Non-respect des procédures internes : 22 juin 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/00908
Non-respect des procédures internes : 22 juin 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/00908
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22 juin 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n°
21/00908

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 22 JUIN 2023

N° RG 21/00908 –

N° Portalis DBV3-V-B7F-UMPA

AFFAIRE :

Société LEBARA FRANCE LIMITED

C/

[M] [W]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 Février 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : C

N° RG : F 16/02425

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Chantal DE CARFORT

Me Bruno GAMBILLO

le :

Copie numérique délivrée à :

Pôle emploi

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT DEUX JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant, devant initialement être rendu le 15 juin 2023 et prorogé au 22 juin 2023, les parties en ayant été avisées, dans l’affaire entre :

Société LEBARA FRANCE LIMITED

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 4] (GRANDE-BRETAGNE)

Représentants : Me Chantal DE CARFORT de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 462 et Me Hind JALAL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : 08

APPELANTE

****************

Monsieur [M] [W]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Bruno GAMBILLO, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2566

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 06 avril 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Domitille GOSSELIN,

Rappel des faits constants

La société Lebara France Limited est la filiale française du groupe international Lebara, lequel est spécialisé dans la vente de cartes téléphoniques prépayées pour la téléphonie mobile, essentiellement destinées au marché dit « ethnique » (i.e. pour des appels vers l’étranger, surtout l’Afrique). Elle emploie plus de dix salariés et applique la convention collective nationale des télécommunications du 26 avril 2000.

M. [M] [W], né le 7 juillet 1976, a été engagé par cette société, selon contrat de travail à durée indéterminée du 28 novembre 2011 à effet au 12 décembre 2011, en qualité de chef de secteur région Île-de-France, statut non cadre, groupe C, moyennant un salaire annuel initial de 22 000 euros brut. En plus de sa rémunération fixe, M. [W] était éligible à un plan de commissionnement aux termes duquel il pouvait prétendre chaque année, s’il atteignait partiellement ou s’il dépassait ses objectifs, à une rémunération variable pouvant aller de 60 % jusqu’à 150 % de son salaire fixe annuel.

Par courrier du 8 février 2016, la société Lebara a convoqué M. [W] à un entretien préalable qui s’est déroulé le 16 février 2016.

Puis, par courrier du 24 février 2016, la société Lebara a notifié à M. [W] son licenciement pour motifs personnels dans les termes suivants :

« Je fais suite à notre entretien du mardi 16 février 2016 pendant lequel j’étais accompagné de votre supérieur hiérarchique, M. [Y] [U], responsable des ventes détaillants spécialisés.

M. [G] [E], chef de secteur et délégué du personnel vous assistait.

Au cours de cet entretien, nous vous avons exposé les griefs que nous avions à formuler à votre encontre.

En votre qualité de chef de secteur, vos missions consistent « à créer et développer un portefeuille clients de la zone géographique dans le respect de la politique commerciale de l’entreprise, afin de développer le volume, le chiffre d’affaires et la part de marché de Lebara sur son secteur ». Vous devez, dans le cadre de ces fonctions, « respecter les procédures mises en place dans l’entreprise pour le bon fonctionnement de l’activité », « effectuer un reporting journalier à l’aide de l’outil transactionnel ATIC [Assistant de Transaction et d’information Commerciales] afin d’enregistrer les commandes et toutes autres données liées à l’activité » et « travailler en collaboration avec l’équipe et en particulier la direction financière ».

Or l’audit réalisé à la mi-janvier 2016 d’une part, auprès de points de ventes distribuant les produits dans votre zone d’intervention et d’autre part, concernant le respect des procédures applicables à l’entreprise, a fait ressortir les anomalies suivantes :

1. Conformément à la synthèse des procédures générales et ATIC, en vigueur dans l’entreprise qui vous a été rappelée par email le 15 janvier 2013, il vous appartient : « pour les paiements avec utilisation d’un avoir lié au commissionnement bonus top up, il est nécessaire d’éditer une facture plus le reçu avec le détail du mode de règlement pour que l’avoir y soit mentionné, puis les remettre au client et effectuer un duplicata de ces deux reçus qui seront à agrafer dans votre classeur d’archivage ».

Or l’audit fait apparaître que des factures que vous avez saisies dans votre outil ATIC auprès de cinq de vos points de ventes (SARL Sevran Phone, Allo réseau, Omra Phone, Just mobile et Mono phone, pour un montant total de 746 euros sur une période allant du 4/02/2015 au 14/12/2015 et Eliocom (voir ci-dessous) ne sont pas conformes aux procédures de l’entreprise.

Je vous ai interrogé sur ce sujet lors de notre entretien du 29 janvier 2016, et vous ai demandé par écrit, de me fournir ces justificatifs au plus tard le 5 février 2016.

Vous n’avez pas communiqué ces éléments.

Lors de l’entretien préalable du mardi 16 février vous nous avez communiqué des éléments qui ne concernent qu’une partie seulement des clients en cause et qui au surplus se sont avérés incomplets et ne répondant toujours pas à la procédure applicable dans l’entreprise (documents non nominatifs sans pièces comptables notamment).

Concernant le compte Eliocom, vous n’avez présenté aucun justificatif de nature à justifier la remise des produits et des commissions facturées par vos soins pour 4 transactions correspondant à un montant total de 550 euros (pour une période comprise entre le 20/12/2012 et le 02/08/2013). Le point de vente Eliocom nous indique n’avoir jamais reçu ses factures, ni les recharges concernées.

