Violation de clause d’exclusivité : 2 mars 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 22/07129

Violation de clause d’exclusivité : 2 mars 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 22/07129

2 mars 2023
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG n°
22/07129

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-5

ARRÊT AU FOND

DU 02 MARS 2023

N°2023/78

MS

Rôle N° RG 22/07129 – N° Portalis DBVB-V-B7G-BJNIL.

[L] [Y]

C/

[F] [G]

Copie exécutoire délivrée

le : 02/03/23

à :

– Me Cyril VILLATTE DE PEUFEILHOUX, avocat au barreau de MARSEILLE

– Me Patrick DEUDON de la SELEURL PATRICK DEUDON AVOCAT

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de GRASSE en date du 20 Avril 2022 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 20/00532.

APPELANT

Monsieur [L] [Y], demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Cyril VILLATTE DE PEUFEILHOUX, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Marie-dominique POINSO-POURTAL de l’AARPI POINSO POURTAL – VILLATTE DE PEUFEILHOUX, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIME

Monsieur [F] [G], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Patrick DEUDON de la SELEURL PATRICK DEUDON AVOCAT, avocat au barreau de GRASSE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 03 Janvier 2023 en audience publique. Les avocats ayant été invités à l’appel des causes à demander à ce que l’affaire soit renvoyée à une audience collégiale s’ils n’acceptaient pas de plaider devant les magistrats rapporteurs et ayant renoncé à cette collégialité, l’affaire a été débattue devant Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre et Madame Gaëlle MARTIN, Conseiller, qui en ont délibéré.

Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Michelle SALVAN, Présidente, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre

Madame Gaëlle MARTIN, Conseiller

Madame Catherine MAILHES

Greffier lors des débats : Mme Karen VANNUCCI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 02 Mars 2023.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 02 Mars 2023.

Signé par Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre et Mme Karen VANNUCCI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

******

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur [L] [Y] a été engagé par Monsieur [F] [G] en qualité de pharmacien, à compter du 3 septembre 2018, par contrat à durée indéterminée.

Le 28 mars 2020, il a été mis à pied à titre conservatoire.

Après avoir été convoqué le 7 avril 2020 à un entretien préalable fixé le 15 mai 2020, M. [Y], par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 12 juin 2020, a été licencié pour faute grave.

M. [Y], qui avait été placé en garde à vue, le 26 mars 2020 a été condamné par jugement du tribunal correctionnel de Grasse du 25 juin 2020, pour avoir participé à une opération de vente illégale de masques.

Le 22 octobre 2020, M. [Y] a saisi la juridiction prud’homale aux fins de contester la cause réelle et sérieuse de son licenciement pour faute grave et obtenir diverses sommes au titre de la rupture, ainsi qu’au titre de l’exécution déloyale de son contrat de travail.

Par jugement rendu le 20 avril 2022, le conseil de prud’hommes de Grasse après avoir fixé le salaire brut moyen mensuel de M. [Y] à 3 456, 51 euros, juge que M. [G] a exécuté le contrat de travail de bonne foi, que le licenciement repose sur des fautes graves, a débouté Monsieur [L] [Y] de l’ensemble de ses demandes, l’a condamné au paiement de la somme de 1.500 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens. Le conseil de prud’hommes a dit n’y avoir lieu d’ordonner l’exécution provisoire de la décision, et a débouté les parties du surplus de leurs demandes.

M. [Y] a interjeté appel de cette décision dans des formes et délais qui ne sont pas critiqués, en ce qu’il l’a débouté de ses demandes, sauf en ce qu’il a fixé la moyenne mensuelle du salaire à 3 456, 51 euros.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 22 décembre 2022.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par conclusions notifiées par voie électronique le 31 octobre 2022, M. [Y] demande à la cour de :

– dire et juger que l’employeur a manqué à son obligation de bonne foi et de loyauté dans I’exécution du contrat de travail,

En conséquence,

– le condamner au paiement de la somme de 5 000€ nets à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive et déloyale du contrat de travail.

