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13 septembre 2023
Cour d’appel de Montpellier
RG n°
20/05992
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
1re chambre sociale
ARRET DU 13 SEPTEMBRE 2023
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 20/05992 – N° Portalis DBVK-V-B7E-OZ2M
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 30 NOVEMBRE 2020
CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER N° RG F 18/01050
APPELANTE :
S.A.S. A+ ENERGIES
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Philippe GARCIA de la SELARL CAPSTAN – PYTHEAS, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIME :
Monsieur [M] [I]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Stéphanie DROUET, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 17 Mars 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 JUIN 2023,en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre
Madame Florence FERRANET, Conseiller
Mme Véronique DUCHARNE, Conseillère
Greffier lors des débats : M. Philippe CLUZEL
ARRET :
– contradictoire;
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, et par M. Philippe CLUZEL, Greffier.
*
* *
FAITS ET PROCEDURE
[M] [I] a été engagé à compter du 1er juillet 2015 par la SAS A+ENERGIES en qualité de directeur d’agence. Au dernier état de la relation contractuelle, il percevait une rémunération mensuelle hors primes et rémunération variable de 4 000€.
Le 14 juin 2018, il a fait l’objet d’une mesure de mise à pied à titre conservatoire.
Le 21 juin 2018, [M] [I] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 3 juillet suivant.
Le 9 juillet 2018, il a été licencié pour faute grave pour les motifs suivants :
« … Nous avons en effet découvert le 17 mai 2018 à l’occasion d’un audit interne de contrôle qualité que vous aviez falsifié la signature d’un client – M. [J] [P], situé à [Localité 5] – sur le bon de commande complémentaire qui vous avait été demandé par le service d’administration des ventes.
Le 16 avril 2018, lors de votre venue au siège de [Localité 6] avec votre équipe de l’agence de [Localité 7] 1, dont vous êtes le Directeur, vous avez remis à l’équipe de l’administration des ventes plusieurs dossiers pour traitement. Il vous a été demandé le jour même par email interne concernant le client [J] ” un autre bon de commande pour les panneaux vendus en plus à 400€. C’est urgent vu que le chantier est vendredi “. L’après-midi même, alors que vous étiez toujours sur [Localité 6], vous avez remis le deuxième bon de commande complémentaire signé au service d’administration des ventes.
Lors de l’audit du 17 mai 2018, il est apparu un doute sérieux sur la validité de la signature du client entraînant une série de vérifications et de contrôles internes.
De plus, il est apparu de manière incontestable qu’il vous était matériellement impossible d’obtenir le jour même la signature de ce client domicilié dans la Haute-Garonne alors que vous étiez présent au siège dans l’Hérault.
Alerté par cet incident, l’audit a été renforcé sur vos dossiers à la demande de la Direction et il a été découvert que vous aviez également imité les signatures d’un couple de client – M et Mme [B] [C] – sur un document interne qui valide le paiement au comptant du client avec remise d’un chèque d’acompte.
Après des investigations poussées, une fois la certitude acquise que ces signatures n’étaient que des imitations, M. [Z], Président d’A+ Energies, vous a notifié en main propre votre mise à pied à titre conservatoire le 14 juin 2018 lors de votre venue au siège à [Localité 6].
Lors de l’entretien préalable du 3 juillet 2018, vous avez contesté ces faits, niant avoir imité les signatures et prétendant que le service d’administration des ventes ne vous avait rien demandé et ne vous avait pas remis le second bon de commande à faire signer le 16 avril 2018. Or, l’email interne du 16 avril vient contredire vos dénégations.
Vous avez ensuite ajouté que le fait de “refaire des signatures pour accélérer le processus d’installation est coutumier”, reconnaissant ainsi implicitement votre pratique.
Alors que vous êtes par vos fonctions de Directeur d’Agence le représentant et le garant de la rigueur, du professionnalisme et de l’image de notre entreprise, vous n’avez pas hésité à tirer profit de votre position hiérarchique pour vous affranchir de tout respect des procédures internes allant jusqu’à commettre des actes délictueux, dans le seul but de conclure des contrats supplémentaires, afin d’augmenter votre part de salaire variable sur commissionnement.
Ces falsifications de signatures et l’utilisation des bons de commande et documents internes sont particulièrement graves en ce qu’ils constituent le délit de faux et d’usage de faux, défini comme étant la fabrication et l’usage de faux documents, et puni par l’article 441-1 du Code pénal de trois ans d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende.