Pour rappel et conformément aux procédures de l’entreprise, il est de votre responsabilité de produire les factures, les duplicatas, et d’archiver les pièces comptables et financières liées à votre activité commerciale et ce sans limite de délai. Une procédure et des moyens sont mis à votre disposition par l’entreprise et votre responsable a la possibilité de récolter ces pièces si vous estimez qu’elles ne sont plus utiles dans le cadre de vos missions ou bien qu’elles vous encombrent. La finalité de cette procédure est, comme vous le savez par expérience, le seul moyen pour Lebara d’éviter des litiges tant financiers, fiscaux qu’au titre de la protection de votre intégrité car il s’agit des preuves confirmant la bonne réception de fonds et/ou de produits. Dans la mesure où faute pour vous d’avoir réuni les justificatifs en question Lebara n’est aujourd’hui pas en mesure de justifier les règlements auprès de ces distributeurs, nous pourrions donc nous voir contraints de payer à nouveau ces commissions ; cette situation pourrait également générer des conséquences graves pour ces points de ventes (redressement fiscal, etc.).

2. Le règlement sur la gestion des produits et matériels, en vigueur dans l’entreprise que vous avez signé le 19 décembre 2011 et qui vous a été rappelé par LRAR le 7 janvier 2016 indique que : « un audit mensuel sera réalisé sur les SIM et cartes de recharge qui vous ont été octroyés, les sommes que vous avez reçues et les montants versés par vos soins au compte bancaire de Lebara. Au cours de cet audit mensuel, vous devrez justifier de l’ensemble des mouvements de produits et de fonds. Toute perte, manque ou vol de SIMs et cartes de recharge sera de votre responsabilité ». De plus, en amont de chaque réunion mensuelle, M. [U] rappelle aux membres de son équipe par email, qu’il est impératif de se présenter avec l’ensemble des preuves de stock physique (SIM valeurs & recharges) pour l’inventaire mensuel.

Il apparaît que lors des inventaires mensuels vous vous êtes présenté à votre responsable hiérarchique avec un stock partiel et n’avez pas présenté ni fourni de justifications :

– 2 décembre 2016 : 1580 produits manquants et non justifiés,

– 11 janvier 2016 280 produits manquants et non justifiés,

– 8 février 2016 : 525 produits manquants et non justifiés.

Vous n’avez pas présenté vos justificatifs de stock « hors valeur financière ». En réponse, vous avez confirmé avoir connaissance de ce règlement et avez reconnu n’avoir pas apporté votre stock lors de ces inventaires mensuels en expliquant « ne pas être un administratif », malgré les rappels répétés de votre responsable sur l’importance des inventaires mensuels, applicables à tous les commerciaux dont vous connaissez l’impact pour le bon fonctionnement de l’entreprise notamment en termes logistique et financier.

3. Vous avez été informé lors de la réunion commerciale de janvier 2016, que les « offres promotionnelles SIM 7,50 euros » n’étaient valables qu’une seule fois par mois par point de vente détaillant existant et nouveaux points de vente : règle qui vous a été rappelée par email le 12 janvier 2016 par le service opérations.

Le 14 janvier 2016, M. [U] a pour autant constaté que vous aviez utilisé cette promotion à deux reprises le 13 janvier 2016 auprès du point de vente RADA.com. Nous vous avons interrogé sur ce point, et vous nous avez confirmé avoir appliqué cette promotion à deux reprises auprès de ce même client. Vous avez donc octroyé une promotion supplémentaire à ce distributeur de votre propre initiative en contradiction totale avec les directives transmises par votre hiérarchie.

4. Comme vous le savez (e-mail du 9 août 2012), il est obligatoire de saisir toutes les visites dans votre outil ATIC, y compris les visites sans transactions. Ce point est rappelé lors de chaque réunion mensuelle à l’occasion du point sur la performance individuelle basée sur le « SFA BDE productivity report » et détaillant l’ensemble des indicateurs de performance par commercial de chaque pays.

Malgré ces rappels réguliers, M. [U] a constaté que vous ne saisissiez pas l’intégralité de vos visites dans votre outil ATIC (cf. e-mails mensuels SFA BDE report) et que vous n’avez pas jugé utile de réagir sur ce point.

5. Conformément aux procédures internes et rappels répétés de M. [U] (e-mails du 13 mai 2015, 30 juin 2014, 7 mai 2014, 3 novembre 2013), il est de votre responsabilité d’actualiser la base client qui vous est affectée et de remonter tout changement éventuel, au minimum une fois par mois ; ceci afin que le service opérations puisse actualiser sa base de données.

Nous avons cependant constaté une absence des mises à jour des informations terrain depuis le 27 mars 2015.

Lors de notre entretien, vous avez donc admis être parfaitement informé de l’ensemble des procédures pour chacun des sujets évoqués et pour autant ne pas les avoir respectées au prétexte que vous produisez des résultats commerciaux et que vous n’êtes pas un administratif.

En conséquence, compte tenu de l’ensemble des faits qui vous sont reprochés, et vos explications n’ayant pas été convaincantes, nous vous confirmons que nous procédons à votre licenciement. La répétition de ces manquements et votre refus de changer de comportement perturbent gravement l’organisation du service et la bonne marche de l’entreprise.

La date de présentation de cette lettre fixe le point de départ de votre préavis d’une durée de deux mois, que nous vous dispensons d’effectuer mais qui vous sera intégralement rémunéré aux échéances habituelles de paie. [‘]

Enfin, nous vous informons que nous renonçons à l’application de la clause de non-concurrence contenue dans votre contrat de travail. »

La société Lebara France Limited dispensait M. [W] de l’exécution du préavis de deux mois, qu’elle lui rémunérait sur la base de son salaire fixe.

M. [W] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre en contestation de son licenciement et aux fins de se faire reconnaître le statut de VRP, par requête reçue au greffe le 3 août 2016.