– requalifier la mise à pied conservatoire en sanction disciplinaire,

– dire et juger que l’employeur a épuisé son pouvoir disciplinaire et qu’il ne pouvait donc pas le sanctionner à nouveau pour des faits identiques,

En conséquence,

– dire et juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

En tout état cause,

– dire et juger infondé et injustifié le licenciement pour faute grave,

En conséquence,

– dire et juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et intervenu dans des circonstances brutales et vexatoires,

En conséquence,

– condamner M. [G] au paiement des sommes suivantes :

– 6.913,01 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 10.369,52 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 1.036,95 € au titre des congés payés sur préavis,

– 1.533,82 € à titre d’indemnité de licenciement,

– 8.732,58 € à titre de rappel de salaire sur mise à pied,

– 873,26 € au titre des congés payés y afférents,

– 5.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire,

– condamner M. [G] à délivrer des documents de fin de contrat conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter de sa signification,

– condamner M.[G] à la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonner en application des dispositions de l’article L1235-4 du code du travail le remboursement au Pôle Emploi par des allocations versées au salarié dans la limite de 6 mois,

– dire que toute condamnation portera intérêts de droit au taux légal à compter de la demande en justice, outre capitalisation annuelle des intérêts échus depuis une année.

L’appelant soutient que l’employeur a manqué à son obligation d’exécuter le contrat de travail de bonne foi en n’organisant pas la visite médicale d’embauche, en insérant une clause de dédit formation nulle dans le contrat de travail et par le paiement tardif des heures supplémentaires réalisées.

Il fait valoir que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en ce que les fautes exposées dans la lettre de notification sont pour certaines prescrites et pour d’autres ne sont pas matériellement établies ou bien résultent d’agissements connus et tolérés de l’employeur.

Il ajoute que ces fautes s’apparentent davantage à une insuffisance professionnelle qu’à des manquements suffisamment graves pour justifier un licenciement pour faute grave.

Il prétend que la mise à pied à titre conservatoire n’ayant pas été suivie immédiatement de l’engagement de la procédure de licenciement, un délai de 10 jours les séparant, elle doit être considérée comme une sanction à part entière, de sorte que l’employeur ne pouvait sanctionner une seconde fois ces mêmes faits par le licenciement.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 28 septembre 2022, M. [G] demande à la cour de confirmer le jugement, de débouter l’appelant de ses demandes et de condamner M. [Y] au paiement d’une somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens

L’intimé réplique :

– que le poste du salarié n’est pas soumis à une visite médicale d’embauche mais à une visite d’information et de prévention qui a effectivement été organisée,

– qu’il a reconnu l’illicéité de la clause de dédit formation et a déjà opéré un paiement au salarié à ce titre.

Sur le licenciement, l’employeur fait essentiellement valoir que :

-le salarié a été licencié pour les cinq motifs suivants :

> absences injustifiées pendant les congés de M. [F] [G] et ce alors que la présence d’un pharmacien à tout moment de l’ouverture de l’officine est requise par la loi,

> travail pour une officine concurrente en dépit d’une clause d’exclusivité contractuelle,

> délivrance de médicaments particulièrement dangereux sans ordonnance à de multiples reprises,

> aucun suivi des stocks optique,

> vente de masques de protection en dépit d’interdictions gouvernementales et ordinales.

-le délai écoulé entre la mise à pied conservatoire et la convocation à l’entretien préalable résulte de la survenue de la crise sanitaire entraînant un allongement des délais de procédure ainsi que de la nécessité de mener des investigations pour vérifier l’existence ou la gravité de certains faits reprochés.

– les fautes reprochées ne sont pas atteintes par la prescription du fait de leur découverte tardive.

– ces fautes sont toutes avérées et constituent une faute grave privative des indemnités de rupture.

– ces griefs sont matériellement établis, notamment, la vente de masques chirurgicaux illégale, pour laquelle M. [Y] a fait l’objet de poursuites pénales,

– les autres fautes relatives aux absences injustifiées, à la violation de la clause d’exclusivité, à la délivrance sans ordonnance de médicaments dangereux et à l’absence de suivi des stocks optique, sont également avérées.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur les demandes relatives à l’exécution du contrat de travail

– Sur la demande en paiement de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

– en raison d’un défaut de visite médicale d’embauche dans les délais

L’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, doit en assurer l’effectivité.

