COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 17 mars 2021
Rejet
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 230 F-D
Pourvoi n° F 19-20.459
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 17 MARS 2021
1°/ Mme M… D…, domiciliée […] ,
2°/ la société Degel Prod, société à responsabilité limitée, dont le siège est […] ,
ont formé le pourvoi n° F 19-20.459 contre l’arrêt rendu le 29 mai 2019 par la cour d’appel de Paris (pôle 2 , chambre 7), dans le litige les opposant :
1°/ à M. I… T…, domicilié […] ,
2°/ à la société […] , société par actions simplifiée unipersonnelle,
3°/ à la société The Web Family, société par actions simplifiée,
ayant toutes deux leur siège […] ,
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l’appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Champalaune, conseiller, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de Mme D… et de la société Degel Prod, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. T… et des sociétés […] et The Web Family, et l’avis de M. Douvreleur, avocat général, après débats en l’audience publique du 26 janvier 2021 où étaient présentes Mme Mouillard, président, Mme Champalaune, conseiller rapporteur, Mme Darbois, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué ( Paris, 29 mai 2019), Mme D…, présentatrice, animatrice de télévision et de radio et productrice d’émissions audiovisuelles, est gérante de la société Degel Prod, spécialisée dans la production audiovisuelle. M. T… est le directeur de publication du site internet « […] », hébergé et édité par la société The Web Family dont il est le gérant et dont l’associée unique est la société […] .
2. Considérant que M. T… et les sociétés […] et The Web Family avaient organisé, de juin 2014 à juin 2016, sur le site « […] », une campagne d’information leur étant défavorable, Mme D… et la société Degel Prod les ont assignés en réparation de leurs préjudices financier, moral, et d’atteinte à leurs réputation et image commerciales, sur le fondement de l’article 1382, devenu 1240, du code civil.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. La société Degel Prod et Mme D… font grief à l’arrêt de dire que les faits poursuivis auraient dû l’être sur le fondement de la diffamation au sens de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, de requalifier en ce sens les faits poursuivis, de déclarer nulle l’assignation délivrée le 28 juillet 2016 à la société […] , à la société The Web Family et à M. T…, et de débouter la société Degel Prod et Mme D… de leurs demandes, alors :
« 1°/ que les appréciations, même excessives, touchant les produits, les services ou les prestations d’une entreprise industrielle et commerciale n’entrent pas dans les prévisions de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, dès lors qu’elles ne portent pas atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne physique ou morale qui l’exploite ; qu’il en va ainsi même si les propos sont dirigés contre une personne dénommée, dès lors qu’ils ont pour objet de mettre en cause la qualité des prestations ou des produits fournis, ou encore les méthodes de fonctionnement d’un concurrent ; que, pour dire que les faits litigieux relevaient de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, la cour d’appel a retenu que l’assignation introductive d’instance contenait de nombreuses expressions désignant la société Degel Prod et Mme D… comme sujets du dénigrement dénoncé, ces termes évoquant des actes de dénigrement qui ne portaient pas sur des produits ou des services mais s’appliquaient à des personnes ; qu’en statuant de la sorte, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si les propos incriminés ne visaient pas la qualité des émissions produites par la société Degel Prod et animées par Mme D…, ainsi que leurs méthodes commerciales et de fonctionnement, de sorte qu’ils relevaient de l’action en dénigrement, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382, devenu 1240, du code civil, ensemble l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
2°/ que la critique des méthodes de fonctionnement d’un concurrent, en l’accusant de méthodes irrégulières voire pénalement répréhensibles, constituent un acte de dénigrement et une diffamation ; que, pour dire que les faits reprochés à M. T… et aux sociétés […] et The Web Family relevaient, non d’une action en responsabilité de droit commun, mais de la loi du 29 juillet 1881, la cour d’appel a retenu que le principal reproche fait aux défendeurs est d’avoir suggéré que Mme D… et la société Degel Prod avaient obtenu et détourné, pour le moins fait un mauvais usage, des subventions, soit des fonds publics, qui leur étaient accordées et d’avoir annoncé qu’un audit des comptes pour l’émission de la fête de la musique 2015 avait été requis, et a considéré que l’imputation de ces faits, qui dépassent le cadre d’une critique des prestations de la société de production, relevait de la diffamation publique devant être poursuivie sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 ; qu’en statuant de la sorte, quand l’imputation de faits pénalement répréhensibles n’est pas de nature à disqualifier une action en dénigrement dès lors qu’elle accompagne, comme c’était le cas en l’espèce, la critique de la qualité des produits ou services d’un concurrent, ou de ses méthodes commerciales et de fonctionnement, la cour d’appel a violé l’article 1382, devenu 1240, du code civil, ensemble l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