La décision contestée

Par jugement contradictoire rendu le 15 février 2021, la section commerce du conseil de prud’hommes de Nanterre a :

– reconnu le statut de VRP à M. [W],

– condamné la société Lebara France Limited à verser à M. [W] les sommes suivantes :

.75 692 euros à titre d’indemnité de clientèle,

. 3 144 euros au titre du solde de l’indemnité de préavis,

. 314,40 euros au titre des congés payés afférents,

. 25 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 3 000 euros à titre d’indemnité pour sujétion domicile privé à des fins professionnelles,

. 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– dit que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter de la réception de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation par la partie défenderesse, soit le 5 août 2016, pour les créances à caractère salarial et à compter de la date de la mise à disposition du jugement pour le reste,

– rappelé que l’exécution provisoire est de droit sur les sommes à caractère salarial en application de l’article R. 1454-28 du code du travail, la moyenne des salaires s’élevant à 3 942 euros,

– ordonné en application des dispositions de l’article 515 du code de procédure civile, l’exécution provisoire sur le surplus de la décision, ce nonobstant un éventuel appel,

– débouté M. [W] du surplus de ses demandes,

– débouté la société Lebara France Limited de sa demande formulée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société Lebara France Limited aux dépens y compris les frais éventuels d’exécution de la décision.

Concernant le statut de VRP, le conseil de prud’hommes a retenu que M. [W] avait développé la clientèle de la société Lebara sur le territoire géographique de la Seine-Saint-Denis, au regard de la liste de clients auprès desquels il a obtenu la signature de commandes, que son salaire comportait une partie fixe et une partie variable et qu’il travaillait exclusivement pour le compte de la société Lebara.

Concernant la sujétion d’occupation du domicile privé à des fins professionnelles, le conseil de prud’hommes a retenu que le salarié devait stocker à son domicile des caisses de cartes téléphoniques, la documentation nécessaire à la prise de commandes et du matériel informatique, qu’en outre il ne disposait d’aucun bureau dans les locaux de l’entreprise où il ne se rendait que très ponctuellement pour des réunions, mais jamais pour y travailler.

M. [W] avait formulé, devant le conseil de prud’hommes, les demandes suivantes :

– indemnité de clientèle : 75 692 euros,

– indemnité de préavis (solde) : 3 144 euros,

– congés payés : 314,40 euros,

– intérêts légaux, avec anatocisme, à compter de la réception par la défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation,

– indemnité pour sujétion domicile privé à des ‘ns professionnelles : 6 000 euros,

– indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 50 000 euros,

– dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat : 20 000 euros,

– article 700 du code de procédure civile : 2 500 euros,

– intérêts légaux avec anatocisme,

– exécution provisoire (article 515 code de procédure civile),

à titre subsidiaire,

– solde d’indemnité conventionnelle de licenciement : 519,85 euros.

La procédure d’appel

La société Lebara France Limited a interjeté appel du jugement par déclaration du 19 mars 2021 enregistrée sous le numéro de procédure 21/00908.

Par ordonnance rendue le 1er mars 2023, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 6 avril 2023.

Prétentions de la société Lebara France Limited, appelante

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 15 décembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la société Lebara France Limited demande à la cour d’appel de :

– accueillir ses demandes en ce qu’elles sont recevables et bien fondées,

– débouter M. [W] de toutes ses demandes principales, fins et conclusions et de toutes ses demandes reconventionnelles,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

. reconnu le statut de VRP à M. [W],

. l’a condamnée au paiement de l’indemnité de clientèle, de l’indemnité de préavis, des congés payés afférents à l’indemnité de préavis, de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de l’indemnité pour sujétion du domicile privé à des fins professionnelles,

. l’a condamnée au paiement des entiers dépens,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la demande de M. [W] relative à l’exécution déloyale du contrat de travail,

et statuant à nouveau,

sur le licenciement de M. [W]

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– dire et juger le licenciement de M. [W] fondé sur une cause réelle et sérieuse,

– débouter M. [W] de sa demande de dommages-intérêts relatifs à un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

sur le statut VRP

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a reconnu le statut VRP à M. [W],

– dire et juger que le statut de VRP n’est pas applicable à M. [W],

– débouter M. [W] de sa demande tendant à obtenir le paiement d’une indemnité de clientèle de 75 692 euros,

à titre subsidiaire, si, par extraordinaire, la cour venait à confirmer la condamnation de la société Lebara France Limited au paiement d’une indemnité de clientèle,

– ordonner à M. [W] de lui restituer la somme de 5 688,05 euros qui lui a été payée au titre de son indemnité de licenciement,

sur l’indemnité d’occupation du domicile à des fins professionnelles

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a fait droit à la demande de M. [W] au paiement d’une indemnité pour sujétion du domicile privé à des fins professionnelles,

– débouter M. [W] de sa demande relative au paiement d’une indemnité pour sujétion du domicile privé à des fins professionnelles de 6 000 euros,

sur le solde d’indemnité de préavis et congés afférents

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a fait droit à la demande de M. [W] relative au paiement d’un solde d’indemnité de préavis de 3 144 euros,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a fait droit à la demande de M. [W] relative aux congés afférents à l’indemnité de préavis,

– dire et juger que M. [W] a été rempli de tous ses droits au titre de toute somme ayant la nature de salaire,

– débouter M. [W] de sa demande relative au paiement d’un solde d’indemnité de préavis de 3 144 euros,

– débouter M. [W] de sa demande relative aux congés afférents à l’indemnité de préavis,

sur l’exécution loyale du contrat de travail

– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. [W] de sa demande tendant à obtenir des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail de la part de l’employeur,

en tout état de cause,

– condamner M. [W] aux entiers dépens qui seront recouvrés par Me de Carfort, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

– condamner M. [W] au versement de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Prétentions de M. [W], intimé