En l’espèce, il est constant que la visite médicale prévue par l’article R 4624-10 du code du travail n’a eu lieu que le 6 décembre 2019, après une embauche en date du 3 septembre 2018 alors qu’un délai de trois mois maximum pour procéder à cette visite à compter de l’embauche est prévu par ce texte.

Toutefois, il appartient désormais au salarié de démontrer le préjudice qu’il invoque, dont les juges du fond apprécient souverainement l’existence et l’étendue.

Or, M. [Y] ne fait la preuve d’aucun préjudice causé par ce manquement.

– en raison du retard apporté au paiement du salaire (heures supplémentaires)

Il découle des bulletins de salaire que les heures supplémentaires accomplies par M. [Y] durant la période contractuelle lui ont été payées, aucune réclamation n’étant d’ailleurs formulée à ce titre, mais qu’elles ne lui ont été payées que lors de la remise des documents de fin de contrat le 29 juin 2020, soit presque un an après leur date d’exigibilité.

En l’espèce, la mauvaise foi du débiteur, M. [G], et l’existence pour M. [Y] d’un préjudice distinct du simple retard apporté au paiement par l’employeur et causé par sa mauvaise foi non déjà réparé par les intérêts moratoires, n’est cependant pas caractérisée étant souligné qu’aucune réclamation n’avait été formulée par le salarié.

– en raison de l’ illicéité de la clause de dédit formation

Le contrat de travail comporte une clause ainsi rédigée :

‘ARTICLE 17 – CLAUSE DE DEDIT FORMATION

Vous allez participer à l’action de formation suivante : CORSO DE AUDIOLOGIA PROTESICA – MADRID dispensée par l’organisme de formation MOPE

Cette action de formation va se dérouler sur 2 ans de d’octobre 2019 à juin 2021.

La durée de formation correspond à 20 jours (1 samedi par mois)

Son coût pédagogique est de 5800 €.

Pour rappel cette formation est totalement prise en charge par l’employeur. Votre salaire sera maintenu durant la durée de l’action de formation.

En contrepartie de cette action de formation, vous vous engagez à rester au service de votre employeur Monsieur [F] [G] pendant une durée minimale de 3 ans à compter de la date d’action de formation.

Par la présente clause, vous vous engagez en cas de démission ou en cas de licenciement pour faute grave à rembourser la somme suivante :

– Remboursement intégral : coût de la formation ainsi que le salaire perçu pendant cette formation si la démission (ou faute grave) intervient dans les 12 mois suivant l’action de formation.

– Remboursement proportionnel : au-delà de 1 an, une démission (ou faute grave) entraînera un remboursement proportionnel au nombre de trimestres restant à courir jusqu’à l’expiration du délai fixé au-dessus, chacun de ces trimestre représentant 8,33% du coût de la formation.

Cette somme est payable en 1 fois par chèque.’

Il est constant que cette clause est illicite, ce qui n’est pas contesté par l’employeur, lequel a procédé au remboursement de la somme de 4.708,52 € au titre des retenues pratiquées en application de ladite clause.

Toutefois, M. [Y] n’est pas utilement contredit quand il fait valoir que ce remboursement n’a été effectué que sur la demande expresse du salarié lequel a été laissé dans l’incertitude durant toute l’exécution du contrat tandis que l’éventuel remboursement des frais de formation et du salaire versé durant ces périodes était laissé au bon vouloir de l’employeur.

Le manquement de l’employeur à l’exécution de bonne foi du contrat de travail causant un préjudice au salarié, bien que régularisé, est ainsi caractérisé.

La décision entreprise sera infirmée en ce qu’elle déboute M. [Y] de sa demande en paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice découlant d’une exécution fautive et déloyale du contrat de travail et la cour alloue au salarié une somme de 800 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail

La lettre de licenciement du 12 juin 2020 est ainsi motivée :

« (…) Je vous ai convoqué à un entretien préalable à votre éventuel licenciement qui s’est tenu le 15 mai 2020, à 9 heures 30, sur votre lieu de travail dans notre établissement de GRASSE sis [Adresse 2].

Ce courrier confirmait votre mise à pied à titre conservatoire dans l’attente du résultat de cette procédure.