Vous ne pouvez ignorer que ces pratiques illégales sont strictement interdites et susceptibles d’engager, outre votre responsabilité pénale et civile, celle de la société A+ Energies et de ses représentants légaux, dont vous êtes salarié, avec des conséquences extrêmement dommageables pour notre entreprise…».
Estimant son licenciement injustifié, [M] [I] a saisi le conseil de prud’hommes de Montpellier qui, par jugement du 30 novembre 2020, a dit que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamné la SAS A+ENERGIES à lui verser la somme de :
– 25 200€ de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– 4 927,25€ au titre de l’indemnité légale de licenciement,
– 18 884,76€ au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés,
– 3 090,91€ de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire du 15 juin au 8 juillet 2018 inclus,
– 309,09€ au titre des congés payés sur mise à pied,
– 1 000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La SAS A+ENERGIES a interjeté appel de cette décision le 23 décembre 2020.
Dans ses dernières conclusions déposées par RPVA le 8 septembre 2021, la SAS A+ENERGIES demande d’infirmer le jugement attaqué, de débouter [M] [I] de l’ensemble de ses demande et de le condamner à verser la somme de 4 000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses écritures notifiées par RPVA le 17 juin 2021, [M] [I] demande de confirmer le jugement, sauf en ce qu’il a fixé à 3 090,91€ le montant du rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire du 15 juin au 8 juillet 2018 inclus et à 309,09€ le montant des congés payés afférents et, statuant à nouveau sur ce point uniquement, de condamner la société A+ ENERGIES à lui payer la somme de 5 035,94€ au titre du rappel de salaire dû pour la mise à pied conservatoire ainsi que celle de 503,59€ au titre des congés payés afférents.
Il sollicite l’octroi de la somme de 4 000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il y a lieu de se reporter au jugement du conseil de prud’hommes et aux conclusions déposées.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 17 mai 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le licenciement
La faute grave, qui seule peut justifier une mise à pied conservatoire, est celle qui, par son importance, rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée même limitée du préavis.
C’est à l’employeur et à lui seul d’apporter la preuve de la faute grave invoquée par lui pour justifier le licenciement.
En l’espèce, pour justifier de l’existence des faits reprochés à [M] [I], l’employeur produit des bons de commande, des chèques et des dossiers de financement issus des dossiers de MM. [J], [B] et [F], des époux [E] ainsi que de Mme [L] et M. [W].
Il fournit également, concernant le dossier de M. [J] :
– une expertise en écriture concluant que les signatures de M. [J] et Mme [A], figurant sur le bon de commande « proviennent de contrefaçons grossières », « ne sont pas authentiques » et que « Mr [I] [M] est l’auteur des mentions manuscrites et des signatures litigieuse » ;
– l’attestation de Mme [S], ancienne salariée de la société, témoignant qu'[M] [I] a fourni le bon rectifié comportant les signatures litigieuses, peu de temps après la demande réalisée par le siège, ce qui l’a alertée ;
– le signalement de Mme [S] à son supérieur hiérarchique ;
– l’attestation de Mme [A], indiquant n’avoir jamais signé de bon de commande le 16 avril 2018 ;
– un dépôt de plainte adressée au Procureur de la République de Montpellier le 13 décembre 2019 afin de dénoncer l’attestation de M. [P] [J] qu’il estime mensongère.
L’employeur, qui vise dans la lettre de licenciement, le non-respect des procédures internes et la falsification de signatures, est fondé à invoquer des irrégularités constatées dans d’autres dossiers que ceux expressément évoqués dans la lettre de licenciement.
Toutefois, [M] [I] produit les attestations des clients en cause qui certifient avoir signé les différents documents litigieux.
Ainsi, M. [J] affirme avoir signé l’ensemble des documents présentés pour la réalisation de son projet, y compris le bon de commande complémentaire que dénonce l’employeur.
M. [R], ancien commercial au sein de l’entreprise, témoigne qu’il a fait signer aux époux [B] un bon de commande avec un financement personnel, que les documents étaient bien signés par eux et que, contactés postérieurement au licenciement d'[M] [I], ils ont confirmé avoir signé l’ensemble des documents et qu’il n’y avait pas de problème d’imitation de signature.
Mme [L] certifie avoir signé de sa main le document de pré-visite technique effectué le 7 mars 2018 en compagnie d'[M] [I].
M. [L] atteste avoir signé le contrat le 2 mars 2018 en compagnie de M. [V].
M. [F] témoigne également avoir signé de sa main le dossier complet d’A+ ENERGIES avec Mme [A], ainsi que le financement comptant par chèque.
Il ne saurait donc être reproché à [M] [I], ni d’avoir falsifié leurs signatures ni d’avoir engagé les responsabilités civile et pénale de la société ou de l’avoir mise en situation de rembourser les clients ‘victimes de ses agissements’.
