, l’association intimée justifiant que le courrier litigieux a bien été envoyé dès le 4 mai 2018 et distribué à son destinataire le 12 mai 2018 ainsi que cela résulte du courrier du service Courrier Colis de La Poste en date du 28 mai 2019 ainsi que l’avis de réception du 12 mai 2018, étant observé de ce dernier chef qu’aucun élément versé aux débats par l’appelant ne permet d’établir que l’avis de réception litigieux aurait été signé par un tiers.
Etant de surcroît constaté que l’envoi de la convocation par courrier recommandé avait été doublé d’un envoi par mail du 4 mai 2018 à 17h53 (effectivement lu par l’appelant à 19h11), l’intéressé s’étant au surplus régulièrement présenté lors de l’entretien préalable du 6 juin 2018 dont il avait dès lors nécessairement connaissance, il apparaît que tant les dispositions précitées de l’article L. 1232-2 du code du travail que celles de l’article L. 1332-4 du même code ont effectivement été respectées en l’espèce, en ce que la procédure de licenciement a été engagée dès le 4 mai 2018, date de convocation à l’entretien préalable par courrier recommandé.
Dès lors, la cour relève qu’aucune prescription des faits litigieux ne peut être retenue en l’espèce, l’engagement de la procédure de licenciement pour faute grave apparaissant par ailleurs être intervenu dans un délai restreint après que l’employeur a eu connaissance des faits allégués eu égard à la nécessité de procéder aux vérifications nécessaires et de se laisser un délai de réflexion, étant rappelé que le licenciement pour faute grave n’implique pas nécessairement la mise en ‘uvre d’une mesure immédiate de mise à pied conservatoire.
Pour caractériser le comportement du salarié ainsi que l’existence d’une faute grave, l’employeur produit les éléments justificatifs suivants :
– le rapport précité d’enquête interne du cabinet Solwos Avocats en date du 30 avril 2018,
– les mails d’alerte précités de Mme [E] (gestionnaire administrative) en date des 6 et 16 mars 2018,
– la copie des différents chèques de dons faisant l’objet d’anomalies,
– des éléments financiers et comptables afférents à l’association,
– les rapports des commissaires aux comptes pour les exercices clos les 31 décembre 2015, 2016 et 2017,
– différents échanges de mails avec l’appelant au cours des mois de mars à juin 2018,
– les procès-verbaux de séance du conseil d’administration de l’association des 3 mai 2018 et 24 juin 2020.
Il ressort de ces différents éléments, dont aucune autre pièce versée aux débats, mises à part les seules affirmations de principe de l’appelant, ne permet d’établir le caractère mensonger, déloyal et purement à charge ou le défaut de valeur probante, que l’appelant, en sa qualité de délégué général, s’est à plusieurs reprises délibérément abstenu de respecter les procédures internes en vigueur au sein de l’association, et ce s’agissant de la réception et du traitement des chèques de dons.
Il apparaît notamment que l’intéressé avait en dernier lieu pris l’habitude de procéder seul à l’ouverture du courrier dans son bureau (et non dans l’open space avec les autres salariés et bénévoles comme cela était le cas jusqu’alors) mais, surtout, qu’il n’hésitait pas à procéder à la modification de certains chèques de dons parvenus à l’association pour permettre leur encaissement, et ce en rectifiant ou raturant l’ordre des chèques (notamment pour faire apparaître le nom de l’association intimée lorsque les donateurs avaient indiqué comme bénéficiaire l’association « les petits frères des pauvres » ou « les petites soeurs des pauvres »), en apposant une date ou une signature lorsqu’elles étaient manquantes ainsi qu’en renseignant ou en modifiant un montant, et ce alors qu’une procédure spécifique existait au sein de l’association aux fins de renvoyer les chèques aux donateurs lorsque ceux-ci étaient incomplets ou incorrectement libellés.
Il résulte par ailleurs des témoignages des autres salariés et bénévoles de l’association ainsi que des copies de chèque produites que, si l’appelant n’avait manifestement pas d’intention malveillante, il a néanmoins procédé de la sorte à de nombreuses reprises (à tout le moins une vingtaine de fois), l’intéressé n’ayant en outre pas estimé nécessaire, dans un premier temps, de mettre fin à sa pratique, et ce malgré l’étonnement et les alertes des autres salariés et bénévoles quant au caractère illicite de ses agissements ainsi qu’aux risques y afférents, les témoins entendus ajoutant qu’il avait même plaisanté à ce sujet en indiquant que toute la responsabilité reposait sur les épaules du président de l’association et non sur les siennes.
La cour retient dès lors que l’appelant, qui a reconnu avoir pris l’initiative, concernant une douzaine de chèques dont les ordres étaient incomplets ou inexacts, de les modifier « dans un souci de praticité » avant de cesser ses agissements lorsqu’il s’était rendu compte que cette initiative était « inadaptée », a ainsi accompli des actes de nature à engager sa propre responsabilité civile ou pénale ainsi que celle de l’association et de son président, et à porter atteinte à l’image et à la réputation de l’association ainsi qu’à la confiance des donateurs.
Il ressort également des pièces comptables et financières produites par l’intimée que l’appelant a dépassé le budget approuvé par le conseil d’administration de l’association concernant les dépenses engagées aux fins de recherche et de collecte de fonds (1 037 893 euros au lieu de 799 000 euros, soit un dépassement de plus de 25 %), ledit dépassement ayant eu pour conséquence un résultat déficitaire de 181 936 euros au titre de l’exercice 2017 ainsi qu’une forte diminution des réserves de l’association.