J’ai pris la décision de vous licencier pour les motifs suivants :

Vous avez été embauché le 1er septembre 2018 au poste de Pharmacien, statut Cadre, et vos fonctions étaient notamment les suivantes :

‘ – vérifier la recevabilité de la prescription, repérer les incompatibilités, contre-indications,…et contacter le prescripteur si nécessaire

– délivrer les médicaments au client/patient ou au personnel soignant et informer sur les modalités de la prescription

– effectuer les opérations administratives et le suivi de délivrance des médicaments dans l’ordonnancier, le registre des stupéfiants,…

– apporter un appui technique au personnel dans l’interprétation d’ordonnances, la posologie et contrôler les modalités de délivrance des médicaments

– réaliser la préparation pharmaceutique ou en contrôler les étapes de réalisation par le personnel

– suivre l’état des stocks de produits, établir les commandes de réapprovisionnement, contrôler la conformité de la livraison à la commande et disposer les articles sur les présentoirs

– participer au développement du rayon optique et notamment définir avec Mr [G] une nouvelle stratégie commerciale incluant la pratique du tiers payant avec les mutuelles.’

Vous vous engagiez par ailleurs :

‘- à remplir ses fonctions au nom et au mieux des intérêts de l’entreprise,

– à assurer dans les délais et dans le respect des procédures internes, l’exécution consciencieuse des travaux et services qui lui seront confiés

– à respecter les lois, les règlements et les règles déontologiques, dont elle a connaissance, qui régissent l’activité de .

– à promouvoir l’amélioration de sa culture et de ses connaissances professionnelles, tant par son travail et ses recherches personnels, que par l’assistance aux séances de formation organisées par l’Employeur.’

Il apparaît que vous avez gravement manqué à vos obligations.

***

Pendant mes congés de l’été 2019 vous aviez l’entière responsabilité de la pharmacie.

Or, à la fin du mois de mars 2020, j’ai appris par une collaboratrice que vous vous absentiez pendant cette période à votre guise de long moment en la laissant seule et parfois sans la prévenir.

Vous étiez pourtant le seul Pharmacien sur place, et vous savez qu’il nous est interdit de fonctionner sans la présence d’un pharmacien.

Par ailleurs j’ai appris toujours à la fin du mois de mars 2020 par une ancienne employée que vous aviez travaillé pour le compte de Mme [J] titulaire de la pharmacie des Parfum sur [Localité 4], et cela à plusieurs reprises lors de mes congés 2019, comme vous me l’avez confirmé lors du dernier entretien du 15 mai.

Or l’article 11 de votre contrat comporte une clause d’exclusivité et d’interdiction de concurrence.

Durant toute votre prestation de travail, j’ai été obligé de vous reprendre régulièrement concernant la délivrance de médicaments sans ordonnance alors que la législation l’impose.

J’ai constaté d’importantes erreurs ou largesses de délivrance : par exemple ex 5mg de rosuvastatine à la place de 20 mg, 13 boites dont 5 sans ordonnance pour le somnifère Zolpidem pour un seul client sur deux mois alors que la délivrance maximale est de deux boites par mois, délivrance de Tramadol sans ordonnance.

Alors que cela ressort très clairement de vos attributions, vous n’accomplissez aucun suivi des stocks optique (livraisons Ray ban début janvier février et mars 2020 non réceptionnées), et encore moins des dossiers pour la partie optique ce qui génére de nombreux impayés.

Ceci a entraîné plusieurs réclamations de la CPAM nous demandant les factures non envoyées.

Contre mes directives vous réceptionnez le matin en arrivant au travail les médicaments livrés la nuit en moins de 30 minutes : le travail est baclé ce qui génère des ventes à perte car vous ne contrôlez pas les prix d’achats en par conséquence le prix de ventes.

Au tout début du confinement, vous vous êtes vanté d’avoir un stock personnel de masque à vendre 5 euro pièces ; lorsque je vous ai dit que ce n’était pas le moment du tout, vous m’avez répondu que les vendeurs d’armes font fortune pendant la guerre, ce qui est contraire à l’éthique et à plus forte raison venant d’un Pharmacien.

A mon retour de pause déjeuner le 25 mars 2020 je vous ai surpris en train de donner des masques issus de la dotation d’état, ce qui est interdit.