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 17 septembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, M. [W] demande à la cour d’appel de :

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il :

. lui a reconnu le statut de VRP,

. a jugé que le licenciement de M. [W] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

. a condamné la société Lebara France Limited à lui verser les sommes suivantes :

. indemnité de clientèle : 75 692 euros,

. indemnité compensatrice de préavis (solde) : 3 144 euros,

. congés payés sur préavis : 314,40 euros,

– l’accueillir favorablement en son appel incident et l’y déclarer bien fondé,

statuant à nouveau,

– infirmer le jugement sur le quantum de l’indemnité allouée sur le fondement de l’article L. 1235 3 du code du travail,

– condamner la société Lebara France Limited à lui payer les sommes suivantes :

. indemnité pour sujétion domicile privé à des fins professionnelles : 6 000 euros,

. indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 50 000 euros,

. dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail : 20 000 euros,

– condamner la société Lebara France Limited à lui payer une indemnité de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE L’ARRÊT

Sur le statut de voyageur, représentant ou placier

M. [W] sollicite que lui soit reconnu le statut de VRP avec pour conséquence le versement d’une indemnité de clientèle, ce que la société Lebara France Limited conteste.

Aux termes de l’article L. 7311-3 du code du travail, relève du statut de VRP, toute personne qui : « 1° Travaille pour le compte d’un ou plusieurs employeurs ;

2° Exerce en fait d’une façon exclusive et constante une profession de représentant ;

3° Ne fait aucune opération commerciale pour son compte personnel ;

4° Est liée à l’employeur par des engagements déterminant :

a) La nature des prestations de services ou des marchandises offertes à la vente ou à l’achat ;

b) La région dans laquelle il exerce son activité ou les catégories de clients qu’il est chargé de visiter ;

c) Le taux des rémunérations. »

Les conditions posées par cet article sont cumulatives de sorte que si l’une fait défaut, le statut de VRP n’est pas applicable.

Pour prétendre à ce statut, M. [W] soutient qu’il a développé la clientèle de Lebara sur le territoire de la Seine-Saint-Denis, que durant toute sa période de prospection, soit de décembre 2011 à février 2016, il a exercé des fonctions de représentation sur un secteur géographique déterminé par l’employeur, en l’occurrence la région Île-de-France, comme stipulé dans son contrat de travail, et plus particulièrement le département de la Seine-Saint-Denis, en assurant la prospection et le développement de la clientèle de la société sur le secteur où il assurait les ventes, en exerçant la profession de représentant de façon exclusive et constante, en ne faisant aucune opération commerciale pour son compte personnel et en étant rémunéré par des primes rétribuant les ventes qu’il réalisait.

Concernant la prospection de la clientèle

M. [W] fait valoir qu’avant son arrivée, la clientèle de la société Lebara était quasiment inexistante en Seine-Saint-Denis, qu’il l’a créée et développée par la suite comme le démontre les commissions substantielles qu’il a perçues à partir de 2012. Il ajoute qu’aux termes de son profil de poste, il avait pour responsabilité première de « prospecter et créer de nouveaux clients sur le secteur géographique concerné ».

La société Lebara France Limited rétorque qu’il n’était pas demandé à M. [W] de prendre des initiatives commerciales pour développer la clientèle de la société mais de se conformer, comme l’ensemble des autres chefs de secteur, à la politique commerciale et de marketing déterminée par l’entreprise.

L’employeur explique, sans être démenti par le salarié, qu’à l’instar des autres chefs de secteur, M. [W] devait se conformer aux directives de son supérieur hiérarchique, M. [U], responsable des ventes détaillants spécialisés, qu’à ce titre, il était tenu d’assister à des réunions commerciales par téléphone organisées tous les lundis durant lesquelles la direction marketing communiquait aux chefs de secteur les nouvelles offres promotionnelles qu’ils devaient proposer aux points de vente figurant dans leur secteur géographique, qu’ils rendaient compte régulièrement à leur supérieur hiérarchique des stocks de produits ainsi que des fonds collectés non remis en banque dans le cadre d’un audit mensuel ou de tout autre contrôle à l’initiative de la société, qu’ils devaient rendre un rapport de vente hebdomadaire afin de permettre à la société de faire un rapprochement entre les ventes, les fonds collectés et les remises en banque d’espèces, qu’en outre, il appartient au chef de secteur d’informer tous les jours son supérieur hiérarchique de l’avancée de l’exécution de ses missions sur le terrain au moyen de deux SMS, le premier à la mi-journée et le second en fin de journée. Il justifie de cette organisation en produisant un exemple d’invitation aux conférences téléphoniques commerciales (sa pièce 15), le règlement sur la gestion des produits et matériels signé le 19 décembre 2011 par M. [W] (sa pièce 8) et un courriel du 13 juin 2014 de M. [U] aux chefs de secteur (sa pièce 16).

Surtout, la société Lebara France Limited justifie que M. [W] se voyait remettre, à l’instar des autres chefs de secteur, une liste de points de vente (entre 100 et 120 points de vente) déterminée par son supérieur hiérarchique, qu’il devait visiter au cours du mois à venir afin de les approvisionner en cartes SIM et cartes de recharge et implanter en leur sein des matériels publicitaires (affiches et prospectus) conçus par le service marketing de Lebara selon l’actualité des offres. Elle précise que pour figurer sur la liste, les points de vente devaient répondre aux critères déterminés par la direction de Lebara, lesquels pouvaient évoluer à la discrétion de l’entreprise. En outre, il résulte du règlement sur la gestion des produits et matériels (pièce 8 de l’employeur) que M. [W] devait suivre un itinéraire de visite prédéterminé en fonction des points de vente sélectionnés et entrés dans le progiciel ATIC (Assistant de Transaction et d’Information Commerciale).