3°/ que dans l’assignation délivrée le 28 juillet 2016, la société Degel Prod et Mme D… faisaient valoir que les agissements commis par M. T… et les sociétés […] et The Web Family, décrites en pages 5 à 11 de l’acte, constituaient des critiques sur les services proposés par elles et leur qualité, ainsi sur les méthodes commerciales de la société Degel Prod et de Mme D…, et sur la situation financière de la société ; que si elles évoquaient les accusations de mauvaise utilisation de subventions publiques dont elles avaient fait l’objet et l’annonce d’un audit financier engagé par France 2, elles soulignaient que ces propos s’inscrivaient dans le cadre de « critiques sur les méthodes commerciales » s’analysant comme la dénonciation du mode de fonctionnement de la société Degel Prod ; qu’en énonçant que « le principal reproche fait aux défendeurs est d’avoir suggéré, de manière péremptoire et à de nombreuses reprises, que Mme D… et sa société Degel Prod ont obtenu et détourné, pour le moins fait un mauvais usage, des subventions, soit des fonds publics, qui leur étaient accordées et d’avoir annoncé qu’un audit des comptes pour l’émission de la fête de la musique 2015 avait été requis », que ces faits étaient attentatoires à l’honneur et la considération des personnes à qui ils sont attribués, et que, si l’assignation « stigmatise aussi une critique excessive portant sur des produits et services, elle ne se limite pas à cet objet dans la mesure où d’une part elle fait état de détournement de fonds publics, ce qui dépasse le cadre d’une critique des prestations de la société de production et d’autre part elle introduit une action de la société Degel Prod et de sa dirigeante qui s’estiment personnellement victimes d’un préjudice de réputation ou d’image », la cour d’appel a dénaturé l’assignation délivrée le 28 juillet 2016 par la société Degel Prod et Mme D…, violant ainsi les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
4°/ en outre que le dénigrement d’une entreprise concurrente peut donner lieu à indemnisation du préjudice de réputation ou d’image qui en résulte pour celle-ci ; qu’en l’espèce, la société Degel Prod faisait valoir que les agissements reprochés aux défendeurs avaient porté atteinte à sa réputation et à son image commerciale, en la discréditant auprès de ses partenaires, ce qui avait entraîné une baisse de son activité de production, et Mme D… soutenait similairement qu’elle avait subi un préjudice moral et d’image lié à sa dévalorisation et sa décrédibilisation auprès du public et de ses partenaires ; qu’en se fondant sur la circonstance que la société Degel Prod indiquait dans l’assignation introductive d’instance avoir subi un préjudice de réputation et que Mme D… invoquait un préjudice d’image, pour en déduire que n’étaient pas invoqués des préjudices en lien avec un dénigrement de produits ou de services, la cour d’appel a encore méconnu l’article 1382, devenu 1240, du code civil, ensemble l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881. »
Réponse de la Cour
4. Après avoir constaté que l’assignation contient de nombreuses expressions désignant Mme D… et la société Degel Prod comme sujets du dénigrement dénoncé, l’arrêt retient que le principal reproche fait aux défendeurs est d’avoir suggéré, de manière péremptoire et à de nombreuses reprises, que Mme D… et sa société Degel Prod avaient obtenu et détourné, pour le moins fait un mauvais usage, des fonds publics qui leur étaient accordés et d’avoir annoncé qu’un audit des comptes avait été requis s’agissant de la production d’une émission en particulier. Il retient également que, si l’assignation stigmatise aussi une critique excessive portant sur les produits et services, elle ne se limite pas à cet objet et que l’action n’a pas pour seul fondement la qualité des émissions produites par la société Degel Prod mais tend aussi à voir reconnaître une atteinte à l’honneur et à la considération de cette société et de sa dirigeante. De ces constatations et appréciations, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la quatrième branche, la cour d’appel, qui n’avait pas à faire d’autres recherches et qui n’a pas dénaturé l’assignation, a justement déduit que l’action engagée était une action en diffamation entrant dans les prévisions de la loi du 29 juillet 1881.
5. En conséquence, pour partie inopérant, le moyen n’est pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme D… et la société Degel Prod aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme D… et la société Degel Prod et les condamne à payer à M. T…, la société The Web Family et la société […] la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept mars deux mille vingt et un.