Enfin, le vendredi 27 mars vous avez été placé en garde à vue pour avoir participé à la revente illégale de masques FFP2, ce qui confirme vos affirmations précédentes sur votre volonté de revendre un stock de masques.

Cette revente nous est interdite et nous avions reçu des instructions très claires de l’ordre des Pharmaciens à ce sujet, ce que vous ne pouviez ignorer en votre qualité de cadre.

Après avoir été placé sous contrôle judiciaire, vous avez été déféré devant le Tribunal Correctionnel et avez été jugé le 25 mai 2020 pour des faits d’exécution d’un travail dissimulé et pratiques commerciales trompeuses.

L’ordre des Pharmaciens s’est constitué partie civile.

Cette affaire a eu un très important retentissement régional et national et a largement nuit à la réputation de la Pharmacie vis-à-vis du public et de nos confrères.

Plusieurs clients m’ont confirmé vous avoir acheté de tels masques.

Je ne peux cautionner ce comportement contraire aux lois et règlements et à l’éthique.

Quels que soit la qualification pénale et les résultats de ces poursuites, ce comportement délibéré et les autres manquements dont nous avons eu connaissance à la fin du mois de mars sont constitutifs d’une série de fautes graves qui rendent votre présence impossible dans l’entreprise.

Votre qualité de cadre les aggrave encore si besoin était.

Par conséquent et compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave, qui prendra effect à la date de première présentation de la présente, sans préavis.

(…)»

Il découle de la lettre de licenciement que M. [Y] a été licencié pour :

> absences injustifiées pendant les congés de l’employeur alors que la présence d’un pharmacien à tout moment de l’ouverture de l’officine est requise par la loi,

> travail pour une officine concurrente en dépit d’une clause d’exclusivité contractuelle,

> délivrance de médicaments particulièrement dangereux sans ordonnance à de multiples reprises;

> absence de suivi des stocks optique,

> vente de masques de protection en dépit d’interdictions gouvernementales et ordinales.

1- Sur la prescription des faits fautifs

Dès lors que les faits sanctionnés ont été commis plus de deux mois avant l’engagement de poursuites disciplinaires, il appartient à l’employeur de rapporter la preuve qu’il n’en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l’engagement de ces poursuites.

S’agissant de la faute grave, celle-ci rendant, par définition, impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, l’employeur doit engager la procédure de licenciement dans un délai restreint après qu’il a eu une connaissance suffisante des faits allégués.

En l’espèce, il n’est apporté aucune contradiction opérante au fait, invoqué par le salarié, que les deux premiers griefs, d’absences injustifiées pendant les congés de M. [F] [G] et de travail de M; [Y] pour une officine concurrente en dépit d’une clause d’exclusivité contractuelle, qui remontent à l’année 2019, étaient parfaitement connus de M. [G] au moment où il a engagé la procédure de licenciement, soit une année après.

A cet égard, les attestations d’anciens salariés de la pharmacie ( Mme [T], Mme [N], Mme [B]) produites par l’employeur, n’emportent pas la conviction quant à la réalité du fait, invoqué, que les absences répétées et travaux pour une officine concurrente reproché à M. [Y] n’ont été révélés à l’employeur par ces salariés qu’ au mois de mars 2020, alors même que M. [Y] invoque une « tolérance » de l’employeur. Ces deux premiers griefs sont donc prescrits et ne peuvent être invoqués au soutien du licenciement.

2 – Sur les autres griefs

Il incombe à l’employeur de rapporter la preuve de la faute grave qu’il reproche au salarié.

Il ressort d’une capture d’écran de l’ordinateur de la pharmacie (en pièce n°30) ainsi que du document intitulé « ventes de produits » (en pièce n°33) que courant 2020 jusqu’au 21 février 2020, ont été délivrés sans ordonnance ni mention de l’identité des clients, en particulier, du Seresta et du Zoplicone outre du Tramadol qui est un antalgique opiacé et ne peuvent être délivrés sans prescription médicale.

Ces faits sont suffisamment précisés dans la lettre de licenciement pour permettre au salarié de s’en expliquer. Ce n’est qu’après avoir mené des investigations que l’employeur a pu connaître la date et l’ampleur des faits.

Le grief est donc établi.

Par ailleurs, par jugement du tribunal correctionnel de Grasse du 25 juin 2020, M. [Y] a été déclaré coupable d’avoir, du 1er mars 2020 au 25 mars 2020, participé à une opération commerciale trompeuse de vente illégale de masques non homologués. Le conseil national de l’ordre des médecins a été déclaré recevable et fondé en sa constitution de partie civile civile et M. [Y] a été condamné à une peine d’emprisonnement délictuel de un mois avec sursis.

Comme indiqué dans la lettre de licenciement ce comportement est contraire aux lois et règlements et à l’éthique. Il constitue à lui seul, les autres manquements reprochés et non prescrits relevant de l’insuffisance professionnelle, un manquement aux obligations découlant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rendait impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis.

Il se déduit de ces motifs que le licenciement est justifié pour faute grave ce que le conseil de prud’hommes a exactement jugé.

3- Sur la demande de requalification de la mise à pied conservatoire en mise à pied disciplinaire

Pour que la mise à pied puisse être qualifiée de conservatoire, lorsque son prononcé et l’engagement de la procédure ne sont pas concomitants, il faut que le délai soit justifié par l’employeur : le fait pour ce dernier de notifier à un salarié une mise à pied qu’il qualifie de conservatoire et d’attendre plusieurs jours avant d’engager la procédure de licenciement sans justifier d’aucun motif à ce délai donne à la mise à pied un caractère disciplinaire.

En l’espèce, comme l’explique l’employeur, au regard de la survenance de la crise sanitaire et de la nécessité pour M. [G] de vérifier un certain nombre de faits dont la plupart, notamment la vente illicite de masques n’ont été découverts qu’à la fin du mois de mars 2020, la mise à pied décerné au salarié dix jours avant l’engagement de la procédure de licenciement disciplinaire conserve la nature d’une mise à pied conservatoire non disciplinaire. Le moyen n’est pas fondé.

4- Sur la véritable cause du licenciement

L’exigence d’une cause exacte signifie que le juge ne doit pas seulement vérifier que les faits allégués par l’employeur comme cause de licenciement existent; il doit également rechercher si d’autres faits évoqués par le salarié ne sont pas la véritable cause du licenciement.

Lorsque la véritable cause du licenciement n’est pas celle énoncée dans la lettre de licenciement (les faits invoqués fussent-ils exacts),le licenciement est sans cause réelle et sérieuse. L’énoncé d’un motif erroné dans la lettre de licenciement équivaut en effet à une absence de motif.

En l’espèce, présence de faits fautifs objectifs matériellement vérifiables et vérifiés par la cour, ceux-ci constituent la seule et véritable cause du licenciement.

Le licenciement étant motivé par une faute grave, le salarié ne peut prétendre à l’indemnité compensatrice de préavis, à une indemnité de licenciement, et a été justement débouté du surplus de ses prétentions d’indemnisation mal fondées compte tenu de l’issue de l’appel.

5-Sur les dommages-intérêts pour préjudice distinct

Même lorsqu’il est prononcé en raison d’une faute grave du salarié, le licenciement peut causer au salarié en raison des circonstances vexatoires qui l’ont accompagné un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi et dont il est fondé à demander réparation.

C’est au salarié de prouver le comportement fautif de l’employeur.

Et les juges du fond doivent ainsi caractériser le préjudice subi par le salarié, même s’ils en fixent souverainement l’évaluation.

En l’espèce, le caractère brutal et/ou vexatoire du licenciement et le préjudice moral ainsi subi par M. [Y] ne sont pas établis.

Le jugement doit être confirmé en ce qu’il déboute M. [Y] de cette demande.

Sur les frais du procès

En application des dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile, chacune des parties conservera la charge des frais irrépétibles et des dépens par elle exposés.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, en matière prud’homale,

Infirme la décision entreprise en ce qu’elle déboute M. [Y] de sa demande en paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice découlant d’une exécution fautive et déloyale du contrat de travail et statuant à nouveau condamne M. [G] à payer à M. [Y] la somme de 800 euros à titre de dommages et intérêts,

Confirme le jugement sur le surplus de ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant,

Dit que chacune des parties conservera la charge des frais irrépétibles et des dépens par elle exposés.

Rejette toute autre demande.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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