Ainsi, s’il est effectivement indiqué dans le contrat de travail de M. [W] que celui-ci avait pour mission « de créer et de développer un portefeuille de client » (pièce 14 de l’employeur), dans les faits, le salarié était tenu d’appliquer les politiques et stratégies commerciales mises en ‘uvre par Lebara et sa marge de man’uvre dans le cadre de la prospection était inexistante.

Les chefs de secteur avaient au contraire pour mission essentielle de faire remonter auprès de leur supérieur hiérarchique les informations du terrain afin de permettre à la direction de l’entreprise d’ajuster régulièrement sa politique commerciale.

Il résulte de cette organisation de terrain que M. [W] ne disposait d’aucune autonomie dans la prospection de la clientèle. Il ne prenait aucune initiative commerciale et ne déterminait pas lui-même les points de vente qu’il devait visiter.

M. [W] verse certes aux débats une liste de clients « auprès desquels il a obtenu la signature de commandes » (sa pièce 37). Cette liste est cependant insuffisante à justifier d’une activité de prospection dès lors qu’il a été démontré que la démarche était encadrée tant au niveau de la liste des points de vente à visiter qu’au niveau des offres commerciales qu’il proposait.

Dès lors, il sera retenu que M. [W] ne relevait pas du statut de VRP, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner les autres critères du statut.

Il s’ensuit le rejet de la demande subséquente du salarié tendant au versement d’une indemnité de clientèle, ainsi que celle subsidiaire de l’employeur tendant à ce que lui soit restituée la somme de 5 688,05 euros que le salarié a perçu au titre de son indemnité de licenciement.

Le jugement entrepris sera infirmé de ces chefs.

Sur le licenciement

L’article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement pour motif personnel à l’existence d’une cause réelle et sérieuse.

L’article L. 1235-1 du code du travail dispose qu’en cas de litige, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute persiste, il profite au salarié.

Ainsi, l’administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties. En application de l’article L. 1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement doit comporter l’énoncé de faits matériellement vérifiables, à défaut de quoi le licenciement doit être jugé sans cause réelle et sérieuse.

En l’espèce, aux termes de la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, la société Lebara France Limited reproche à M. [W] cinq manquements, dont il convient d’examiner la matérialité puis la gravité.

De façon générale, la société Lebara France Limited reproche à M. [W] de ne pas avoir respecté les procédures internes de la société, telles qu’elles résultent de la synthèse des procédures générales et ATIC (pièce 3 de l’employeur), expliquant qu’au mois de janvier 2016, l’audit mensuel a porté sur des anomalies constatées en Seine-Saint-Denis, territoire sur lequel travaillait M. [W].

M. [W] prétend, au préalable, que la société ne peut se prévaloir du non-respect du règlement sur les procédures générales ATIC dans la mesure où celui-ci ne lui a été communiqué que le 7 janvier 2016. La société Lebara France Limited oppose que le règlement a été communiqué aux chefs de secteur en 2013 mais n’en justifie pas, M. [W] n’étant pas destinataire du courriel du 15 janvier 2013 qu’elle invoque à ce titre (sa pièce 2).

M. [W] souligne par ailleurs l’incohérence de la démarche de son employeur qui se prévaut d’un audit conduit en janvier 2016 pour vérifier s’il avait bien respecté les règles en 2013 et prétend que le seul objectif de la société était en réalité de constituer un dossier à charge contre lui pour le licencier.

Concernant la procédure interne relative au paiement avec utilisation d’un avoir

Aux termes de la procédure, le chef de secteur doit éditer une facture ainsi que le reçu correspondant avec le détail du mode de règlement pour que l’avoir y soit mentionné. Par ailleurs, M. [W], en sa qualité de chef de secteur, devait également remettre au client une facture et un reçu de la transaction réalisée et effectuer un duplicata de ces deux documents qui étaient à agrafer et à insérer dans le classeur d’archivage dédié.

La société Lebara France Limited reproche à M. [W] de ne pas avoir respecté cette procédure auprès de cinq points de vente sur la période comprise entre février et décembre 2015, en omettant d’éditer les factures. Elle s’appuie sur un échange de courriels entre Mme [O], responsable des ressources humaines, et M. [W] du 29 janvier au 5 février (pièce 29 de l’employeur) aux termes duquel Mme [O] indique : « Nous avons été récemment informé de diverses anomalies concernant des factures de recharges adressées à plusieurs points de vente, qui ne semblent pas en conformité avec les procédures applicables à l’entreprise » tandis que M. [W] répond qu’il s’agit de ventes qui remontent pour certaines à plus de trois ans, dont il n’a plus le souvenir et dont il ne parvient plus à trouver les justificatifs.

M. [W] reproche à son employeur, sur ce point comme sur les autres de ne verser aux débats, aucune pièce pour démontrer la réalité des griefs formulés.

La cour constate qu’en effet, l’employeur ne produit aucune pièce utile à l’appui du grief.

Concernant la procédure interne relative aux justificatifs des transactions

La société Lebara France Limited indique avoir relevé lors de l’audit de janvier 2016 que M. [W] n’avait pas respecté la procédure consistant à établir les justificatifs de chaque transaction, notamment que celui-ci aurait vendu à quatre reprises des cartes SIM au point de vente Eliocom, sans que ni la livraison des produits, ni l’encaissement ne soient documentés et alors que le point de vente affirme n’avoir jamais travaillé avec M. [W]. Elle fait valoir que le salarié a pourtant édité des factures que l’entreprise a retrouvées après son départ, en date des 20 décembre 2012, 26 février 2013, 3 avril 2013 et 2 août 2013.

Il sera ici aussi constaté que l’employeur ne produit aucune pièce utile permettant de vérifier la matérialité du grief.

Concernant la procédure interne relative aux inventaires de stock

La société Lebara France Limited reproche à M. [W] de s’être présenté à trois reprises devant son supérieur hiérarchique avec un stock incomplet, le 2 décembre 2015 (1 580 produits manquants et non justifiés), le 11 janvier 2015 (280 produits manquants et non justifiés) et le 8 février 2016 (525 produits manquants et non justifiés).

La société insiste sur l’importance du contrôle des stocks afin de s’assurer que ses chefs de secteur ne réalisent pas des transactions « officieuses » avec les points de vente au détriment de l’entreprise. Elle indique que le risque est d’autant plus sérieux que les points de vente sont fréquemment conduits à payer les transactions en liquide et que seul un audit physique du stock permet d’identifier ce type de manquement.

M. [W] souligne cependant à juste titre que le 29 janvier 2016, la société lui a demandé de produire des justificatifs pour des opérations remontant à décembre 2012, février, avril et août 2013, en sus des cinq opérations citées dans la lettre de licenciement, que nul doute que si des opérations de 2012 et 2013 n’avaient pas été conformes, la société Lebara France Limited n’aurait pas attendu février 2016, soit plus de trois années, pour lui réclamer des explications. Le salarié s’interroge avec pertinence sur la sincérité de tels contrôles opérés par l’employeur et auxquels il a apporté toute explication utile dès le 29 janvier 2016. Il ajoute qu’il a rendu visite aux clients concernés pour tenter d’obtenir une confirmation de leur part que les cartes téléphoniques leur avaient bien été livrées.

Par ailleurs, M. [W] justifie, par la production de l’attestation de remise du stock (sa pièce 10) avoir restitué l’intégralité de son stock de plusieurs milliers de cartes SIM le 10 mars 2016 dans lequel il ne manquait que 25 cartes à « zéro euro » et avoir remis à cette occasion les 120 euros d’espèces collectées.

Faute pour l’employeur de justifier de la réalité des manques et faute pour celui-ci d’avoir demandé des explications immédiatement, le salarié est fondé à opposer la tardiveté de la démarche, de sorte que le grief n’est pas établi.

Concernant la procédure interne relative à l’application des offres promotionnelles

La société Lebara France Limited reproche à M. [W] d’avoir fait bénéficier le point de vente RADA.com de deux offres promotionnelles « SIM 7,50 euros », alors qu’aux termes des directives transmises par sa hiérarchie, ces offres promotionnelles n’étaient valables qu’une fois par mois et par point de vente. Elle justifie lui avoir adressé un courrier de rappel à ce titre le 14 janvier 2016 (sa pièce 5).

Le simple envoi d’un courriel de rappel, en l’absence de tout autre élément de preuve, est insuffisant à établir le grief, qui ne sera donc pas retenu.

Concernant la procédure interne relative à la saisie des visites dans l’appareil de suivi ATIC

La société Lebara France Limited reproche à M. [W] d’avoir omis de saisir l’intégralité des visites qu’il a effectuées dans ATIC, l’appareil permettant d’enregistrer et de contrôler les visites, les activités de vente, la planification d’itinéraires et autres activités relatives à l’exécution des fonctions de chef de secteur. Elle justifie avoir adressé un courrier au salarié en ce sens le 24 février 2016 (sa pièce 18).

M. [W] s’interroge sur la légalité des moyens de contrôle et de preuve utilisés par la société Lebara. Il s’interroge sur le fait que l’employeur lui reproche un défaut d’enregistrement de toutes ses visites, sauf à l’avoir suivi dans tous ses déplacements, ce qu’il ignorait.

En toute hypothèse, la cour constate qu’aucune pièce utile ne vient justifier du grief, lequel sera écarté.

Concernant la procédure interne relative à la mise à jour de la base clients

La société Lebara France Limited expose que l’audit de janvier 2016 a révélé que M. [W] n’avait pas mis à jour sa base clients depuis le 27 mars 2015, soit depuis près d’un an, alors que cette obligation lui avait été rappelée à plusieurs reprises, par courriels des 3 novembre 2013, 7 mai 2014, 30 juin 2014 et 13 mai 2015.

A supposer le manquement établi, l’obligation n’était pas opposable au salarié, faute de lui avoir été notifiée expressément, ainsi que cela a été retenu précédemment.

Ce grief ne sera pas retenu.

Concernant la gravité des manquements retenus comme matériellement établis

La société Lebara France Limited considère s’être trouvée face à un salarié qui s’opposait ouvertement aux directives de son employeur, au mépris des possibles conséquences dommageables pour la société. Elle soutient que l’ensemble des manquements visés dans la lettre de licenciement révèle un refus de la part de M. [W] de se conformer aux règles internes de l’entreprise, qui participe à son bon fonctionnement et estime que le licenciement du salarié repose bien sur une cause réelle et sérieuse.

M. [W] oppose cependant de façon pertinente qu’il n’a jamais reçu aucun reproche avant que cette procédure de licenciement ne soit engagée, qu’au contraire, il a reçu le prix du meilleur vendeur pour la France en 2013, mais qu’il a eu le tort de réclamer des comptes à son employeur, après avoir constaté que ses commissions étaient régulièrement réduites au point d’être divisées par deux, alors que son activité commerciale conservait la même intensité, qu’en mars 2014 il a réclamé le paiement d’un reliquat de commissions de juin et septembre 2013, que ce reliquat de 6 000 euros n’était toujours pas réglé en février 2015, ce qui l’a conduit à adresser une nouvelle relance, qu’en mai 2014, il réclamait en outre que ses congés payés soient valorisés sur la base de sa rémunération globale et non sur le seul fixe, que ces revendications, selon lui légitimes, ont probablement motivé la décision de constituer un dossier contre lui, quitte à aller jusqu’à lui reprocher des opérations de décembre 2012.

Il résulte en effet de l’absence d’antécédents disciplinaires, de la nature des griefs reprochés au salarié tenant au non-respect des procédures internes au demeurant non matériellement établi, de l’ancienneté des manquements invoqués et de leur importance très relative au regard de l’ampleur des transactions réalisées dans l’année, du fait également que l’employeur prétend assurer un contrôle permanent des stocks et des visites, que les faits reprochés au salarié ne justifiaient pas, en toute hypothèse, une sanction aussi définitive que son licenciement.

En conséquence, le licenciement de M. [W] par la société Lebara France Limited sera dit dépourvu de cause réelle et sérieuse et donc le jugement confirmé de ce chef.

Sur l’indemnisation du salarié

M. [W] sollicite une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de 50 000 euros.

En application des dispositions de l’article L 1235-3 du code du travail, dans leur version applicable au litige, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l’employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Au vu de l’attestation destinée à Pôle emploi reprenant les derniers salaires, les salaires des six derniers mois s’élèvent à la somme de 23 573,20 euros.

Au vu des pièces et des explications fournies, compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à l’intéressé, de son âge, de son ancienneté et des répercussions du licenciement à son égard, le conseil de prud’hommes sera suivi, en ce qu’il a évalué les conséquences de la perte injustifiée de son emploi subies par M. [W], à la somme de 25 000 euros.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Il sera également confirmé au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, dont seul le principe du solde est discuté, en conséquence du bien-fondé ou du mal-fondé du licenciement.

Sur le solde d’indemnité conventionnelle de licenciement

M. [W] fait valoir que son employeur a calculé l’indemnité conventionnelle qu’il lui a versée en tenant compte des années entières d’ancienneté alors qu’il aurait dû opérer un prorata pour les années incomplètes, ce qui le conduit à réclamer un solde de 519,85 euros.

La société Lebara France Limited ne répond pas sur ce point.

Il est de principe, en effet, que l’indemnité de licenciement est calculée notamment en fonction des années d’ancienneté ou des années de présence et qu’un prorata doit s’appliquer pour les années incomplètes.

L’article 4.4.1.2 de la convention collective des télécommunications énonce : « il est alloué au salarié licencié, sauf faute grave ou lourde de sa part, une indemnité de licenciement, distincte du préavis, tenant compte de son ancienneté dans l’entreprise et fixée comme suit :

A compter de 1 année d’ancienneté révolue, le salarié licencié perçoit une indemnité égale à :

– 3 % du salaire annuel brut par année complète d’ancienneté, décomptée à partir de la date d’entrée dans l’entreprise et jusqu’à 9 ans d’ancienneté révolus ;

– 4 % du salaire annuel brut par année entière d’ancienneté pour la tranche comprise entre 10 et 25 ans révolus.

En outre, les salariés âgés de 50 ans et plus bénéficient d’une indemnité complémentaire de 5 % du salaire annuel brut après 10 ans d’ancienneté et de 10 % après 20 ans d’ancienneté.

En tout état de cause, l’indemnité de licenciement est plafonnée à 101 % du salaire annuel brut.

Le “salaire annuel brut” à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité de licenciement est le salaire brut soumis à charges sociales versé par l’entreprise au cours des 12 derniers mois de présence effective dans l’établissement, y compris pendant les 105 jours d’indemnisation en cas de maladie prévue à l’article 4.3.1 du chapitre III, à l’exclusion des remboursements de frais. »

M. [W] bénéficiait d’une ancienneté de 4 ans, 4 mois et 15 jours, depuis le 12 décembre 2011 jusqu’au 26 avril 2016, au sein de la société.

M. [W] a perçu une somme de 5 688,05 euros correspondant à la comptabilisation des seules années complètes.

Après prise en compte de l’année incomplète, il est dû à M. [W] une somme complémentaire de 519,85 euros, selon le calcul du salarié, que la cour adopte.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur la sujétion d’occupation du domicile personnel à des fins professionnelles

M. [W] sollicite l’allocation d’une indemnité de 6 000 euros sur ce fondement. Il soutient qu’il devait stocker à son domicile des caisses de cartes téléphoniques, de la documentation nécessaire à la prise de commandes ainsi que du matériel bureautique et qu’il ne disposait d’aucun bureau dans les locaux de l’entreprise où il ne se rendait que ponctuellement pour des réunions, mais jamais pour y travailler.

La société Lebara France Limited s’oppose à la demande. Elle soutient que les chefs de secteur qui travaillaient en Île-de-France avaient la possibilité d’effectuer leurs tâches administratives au sein des locaux de la société situés à [Localité 5], que les produits sans valeur pouvaient être conservés à l’intérieur du véhicule de fonctions, que la documentation était conservée chez un stockiste et non au domicile des chefs de secteur.

Il est rappelé que l’occupation, à la demande de l’employeur, du domicile du salarié à des fins professionnelles constitue une immixtion dans la vie privée de celui-ci et n’entre pas dans l’économie générale du contrat de travail. Dès lors, si le salarié, qui n’est tenu ni d’accepter de travailler à son domicile, ni d’y installer ses dossiers et ses instruments de travail, accède à la demande de son employeur, ce dernier doit l’indemniser de cette sujétion particulière ainsi que des frais engendrés par l’occupation professionnelle du domicile.

En l’espèce, il est démontré que M. [W] s’était vu attribuer par son employeur du matériel de bureautique à installer à son domicile (imprimante, scanner, câbles de connexion, ramettes de papier) qu’il lui a d’ailleurs été demandé de restituer aux termes de la lettre de licenciement. Il est également démontré qu’il devait conserver à son domicile des caisses de cartes téléphoniques pour les livrer personnellement aux clients et la documentation nécessaire à la prise de commandes comme les dossiers de financement et les bons de commande, qui ne pouvaient être entreposés dans leur intégralité chez un stockiste pour des raisons pratiques.

L’employeur ne démontre pas de son côté que M. [W] disposait d’un bureau dans les locaux de l’entreprise, où, quoi qu’il en soit, il ne passait que très occasionnellement compte tenu de l’organisation de son activité professionnelle.

Ce faisant, M. [W] justifie de l’occupation de son domicile à des fins professionnelles à la demande de son employeur.

Au regard du volume d’occupation et de la durée d’occupation mais en l’absence de justificatifs sur la grandeur du logement du salarié et sur le loyer payé, l’indemnité due à ce titre sera évaluée à 3 000 euros par confirmation du jugement entrepris.

Sur l’exécution déloyale du contrat de travail

M. [W] sollicite l’allocation d’une somme de 20 000 euros et soutient à ce titre que son employeur avait pour objectif de le pousser à la démission en lui diminuant sa rémunération de manière invraisemblable, en faisant intervenir d’autres commerciaux sur son territoire, alors que ses mérites professionnels ont toujours été reconnus.

La société Lebara France Limited conteste cette allégation. Elle souligne qu’elle n’avait aucun intérêt à diminuer les ventes de son salarié et qu’il ne peut lui être reproché d’avoir fait intervenir d’autres chefs de secteur sur la Seine-Saint-Denis, M. [W] n’ayant aucune exclusivité sur ce département.

Il est rappelé que, conformément aux dispositions de l’article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.

L’employeur reconnaît avoir fait intervenir d’autres commerciaux sur le territoire de M. [W]. Cela a nécessairement généré pour le salarié une perte de chance de conserver sa rémunération variable d’autant que la décision, même si elle relevait du pouvoir de direction de l’employeur, a manifestement été prise sans une information préalable et claire du salarié. La société Lebara France Limited a de ce fait manqué à l’obligation d’exécuter de façon loyale le contrat de travail.

Au regard des circonstances de la cause, telles qu’elles ont été retenues précédemment, le préjudice subi par M. [W] sera évalué à la somme de 2 500 euros, par infirmation du jugement entrepris.

Sur les intérêts moratoires et leur capitalisation

Le créancier peut prétendre aux intérêts de retard calculés au taux légal, en réparation du préjudice subi en raison du retard de paiement de sa créance par le débiteur. Les condamnations prononcées produisent intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l’employeur de la convocation devant le Bureau de Conciliation et d’Orientation pour les créances contractuelles et à compter de la décision, qui en fixe le principe et le montant, pour les créances indemnitaires.

En application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil, il y a lieu de préciser que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêt.

Le jugement sera confirmé de ces chefs.

Sur les indemnités de chômage versées au salarié

L’article L. 1235-4 du code du travail, dans sa version applicable à l’espèce, énonce : « Dans les cas prévus aux articles L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé.

Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées. »

En application de ces dispositions, il y a lieu d’ordonner d’office le remboursement par l’employeur aux organismes concernés du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l’arrêt dans la limite de trois mois d’indemnités.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de procédure

Compte tenu de la teneur de la décision rendue, le jugement de première instance sera confirmé en ce qu’il a condamné la société au paiement des dépens de première instance et à verser à M. [W] une somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles.

En application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, la société Lebara France Limited, qui succombe dans ses prétentions, supportera les dépens d’appel tels qu’ils sont définis par l’article 695 du même code.

Elle sera en outre condamnée à payer à M. [W] une indemnité sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, que l’équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 1 500 euros.

La société Lebara France Limited sera déboutée de sa demande présentée sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, en dernier ressort et par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Nanterre le 15 février 2021, excepté en ce qu’il a reconnu à M. [M] [W] le statut de VRP et a condamné la société de droit étranger Lebara France Limited à verser à M. [M] [W] la somme de 75 692 euros à titre d’indemnité de clientèle, en ce qu’il a débouté M. [M] [W] de sa demande au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail et de sa demande subsidiaire au titre du solde d’indemnité conventionnelle de licenciement,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DÉBOUTE M. [M] [W] de sa demande tendant à se voir reconnaître le statut de VRP et de sa demande d’indemnité de clientèle,

CONDAMNE la société de droit étranger Lebara France Limited à payer à M. [M] [W] la somme de 2 500 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

CONDAMNE la société de droit étranger Lebara France Limited à payer à M. [M] [W] la somme de 519,85 euros à titre de solde d’indemnité conventionnelle de licenciement,

RAPPELLE à la société de droit étranger Lebara France Limited qu’elle doit payer à M. [M] [W] les intérêts de retard au taux légal à compter de la date de réception par l’employeur de sa convocation devant le Bureau de Conciliation et d’Orientation pour les créances contractuelles et à compter de la décision qui en fixe le principe et le montant pour les créances indemnitaires,

RAPPELLE également que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêt,

ORDONNE le remboursement par la société de droit étranger Lebara France Limited aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à M. [M] [W] dans la limite de trois mois d’indemnités,

DIT qu’une copie certifiée conforme du présent arrêt sera adressée par le greffe par voie numérique à la direction générale de Pôle emploi conformément aux dispositions de l’article R. 1235-2 du code du travail,

CONDAMNE la société de droit étranger Lebara France Limited au paiement des dépens d’appel,

CONDAMNE la société de droit étranger Lebara France Limited à payer à M. [M] [W] une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE la société de droit étranger Lebara France Limited de sa demande présentée sur le même fondement.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, président, et par Mme Domitille Gosselin, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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