L’employeur, qui allègue que les clients ont attesté sans avoir eu connaissance des documents litigieux, ne produit aucun élément susceptible de remettre en cause la sincérité de l’ensemble de ces témoignages.
En particulier, les éléments versés pour le dossier de M. [J] sont contradictoires et donc insuffisants pour établir qu'[M] [I] aurait émis un bon de commande falsifié le 16 avril 2018.
S’agissant du dossier de M. [W], ce client atteste avoir signé les documents du 24 janvier 2018 qu’il joint à son attestation.
Même si ces éléments sont différents de ceux que vise l’employeur datant du 26 janvier 2018, ce dernier ne produit aucun document permettant d’établir qu'[M] [I] serait l’auteur des signatures figurant sur le dossier de financement personnel du client.
Concernant de la signature des conseillers, il apparaît qu'[M] [I] a apposé sa propre signature sous le nom de M. [V] pour le dossier des époux [L] ainsi que sous le nom de Mme [A] pour les dossiers de MM. [J], [F] et [W].
Contrairement à ce que soutient l’employeur, il n’a donc pas ‘falsifié’ leur signature.
En définitive, il résulte de l’ensemble de ces constatations que les comportements reprochés, non seulement, ne témoignent d’aucune malhonnêteté de la part du salarié mais n’ont eu aucune incidence, y compris sur l’image de la société.
En conséquence, c’est à juste titre que le conseil de prud’hommes a retenu que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les sommes liées à la rupture du contrat de travail
Seules sont discutées les sommes allouées à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire et d’indemnité compensatrice de préavis.
Pour le calcul du rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire et pour le calcul de l’indemnité de préavis, il convient de prendre en compte les salaires et avantages qu'[M] [I] aurait perçus s’il avait travaillé durant ces périodes. Si la rémunération est composée d’une partie variable, il y a lieu de se référer à la moyenne annuelle de la rémunération du salarié.
En l’espèce, la rémunération moyenne d'[M] [I] s’élevait à 5 747,20€.
Il est donc en droit de prétendre à la somme de 17 241,59€ à titre d’indemnité compensatrice de préavis ainsi qu’à la somme de 3 567,42€ au titre du rappel de salaire pour la mise à pied à titre conservatoire, outre les congés payés afférents à ces deux sommes.
Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié justifie avoir perçu quelques allocations chômage au mois d’août 2018, avoir travaillé à compter du mois d’avril 2019 puis s’être réinscrit en qualité de demandeur d’emploi à compter du 21 janvier 2021. L’employeur, pour sa part, produit les copies écran de réseaux sociaux et fiches de société pour justifier que le salarié a trouvé du travail dans les mois suivants son licenciement.
Au regard de ce qui précède, il y a lieu de lui allouer la somme de 17 500€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement sera donc infirmé sur ces points mais confirmé en ce qu’il a statué sur l’indemnité légale de licenciement, somme non utilement contestée.
Sur les autres demandes
La remise de documents rectifiés sollicitée dans les motifs des conclusions d'[M] [I] ne figurant pas au dispositif, il n’y a lieu de statuer sur cette demande conformément à l’article 954 du code de procédure civile.
En application de l’article L. 1235-4, le remboursement par l’employeur fautif des indemnités de chômage payées au salarié licencié doit être également ordonné dans la limite maximum prévue par la loi.
L’équité commande qu’il soit fait droit à la demande d'[M] [I] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Confirme le jugement rendu le 30 novembre 2020 par le conseil de prud’hommes de Montpellier en ce qu’il a dit que le licenciement d'[M] [I] était dénué de cause réelle et sérieuse et jugé de l’indemnité légale de licenciement ;
L’infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant,
Condamne la SAS A+ENERGIES à verser à [M] [I] les sommes suivantes :
– 3 567,42€ au titre du rappel de salaire pour la mise à pied à titre conservatoire,
– 356,74€ à titre de congés payés afférents au rappel de salaire de la mise à pied à titre conservatoire,
– 17 241,59€ à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 1 724,16€ à titre de congés payés afférents à l’indemnité compensatrice de préavis,
– 17 500€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 2 000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Ordonne le remboursement par la SAS A+ENERGIES des indemnités de chômage payées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du présent arrêt, à concurrence de 6 mois d’indemnités ;
Dit qu’une copie certifiée conforme de cette décision sera transmise à Pôle emploi par le greffe de la cour d’appel ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne la SAS A+ENERGIES aux dépens.
Le greffier Le président