Il sera de surcroît relevé à la lecture des échanges de mails avec l’appelant au titre de la période litigieuse que ce dernier a reconnu avoir, de sa propre initiative, engagé des dépenses supplémentaires en mailing, prospection et télémarketing pour environ 100 000 euros, avoir engagé une campagne digitale pour 50 000 euros, lancé une campagne internet pour 45 000 euros et avoir chargé une agence de la réalisation d’un film publicitaire pour 45 000 euros, l’intéressé ayant ainsi manifestement outrepassé les directives qui lui avaient été données de ces chefs, et ce sans aucune autorisation ni information préalable du conseil d’administration, mettant en outre en danger la santé financière et économique de l’association.
Concernant également le domaine financier, il apparaît que le défaut de diligences du salarié (notamment en charge, en sa qualité de délégué général de l’association, de s’assurer du respect des règles en matière de finances et de comptabilité) a contribué au fait que les commissaires aux comptes ont émis une réserve quant à la certification des comptes de l’association au titre de l’exercice clos le 31 décembre 2017, et ce s’agissant de la bonne utilisation des fonds transférés à [D], l’appelant n’ayant pas veillé à la bonne réception, dans les délais requis, des différents éléments financiers ainsi que du rapport devant être établis et transmis par l’auditeur de l’association basé à [D] (M. [Y]), le mail de relance du 16 mai 2018 invoqué par l’appelant apparaissant beaucoup trop tardif en ce que les documents précités auraient dû être transmis dès le mois de mars compte tenu d’une assemblée générale prévue le 29 mai 2018 (les documents litigieux n’ayant finalement été adressés que le 21 mai 2018, ce qui n’a pas permis aux commissaires aux comptes de procéder à la vérification de l’état de provenance et de l’utilisation des fonds reçus concernant [D] avant de rédiger leur rapport). Il sera noté que cette réserve émise par les commissaires aux comptes était également de nature à porter atteinte à l’image de l’association relevant du statut d’association à caractère exclusif de bienfaisance et bénéficiant d’un dispositif de rescrit social lui ayant été accordé par l’administration fiscale.
Il apparaît en outre qu’en février 2018, l’appelant a fait parvenir aux parrains et donateurs de l’association un courrier comportant la signature du président de l’association (M. [C]) sans en avoir informé ce dernier ni avoir obtenu un accord de sa part, et ce en mettant de surcroît en avant le fait que M. [C] venait d’effectuer un déplacement en [D] alors qu’un tel voyage n’avait jamais eu lieu, faisant dès lors courir à l’association un risque de discrédit et de perte de sa réputation, l’appelant, interrogé sur son attitude, ayant à nouveau fait preuve d’un manque total de prise de conscience quant à son comportement ainsi qu’aux conséquences négatives pouvant en résulter pour l’association, en indiquant qu’il était habituel que le signataire ne soit pas forcément le témoin de l’histoire, que c’était du marketing direct et que toutes les associations procédaient de la même manière, avant de finalement reconnaître qu’il avait « pris quelques libertés », qu’il s’en excusait et que cela ne se reproduirait pas.
Or, il sera observé que l’appelant avait déjà été à l’origine d’une difficulté similaire en préparant un projet de lettre en mars 2017 devant être signé par le père [J] (responsable des activités de l’association en [D]), ledit courrier reprenant des éléments matériellement faux concernant le montant des dons collectés et envoyés après l’ouragan [A], ce qui avait entraîné une réaction extrêmement négative de l’intéressé et la saisine par ce dernier du comité d’audit (grievance commitee) de l’association au niveau international.
Enfin, il sera noté que l’attitude de l’appelant a directement été à l’origine d’un différend avec l’une des « grandes donatrices » de l’association (Mme [I]), cette dernière ayant fait parvenir un mail à l’association le 12 mai 2018 pour se plaindre de l’attitude de l’appelant ainsi que pour faire part de son vif mécontentement relativement au fait que ce dernier lui avait affirmé que l’association avait reçu la certification « Don en confiance » alors que cela était manifestement inexact (l’appelant ne pouvant dès lors sérieusement affirmer de ce chef qu’il s’agissait d’une simple incompréhension de part et d’autre), obligeant le président de l’association à intervenir personnellement pour régler la difficulté.
Au vu de ces différents éléments précis, circonstanciés et concordants, il apparaît que l’employeur justifie de la réalité et de la matérialité des manquements et agissement fautifs reprochés à l’appelant, ce dernier ne produisant pas, en réplique, de pièces de nature à remettre en cause les éléments précités versés aux débats par l’employeur s’agissant du déroulement des faits litigieux, le fait que l’association n’ait pas déposé de plainte pénale à son encontre étant sans aucune incidence dans le cadre du présent litige.
Au regard de l’ensemble des développements précédents, la cour estime, eu égard à la réitération et à l’accumulation des faits fautifs ainsi qu’à la désorganisation de l’activité et à l’atteinte portée à la bonne marche ainsi qu’à l’image de l’association, que les agissements du salarié rendaient effectivement impossible son maintien dans la structure, et ce nonobstant son ancienneté ou l’absence d’antécédents disciplinaires, ceux-ci ne pouvant aucunement être retenus en l’espèce comme des circonstances permettant au salarié de s’exonérer des conséquences de son comportement.
Par conséquent, la cour confirme le jugement en ce qu’il a dit que le licenciement du salarié pour faute grave était fondé et justifié et en ce qu’il a débouté l’intéressé de l’ensemble de ses demandes afférentes à la rupture de son contrat de travail.
Sur les autres demandes
En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, le salarié sera condamné à payer à l’employeur la somme de 500 euros au titre des frais exposés en cause d’appel non compris dans les dépens.
Le salarié, qui succombe, supportera les dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne M. [V] à payer à l’association Nos Petits Frères et Soeurs la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
Condamne M. [V] aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT